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Arrêt
publié le 09 mars 2002

Extrait de l'arrêt n° 163/2001 du 19 décembre 2001 Numéro du rôle : 2287 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 307bis du Code civil, posée par la Cour de cassation. La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Mel après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arr(...)

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09/03/2002
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Extrait de l'arrêt n° 163/2001 du 19 décembre 2001 Numéro du rôle : 2287 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 307bis du Code civil, posée par la Cour de cassation.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 2 novembre 2001 en cause de Y. Jadoul contre M. Decleve, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 16 novembre 2001, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 307bis du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il instaure une différence de traitement entre le débiteur d'une pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307 du Code civil, laquelle pourra excéder le tiers des revenus du débiteur, et le débiteur d'une pension alimentaire accordée sur la base de l'article 301 du Code civil, laquelle, en application de son paragraphe 4, ne peut en aucun cas excéder le tiers des revenus de l'époux débiteur de la pension ? » (...) IV. En droit (...) B.1. La question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 307bis du Code civil en ce qu'il instaure une différence de traitement entre le débiteur d'une pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307 du Code civil, laquelle pourra excéder le tiers des revenus du débiteur, et le débiteur d'une pension alimentaire accordée sur la base de l'article 301 du Code civil, laquelle, en application de son paragraphe 4, ne peut en aucun cas excéder le tiers des revenus de l'époux débiteur de la pension.

B.2.1. L'article 307bis du Code civil, sur lequel porte la question préjudicielle, dispose : «

Art. 307bis.La pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307 pourra excéder le tiers des revenus du débiteur et être adaptée ou supprimée selon les modifications des besoins et des ressources des parties. La succession du débiteur prédécédé sans laisser d'enfants de son mariage avec le survivant, doit des aliments à ce dernier selon les règles de l'article 205 » (actuellement, il faut lire : 205bis).

B.2.2. L'article 306 du Code civil dispose : «

Art. 306.Pour l'application des articles 299, 300 et 301, l'époux qui obtient le divorce sur base du 1er alinéa de l'article 232, est considéré comme l'époux contre qui le divorce est prononcé; le tribunal pourra en décider autrement si l'époux demandeur apporte la preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l'autre époux. » B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4. Alors que le divorce pour cause déterminée visé aux articles 229 et 231 du Code civil est fondé sur la faute de l'un des époux, le divorce visé à l'article 232, alinéa 1er, du même Code est fondé, selon les développements de la proposition de loi ayant abouti à la loi du 1er juillet 1974 qui a inséré l'article 307bis en cause dans le Code civil, sur la circonstance qu'après un certain nombre d'années de séparation de fait, « la chance d'une réconciliation entre les époux est devenue inexistante » (Doc. parl., Sénat, 1971-1972, n° 161, p. 1).

Pour régler les effets du divorce, et notamment l'octroi des pensions alimentaires, l'article 306 du Code présume que l'époux qui obtient le divorce est, sauf preuve que la séparation de fait est imputable aux fautes et manquements de l'autre époux, celui contre lequel le divorce est prononcé.

B.5. C'est au législateur qu'il appartient d'apprécier dans quelle mesure il y a lieu de protéger un époux qui, par une décision unilatérale de son conjoint, serait privé du secours que se doivent les époux, aux termes de l'article 213 du Code civil, et se retrouverait dans le besoin. Il peut, à cet effet, prolonger, au-delà du mariage dissous par le divorce, certains effets de l'obligation de secours et d'assistance à charge d'un des époux, par l'obligation de cet époux de verser une pension alimentaire.

Même si le législateur a pu estimer que, dans la majorité des cas, c'est l'époux qui a opéré la séparation de fait qui demande le divorce sur la base de l'article 232, alinéa 1er, il ne s'ensuit pas qu'il soit justifié d'accorder à l'époux auquel un divorce serait imposé sur cette base une protection matérielle plus large que celle qui est prévue pour l'époux qui obtient le divorce pour manquements établis aux obligations du mariage. Certes, la comparaison de deux catégories de personnes divorcées sans qu'il soit établi qu'elles ont manqué aux obligations du mariage fait apparaître que celles qui ont obtenu le divorce aux torts de leur conjoint sont divorcées pour l'avoir voulu, alors qu'à celles dont le conjoint l'a obtenu sur la base d'une séparation de fait, le divorce est imposé. Mais le désavantage qui en résulte pour celles-ci est contrebalancé en ce qu'il leur est attribué une pension alimentaire sans qu'elles doivent prouver que leur conjoint avait manqué aux obligations du mariage. Il est par conséquent disproportionné que le montant de leur pension ne reste pas limité comme il l'est dans l'autre cas, ce qui revient à traiter plus favorablement l'auteur d'une faute prouvée que l'auteur d'une faute seulement présumée.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 307bis du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il instaure une différence de traitement entre le débiteur d'une pension alimentaire accordée en vertu des articles 306 et 307 du Code civil, laquelle pourra excéder le tiers des revenus du débiteur, et le débiteur d'une pension alimentaire accordée sur la base de l'article 301 du Code civil, laquelle, en application de son paragraphe 4, ne peut en aucun cas excéder le tiers des revenus de l'époux débiteur de la pension.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 19 décembre 2001.

Le greffier, Le président, L. Potoms M. Melchior

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