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Arrêt
publié le 07 juin 2000

Extrait de l'arrêt n° 33/2000 du 29 mars 2000 Numéro du rôle : 1582 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 126, alinéa 3, littera c, du Code des impôts sur les revenus 1964, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour d'a composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, P. Martens, E. Cerexhe, A(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 33/2000 du 29 mars 2000 Numéro du rôle : 1582 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 126, alinéa 3, littera c, du Code des impôts sur les revenus 1964, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, P. Martens, E. Cerexhe, A. Arts et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 24 décembre 1998 en cause de la s.p.r.l. Depuydt-Mahieu contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 6 janvier 1999, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 126, alinéa 3, littera c, du Code des impôts sur les revenus, tel qu'il a été modifié par l'article 19 de la loi du 28 décembre 1983 et tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1984 à 1990, viole-t-il le principe d'égalité prévu par les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il subordonne l'applicabilité du taux réduit en matière d'impôt des sociétés à la condition que les bénéfices distribués n'excèdent pas 13 % du capital social libéré, étant entendu que sont également compris dans les bénéfices distribués, outre les dividendes attribués par l'assemblée générale, les intérêts qui sont octroyés sur les avances consenties par des associés, alors que ces avances accordées ne sont pas comprises dans le capital social libéré ? » (...) V. En droit (...) B.1. L'article 126, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1964 (C.I.R. 1964), tel qu'il avait été modifié par l'article 19 de la loi du 28 décembre 1983 et tel qu'il était en vigueur pour les exercices d'imposition 1984 à 1990 inclus, fixe le taux de base de l'impôt des sociétés. L'alinéa 2 du même article détermine les conditions auxquelles les sociétés peuvent bénéficier d'un taux réduit. Son alinéa 3 exclut toutefois certaines sociétés du bénéfice de ce taux réduit.

La question préjudicielle concerne seulement l'article 126, alinéa 3, littera c, du C.I.R. 1964, qui exclut de l'application du taux réduit les sociétés dont les bénéfices distribués visés soit à l'article 98, soit à l'article 100, 2°, excèdent 13 p.c. du capital social réellement libéré restant à rembourser au début de la période imposable, y compris les primes d'émission mais non compris les avances visées à l'article 15, alinéa 2, 2°.

B.2.1. Selon le juge a quo, cette disposition doit être interprétée en ce sens que dans « les bénéfices [ . ] visés soit à l'article 98, soit à l'article 100, 2° » doivent aussi être compris les intérêts des avances consenties aux sociétés de personnes par les associés ou leurs conjoints, ainsi que par leurs enfants, lorsque ces associés ou leurs conjoints ont la jouissance légale des revenus de ceux-ci, comme il est indiqué à l'article 15, alinéa 2, 2°, du C.I.R. 1964, cependant que ces mêmes avances, aux termes de l'article 126, alinéa 3, littera c, du C.I.R. 1964, ne sont pas comprises dans la notion de « capital social réellement libéré restant à rembourser au début de la période imposable ».

B.2.2. La Cour doit limiter son examen à la question de droit formulée dans la question préjudicielle, dans l'interprétation donnée par le juge a quo à la disposition en cause. La différence de traitement entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux que la requérante conteste devant le juge a quo ne figure pas dans cette question.

B.2.3. La question invite à comparer la situation des sociétés de personnes dont le « capital investi » est constitué exclusivement de capital social libéré et qui bénéficient du taux réduit de l'impôt des sociétés lorsque les bénéfices distribués sont inférieurs à 13 p.c. du capital social réellement libéré restant à rembourser au début de la période imposable, avec celle des sociétés de personnes dont le « capital investi », d'un montant égal, est constitué à la fois de capital social libéré et des avances précitées, sociétés qui ne bénéficient pas du taux réduit lorsque, nonobstant le fait que la rémunération du capital proprement dit est inférieure aux 13 p.c. de ce capital social, les bénéfices distribués, y compris les intérêts sur les avances, excèdent 13 % du capital social.

B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4. Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale.

Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine. Ils sont également applicables en matière fiscale, ce que confirme d'ailleurs l'article 172 de la Constitution, lequel fait une application particulière du principe d'égalité formulé à l'article 10.

B.5.1. L'article 126, alinéa 3, littera c, du C.I.R. 1964 a été inséré par l'article 19 de la loi du 28 décembre 1983 portant des dispositions fiscales et budgétaires.

En adoptant cette loi, le législateur entendait notamment généraliser le système du précompte mobilier libératoire.

