publié le 19 juin 2002
Extrait de l'arrêt n° 63/2002 du 28 mars 2002 Numéro du rôle : 2162 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1 er , des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et à l'article 259quinquies, § 1 er
Extrait de l'arrêt n° 63/2002 du 28 mars 2002 Numéro du rôle : 2162 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et à l'article 259quinquies, § 1er, 1°, du Code judiciaire, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 94.347 du 27 mars 2001 en cause de M. Troclet contre l'Etat belge et le président du Tribunal du travail de Charleroi, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 23 avril 2001, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, combiné avec l'article 259quinquies, § 1er, 1°, du Code judiciaire, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors qu'il est interprété en ce sens que la désignation des titulaires des mandats adjoints de vice-président du tribunal de première instance, du tribunal du travail et du tribunal de commerce, par les assemblées générales compétentes en leur sein et, en cas de parité des suffrages, par le président de l'assemblée générale compétente, sans aucune intervention d'un organe du pouvoir exécutif, n'est pas susceptible d'un recours devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux de l'annulation, contrairement aux désignations aux autres mandats adjoints de premier avocat général près des cours, d'avocat général près la Cour d'appel et près la Cour du travail, et de premier substitut, visés par l'article 259quinquies, § 1er, 2°, du Code judiciaire, lesquels sont désignés par le Roi sur présentation motivée de deux candidats par le chef de corps ? L'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, combiné avec l'article 259quinquies, § 1er, 1°, du Code judiciaire, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors qu'il est interprété en ce sens que la désignation des titulaires des mandats adjoints de vice-président du tribunal de première instance, du tribunal du travail et du tribunal de commerce, par les assemblées générales compétentes en leur sein et, en cas de parité des suffrages, par le président de l'assemblée générale compétente, sans aucune intervention d'un organe du pouvoir exécutif, n'est pas susceptible d'un recours devant le Conseil d'Etat statuant au contentieux de l'annulation, contrairement aux désignations aux autres mandats de chef de corps visés par l'article 259quater du Code judiciaire, lesquels sont nommés par le Roi sur présentation de la Commission de nomination du Conseil supérieur de la Justice et après avis motivé émis par l'assemblée générale de la juridiction, si bien que seuls les juges candidats à un mandat adjoint se trouvent privés de toute garantie juridictionnelle et, partant, victimes d'une différence de traitement devant le droit d'égal accès à un tribunal ? » (...) IV. En droit (...) B.1.1. L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat coordonnées le 12 janvier 1973 et modifiées par la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer dispose : «
Art. 14.§ 1er. La section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives, ainsi que contre les actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour d'arbitrage, ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel. » B.1.2. L'article 259quinquies, § 1er, 1°, du Code judiciaire, modifié par la loi du 22 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1998 pub. 02/02/1999 numac 1999009006 source ministere de la justice Loi modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la Justice, la nomination et la désignation de magistrats et instaurant un système d'évaluation pour les magistrats fermer, dispose : «
Art. 259quinquies.§ 1er. Les titulaires des mandats adjoints visés à l'article 58bis, 3°, sont désignés comme suit : 1° le président et les présidents de section à la Cour de cassation, les présidents de chambre à la cour d'appel et à la cour du travail et les vice-présidents du tribunal de première instance, du tribunal du travail et du tribunal de commerce sont désignés en leur sein par les assemblées générales compétentes parmi deux candidats qui sont présentés de façon motivée par le chef de corps, pour autant qu'un nombre suffisant de membres remplissent les conditions et aient posé leur candidature.Pour les juridictions ayant leur siège à Bruxelles, les présentations et les désignations s'effectuent par groupe linguistique, en fonction du rôle linguistique du mandat.
Lorsque la juridiction concernée compte moins de sept magistrats, le chef de corps procède à la désignation par ordonnance; ».
B.2. Les dispositions en cause traitent différemment les magistrats qui demandent à être désignés pour exercer un mandat de président et de président de section à la Cour de cassation, de président de chambre à la cour d'appel et à la cour du travail et de vice-président du tribunal de première instance, du tribunal du travail et du tribunal de commerce (article 259quinquies, § 1er, 1°), d'une part, et les magistrats qui demandent à être désignés pour exercer un mandat de chef de corps (article 259quater) ou de premier avocat général, d'avocat général près la cour d'appel et près la cour du travail et de premier substitut (article 259quinquies, § 1er, 2°), d'autre part : alors que la désignation des seconds fait l'objet d'un arrêté royal contre lequel un recours en annulation peut être introduit devant le Conseil d'Etat, celle des premiers fait l'objet d'une décision prise, selon le cas, par l'assemblée générale de la juridiction ou par le chef de corps et contre laquelle un tel recours n'est pas ouvert, selon l'article 14 des lois coordonnées précitées tel que l'interprète le juge a quo.
B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4. Il ressort des éléments du dossier que la requérante devant le Conseil d'Etat a été présentée, ainsi qu'une autre candidate, par la présidente du Tribunal, que l'assemblée du Tribunal n'a pu départager les deux candidates qui ont obtenu chacune quatre voix et que c'est donc la présidente du Tribunal qui, en application de l'article 342, § 3, du Code judiciaire, a procédé à la désignation critiquée par la requérante. C'est donc l'article 259quinquies, § 1er, 1°, alinéa 1er, qui est en cause. La Cour limite son examen à cette disposition.
Sur la première question préjudicielle B.5. Les deux catégories de titulaires de mandats adjoints décrits dans la première question préjudicielle se trouvent dans une situation essentiellement différente : les premiers sont des juges désignés par une assemblée de juges ou, le cas échéant, par un chef de corps sans aucune intervention du pouvoir exécutif; les seconds sont des membres du ministère public désignés par le Roi.
