publié le 26 février 2004
Extrait de l'arrêt n° 154/2003 du 26 novembre 2003 Numéro du rôle : 2637 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 151 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, M.(...)
Extrait de l'arrêt n° 154/2003 du 26 novembre 2003 Numéro du rôle : 2637 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 151 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, posées par le Tribunal de première instance d'Ypres.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 7 février 2003 en cause de la Région flamande contre la s.a. Floralux, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 25 février 2003, le Tribunal de première instance d'Ypres a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 151 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire (Moniteur belge du 8 juin 1999) viole-t-il les règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, en ce compris les règles prévues par l'article 124bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989, en tant qu'il habilite l'inspecteur urbaniste régional, en qualité d'organe de la Région flamande, à intenter auprès du tribunal civil (tribunal de première instance), par citation en son nom propre, une des actions en réparation prévues par l'article 149 du décret précité ? 2. L'article 151 du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire (Moniteur belge du 8 juin 1999) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il habilite l'inspecteur urbaniste régional, en qualité d'organe de la Région flamande, à intenter auprès du tribunal civil (tribunal de première instance), par citation en son nom propre, une des actions en réparation prévues par l'article 149 du décret précité, alors que l'inspecteur régional ne dispose pas de la personnalité juridique et, partant, de la qualité requise par l'article 17 du Code judiciaire pour intenter de telles actions ? » (...) III. En droit (...) Les dispositions en cause B.1. Les questions préjudicielles sont relatives à l'article 151 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire. Cette disposition fait partie de la section 3, « Mesures de réparation », du chapitre Ier, « Dispositions pénales », du titre V, « Mesures conservatoires », laquelle section dispose ce qui suit : « Section 3. - Mesures de réparation
Art. 149.§ 1er. Outre la peine, le tribunal ordonne, sur requête de [l']inspecteur urbaniste, ou du collège des bourgmestre et échevins de la commune sur le territoire de laquelle les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 ont été exécutés, de remettre le lieu en son état initial ou de cesser l'utilisation contraire, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une amende égale à la plus-value acquise par le bien [à la suite de] l'infraction.
La plus-value ne peut plus être réclamée dans les cas suivants : 1o en cas de répétition d'une infraction, rendue punissable par le présent décret; 2o en cas de non-respect d'un ordre de cessation; 3o lorsque l'infraction provoque des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins; 4o lorsque l'infraction constitue une violation grave des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement.
Le Gouvernement flamand peut déterminer d'autres modalités pour les cas où la plus-value ne peut pas être réclamée.
Lorsque les actions de [l']inspecteur urbaniste et du collège des bourgmestre et échevins ne [concordent] pas, l'action du premier cité est prioritaire.
Pour l'exécution des mesures de réparation, le tribunal fixe un délai qui ne peut dépasser un an et après l'expiration de ce délai d'exécution, sur requête de [l']inspecteur urbaniste ou du collège des bourgmestre et échevins, une astreinte par journée de retard dans la mise en oeuvre de la mesure de réparation. § 2. L'action en réparation est introduite auprès du parquet par lettre ordinaire, au nom de la Région flamande ou du collège des bourgmestre et échevins, par les inspecteurs urbanistes et les préposés du collège des bourgmestre et échevins. § 3. Lorsque l'action porte sur une demande de travaux de construction ou d'adaptation et/ou le paiement d'un montant égal à la plus-value, cette action doit être explicitement motivée du point de vue de l'aménagement du territoire, de la compatibilité avec l'environnement immédiat et de la gravité de l'infraction. § 4. La requête mentionne au moins les prescriptions applicables, et une description de la situation préalable à l'infraction. Un extrait récent du registre des plans sera joint à la requête.
Le Gouvernement flamand peut déterminer des conditions supplémentaires auxquelles la lettre, visée au § 2, alinéa premier, ainsi que le dossier joint à ce courrier doivent répondre. § 5. Le tribunal détermine le montant de la plus-value.
En cas de condamnation au paiement d'un montant égal à la plus-value, la personne condamnée peut s'acquitter valablement en remettant les lieux dans l'état initial ou en mettant fin à l'utilisation contraire, dans l'année suivant le jugement.
Le Gouvernement flamand détermine le mode de calcul du montant à réclamer et de paiement de la plus-value.
Art. 150.Lorsque l'action en réparation de la partie civile d'une part, et celle de [l']inspecteur urbaniste ou du collège des bourgmestre et échevins d'autre part, ne [concordent] pas, le tribunal détermine la mesure de réparation requise qu'il juge appropriée.
Art. 151.L'inspecteur urbaniste et le collège des bourgmestre et échevins peuvent également devant le tribunal de première instance, siégeant en matière civile, dans le ressort duquel les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 sont totalement ou partiellement exécutés, requérir les mesures de réparation telles que définies à l'article 149, § 1er. Les dispositions de l'article 149, § 1er, alinéa deux, §§ 3, 4 et 5, et de l'article 150 sont également d'application. » Concernant la première question préjudicielle B.2.1. La Cour doit examiner si l'article 151 du décret relatif à l'aménagement du territoire est conforme aux règles répartitrices de compétences en tant qu'il autorise l'inspecteur urbaniste à requérir en son nom propre, devant le tribunal de première instance siégeant en matière civile, les mesures de réparation visées à l'article 146, § 1er.
