publié le 16 mars 2005
Extrait de l'arrêt n° 56/2005 du 8 mars 2005 Numéro du rôle : 2982 En cause : le recours en annulation de l'article 192bis du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, tel qu'il a été La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)
Extrait de l'arrêt n° 56/2005 du 8 mars 2005 Numéro du rôle : 2982 En cause : le recours en annulation de l'article 192bis du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, tel qu'il a été inséré par l'article 54 du décret du 21 novembre 2003, introduit par M. Van Reeth et B. Van Rompuy.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 20 avril 2004 et parvenue au greffe le 21 avril 2004, un recours en annulation de l'article 192bis du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, tel qu'il a été inséré par l'article 54 du décret du 21 novembre 2003 (publié au Moniteur belge du 29 janvier 2004), a été introduit par M. Van Reeth et B. Van Rompuy, demeurant ensemble à 3140 Keerbergen, Stationsstraat 9A. (...) II. En droit (...) Quant à la recevabilité B.1. Le Gouvernement flamand conteste la recevabilité du recours en annulation au motif que les parties requérantes ne justifieraient pas de l'intérêt requis. Elles ne sont pas parties à une procédure dans le cadre de laquelle la disposition décrétale entreprise pourrait être invoquée en leur défaveur.
B.2.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme entreprise.
B.2.2. La circonstance que les parties requérantes ne sont actuellement pas parties à une procédure judiciaire ne saurait avoir pour effet qu'elles ne justifient pas d'un intérêt à leur recours en annulation, qui est dirigé contre une disposition décrétale qui valide, avec effet rétroactif, des dispositions d'exécution. En effet, il ne peut être exclu qu'elles puissent encore être poursuivies en raison de la persistance d'un usage de leur immeuble contraire au plan d'aménagement applicable ni que cela fasse l'objet d'une mesure de réparation, d'un ordre de cessation ou d'une action en cessation.
B.3. L'exception est rejetée.
Quant au fond B.4. Les parties requérantes font valoir que l'article 192bis du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, tel qu'il a été inséré par l'article 54 du décret du 21 novembre 2003, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 146 et 160 de la Constitution, avec les articles 6 et 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et avec les principes de la sécurité juridique, de la séparation des pouvoirs et de la non-rétroactivité en matière pénale, en ce que la disposition entreprise rétroagit au 9 septembre 1984, sans que des circonstances impérieuses d'intérêt général soient invoquées, alors que de telles circonstances sont une condition qui est nécessaire pour justifier des dispositions législatives rétroactives ayant une incidence sur des litiges pendants.
B.5. L'article 54 du décret du 21 novembre 2003 modifiant le décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire insère un article 192bis nouveau, qui énonce : « Jusqu'à la date d'entrée en vigueur de la liste des modifications de fonction soumises à l'octroi de permis, visée à l'article 99, § 1er, 6°, et avec effet rétroactif au 9 septembre 1984, les modifications de fonctions citées ci-après sont également censées soumises à l'octroi de permis en raison de l'importante incidence spatiale sur l'environnement immédiat : 1° en cas de modification de la fonction principale d'un bâtiment ayant fait l'objet d'un permis, lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone réservée aux équipements communautaires ou aux équipements utilitaires publics, une zone d'habitat ou une zone de destination y assimilée, et que la nouvelle utilisation consiste en une discothèque, le stockage de ferraille, d'épaves de voitures ou de déchets, l'offre en vente ou en échange de services dans un local qui fait plus de trois cents mètres carrés;2° en cas de modification de la fonction principale d'un bâtiment ayant fait l'objet d'un permis, lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans un zoning industriel ou une zone de destination y assimilée, et que la nouvelle utilisation consiste en l'offre en vente ou en échange de biens ou de services;3° lorsque la fonction principale d'un bâtiment ayant fait l'objet d'un permis est modifié[e], lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone agraire ou une zone de destination assimilée, et que la nouvelle utilisation n'est pas du type agraire;4° en cas de modification de la fonction principale d'un bâtiment autorisé, lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone-tampon, une zone verte, une zone de parc ou boisée ou une zone de destination y assimilée, et que la nouvelle utilisation est différente de l'utilisation initiale;5° en cas de modification de la principale fonction d'un bâtiment ayant fait l'objet d'un permis, lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone de récréation ou une zone de destination assimilée, et que la nouvelle utilisation vise le logement permanent;6° en cas de modification de la principale fonction d'un bâtiment ayant fait l'objet d'un permis, lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone d'exploitation ou une zone de destination assimilée, et que la nouvelle utilisation consiste dans l'entreposage de ferraille, d'épaves de voitures ou de déchets.» B.6.1. Les travaux préparatoires font apparaître que, par l'article 54 du décret du 21 novembre 2003, le législateur décrétal entendait confirmer avec effet rétroactif l'arrêté du 17 juillet 1984 pour la période durant laquelle celui-ci a été en vigueur, soit du 9 septembre 1984 au 30 avril 2000 : « Dans un arrêt de la Cour d'appel d'Anvers, l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 juillet 1984 a été déclaré illégal au motif que les raisons invoquées dans le préambule de l'arrêté pour justifier l'urgence, sur la base desquelles il a été omis de demander l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat, n'étaient pas valables. [...] Cela implique que plusieurs contrevenants pourraient échapper, pour des raisons purement procédurales, à une condamnation et à l'imposition d'une mesure de réparation, alors qu'ils pouvaient à tout moment savoir qu'ils commettaient une infraction. » (Doc., Parlement flamand, 2002-2003, n° 1800/1, p. 20) « Il convient d'éviter qu'en ce qui concerne l'arrêté du 17 juillet 1984, une jurisprudence très divergente puisse se développer au sujet des circonstances évoquées ci-avant dans lesquelles cet arrêté a été adopté. [...] Il est donc nécessaire de confirmer par décret, de manière rétroactive et sans modification, le contenu de la réglementation qui, à l'estime de la Cour d'appel d'Anvers, aurait été imposée de manière irrégulière quant à la forme; en d'autres termes, il y a lieu de valider par voie décrétale ce règlement déclaré inapplicable par cette Cour, avec effet au jour de l'entrée en vigueur de cet arrêté » (ibid., pp. 21-22).