B.6. Ces différences justifient que seuls les seconds puissent s'adresser au Conseil d'Etat puisqu'ils attaquent une désignation qui a été faite par le Roi, tandis que les premiers s'en prennent à une désignation qui est faite par des juges.
B.7. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.
Sur la seconde question préjudicielle B.8. Les deux catégories de titulaires de mandats décrits dans la seconde question préjudicielle, c'est-à -dire les vice-présidents des tribunaux et les chefs de corps des juridictions, sont tous des juges au sens des articles 151, § 1er, et 152 de la Constitution.
B.9. Toutefois l'article 151, § 5, de la Constitution dispose que les seconds sont désignés par le Roi (alinéa 1er), tandis que les premiers le sont « par les cours et tribunaux en leur sein, dans les conditions et selon le mode déterminés par la loi » (alinéa 4). La différence de désignation entre les deux catégories de juges provient d'une option du Constituant : celui-ci a tenu compte de ce que « les responsabilités que sont appelés à assumer les vice-présidents des tribunaux et les premiers substituts ne sont pas de même nature que celles exigées d'un chef de corps » et il a estimé qu'il était « légitime que les systèmes de désignation correspondants soient différents » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1675/4, p. 49). En conséquence, il a voulu que les mandats adjoints énumérés à l'article 151, § 5, alinéa 4, de la Constitution « relèvent du principe de l'élection interne ou de la présentation par les cours et tribunaux » (ibid., p. 9; Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1675/1, p. 13).
B.10. Les travaux préparatoires de la loi du 22 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1998 pub. 02/02/1999 numac 1999009006 source ministere de la justice Loi modifiant certaines dispositions de la deuxième partie du Code judiciaire concernant le Conseil supérieur de la Justice, la nomination et la désignation de magistrats et instaurant un système d'évaluation pour les magistrats fermer, qui a modifié les dispositions en cause du Code judiciaire, montrent que le législateur, en confiant à une autorité (l'assemblée générale ou, en cas de parité des voix, le chef de corps) appartenant aux juridictions elles-mêmes la désignation des mandats adjoints visés à l'article 259quinquies, § 1er, 1°, a exprimé l'intention, conformément au voeu de la magistrature, « d'aboutir à une plus grande responsabilisation et à une plus grande démocratisation internes » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1677/1, p. 23).
B.11. Les titulaires de tels mandats adjoints sont désignés pour une durée de trois ans (article 259quinquies, § 2, alinéa 1er). Ils sont soumis, avant la fin de ce mandat, à une évaluation effectuée, à la majorité absolue des suffrages, par le chef de corps et deux magistrats désignés par l'assemblée générale (article 259decies, § 2).
Le mandat n'est renouvelé (article 259quinquies, § 2, alinéa 1er) que si le titulaire obtient la mention « bon » (article 259undecies, § 2, alinéa 1er).
Ces dispositions mettent en oeuvre la volonté du Constituant de prévoir un mode de désignation électif et interne, notamment des vice-présidents des tribunaux.
B.12. Le législateur a également tenu compte de ce que les réformes adoptées en 1998 ont accru le rôle de l'assemblée générale des tribunaux et ont profondément modifié celui que doit jouer le chef de corps d'une juridiction : il est désormais désigné pour un mandat non immédiatement renouvelable de sept ans (article 259quater, § 1er) et il doit joindre à sa candidature un « plan de gestion » (article 259quater, § 2) dans lequel il « expose les objectifs qu'il tentera d'atteindre au cours du mandat et la façon dont il entend procéder pour les réaliser » (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1677/1, p. 73).
Il est conforme à ces objectifs de prévoir que la désignation des titulaires de mandats adjoints devienne « une question entièrement interne » puisqu'ils doivent « être considérés comme les collaborateurs étroits du chef de corps qu'ils assistent dans l'accomplissement de sa mission », ce qui implique que, « dans sa présentation, le chef de corps ne tiendra pas uniquement compte des capacités des personnes concernées mais aussi des éléments tels que les possibilités de collaboration et l'opinion du magistrat concerné au sujet des problèmes auxquels est confrontée la juridiction », l'assemblée générale appréciant finalement la pertinence des raisons invoquées dans la présentation qui doit être motivée (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1677/1, pp. 76 et 77).
B.13. Il apparaît des travaux préparatoires de la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer qui a modifié l'article 14 des lois coordonnées précitées que le législateur a entendu élargir la compétence de la section d'administration du Conseil d'Etat de manière à offrir la possibilité de recours en annulation à des catégories de justiciables qui, jusqu'alors, ne disposaient pas d'une telle voie de droit. Le législateur a cependant entendu fixer des limites à cette extension (voir Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1960/8, p. 4, où il est indiqué que le critère pris en considération est celui de savoir « si l'institution concernée agit ou non en tant qu'autorité administrative »; Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-361/3, pp. 4 et 5).
B.14. Dès lors que les titulaires des mandats adjoints visés par l'article 259quinquies, § 1er, 1°, sont ainsi considérés, contrairement aux magistrats visés par l'article 259quater, § 1er, comme les collaborateurs étroits des chefs de corps, et qu'ils sont désignés pour un mandat de trois ans qui ne sera renouvelé que s'ils obtiennent la mention « bon », un recours contre cette attribution ne pourrait être ouvert devant un organe juridictionnel extérieur au pouvoir judiciaire sans, à la fois, mettre en cause l'indépendance de ce pouvoir dans un domaine qui regarde sa propre organisation et son propre fonctionnement et sans entraver l'exercice des fonctions de gestion désormais confiées aux chefs de corps.
B.15. La deuxième question préjudicielle appelle également une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat et l'article 259quinquies, § 1er, 1°, alinéa 1er, du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 28 mars 2002.
Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux M. Melchior