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Arrêt
publié le 30 novembre 2004

Extrait de l'arrêt n° 193/2004 du 24 novembre 2004 Numéro du rôle : 3078 En cause : la demande de suspension de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 193/2004 du 24 novembre 2004 Numéro du rôle : 3078 En cause : la demande de suspension de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui concerne le système des certificats d'électricité écologique, et portant interprétation de l'article 37, § 2, du même décret », introduite par l'association chargée de mission IVEKA et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la demande et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 septembre 2004 et parvenue au greffe le 8 septembre 2004, une demande de suspension de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui concerne le système des certificats d'électricité écologique, et portant interprétation de l'article 37, § 2, du même décret » (publié au Moniteur belge du 8 juin 2004) ont été introduits par l'association chargée de mission IVEKA, dont le siège social est établi à 2390 Westmalle, Antwerpsesteenweg 246, l'association chargée de mission INTERGEM, dont le siège social est établi à 9200 Termonde, Franz Courtensstraat 11, l'association chargée de mission IMEWO, dont le siège social est établi à 9900 Eeklo, Markt 34, la s.c.r.l. GASELWEST, dont le siège social est établi à 8800 Roulers, Hôtel de ville, la s.c.r.l. INTERMOSANE, dont le siège social est établi à 4000 Liège, place du Marché 2, l'association chargée de mission IVERLEK, dont le siège social est établi à 3012 Wilsele-Louvain, Aarschotsesteenweg 58, l'association chargée de mission IMEA, dont le siège social est établi à 2000 Anvers, Grote Markt, et la s.c.r.l. SIBELGAZ, dont le siège social est établi à 1210 Saint-Josse-ten-Noode, Hôtel communal.

Par la même requête, les parties requérantes demandent également l'annulation de la même disposition décrétale. (...) II. En droit (...) Contexte de la disposition attaquée B.1. Le décret de la Région flamande du 17 juillet 2000 relatif à l'organisation du marché de l'électricité (ci-après : le décret sur l'électricité) a instauré un système de certificats d'électricité verte destiné à encourager l'utilisation de sources d'énergie renouvelables. Un certificat d'électricité verte est un bien immatériel cessible faisant apparaître qu'un producteur a produit, au cours d'une année déterminée, une quantité déterminée d'électricité en faisant usage de sources d'énergie renouvelables.

B.2. Les parties requérantes sont des gestionnaires d'un réseau de distribution qui ont été soumises pendant un certain temps à l'obligation de produire des certificats d'électricité verte. Par manque de capacité suffisante en matière d'électricité verte, les parties requérantes n'ont toutefois pas pu satisfaire à cette obligation.

B.3. L'article 37 du décret sur l'électricité énonce : « § 1er. Sans préjudice des autres mesures prévues par le présent décret ou l'une [lire : l'un] de ses arrêtés d'exécution, l'autorité de régulation peut enjoindre à toute personne physique ou morale établie en Région flamande de se conformer aux dispositions spécifiques du présent décret ou de ses arrêtés d'exécution dans le délai qu'elle détermine. Si cette personne reste en défaut à l'expiration du délai, l'autorité de régulation peut, la personne entendue ou dûment convoquée, lui infliger une amende administrative.

L'amende ne peut être, par jour calendaire [lire : par jour calendrier], inférieure de [lire : à] mille deux cent cinquante euros ni supérieure à cent mille euros, ni, au total, supérieure à deux millions d'euros ou 3 pour cent du chiffre d'affaires que la personne en cause a réalisé sur le marché flamand de l'électricité au cours du dernier exercice clôturé, si ce dernier montant est supérieur.

La poursuite criminelle dans le sens de l'article 36 exclut [lire : Les poursuites pénales au sens de l'article 36 excluent] l'amende administrative, pour ce qui concerne les faits poursuivis, même si la poursuite a [lire : les poursuites ont] abouti à un acquittement. § 2. Sans préjudice du § 2 [lire 1er], le tarif de l'amende administrative pour une infraction à l'article 23, § 1er, est de 75 euros par certificat manquant le 31 mars 2003 et de 100 euros par certificat manquant le 31 mars 2004. A partir du 31 mars 2005, l'amende est portée à 125 euros par certificat manquant. [...] » B.4. Conformément à l'article 37, § 2, l'« Autorité de régulation flamande pour le marché de l'électricité et du gaz » (« Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt » ci-après : VREG) a décidé d'infliger aux parties requérantes une amende administrative de 75 euros par certificat d'électricité verte manquant, soit, au total, quelque 8,5 millions d'euros. La VREG estimait que la disposition précitée ne lui laissait pas de liberté d'appréciation en l'espèce.

