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Arrêt
publié le 05 novembre 2003

Extrait de l'arrêt n° 83/2003 du 11 juin 2003 Numéro du rôle : 2465 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 20, 23, 29, alinéa 2, et 43 de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux, pos La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 83/2003 du 11 juin 2003 Numéro du rôle : 2465 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 20, 23, 29, alinéa 2, et 43 de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux, posées par le juge de paix du canton de Termonde-Hamme.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 20 juin 2002 en cause de J. Ost et autres contre le comité de remembrement de Hamme, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 28 juin 2002, le juge de paix du canton de Termonde-Hamme a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 43, § 1er, de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux viole-t-il le principe d'égalité garanti par la Constitution, combiné avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 16 de la Constitution coordonnée, dans la mesure où il n'autorise pas le juge de paix à apporter des modifications au remembrement établi par le comité ? L'article 43, § 1er, de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux viole-t-il l'article 16 de la Constitution coordonnée, dès lors qu'une forme d'expropriation a lieu en dehors des cas déterminés par la loi et d'une manière non autorisée par la loi, vu l'impossibilité de procéder au contrôle de légalité externe et interne de l'expropriation demandée ? Les articles 20 et 43 de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée combinés avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 20 mars 1952, signé à Paris et approuvé par la loi du 13 mai 1955, en ce que la moins-value résultant de l'attribution de terres, dans le cadre du remembrement, ne serait pas indemnisée parce que ces terres n'auraient pas de valeur culturale ou d'exploitation et en tant qu'ils entraînent ainsi une discrimination par rapport à l'indemnité juste et préalable qui, dans le droit commun, est octroyée aux autres expropriés ? L'article 29, alinéa 2, de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux est-il compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, en tant que cet article 29, alinéa 2, est interprété en ce sens qu'il n'est pas accordé d'indemnité pour perte de jouissance à l'exploitant d'une parcelle faisant partie du remembrement, si ce n'est en raison d'un déficit de valeur culturale et d'exploitation, alors que, par exemple, l'exploitant d'une même parcelle figurant dans un plan d'expropriation pour cause d'utilité publique obtient quant à lui une indemnisation complète ? L'article 29, alinéa 2, de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux est-il compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, en tant qu'il est interprété en ce sens qu'aucune indemnité pour réduction des possibilités d'exploitation ne peut être attribuée aux propriétaires d'une parcelle faisant partie du remembrement, alors que, par exemple, le propriétaire d'une même parcelle figurant dans un plan d'expropriation pour cause d'utilité publique obtient quant à lui une indemnisation complète ? L'article 43, § 1er, de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux ainsi que l'article 23 de cette même loi violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution ou le principe d'égalité et l'interdiction de discrimination en tant que celui qui est 'exproprié' conformément à la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement n'obtient pas les mêmes droits en matière d'évaluation de l'indemnisation que celui qui est exproprié conformément à la loi du 26 juillet 1962 relative aux expropriations et en tant que les propriétaires ne se voient pas attribuer les mêmes droits ni les mêmes possibilités de recours que les exploitants, étant donné que l'exploitant seul peut contester valablement la valeur en points et non le propriétaire lui-même ? » (...) III. En droit (...) B.1. Le juge a quo pose six questions préjudicielles concernant la compatibilité des articles 20, 23, 29, alinéa 2, et 43 de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux (ci-après : loi relative au remembrement) avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 16 de la Constitution et avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Quant aux exceptions La première question préjudicielle B.2.1. Le Gouvernement flamand et le Gouvernement wallon estiment que la première question préjudicielle est irrecevable, celle-ci ne précisant pas quelles catégories de personnes doivent être comparées.

Dans son mémoire en réponse, le comité de remembrement partage ce point de vue.

B.2.2. Le contrôle de normes législatives au regard des articles 10 et 11 de la Constitution qui est confié à la Cour exige que la catégorie de personnes dont la discrimination éventuelle est alléguée fasse l'objet d'une comparaison pertinente avec une autre catégorie. Etant donné que ni la question préjudicielle ni la motivation de la décision de renvoi n'indiquent quelles catégories de justiciables doivent être comparées entre elles, la Cour ne peut examiner si les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les dispositions invoquées dans la question, sont violés.