B.6.2. L'arrêté précité disposait : «
Article 1er.Lorsque l'utilisation d'un bâtiment pour lequel est délivré un permis est modifiée, en ce qui concerne la fonction principale, de sorte que le bâtiment est affecté à un usage nouveau cette modification est censée avoir un impact important sur l'espace environnant lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone d'équipement communautaire et de services publics, une zone d'habitat ou une zone de destination y assimilée et pour autant que l'usage nouveau consiste en un dancing, un dépôt de mitraille, de véhicules usagés et de déchets, une offre en vente ou en échange de biens et services dans un espace supérieur à trois cents mètres carrés. Pour ces modifications d'utilisation l'obtention préalable d'un permis d'impose en vertu des règles fixées par l'article 44, premier paragraphe, point 7, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962.
Art. 2.Lorsque l'utilisation d'un bâtiment pour lequel est délivré un permis est modifiée, en ce qui concerne la fonction principale, de sorte que le bâtiment est affecté à un usage nouveau, cette modification est censée avoir un impact important sur l'espace environnant lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone industrielle ou une zone de destination y assimilée et pour autant que le nouvel usage consiste en l'offre en vente ou en échange de biens et services. Pour ces modifications d'utilisation l'obtention préalable d'un permis s'impose en vertu des règles fixées par l'article 44, premier paragraphe, point 7, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962.
Art. 3.Lorsque l'utilisation d'un bâtiment pour lequel est délivré un permis est modifiée, en ce qui concerne la fonction principale, de sorte que le bâtiment est affecté à un usage nouveau, cette modification est censée avoir un impact important sur l'espace environnant lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone agricole ou une zone de destination y assimilée et pour autant que l'usage nouveau soit d'une nature autre qu'agricole. Pour ces modifications d'utilisation l'obtention préalable d'un permis s'impose en vertu des règles fixées par l'article 44, premier paragraphe, point 7, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962.
Art. 4.Lorsque l'utilisation d'un bâtiment pour lequel est délivré un permis est modifiée, en ce qui concerne la fonction principale, de sorte que le bâtiment est affecté à un usage nouveau, cette modification est censée avoir un impact important sur l'espace environnant lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone d'isolement, une zone d'espaces verts, une zone de parcs, une zone forestière ou une zone d'affectation y assimilée et pour autant que l'usage nouveau soit d'une nature différente de celui prévu originellement. Pour ces modifications d'utilisation l'obtention préalable d'un permis s'impose en vertu des règles fixées par l'article 44, premier paragraphe, point 7, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962.
Art. 5.Lorsque l'utilisation d'un bâtiment pour lequel est délivré un permis est modifiée, en ce qui concerne la fonction principale, de sorte que le bâtiment est affecté à un usage nouveau, cette modification est censée avoir un impact important sur l'espace environnant lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone de loisirs ou une zone de destination y assimilée et pour autant que l'usage nouveau consiste à donner au bâtiment un caractère de résidence permanente. Pour ces modifications d'utilisation l'obtention préalable d'un permis s'impose en vertu des règles fixées par l'article 44, premier paragraphe, point 7, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962.