Les parties requérantes ont attaqué la décision de la VREG devant le Conseil d'Etat et devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Elles estiment que l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité n'affecte pas le pouvoir discrétionnaire de la VREG, déduit de l'article 37, § 1er, d'infliger ou non une amende. L'article 37, § 2, fixerait uniquement le montant de l'amende en cas de manquement à l'obligation de produire un certain nombre de certificats d'électricité verte. Les juridictions précitées n'ont pas encore statué.

B.5. La disposition présentement attaquée porte : « A l'article 37, § 2, du même décret, les mots ' sans préjudice du ' sont expliqués [lire : doivent s'entendre] comme suit : ' à l'exclusion du '. » Contrairement à ce qu'a soutenu le Gouvernement flamand à l'audience, les parties requérantes justifient de l'intérêt requis à l'annulation d'une disposition en vertu de laquelle elles se sont vu infliger des amendes dont le montant total s'élève à quelque 8,5 millions d'euros.

L'exception déduite du défaut de capacité d'ester en justice ne permet pas non plus à la Cour de conclure à l'irrecevabilité de la demande, à l'issue de l'examen des pièces déposées par les parties requérantes dans le cadre de la demande de suspension.

Conditions de fond de la demande de suspension B.6. Aux termes de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, deux conditions de fond doivent être remplies pour que la suspension puisse être décidée : - des moyens sérieux doivent être invoqués; - l'exécution immédiate de la règle attaquée doit risquer de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Le moyen sérieux ne se confond pas avec le moyen fondé. Pour qu'un moyen soit considéré comme sérieux au sens de l'article 20, 1°, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, il ne suffit pas qu'il ne soit pas manifestement non fondé au sens de l'article 72, mais il faut aussi qu'il revête une apparence de fondement au terme d'un premier examen des éléments dont la Cour dispose à ce stade de la procédure.

En ce qui concerne le caractère sérieux du moyen B.7. Le moyen unique est pris d'une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe de la séparation des pouvoirs. Les parties requérantes font valoir que la disposition attaquée n'est pas une disposition interprétative mais une disposition rétroactive visant à influencer l'issue de procédures pendantes.

B.8.1. C'est le propre d'une loi interprétative de sortir ses effets à la date d'entrée en vigueur des dispositions législatives qu'elle interprète. Une loi interprétative est, en effet, celle qui donne à une disposition législative le sens qu'elle aurait dû recevoir dès son adoption.

B.8.2. La non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de prévenir l'insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que chacun puisse prévoir, à un degré raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé au moment où cet acte se réalise. Cette garantie ne pourrait être éludée par le seul fait qu'une loi ayant un effet rétroactif serait présentée comme une loi interprétative. La Cour ne pourrait donc se dispenser d'examiner si une loi qualifiée d'interprétative est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.8.3. Sous réserve des règles applicables en droit pénal et du respect des décisions de justice passées en force de chose jugée, l'effet rétroactif qui s'attache à une disposition législative interprétative est justifié lorsque la disposition interprétée ne pouvait, dès l'origine, être raisonnablement comprise autrement que de la manière indiquée dans la disposition interprétative.

B.8.4. Si tel n'est pas le cas, la disposition dite interprétative est en réalité une disposition rétroactive pure et simple. Par conséquent, sa rétroactivité ne peut se justifier que lorsqu'elle est indispensable pour réaliser un objectif d'intérêt général, tel que le bon fonctionnement ou la continuité du service public. S'il s'avère que la rétroactivité a en outre pour effet d'influencer dans un sens déterminé l'issue de procédures judiciaires ou d'empêcher les juridictions de se prononcer sur une question de droit dont elles sont saisies, la nature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles justifient cette intervention du législateur qui porte atteinte, au détriment d'une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous.

B.9. Les travaux préparatoires de l'article 37, § 2, originaire, du décret sur l'électricité du 17 juillet 2000 définissent comme suit son objet : « L'article 37, § 2, règle l'infliction d'une amende administrative, étant entendu qu'aucun pouvoir d'appréciation n'est conféré à l'autorité puisque la hauteur de l'amende et la manière dont celle-ci est calculée sont mentionnées explicitement dans le décret. Ce faisant, il n'a pas été prévu de procédure d'appel et un recours est ouvert auprès du Conseil d'Etat, qui peut éventuellement annuler cette décision. Le cas échéant, la suspension de la mesure peut être demandée. » (Doc., Parlement flamand, 1999-2000, n° 285/1, p. 29) B.10. La disposition attaquée interprète les termes « sans préjudice du » figurant à l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité dans le sens de « à l'exclusion du ». Or, la véritable signification de « sans préjudice de », commune aux textes juridiques, est « sans porter atteinte à ».