B.2.3. Dans leur mémoire en réponse, J. Ost et autres font valoir que la première question préjudicielle est recevable, dès lors que les deux situations juridiques dont il s'agit en l'espèce sont les suivantes : d'une part, la situation où le comité de remembrement prend une décision en conformité avec l'objectif de la loi relative au remembrement et, d'autre part, la situation où cette décision est manifestement contraire à cet objectif.

B.2.4. Les parties devant la Cour ne peuvent modifier ou faire modifier le contenu d'une question préjudicielle.

B.2.5. La première question préjudicielle n'est pas recevable.

La deuxième question préjudicielle B.3.1. Le Gouvernement flamand estime que la Cour n'est pas compétente pour connaître de la seconde question préjudicielle, celle-ci invitant la Cour à exercer un contrôle de l'article 43, § 1er, de la loi relative au remembrement directement au regard de l'article 16 de la Constitution.

B.3.2. Le Gouvernement wallon estime que la deuxième question préjudicielle est irrecevable, dès lors qu'il est invoqué une violation directe de l'article 16 de la Constitution, sans indiquer par ailleurs en quoi sa méconnaissance constituerait une violation des articles 10, 11 ou 24 de la Constitution. Dans son mémoire en réponse, le comité de remembrement de Hamme partage ce point de vue.

B.3.3. La deuxième question préjudicielle doit être lue à la lumière des autres questions et de la décision de renvoi, et doit être considérée comme interrogeant la Cour sur la compatibilité de l'article 43, § 1er, de la loi relative au remembrement avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 16 de la Constitution, la situation des personnes dont les terres sont remembrées étant comparée à celle des expropriés.

B.3.4. Les exceptions du Gouvernement flamand, du Gouvernement wallon et du comité de remembrement de Hamme sont rejetées.

La sixième question préjudicielle B.4.1. Selon le Gouvernement wallon, la sixième question préjudicielle est irrecevable dès lors qu'elle est fondée sur une lecture erronée des articles 23 et 43, § 1er, de la loi du 22 juillet 1970. L'article 23 permet à tout intéressé - et donc pas seulement à l'exploitant - de contester la détermination des valeurs. L'article 43, § 1er, permet quant à lui à tout intéressé, selon le Gouvernement wallon, de contester « le calcul des valeurs globales et de la soulte », mais non les valeurs globales et la soulte elles-mêmes.

B.4.2. L'examen de cette exception se confond avec l'examen du fond.

Quant au fond En ce qui concerne les dispositions en cause B.5. La Cour examine la loi du 22 juillet 1970 « relative au remembrement légal de biens ruraux », telle qu'elle était applicable en Région flamande avant sa modification par le décret du 19 juillet 2002.

Quant à la comparabilité B.6.1. Les questions préjudicielles se fondent sur une comparaison de la situation d'une personne dont les terres sont remembrées avec celle d'un exproprié. Le Gouvernement flamand, le Gouvernement wallon et le comité de remembrement de Hamme estiment toutefois que la figure juridique du remembrement, réglée par la loi du 22 juillet 1970, ne peut être mise sur le même pied que celle de l'expropriation, régie par la loi du 26 juillet 1962.

B.6.2. Entre le remembrement légal, régi par la loi du 22 juillet 1970, et l'expropriation, régie par la loi du 26 juillet 1962, il existe d'importantes différences, essentiellement au niveau de leurs objectifs et effets respectifs.

Le remembrement légal poursuit principalement l'amélioration de l'exploitation économique de l'infrastructure agricole, en principe par l'échange de terres morcelées et dispersées pour constituer des parcelles continues et régulières. Le remembrement peut être accompagné de certains travaux qui peuvent aussi porter sur, entre autres, l'aménagement des sites et d'autres mesures d'aménagement rural (article 62 de la loi du 22 juillet 1970). En cas de remembrement, l'autorité qui procède au lotissement - le comité de remembrement - n'acquiert pas de droits de propriété ou d'exploitation sur les biens immobiliers à échanger ou échangés. En principe, le remembrement vise à échanger des biens ruraux, ce qui peut, le cas échéant, s'accompagner d'une prise en compte des moins-values ou des plus-values, comme le prévoit la loi du 22 juillet 1970.