Art. 6.Lorsque l'utilisation d'un bâtiment est modifiée, en ce qui concerne la fonction principale, de sorte que le bâtiment est affecté à un usage nouveau, cette modification est censée avoir un impact important sur l'espace environnant lorsqu'il s'agit d'un bâtiment situé dans une zone d'extraction ou une zone de destination y assimilée et pour autant que l'usage nouveau consiste à en faire un dépôt de mitraille, de véhicules utilisés et de déchets. Pour ces modifications d'utilisation l'obtention préalable d'un permis s'impose en vertu des règles fixées par l'article 44, premier paragraphe, point 7, de la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962. » B.7. Toute infraction à l'article 192bis du décret relatif à l'urbanisme est pénalement sanctionnée par l'article 99, § 1er, 6°, combiné avec les articles 146 et 147, de ce décret. Toute infraction à l'article 44, § 1er, 7°, de la loi organique de l'urbanisme, inséré par l'article 2 du décret du 28 juin 1984 complétant la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme du 29 mars 1962 (Moniteur belge , 30 août 1984), était également sanctionnée pénalement par l'article 64, alinéa 4, de la loi organique de l'urbanisme, inséré par l'article 2 du décret précité.
B.8. L'ancien article 44, § 1er, 7°, de la loi du 29 mars 1962 organique de l'urbanisme exigeait déjà l'obtention d'un permis pour modifier la fonction principale d'un bâtiment. Cet article disposait toutefois que la modification de l'usage d'un bâtiment n'était soumise à un permis que « pour autant que cette modification figure sur une liste à arrêter par le Gouvernement flamand ».
Par conséquent, l'obligation, prévue par cette ancienne disposition, de disposer d'un permis pour les modifications de fonction ne pouvait s'appliquer sans que cette liste ait été fixée dans un arrêté d'exécution.
B.9.1. Du fait que la Cour d'appel d'Anvers, par arrêt du 18 octobre 1999, a déclaré inapplicable l'arrêté précité du 17 juillet 1984, estimant que l'urgence qui était invoquée pour ne pas demander l'avis préalable de la section de législation du Conseil d'Etat était insuffisamment motivée, une insécurité juridique s'est installée, à laquelle le législateur décrétal a entendu remédier. Cette insécurité juridique est d'autant plus grande que le constat, par la Cour d'appel précitée, ne vaut qu'inter partes et qu'il concerne un arrêté qui était appliqué depuis plus de quinze ans.
B.9.2. Lorsqu'une mesure réglementaire est susceptible d'être considérée comme illégale conformément à l'article 159 de la Constitution, il appartient en principe à l'autorité qui a adopté la norme en cause de la refaire dans le respect des formalités qu'elle n'avait pas observées. En l'espèce, le législateur décrétal a entendu remédier à l'impossibilité légale dans laquelle se trouvait le Gouvernement flamand, vu le remplacement de la législation de base, de rétablir l'arrêté du 17 juillet 1984 qui avait été abrogé par un arrêté du 14 avril 2000, en adoptant une disposition décrétale en 2003 avec effet rétroactif au 9 septembre 1984.
B.10. Il convient toutefois d'examiner si le procédé utilisé par le législateur décrétal est raisonnablement justifié.
B.11. L'insertion du contenu d'un arrêté dans une disposition décrétale a pour conséquence que le Conseil d'Etat et les cours et tribunaux ne peuvent se prononcer sur ce contenu.
B.12.1. Ainsi qu'il a été relevé au B.6.1, les travaux préparatoires du décret du 21 novembre 2003 font apparaître que l'intention du législateur décrétal était en particulier d'éviter qu'une jurisprudence divergente apparaisse au sujet de l'arrêté du 17 juillet 1984.
B.12.2. Un arrêt de la Cour d'appel d'Anvers du 18 octobre 1999 a jugé illégal l'arrêté du 17 juillet 1984 pour cause de non-consultation de la section de législation du Conseil d'Etat, prescrite par l'article 2, alinéa 2, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Toutefois, la même Cour d'appel ainsi que le Conseil d'Etat ont appliqué cet arrêté à plusieurs reprises.
La décision qui avait conclu à l'illégalité de l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 juillet 1984 était fondée sur l'omission de formalités que le Gouvernement flamand était tenu de respecter. L'acte que le législateur décrétal a refait ne s'est pas approprié les vices de forme qui pouvaient entacher l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 juillet 1984.
B.13. Le constat, dans un arrêt qui ne vaut qu'inter partes, d'un vice de forme dans l'adoption d'un arrêté dont le contenu n'est pas contesté ne peut avoir pour effet que le législateur décrétal soit dans l'impossibilité de remédier à l'insécurité juridique née de ce constat. Etant donné que le contenu de la disposition décrétale coïncide avec le contenu de l'arrêté, l'acte soumis à un permis est défini de manière suffisamment précise et les personnes auxquelles les dispositions pénales du décret organique de l'urbanisme sont applicables peuvent, sur la base de ces dispositions, connaître les faits et négligences qui entraînent leur responsabilité pénale, de sorte qu'il n'est pas porté atteinte en l'espèce à l'exigence de non-rétroactivité de la loi pénale.
B.14. De surcroît, en substituant la disposition attaquée à l'arrêté et en confirmant implicitement que les permis déjà délivrés restent acquis à la date de leur délivrance, le législateur décrétal a pris une mesure qui est justifiée par les circonstances particulières mentionnées en B.6.1.
B.15. Le moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 8 mars 2005.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Arts