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Arrêt
publié le 26 février 2003

Extrait de l'arrêt n° 4/2003 du 14 janvier 2003 Numéro du rôle : 2524 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 149 et 150 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoi La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, (...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 4/2003 du 14 janvier 2003 Numéro du rôle : 2524 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 149 et 150 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, posée par la Cour de cassation.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. François, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I.Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 24 septembre 2002 en cause de M. Dierckxsens et H. Steyaert, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 7 octobre 2002, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 149 et 150 du décret du Parlement flamand du 18 mai 1999 violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 et avec l'article 144 de la Constitution, en tant qu'ils établissent une distinction, sans justification raisonnable, entre les prévenus auxquels il est demandé de procéder à une remise en état après qu'une infraction en matière d'urbanisme a été commise, hypothèse dans laquelle le juge répressif est sans compétence pour juger de l'opportunité de la demande de remise en état, alors que le juge répressif est compétent pour ce faire lorsqu'une partie civile est présente à la cause ? » (...) IV. En droit (...) B.1.1. L'article 149 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire (ci-après : décret sur l'aménagement du territoire) dispose : « § 1er. Outre la peine, le tribunal ordonne, sur requête de l'inspecteur urbaniste, ou du collège des bourgmestre et échevins de la commune sur le territoire de laquelle les travaux, opérations ou modifications visés à l'article 146 ont été exécutés, de remettre le lieu en son état initial ou de cesser l'utilisation contraire, et/ou d'exécuter des travaux de construction ou d'adaptation et/ou de payer une amende [lire : somme d'argent] égale à la plus-value acquise par le bien suite à l'infraction.

La plus-value ne peut plus être réclamée dans les cas suivants : 1° en cas de répétition d'une infraction, rendue punissable par le présent décret;2° en cas de non-respect d'un ordre de cessation;3° lorsque l'infraction provoque des nuisances urbanistiques inadmissibles pour les voisins;4° lorsque l'infraction constitue une violation grave des prescriptions urbanistiques essentielles en matière de destination en vertu du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement. Le Gouvernement flamand peut déterminer d'autres modalités pour les cas où la plus-value ne peut pas être réclamée.

Lorsque les actions de l'inspecteur urbaniste et du collège des bourgmestre et échevins ne correspondent [lire : concordent] pas, l'action du premier cité est prioritaire.

Pour l'exécution des mesures de réparation, le tribunal fixe un délai qui ne peut dépasser un an et après l'expiration de ce délai d'exécution, sur requête de l'inspecteur urbaniste ou du collège des bourgmestre et échevins, une astreinte par journée de retard dans la mise en oeuvre de la mesure de réparation. § 2. L'action en réparation est introduite auprès du parquet par lettre ordinaire, au nom de la Région flamande ou du collège des bourgmestre et échevins, par les inspecteurs urbanistes et les préposés du collège des bourgmestre et échevins. [...] » B.1.2. L'article 150 du même décret énonce : « Lorsque l'action en réparation de la partie civile d'une part, et celle de l'inspecteur urbaniste ou du collège des bourgmestre et échevins d'autre part, ne correspondent [lire : concordent] pas, le tribunal détermine la mesure de réparation requise qu'il juge appropriée. » B.2. La Cour doit examiner si les dispositions en cause portent atteinte de manière discriminatoire aux garanties juridictionnelles dont disposent les personnes à l'encontre desquelles une mesure de réparation est demandée par les autorités compétentes, en l'absence d'une demande de réparation différente émanant de la partie civile.

Cette catégorie de personnes doit être comparée avec la catégorie des personnes à l'encontre desquelles une mesure de réparation est requise par les autorités compétentes et une demande de réparation non concordante est formulée par la partie civile.

B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4. En matière d'urbanisme et d'aménagement du territoire, il est essentiel que l'appréciation soit laissée à une autorité qui décide en se fondant sur l'intérêt général. La demande visant à faire ordonner les mesures de réparation prévues à l'article 149, § 1er, du décret sur l'aménagement du territoire a été instaurée par le législateur décrétal en vue de sauvegarder le bon aménagement du territoire. Des mesures de réparation ne peuvent être ordonnées sur cette base qu'à la demande de l'inspecteur urbaniste et/ou du collège des bourgmestre et échevins. Leur intervention s'appuie sur leur mission légale de défense de l'intérêt général en matière d'urbanisme.

L'article 149 du décret sur l'aménagement du territoire n'empêche pas qu'une personne lésée par une infraction en matière d'urbanisme réclame la réparation de son dommage personnel devant le juge pénal ou le juge civil, conformément aux règles de droit commun.

B.5.1. Le juge est compétent pour contrôler la légalité externe et interne de la demande visée à l'article 149 et pour examiner si elle est conforme à la loi ou si elle est entachée d'excès ou de détournement de pouvoir.

Les cours et tribunaux doivent, dans chaque cas, examiner si la décision du fonctionnaire délégué et/ou du collège des bourgmestre et échevins de demander une mesure de réparation déterminée est exclusivement prise en vue du bon aménagement du territoire. S'il apparaissait que la demande de l'autorité s'appuie sur des motifs étrangers à l'aménagement du territoire ou sur une conception du bon aménagement du territoire qui serait manifestement déraisonnable, les cours et tribunaux, en application de l'article 159 de la Constitution, ne devraient pas y donner suite.