Le sens d'une disposition législative ne peut être infléchi en faisant prévaloir sur le texte clair de cette disposition des déclarations qui ont précédé son adoption.

La Cour ne peut que constater que la disposition entreprise donne à la disposition interprétée une portée qui implique le contraire de sa signification originaire, même si la nouvelle portée est conforme à l'intention originaire du législateur décrétal, intention qui n'avait toutefois pas été restituée dans le texte de l'article 37, § 2, et qui était même en contradiction avec celui-ci.

Cette disposition semble donc, à l'issue de l'examen succinct requis par une demande de suspension, ne pas pouvoir être raisonnablement considérée comme une disposition interprétative. Il serait du reste surprenant que le même mot ait une signification différente au paragraphe 1er et au paragraphe 2 du même article 37.

B.11. La disposition critiquée est justifiée comme suit par le législateur décrétal : « Si la VREG disposait d'une compétence non liée pour infliger ou non une amende administrative, la sécurité juridique s'en trouverait amoindrie, l'efficacité du système, indispensable en raison de l'obligation contractée sur le plan international, et, partant, l'objectif du décret en seraient ébranlés et l'incitation à produire de l'énergie verte serait remise en question.

Ceci irait totalement à l'encontre de la volonté du législateur décrétal et du but du système des certificats d'électricité verte prévu dans le décret sur l'électricité. » (Doc., Parlement flamand, 2003-2004, n° 2188/1, p. 9).

B.12. Les travaux préparatoires n'indiquent aucune circonstance exceptionnelle susceptible de justifier qu'il soit porté atteinte, au préjudice d'une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous. En l'espèce, l'intention de rectifier une inexactitude dans la rédaction de la disposition originaire ne saurait être considérée, comme une circonstance exceptionnelle de ce type.

Au demeurant, le pouvoir d'appréciation que l'article 37, § 2, originaire conférait à la VREG ne donnait pas à celle-ci un blanc-seing pour laisser impunies des infractions à l'article 23, § 1er.

Il lui permettait uniquement de tenir compte de données concrètes, dans les limites du système des certificats d'électricité verte instauré par le décret.

B.13. En tant que la disposition attaquée a un effet rétroactif sans que des circonstances exceptionnelles le justifient, elle paraît incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution. Le moyen est sérieux.

En ce qui concerne le préjudice grave difficilement réparable B.14. Une suspension par la Cour doit permettre d'éviter qu'un préjudice grave résulte pour le requérant de l'application immédiate de la norme entreprise, préjudice qui ne pourrait être réparé ou qui pourrait difficilement être réparé par l'effet d'une annulation éventuelle.

B.15. Pour démontrer que la disposition critiquée risque de leur causer un préjudice grave difficilement réparable, les parties requérantes font valoir que le juge civil devant lequel elles ont intenté une action doit en principe appliquer la disposition interprétative et qu'il déclarera vraisemblablement leur action non fondée. Les parties requérantes perdraient de ce fait un degré de juridiction.

B.16. La Cour rappelle qu'elle est compétente pour statuer, à titre préjudiciel, sur les questions relatives à la violation par une norme législative, entre autres, des articles 10 et 11 de la Constitution.

Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction, celle-ci doit en principe demander à la Cour de statuer sur cette question (article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage).

B.17. Toutefois, le retard qu'entraîne inévitablement une procédure préjudicielle fait naître, en l'espèce, une situation d'insécurité juridique qui, eu égard à l'intervention du législateur décrétal dans des affaires pendantes et aux intérêts en cause, doit être considérée comme un préjudice grave qui ne sera pas réparé par un éventuel arrêt d'annulation.

B.18. Il découle de ce qui précède qu'il est satisfait aux deux conditions énoncées en B.6.

Par ces motifs, la Cour suspend l'exécution de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui concerne le système des certificats d'électricité écologique, et portant interprétation de l'article 37, § 2, du même décret », en tant qu'il s'applique aux années civiles antérieures à l'année 2004.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 24 novembre 2004.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, A. Arts.

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