B.2.2. En vertu de l'article 6, § 1er, I, 1o, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les régions sont compétentes en matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire.
Aux termes de l'article 11 de la même loi spéciale, les décrets peuvent ériger en infraction les manquements à leurs dispositions et établir les peines punissant ces manquements.
B.2.3. Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils ne disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d'édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées. Sauf dispositions contraires, le législateur spécial a transféré aux communautés et aux régions l'ensemble de la politique relative aux matières qu'il a attribuées.
B.2.4. Leur compétence en matière d'aménagement du territoire ne permet pas aux régions d'édicter des règles relatives à la compétence des juridictions et à la procédure applicable devant celles-ci. En vertu des articles 145 et 146 de la Constitution, c'est au législateur fédéral seul qu'il appartient de définir les compétences des juridictions. Le pouvoir de fixer les règles de procédure devant les juridictions appartient à ce dernier en vertu de sa compétence résiduaire.
B.3.1. L'exercice par les régions de leur compétence en matière d'aménagement du territoire suppose qu'elles puissent déterminer les mesures permettant de restaurer le bon aménagement du territoire lorsque celui-ci a été perturbé.
B.3.2. En vertu de l'article 149, § 1er, du décret sur l'aménagement du territoire, outre la peine, le tribunal ordonne de remettre les lieux en leur état initial ou de cesser l'utilisation abusive, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une somme d'argent égale à la plus-value acquise par le bien à la suite de l'infraction.
Ces mesures ne sont pas des peines. Toutefois, étant donné qu'elles sont subordonnées à la constatation d'une infraction, la demande concernant ces mesures est liée à l'action publique.
B.3.3. Les mesures de réparation établies à l'article 149, § 1er, du décret sur l'aménagement du territoire entrent dans le concept de restitution utilisé par l'article 44 du Code pénal.
B.3.4. Bien qu'elle ait un caractère civil, la restitution est liée à l'ordre public et est, par certains aspects, un accessoire indivisiblement lié à la sanction pénale; en effet, elle est le prolongement de celle-ci puisqu'elle tend - au-delà de la condamnation pénale - à empêcher que subsiste une situation perpétuant l'infraction.
B.3.5. En tant qu'il dispose que le juge ordonne les mesures de réparation et fixe le délai d'exécution de celles-ci, l'article 149, § 1er, du décret sur l'aménagement du territoire est conforme à l'habilitation donnée au législateur décrétal par l'article 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 : la compétence d'ériger en infraction les manquements aux décrets et d'établir les peines punissant ces manquements implique celle d'imposer l'élimination de l'objet de l'infraction et d'en régler les modalités.
B.3.6. Il relève de la compétence des régions en matière d'aménagement du territoire de laisser le choix de la mesure de réparation à l'autorité jugée la plus apte à cette fin.
L'article 149, § 2, du décret sur l'aménagement du territoire laisse en principe ce choix à l'inspecteur urbaniste et au collège des bourgmestre et échevins. Il n'habilite pas ces autorités à saisir les juridictions répressives d'une infraction mais seulement à désigner le mode de réparation qui doit être prononcé dans l'intérêt général si l'infraction est prouvée. L'action en réparation est donc subordonnée à la décision du ministère public de poursuivre ou non l'infraction.
B.4.1. L'intérêt général en matière d'urbanisme que défendent l'inspecteur urbaniste et le collège des bourgmestre et échevins peut commander que, même dans les cas où l'action publique n'aboutit pas à une condamnation, les mesures de réparation visées à l'article 149, § 1er, du décret relatif à l'aménagement du territoire puissent être imposées.
B.4.2. La faculté que donne l'article 151 du décret à l'inspecteur urbaniste de demander également devant le juge civil ces mesures de réparation vise à permettre l'élimination de l'objet de l'infraction en matière d'urbanisme ou la suppression d'un enrichissement illicite.
Cette disposition se situe donc dans le prolongement du pouvoir conféré à cette autorité de demander au juge pénal l'application de ces mêmes mesures et elle doit par conséquent être considérée comme ressortissant à la compétence attribuée aux régions par les articles 6, § 1er, I, 1o, et 11 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
B.5.1. En ce qu'il dispose toutefois que la mesure de réparation doit être demandée devant le tribunal de première instance, siégeant en matière civile, dans le ressort duquel les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 sont totalement ou partiellement exécutés, l'article 151 du décret règle certains aspects de la compétence matérielle et territoriale des juridictions.
Selon le Conseil des ministres, la disposition en cause est entachée d'excès de compétence parce qu'elle déroge à la règle générale de compétence territoriale que contient l'article 624 du Code judiciaire, lequel laisse au demandeur le choix de porter sa demande devant l'une des juridictions mentionnées dans cet article. La disposition en cause porterait également atteinte à la répartition matérielle des tâches entre le tribunal de première instance et le juge de paix.
