publié le 28 août 2002
Extrait de l'arrêt n° 105/2002 du 26 juin 2002 Numéro du rôle : 2169 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 307bis du Code civil, posée par le juge de paix du second canton de Tournai. La Cour d'arbitrage, composée de après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par ju(...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 105/2002 du 26 juin 2002 Numéro du rôle : 2169 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 307bis du Code civil, posée par le juge de paix du second canton de Tournai.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 24 avril 2001 en cause de E. Pinchon contre D. Gilleman, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 30 avril 2001, le juge de paix du second canton de Tournai a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 307bis du Code civil, en ce qu'il autorise l'adaptation ou la suppression de la pension alimentaire accordée à l'époux qui a obtenu le divorce sur pied de l'article 232, alinéa 1er, du Code civil, selon les modifications des besoins et des ressources des parties, ne viole-t-il pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où une différence de traitement est instaurée entre le créancier d'une pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307bis du Code civil, qui pourra voir celle-ci adaptée ou supprimée en fonction de quelque modification que ce soit de la situation du débiteur d'aliments, et le créancier d'une pension alimentaire accordée en vertu de l'article 301 du Code civil, qui ne pourra notamment voir celle-ci réduite ou supprimée qu'en cas de modification sensible de la situation du débiteur de la pension par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ? » (...) IV. En droit (...) B.1. Il ressort de l'examen du dossier et de la motivation de la décision de renvoi que la question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 307bis du Code civil parce qu'il instaurerait une différence de traitement entre le créancier d'une pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307bis du Code civil, laquelle peut être adaptée ou supprimée en fonction de quelque modification que ce soit de la situation du débiteur d'aliments, et le créancier d'une pension alimentaire accordée en vertu de l'article 301, § 3, alinéa 3, du Code civil, qui ne peut voir celle-ci réduite ou supprimée qu'en cas de modification sensible de la situation du débiteur de la pension par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.
B.2.1. L'article 307bis du Code civil, sur lequel porte la question préjudicielle, dispose : « La pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307 pourra excéder le tiers des revenus du débiteur et être adaptée ou supprimée selon les modifications des besoins et des ressources des parties. La succession du débiteur prédécédé sans laisser d'enfants de son mariage avec le survivant, doit des aliments à ce dernier selon les règles de l'article 205 » (actuellement, il faut lire : 205bis).
B.2.2. L'article 306 du Code civil dispose : « Pour l'application des articles 299, 300 et 301, l'époux qui obtient le divorce sur base du 1er alinéa de l'article 232, est considéré comme l'époux contre qui le divorce est prononcé; le tribunal pourra en décider autrement si l'époux demandeur apporte la preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l'autre époux. » B.2.3. L'article 301 du Code civil dispose : « § 1er. Le tribunal peut accorder à l'époux qui a obtenu le divorce, sur les biens et les revenus de l'autre époux, une pension pouvant permettre au bénéficiaire, compte tenu de ses revenus et possibilités, d'assurer son existence dans des conditions équivalentes à celles dont il bénéficiait durant la vie commune. § 2. Le tribunal qui accorde la pension constate que celle-ci est adaptée de plein droit aux fluctuations de l'indice des prix à la consommation.
Le montant de base de la pension correspond à l'indice des prix à la consommation du mois au cours duquel le jugement ou l'arrêt prononçant le divorce est coulé en force de chose jugée, à moins que le tribunal en décide autrement. Tous les 12 mois, le montant de la pension est adapté en fonction de la hausse ou de la baisse de l'indice des prix à la consommation du mois correspondant.
Ces modifications sont appliquées à la pension dès l'échéance qui suit la publication au Moniteur belge de l'indice nouveau à prendre en considération.
Le tribunal peut, dans certains cas, appliquer un autre système d'adaptation de la pension au coût de la vie. § 3. Si, par suite de circonstances indépendantes de la volonté du bénéficiaire de la pension, celle-ci n'est plus suffisante et ce dans une mesure importante, pour sauvegarder la situation prévue au § 1er, le tribunal peut augmenter la pension.
Si, par suite d'une modification sensible de la situation du bénéficiaire, le montant de la pension ne se justifie plus, le tribunal peut réduire ou supprimer la pension.
Ceci vaut également en cas de modification sensible de la situation du débiteur de la pension par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. § 4. En aucun cas, le montant de la pension ne peut excéder le tiers des revenus de l'époux débiteur de la pension. [...] » B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Les mêmes règles s'opposent, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4. Alors que le divorce pour cause déterminée visé aux articles 229 et 231 du Code civil est fondé sur la faute de l'un des époux, le divorce visé à l'article 232, alinéa 1er, du même Code est fondé, selon les développements de la proposition de loi ayant abouti à la loi du 1er juillet 1974 qui a inséré l'article 307bis en cause dans le Code civil, sur la circonstance qu'après un certain nombre d'années de séparation de fait, « la chance d'une réconciliation entre les époux est devenue inexistante » (Doc. parl., Sénat, 1971-1972, n° 161, p. 1).
B.5. En ce que l'article 301, § 3, du Code civil exige que les circonstances qui font varier la situation économique du bénéficiaire (alinéa 1er) ou du débiteur (alinéa 3) de la pension alimentaire soient indépendantes de leur volonté, cette disposition contient une précision qui ne figure pas à l'article 307bis du même Code. Cette différence de rédaction n'implique toutefois aucune différence de traitement.
En ne permettant de tenir compte, pour modifier le montant de la pension alimentaire, que des circonstances indépendantes de la volonté des intéressés, le législateur s'est borné à rappeler une règle générale selon laquelle le débiteur d'une pension alimentaire ne peut se mettre volontairement dans une situation qui lui permettrait d'éluder son obligation légale.
B.6. En ce que l'article 301, § 3, du Code civil ne permet au juge d'augmenter la pension alimentaire que si elle est devenue insuffisante « dans une mesure importante » et en ce qu'il ne l'autorise à la supprimer ou à la diminuer qu'en cas de modification « sensible » de la situation économique des ex-époux, il contient une exigence qui n'est pas formulée à l'article 307bis du même Code.
La rédaction de ce dernier article exprime la volonté du législateur de prolonger le devoir de secours auquel le divorce a mis fin tandis que l'article 301 traduit davantage son souci d'indemniser le préjudice subi par l'époux innocent. Il ne s'ensuit cependant pas que cette différence de traitement serait discriminatoire.
B.7. C'est au législateur qu'il appartient de déterminer, dans l'un et l'autre cas, quel est le fondement de la pension et de préciser les circonstances qui justifient sa modification. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que quand le traitement différent des deux situations a des effets disproportionnés. Tel est le cas, ainsi que l'a jugé la Cour par son arrêt n° 48/2000, de l'absence de limitation à un tiers des revenus du débiteur de la pension prévue par l'article 307bis du Code civil.
En revanche, il n'apparaît pas que la différence de traitement décrite en B.6 ait des effets disproportionnés : dans l'un et l'autre cas, l'article 306 renvoyant à l'article 301, la pension doit permettre à l'époux créancier, « compte tenu de ses revenus et possibilités, d'assurer son existence dans des conditions équivalentes à celles dont il bénéficiait durant la vie commune », les deux types de pension ayant, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation, un caractère alimentaire et indemnitaire.
B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 307bis du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il autorise l'adaptation ou la suppression de la pension alimentaire accordée à l'époux qui a obtenu le divorce sur pied de l'article 232, alinéa 1er, du Code civil, selon les modifications des besoins et des ressources des parties.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 26 juin 2002.
Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux. M. Melchior.