B.5.2. Un tel pouvoir de contrôle ne s'écarte pas de ce qui relève de la mission du juge dans toutes les contestations. En vertu de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux ne peuvent pas donner suite aux actes administratifs qui ne sont pas conformes aux lois. Ce pouvoir de contrôle ne s'étend pas au-delà du domaine de la légalité externe et interne de ces actes. Lorsqu'il examine ces derniers, le juge ne peut se placer sur le plan de l'opportunité, car cela reviendrait à lui reconnaître une compétence incompatible avec les principes qui régissent les rapports entre l'administration et les juridictions. Ni l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ni l'article 144 de la Constitution n'exigent que l'opportunité d'un acte administratif puisse être soumise au contrôle du juge.

B.6.1. Reste la question de savoir si, en ce qui concerne le pouvoir d'appréciation du juge, il existe une justification de la différence de traitement au sein de la catégorie de personnes à l'encontre desquelles une mesure de réparation est requise selon que la mesure de réparation requise par les autorités compétentes et celle demandée par la partie civile sont concordantes ou non.

B.6.2. L'article 150 du décret sur l'aménagement du territoire dispose de manière générale que lorsque l'action en réparation de la partie civile et celle de l'inspecteur urbaniste ou du collège des bourgmestre et échevins ne concordent pas, le tribunal détermine la mesure de réparation requise « qu'il juge appropriée ».

Selon les travaux préparatoires, il devra, à cet égard, « naturellement être tenu compte du fait que le préjudice subi par la partie civile est un préjudice personnel, alors que l'inspecteur urbaniste ou le collège poursuit la défense de l'intérêt général en matière d'aménagement du territoire » (Doc. , Parlement flamand, 1998-1999, n° 1332-1, p. 72).

B.6.3. S'il se déduisait des termes employés à l'article 150 du décret sur l'aménagement du territoire - « le tribunal détermine la mesure de réparation requise qu'il juge appropriée » - que le législateur décrétal, en cas d'action en réparation non concordante de la partie civile, d'une part, et de l'inspecteur urbaniste ou du collège des bourgmestre et échevins, d'autre part, a autorisé un contrôle d'opportunité, cette disposition aurait pour effet que l'auteur d'une infraction en matière d'urbanisme pourrait en pareil cas, contrairement à la situation dans laquelle l'auteur n'est pas confronté à des actions en réparation non concordantes, faire contrôler l'opportunité de la mesure requise contre lui. Pour la raison exposée au B.5.2, cette différence de traitement serait injustifiable.

B.6.4. La disposition en cause peut cependant être interprétée d'une autre manière.

B.6.5. De même que la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, le décret sur l'aménagement du territoire vise à sauvegarder le bon aménagement du territoire dans l'intérêt général.

B.6.6. L'article 150 du décret sur l'aménagement du territoire a été adopté en vue d'améliorer la protection juridique de la partie civile.

Sous l'empire de l'ancienne législation, les droits de la partie civile, en cas de réparation directe, étaient limités au mode de réparation choisi par l'autorité compétente, sans préjudice du droit à une indemnisation à charge du condamné (article 68, § 1er, in fine , du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996).

En application de cette législation, la personne lésée par une infraction en matière d'urbanisme ne pouvait réclamer, ni devant le juge pénal ni devant le juge civil, la réparation en nature - la remise en état des lieux - du dommage causé par cette infraction, lorsque le fonctionnaire délégué et le collège des bourgmestre et échevins avaient demandé une autre forme de réparation, à savoir l'exécution d'ouvrages ou de travaux d'aménagement ou le paiement d'une somme représentative de la plus-value acquise par le bien par suite de l'infraction.

B.6.7. Le législateur décrétal tend également à prendre en compte les intérêts de la partie lésée lorsque les autorités compétentes demandent des travaux de construction ou d'adaptation, ou uniquement une somme d'argent. Il pouvait raisonnablement en pareil cas autoriser le juge à donner la priorité à une demande de la partie civile qui va plus loin et qui peut a fortiori être présumée conforme à l'intérêt général en matière d'urbanisme.

Si la remise en état des lieux demandée par les autorités compétentes est jugée légale et si un tiers lésé introduit une demande recevable en vue de l'exécution de travaux d'adaptation, l'intérêt général commanderait au juge d'ordonner la remise en état des lieux; si des travaux d'adaptation demandés par les autorités compétentes sont jugés conformes à la loi et si un tiers préjudicié introduit une demande recevable et fondée en vue de la remise en état des lieux, le juge doit, dans le respect de l'intérêt général en matière d'aménagement du territoire, mettre en balance les intérêts privés en présence. Ce faisant, il ne procède pas plus que le juge constatant un abus de droit à un jugement d'opportunité.

B.6.8. Ainsi compris, l'article 150 du décret sur l'aménagement du territoire n'est pas dépourvu de justification raisonnable.

B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 149 du décret de la Région flamande du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire, en tant qu'il n'autorise pas le juge à apprécier l'opportunité de la demande de réparation formulée par l'inspecteur urbaniste et par le collège des bourgmestre et échevins, et l'article 150 du même décret ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 144 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 janvier 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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