L'expropriation offre quant à elle à l'autorité la possibilité de disposer, dans l'intérêt général, de biens immobiliers, en particulier, qui ne peuvent être acquis selon les modes ordinaires de transfert de propriété. L'article 16 de la Constitution dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité. L'expropriation implique notamment que le bien passe dans le patrimoine de l'autorité expropriante.

B.6.3. Bien que le remembrement légal ne puisse sans plus s'assimiler à une expropriation, tant la catégorie des personnes dont les terres sont remembrées que celle des expropriés sont affectées dans leurs droits, fût-ce différemment. Les deux catégories ne se trouvent dès lors pas, à cet égard, dans des situations à ce point différentes qu'elles seraient incomparables, dans le cadre d'un contrôle exercé au regard du principe d'égalité et de non-discrimination, en ce qui concerne les indemnités respectives et les garanties procédurales auxquelles les questions préjudicielles font référence.

Quant aux deuxième et troisième questions préjudicielles B.7. La deuxième question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 43, § 1er, de la loi relative au remembrement avec les articles 10 et 11, lus en combinaison avec l'article 16, de la Constitution, en tant que les personnes dont les terres sont remembrées feraient l'objet d'une forme d'expropriation, dans un cas non prévu par la loi et sans que les garanties requises en matière de contrôle de légalité externe et interne leur soient offertes.

B.8.1. La troisième question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 20 et 43 de la loi du 22 juillet 1970 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Ces dispositions seraient violées si les articles 20 et 43 précités étaient interprétés en ce sens que, en vue de la classification des terres, il est exclusivement tenu compte d'éléments en rapport avec la valeur culturale et d'exploitation du terrain ou de la destination agricole du bien et non d'autres valeurs, comme la valeur vénale des parcelles concernées. Seraient ainsi exclus du calcul de l'indemnité des éléments qui doivent en faire partie pour obtenir une réparation intégrale.

B.8.2. Il ressort toutefois du libellé de la troisième question préjudicielle et de l'exposé y relatif de plusieurs parties demanderesses devant le juge a quo que les griefs ne portent en réalité que sur l'article 20 de la loi du 22 juillet 1970 et non sur l'article 43 de cette loi. Cette dernière disposition, qui fait l'objet des deuxième et sixième questions préjudicielles, concerne un autre aspect, à savoir la procédure selon laquelle certaines contestations sont tranchées.

Par conséquent, la Cour examine d'abord l'article 20.

B.9.1. L'article 20 de la loi du 22 juillet 1970 énonce : « Lorsqu'il établit le classement des terres, le comité ne tient compte ni d'éléments étrangers à la valeur culturale et d'exploitation des terres, tels la présence de bâtiments, de clôtures, d'arbres isolés ou de haies, l'existence d'un bail, d'une servitude de passage, d'un droit d'usage ou de superficie, ou l'état d'exploitation, ni d'éléments sans rapport avec la destination agricole du bien, telle l'existence de substances minérales ou fossiles.

Ces éléments, considérés comme plus-values ou moins-values des parcelles, sont estimés séparément après l'attribution des nouvelles parcelles. » B.9.2. Au cours des travaux préparatoires de la loi du 25 juin 1956 sur le remembrement légal de biens ruraux, remplacée par la loi du 22 juillet 1970, modifiée par la loi du 11 août 1978, le but poursuivi par cette disposition a été exposé comme suit : « Eu égard au but agricole du remembrement, qui tend à améliorer les conditions d'exploitation, la valeur d'estimation des terres pour l'établissement des zones de valeur, doit correspondre à leur valeur culturale et d'exploitation. Il faut donc exclure tous les éléments qui sont sans rapport avec la destination agricole du bien, tels la présence d'arbres et de clôtures, le mauvais état d'entretien du sol, l'existence d'un bail, d'une servitude, la possibilité d'une affectation industrielle de la terre ou sa destination future comme terrain à bâtir. » Lors des travaux préparatoires des lois du 22 juillet 1970 et du 11 août 1978, cette ratio legis n'a pas été contestée, alors que l'objectif poursuivi par le remembrement a évolué au fil du temps, sa finalité étant au départ purement agricole et économique pour poursuivre ensuite plus globalement un objectif d'aménagement des sites et d'aménagement rural. En ce qui concerne la Région flamande, cet objectif est actuellement défini comme suit à l'article 62 de la loi du 22 juillet 1970, inséré par l'article 2 de la loi du 11 août 1978 « complétant la loi du 22 juillet 1970, relative au remembrement légal de biens ruraux par des dispositions particulières pour la Région flamande » (Moniteur belge du 22 septembre 1978) : « Afin d'assurer, dans l'intérêt général, une exploitation plus économique des biens ruraux, il peut être procédé, conformément aux dispositions de la présente loi, au remembrement de terres morcelées et de terres dispersées.

