publié le 17 avril 2003
Extrait de l'arrêt n° 7/2003 du 22 janvier 2003 Numéro du rôle : 2307 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 1 er , 3 o , alinéa 1 er , de l'article III, Dispositions transitoires, de la loi du La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, (...)
Extrait de l'arrêt n° 7/2003 du 22 janvier 2003 Numéro du rôle : 2307 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 1er, 3o, alinéa 1er, de l'article III, Dispositions transitoires, de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, posée par le Tribunal de première instance de Louvain.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 4 décembre 2001 en cause de M. Van de Vyver contre J. Vanlommel, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 26 décembre 2001, le Tribunal de première instance de Louvain a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1er, 3o, alinéa 1er, des dispositions transitoires de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux (article 3) qui dispose qu'à défaut de la déclaration visée au 1o, les époux qui avaient adopté la communauté réduite aux acquêts seront soumis aux dispositions des articles 1415 à 1426 pour tout ce qui concerne la gestion de la communauté et de leurs biens propres, ainsi qu'à celles des articles 1408 à 1414 définissant les dettes communes et réglant les droits des créanciers, interprété en ce sens que l'article 1447 du Code civil n'est pas applicable à ces époux, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? » (...) IV. En droit (...) B.1. L'article 1er, 1o à 3o, de l'article III, Dispositions transitoires, de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux (Moniteur belge , 18 septembre 1976) énonce : « Les dispositions de la présente loi sont applicables, suivant les règles ci-après, aux époux mariés avant la date de son entrée en vigueur sans avoir établi de conventions matrimoniales ou après avoir adopté un régime en communauté ou après avoir choisi le régime de la séparation de biens ou celui des biens dotaux comportant une société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil : 1o Pendant un délai d'un an prenant cours à l'entrée en vigueur de la présente loi, les époux peuvent déclarer devant notaire qu'ils entendent maintenir sans changement, leur régime matrimonial légal ou conventionnel. 2o A défaut de pareille déclaration, les époux qui n'avaient pas établi de conventions matrimoniales ou avaient adopté le régime de la communauté légale, seront dès l'expiration du délai, soumis aux dispositions des articles 1398 à 1450 concernant le régime légal, sans préjudice des clauses de leur contrat de mariage comportant des avantages aux deux époux ou à l'un d'eux.
Ils peuvent toutefois, sans attendre l'expiration de ce délai, déclarer devant notaire, qu'ils entendent se soumettre immédiatement aux dispositions régissant le régime légal. 3o A défaut de la déclaration visée au 1o, les époux qui avaient adopté la communauté réduite aux acquêts ou la communauté universelle seront, dès l'expiration du délai, soumis aux dispositions des articles 1415 à 1426 pour tout ce qui concerne la gestion de la communauté et de leurs biens propres, ainsi qu'à celles des articles 1408 à 1414 définissant les dettes communes et réglant les droits des créanciers.
Il en sera de même pour les époux ayant choisi le régime de la séparation de biens ou le régime dotal, tout en ayant stipulé une société d'acquêts régie par les articles 1498 et 1499 du Code civil mais en ce qui concerne cette société seulement. » Les articles 1446 et 1447 du Code civil, également en cause en l'espèce, disposent : «
Art. 1446.Lorsque le régime légal prend fin par le décès d'un des époux, le conjoint survivant peut se faire attribuer par préférence, moyennant soulte s'il y a lieu, un des immeubles servant au logement de la famille avec les meubles meublants qui le garnissent et l'immeuble servant à l'exercice de sa profession avec les meubles à usage professionnel qui le garnissent.
Art. 1447.Lorsque le régime légal prend fin par le divorce, la séparation de corps ou la séparation de biens, chacun des époux peut au cours des opérations de liquidation, demander au tribunal de faire application à son profit des dispositions visées à l'article 1446.
Le tribunal statue en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause et des droits de récompense ou de créance au profit de l'autre époux.