B.5.2. Comme il est indiqué au B.2.4, c'est au législateur fédéral qu'il appartient en principe de régler la compétence des juridictions.
Toutefois, en vertu de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les décrets peuvent porter des dispositions de droit relatives à des matières pour lesquelles les Conseils ne sont pas compétents, dans la mesure où ces dispositions sont nécessaires à l'exercice de leur compétence. Depuis la modification de l'article 19, § 1er, de la même loi spéciale du 8 août 1980 par la loi spéciale du 16 juillet 1993, les régions peuvent également invoquer l'article 10 pour régler des matières que la Constitution a réservées au législateur fédéral. Il est requis à cette fin que la réglementation adoptée puisse être considérée comme nécessaire à l'exercice des compétences de la région, que la matière se prête à un régime différencié et que l'incidence des dispositions en cause sur cette matière ne soit que marginale.
B.6.1. Aux termes de l'article 568 du Code judiciaire, le tribunal de première instance connaît de toutes demandes, hormis celles qui sont directement dévolues à la cour d'appel et à la Cour de cassation. Il dispose donc en principe de la plénitude de compétence. Conformément à l'article 590 du Code judiciaire, le juge de paix connaît de toutes demandes dont le montant n'excède pas 1.860 euros, hormis celles qui sont soustraites par la loi à sa juridiction, notamment les demandes prévues aux articles 569 à 571, 574 et 578 à 583.
Ces dispositions générales ne règlent pas la compétence du tribunal de première instance et du juge de paix de manière exhaustive. D'autres dispositions du Code judiciaire et de nombreuses règles particulières attribuent des compétences aux cours et tribunaux.
B.6.2. Afin d'assurer la cohérence du contentieux en matière d'aménagement du territoire et d'urbanisme ainsi que la nécessaire continuité avec le régime antérieur, le législateur décrétal a pu juger qu'il était nécessaire de désigner le tribunal de première instance comme étant la juridiction matériellement compétente pour connaître des demandes de mesures de réparation (Doc., Parlement flamand, 1998-1999, no 1, pp. 8 et 9). En vertu de l'article 569, 16o, du Code judiciaire, cette juridiction est déjà compétente pour les demandes d'indemnités fondées sur la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. La disposition en cause n'a qu'une incidence marginale sur la répartition des compétences entre le tribunal de première instance et le juge de paix : d'une part, elle se rattache à des compétences similaires que le tribunal de première instance exerce déjà ; d'autre part, l'article 590 du Code judiciaire prévoit que la loi peut soustraire certaines compétences à la juridiction du juge de paix, de sorte que le législateur fédéral admet lui-même que la matière se prête à un règlement différencié. Les conditions d'application de l'article 10 sont donc remplies.
B.7.1. Selon l'article 624 du Code judiciaire, hormis les cas où la loi détermine expressément le juge territorialement compétent pour connaître de la demande, celle-ci peut, au choix du demandeur, être portée devant les juridictions citées dans cet article.
B.7.2. En raison du caractère territorial des mesures de réparation, le législateur décrétal a jugé nécessaire de désigner comme juridiction compétente le juge du lieu où les travaux, opérations ou modifications sont exécutés. L'article 624 du Code judiciaire dispose que le choix du demandeur ne s'exerce que lorsque le législateur n'a pas désigné lui-même expressément le juge territorialement compétent, ce qui montre que, selon le législateur fédéral lui-même, cette matière se prête à un règlement différencié et qu'il peut être dérogé à la liberté de choix du demandeur. En tant que l'article 151 du décret relatif à l'aménagement du territoire désigne comme juge compétent le juge visé à l'article 624, 2o, du Code judiciaire, il reste en outre dans les limites de cette disposition et l'incidence de l'article 151 sur les règles relatives à la compétence territoriale est limitée, de sorte que les conditions d'application de l'article 10 de la loi spéciale sont remplies.
B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Quant à la deuxième question préjudicielle B.9.1. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 151 du décret relatif à l'aménagement du territoire viole les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il habilite l'inspecteur urbaniste à requérir en son nom propre devant le juge civil des mesures de réparation, alors que ce fonctionnaire ne dispose pas de la qualité exigée par l'article 17 du Code judiciaire.
B.9.2. L'article 17 du Code judiciaire dispose : « L'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité et intérêt pour la former. » B.9.3. En disposant que l'inspecteur urbaniste peut requérir des mesures de réparation, le législateur décrétal, sans créer aucune discrimination, lui a reconnu la qualité et l'intérêt à agir dans la matière de l'aménagement du territoire, qui relève de sa compétence.
B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 151 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire ne viole ni les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, ni les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il autorise l'inspecteur urbaniste à requérir des mesures de réparation devant le tribunal de première instance, siégeant en matière civile, dans le ressort duquel les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 sont totalement ou partiellement exécutés.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 26 novembre 2003.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, A. Arts.