Le remembrement tend à constituer des parcelles continues, régulières aussi rapprochées que possible du siège de l'exploitation et jouissant d'accès indépendants.

Le remembrement peut être accompagné de la création et de l'aménagement de chemins, de travaux de maîtrise des eaux, de travaux d'amélioration foncière, tels que travaux d'assèchement, d'irrigation, de nivellement et de défrichement, de travaux d'adduction de l'eau et de l'électricité, ainsi que de travaux d'aménagement des sites et d'autres mesures d'aménagement rural. [...] » B.9.3. C'est au législateur compétent qu'il appartient de déterminer les cas dans lesquels une limitation du droit de propriété peut donner lieu à une indemnité et les conditions auxquelles cette indemnité peut être octroyée, sous réserve du contrôle exercé par la Cour quant au caractère raisonnable et proportionné de la mesure prise.

B.9.4. En prévoyant que lors de la classification des terres, il ne peut en principe être tenu compte que d'éléments en rapport avec, d'une part, la valeur culturale et d'exploitation de la parcelle et, d'autre part, de la destination agricole, et en ne prévoyant pas pour cette classification d'indemnité pour plus-values en rapport avec une autre valeur que la valeur culturale et d'exploitation, le législateur a pris une mesure qui, raisonnablement, et considérée dans son ensemble, ne peut être réputée avoir des conséquences disproportionnées pour les intéressés auxquels cette mesure serait applicable compte tenu de la compensation particulière prévue par l'article 20, alinéa 2.

Il convient d'avoir aussi égard au fait que la loi du 22 juillet 1970 - en particulier les articles 23 et 43 - prévoit plusieurs garanties permettant aux intéressés de contester certaines décisions relatives à la détermination de certaines valeurs et de certaines indemnités.

Les intéressés gardent le droit de demander, sur la base des articles 1382 et suivants du Code civil, la réparation du dommage qu'ils auraient démontré avoir subi du fait d'un abus de pouvoir et d'un détournement de pouvoir ou du fait d'une décision fautive du comité de remembrement. En vertu du contrôle de légalité qui est le sien conformément à l'article 159 de la Constitution, le tribunal compétent peut examiner si ce comité s'est acquitté de sa tâche en conformité avec les normes de prudence inscrites aux articles 1382 et suivants du Code civil.

En outre, les décisions finales du comité de remembrement qui sont des actes administratifs sont susceptibles de recours devant le Conseil d'Etat.

Enfin, il convient de tenir compte du fait qu'une réglementation relative à une phase du remembrement qui est une opération complexe, qui peut être perçue par certains intéressés comme étant discriminatoire, ne constitue qu'un élément d'un ensemble global qui peut prévoir des travaux d'aménagement complémentaires effectués par les autorités au profit des « remembrés ».

B.9.5. La mesure en cause ne peut pas davantage être considérée comme une atteinte illicite au droit de propriété interdite par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans une affaire portant sur la législation française relative au remembrement, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré dans l'arrêt Piron c. France du 14 novembre 2000 que, dès lors que, suite au remembrement, le transfert des propriétés était devenu effectif, il s'agit en l'espèce d'une privation de propriété au sens de la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 1er du Premier Protocole additionnel. Se référant à des arrêts antérieurs (Wiesinger c. Autriche du 30 octobre 1991;Prötsch c. Autriche du 15 novembre 1996), la Cour européenne souligne que le remembrement sert l'intérêt des propriétaires concernés comme celui de la collectivité dans son ensemble en accroissant la rentabilité des exploitations dans son ensemble et en rationalisant la culture. Selon la Cour européenne, le remembrement constitue indéniablement une « cause d'utilité publique ».