Le tribunal fixe la date de l'exigibilité de la soulte éventuelle. » B.2. La disposition en cause instaure une différence de traitement entre les époux mariés avant la date d'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, selon qu'ils se sont mariés sous le régime légal (article 1er, 2o), ou en ayant adopté le régime conventionnel de la communauté universelle, de la communauté réduite aux acquêts (article 1er, 3o, alinéa 1er), de la séparation de biens avec une société d'acquêts ou du régime dotal avec une société d'acquêts (article 1er, 3o, alinéa 2). Les règles instaurées par cette loi en ce qui concerne la liquidation et le partage, et en particulier l'article 1447 du Code civil invoqué dans l'instance principale, qui prévoit la possibilité d'attribuer préférentiellement l'immeuble servant au logement de la famille, sont applicables à la première catégorie de conjoints mais non à la seconde. Cette différence de traitement serait discriminatoire, en particulier à l'égard des époux qui se sont mariés avant le 28 septembre 1976 sous le régime conventionnel de la séparation de biens avec société d'acquêts.
B.3. La différence de traitement entre les deux catégories de conjoints repose sur un critère objectif, à savoir la nature du régime matrimonial que les époux ont adopté avant l'entrée en vigueur de la loi du 14 juillet 1976, en ayant ou non conclu un contrat de mariage.
B.4. La pertinence de cette distinction a été justifiée comme suit : « Partant de l'idée qu'un contrat de mariage constitue une convention entre époux, qui fait la loi des parties contractantes, il n'en modifie le contenu qu'en introduisant dans le régime choisi par eux les nouvelles règles de gestion de la communauté ou des biens propres. » (Doc. parl. , Sénat, 1975-1976, no 683/2, p. 92) B.5. La loi du 14 juillet 1976 a pour objectif principal de concrétiser, dans la législation relative aux régimes matrimoniaux, l'émancipation juridique de la femme mariée consacrée par la loi du 30 avril 1958 relative aux droits et devoirs respectifs des époux : « Dès l'instant où l'on reconnaît à la femme mariée une pleine capacité juridique, [...] cette indépendance doit trouver sa contrepartie normale dans le domaine des régimes matrimoniaux. L'une des réformes ne va pas sans l'autre. Consacrer la capacité civile de la femme mariée, sans modifier ou aménager les régimes matrimoniaux, serait faire oeuvre théorique et pratiquement illusoire. » (Doc. parl. , Sénat, 1964-1965, no 138, p. 1; Doc. parl. , Sénat, 1976-1977, no 683/2, p. 1) B.6. La mesure en cause ne saurait être considérée comme disproportionnée à l'objectif de la loi du 14 juillet 1976, en général, et de la disposition transitoire excluant l'application des règles relatives à la liquidation et au partage, en particulier.
La confirmation de la capacité civile de la femme mariée ne s'imposait en effet qu'en ce qui concerne la gestion de la communauté et des biens propres (articles 1415 à 1426 du Code civil) et en ce qui concerne la question, qui y est indissolublement liée, du règlement des dettes communes et des droits des créanciers (articles 1408 à 1414 du Code civil), et elle n'exigeait dès lors pas nécessairement l'application des règles régissant la liquidation et le partage du régime matrimonial. Le législateur pouvait donc considérer, en se basant sur le principe de la prévisibilité pour les époux concernés et compte tenu de la diversité des modalités pouvant caractériser un régime matrimonial conventionnel, que cette problématique juridique demeurerait régie par les dispositions qui étaient applicables au moment de l'adoption de ce régime.
La disposition de l'article 47, § 3, de l'article IV de la loi du 14 juillet 1976, qui contient des dispositions abrogatoires et modificatives et déclare les articles énumérés aux paragraphes 1er et 2 applicables dans la mesure où ils sont nécessaires à la liquidation du régime matrimonial, ne fait que confirmer l'exclusion de l'application des nouvelles dispositions régissant la liquidation et le partage à cette catégorie d'époux ayant adopté, avant l'entrée en vigueur de cette loi, un régime matrimonial conventionnel.
Rien n'empêche du reste cette catégorie d'époux de modifier leur régime conventionnel, pour y inclure celles des mesures que le législateur n'a pas prévues pour eux.
Le but du législateur a été de faire en sorte que l'adaptation impérative de la législation sur les régimes matrimoniaux à la capacité juridique de la femme mariée puisse se concilier avec le respect de l'autonomie de la volonté des parties.
B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1er, 3o, alinéa 1er, de l'article III, Dispositions transitoires, de la loi du 14 juillet 1976 relative aux droits et devoirs respectifs des époux et aux régimes matrimoniaux, interprété en ce sens que l'article 1447 du Code civil n'est pas applicable aux catégories d'époux visées dans l'article précité, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 22 janvier 2003.
Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux. A. Arts.