B.9.6. Sans que la Cour doive statuer sur la question de savoir si la réglementation prévue par la loi du 22 juillet 1970 doit être considérée comme une « privation de propriété », visée dans la deuxième phrase du premier alinéa de l'article 1er du Protocole précité - comme l'estime le Gouvernement wallon -, ou comme réglementant « l'usage des biens conformément à l'intérêt général », visé au deuxième alinéa de l'article 1er du même Protocole - comme le soutient le comité de remembrement de Hamme -, il suffit de rappeler que l'article 20 litigieux de cette loi poursuit un objectif d'intérêt général et que les mesures critiquées ne sont pas disproportionnées à cet objectif.

B.9.7. En tant qu'elle porte sur l'article 20 de la loi précitée, la troisième question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.10. Eu égard aux possibilités de contrôle juridictionnel prévues à l'article 43, § 1er, et examinées au B.9.4, la seconde question préjudicielle appelle également une réponse négative.

Quant à la quatrième question préjudicielle B.11.1. La quatrième question préjudicielle porte sur la compatibilité de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 22 juillet 1970 avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le principe d'égalité et de non-discrimination serait violé, affirme-t-on, si l'article 29, alinéa 2, précité était interprété en ce sens que l'exploitant d'une parcelle remembrée ne peut se voir accorder une indemnité pour perte de jouissance « si ce n'est en raison d'un déficit de valeur culturale et d'exploitation », alors que l'exploitant d'une parcelle comparable figurant dans un plan d'expropriation pour cause d'utilité publique a droit à une indemnité complète.

B.11.2. L'article 29, alinéa 2, de la loi du 22 juillet 1970 énonce : « Une indemnité pour perte de jouissance est due à l'exploitant lorsque la valeur globale des parcelles qui lui sont attribuées est proportionnellement inférieure de 2 p.c. au moins à la valeur globale de ses anciennes parcelles, compte tenu de la valeur tant des terres détachées du bloc que de celles qui y ont été incorporées ultérieurement, conformément aux dispositions de l'article 25, § 1er, alinéa 3, ainsi que de la valeur des chemins, des voies d'écoulement d'eau et des ouvrages connexes à attribuer au domaine public ou à soustraire de celui-ci. » B.11.3. Dans l'exposé des motifs de la loi du 22 juillet 1970, cette disposition a été précisée comme suit : « L'article 29 du projet de loi tend à accorder désormais une indemnité pour perte de jouissance également aux exploitants propriétaires; en effet cette indemnité ne se confond pas avec la soulte qui est due en cas de non-équivalence des anciennes et nouvelles parcelles attribuées à un propriétaire ou usufruitier.

Ajoutons que pour fixer l'indemnité pour perte de jouissance, il est pratiquement impossible de faire une ventilation entre les parcelles exploitées par un intéressé en propriété et en location; en effet la différence entre l'apport d'un intéressé et son attribution, s'établit globalement sur l'ensemble de son exploitation. » (Doc. parl. , Chambre, 1968-1969, no 250/1, p. 10) B.11.4. La Cour ne voit pas en quoi l'article 29, alinéa 2, pourrait violer le principe d'égalité et de non-discrimination, dès lors que cette disposition prévoit uniquement une indemnité pour perte de jouissance au profit de l'exploitant lorsque la valeur globale des parcelles qui lui sont attribuées est proportionnellement inférieure de 2 p.c. au moins à la valeur globale de ses anciennes parcelles.

B.11.5. En tant que la question préjudicielle tend à comparer l'indemnité pour perte de jouissance octroyée dans le cadre d'un remembrement avec l'indemnité qui peut être octroyée dans le cadre d'une expropriation pour cause d'utilité publique, il échet de constater qu'une telle comparaison ne peut être admise. En effet, l'on ne peut isoler l'indemnité spécifique pour perte de jouissance qui peut être octroyée, le cas échéant, à un exploitant sur la base de la disposition litigieuse, des autres indemnités, compensations et garanties prévues par la loi du 22 juillet 1970 pour ensuite déduire de cette seule disposition une différence de traitement par rapport à l'indemnité d'expropriation. En outre, la situation d'un exploitant de terres remembrées et celle d'un exploitant exproprié sont profondément différentes, du fait qu'à l'inverse du second, le premier ne perd pas définitivement ses droits de jouissance mais peut continuer à les exercer sur les parcelles qui lui sont attribuées.

B.11.6. La quatrième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la cinquième question préjudicielle B.12.1. La cinquième question préjudicielle porte également sur la compatibilité de l'article 29, alinéa 2, de la loi du 22 juillet 1970 avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le principe d'égalité et de non-discrimination serait violé si l'article 29, alinéa 2, précité était interprété en ce sens que le propriétaire d'une parcelle remembrée ne peut se voir octroyer une indemnité pour « réduction des possibilités d'exploitation », alors que le propriétaire d'une parcelle comparable figurant dans un plan d'expropriation pour cause d'utilité publique a droit à une indemnisation complète.

B.12.2. L'article 29, alinéa 2, prévoit dans certains cas une indemnité pour perte de jouissance qui est due à l'« exploitant ».

Dès lors que cette disposition ne mentionne que l'« exploitant » et non le « propriétaire », la question préjudicielle se fonde sur une lecture erronée de cette disposition.

B.12.3. En tant qu'elle vise le propriétaire qui est en outre l'exploitant de la parcelle, la question préjudicielle se confond avec la quatrième question préjudicielle et appelle la même réponse.

B.12.4. La cinquième question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la sixième question préjudicielle B.13.1. La sixième question préjudicielle porte sur la compatibilité des articles 23 et 43, § 1er, de la loi du 22 juillet 1970 avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le principe d'égalité et de non-discrimination serait violé, d'une part, en ce que les personnes dont les terres sont remembrées n'ont pas les mêmes droits que les expropriés s'agissant de l'estimation de l'indemnité et, d'autre part, « en tant que les propriétaires ne se voient pas attribuer les mêmes droits ni les mêmes possibilités de recours que les exploitants, étant donné que l'exploitant seul peut contester valablement la valeur en points et non le propriétaire lui-même ».

B.13.2. Selon le Gouvernement wallon, la sixième question préjudicielle est irrecevable dès lors qu'elle se fonde sur une lecture erronée des articles 23 et 43, § 1er, de la loi du 22 juillet 1970.

Selon le comité de remembrement de Hamme, la sixième question préjudicielle se fonde sur une différence de traitement inexistante entre les propriétaires et les exploitants dont les terres sont remembrées.

B.13.3. Aux termes des articles 23 et 43, § 1er, « tout intéressé » peut contester une série d'éléments contenus dans ces dispositions.

Ces dispositions n'établissent aucune distinction selon que l'intéressé est exploitant ou propriétaire.

En tant que la sixième question préjudicielle, en sa seconde branche, soumet à la Cour une distinction qui n'est pas établie dans les dispositions litigieuses, elle est irrecevable.

B.13.4. En tant que la sixième question préjudicielle, en sa première branche, porte sur la différence de traitement entre la personne dont les terres sont remembrées et l'exproprié, s'agissant de l'estimation de l'indemnité, la Cour constate que tant l'article 23 que l'article 43, § 1er, permettent à chaque intéressé de contester les éléments mentionnés dans ces dispositions.

Pour le surplus, l'examen de la première branche de la sixième question préjudicielle, en ce qui concerne l'indemnité octroyée aux personnes dont les terres sont remembrées par comparaison à celle des expropriés, se confond avec l'examen de la troisième question préjudicielle, de sorte qu'il convient d'y donner la même réponse.

B.13.5. La sixième question préjudicielle, en sa première branche, appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 20 de la loi du 22 juillet 1970 relative au remembrement légal de biens ruraux ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. - Les articles 23, 29, alinéa 2, et 43, § 1er, de la même loi ne violent pas les articles 10 et 11, lus ou non en combinaison avec l'article 16, de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 11 juin 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Arts

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