Selon l'exposé des motifs, le législateur voulait : « 1° en ordre principal : a) [...] donner au précompte mobilier perçu à la source un caractère 'libératoire' à l'égard des contribuables assujettis à l'impôt des personnes physiques, c'est-à-dire, en définitive, à instaurer pour tous les revenus de capitaux mobiliers soumis au précompte mobilier le même régime que celui qui a été prévu : - par l'arrêté royal du 23 mai 1981 pour les revenus des titres de la première tranche de l'emprunt spécial 1981; - par l'article 3, § 1er, de l'arrêté royal n° 15 du 9 mars 1982, modifié par l'arrêté royal n° 150 du 30 décembre 1982, pour les revenus des actions ou parts de capitaux investis émises en 1982 ou en 1983, sous le bénéfice desdits arrêtés; b) [...] assortir cette mesure : - d'un relèvement du taux du précompte mobilier (25 p.c. au lieu de 20 p.c.), sauf pour les revenus pour lesquels le précompte de 20 p.c. est déjà « libératoire » (voir ci-avant); - de l'abaissement (35 000 francs au lieu de 40 000 francs) du montant déductible des sommes consacrées à l'acquisition d'actions ou parts de sociétés belges (article 4 de l'arrêté royal n° 15 du 9 mars 1982); - de l'instauration d'une cotisation spéciale compensatoire à charge des contribuables dont le montant net des revenus mobiliers excède 1 110 000 francs; 2° en ordre accessoire, [...] couper court à des manoeuvres qui sont pratiquées pour faire échapper à la perception du précompte mobilier sur des intérêts de dépôts d'argent.

Donner au précompte mobilier le caractère libératoire implique ce qui suit : 1° Les contribuables assujettis à l'impôt des personnes physiques et eux seuls ne seront plus tenus de mentionner dans leur déclaration annuelle à cet impôt, leurs revenus de capitaux mobiliers et leurs revenus divers y assimilés, pour autant bien entendu qu'il s'agisse de revenus sur lesquels le précompte mobilier est perçu à la source, c'est-à-dire au niveau du débiteur pour ce qui concerne les revenus d'origine belge et au niveau du premier intermédiaire belge pour ce qui concerne les revenus d'origine étrangère encaissés en Belgique. Pour ceux qui feront usage de cette faculté, le précompte mobilier perçu à la source sera définitivement acquis au Trésor. [...] 2° Les revenus et produits de capitaux et biens mobiliers et les revenus divers y assimilés sur lesquels il a dû être - et il sera encore - renoncé à la perception du précompte mobilier à la source (parce qu'il était - et il est encore - pratiquement impossible de faire percevoir ce précompte à la source) devront, par continuation, être mentionnés par les contribuables assujettis à l'impôt des personnes physiques (et par les autres aussi d'ailleurs) dans leur déclaration annuelle à cet impôt, mais ces revenus ne seront plus « globalisés » avec les autres revenus imposables;ils feront l'objet d'une taxation distincte au taux de 25 p.c. (nouveau taux du précompte mobilier), sauf, ici aussi, si le régime de la globalisation de tous les revenus imposables (y compris tous les revenus et produits de capitaux et biens mobiliers et tous les revenus divers y assimilés) est plus favorable au contribuable concerné. » (Doc. parl., Chambre, 1983-1984, n° 758/1, pp. 1-2).

B.5.2. Dans ce cadre, le législateur a également prévu des mécanismes visant à prévenir l'évasion fiscale. Il entendait plus précisément empêcher que les rémunérations des associés, qui étaient (lourdement) imposées à l'impôt des personnes physiques, soient massivement converties en dividendes, ce qui eût permis à ces associés de bénéficier du précompte mobilier libératoire. Il ressort des travaux préparatoires que l'article 19 de la loi précitée, et spécialement le nouvel alinéa 3, littera c, de l'article 126 du C.I.R. 1964, avait pour but « d'éviter les manoeuvres d'évasion fiscale qui pourraient, suite à l'instauration du précompte mobilier libératoire, être pratiquées par les entreprises familiales exploitées sous la forme sociétaire, en convertissant une partie des rémunérations normales des exploitants en dividendes ou en revenus de capitaux investis pour lesquels le précompte mobilier serait libératoire. » (Doc. parl., Chambre, 1983-1984, n° 758/15, p. 49).

Bien que la mesure visée à l'article 126, alinéa 3, littera c, du C.I.R. 1964 tendait avant tout à prévenir l'évasion fiscale, elle doit être vue aussi dans la perspective de l'encouragement à l'investissement de l'épargne en Belgique et de l'amélioration, par ce biais, de la structure financière des entreprises (Doc. parl., Chambre, 1983-1984, n° 758/1, p. 1; n° 758/15, p. 5; rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 15 du 9 mars 1982 portant encouragement à la souscription ou à l'achat d'actions ou parts représentatives de droits sociaux dans des sociétés belges, Moniteur belge, 12 mars 1982, p. 2805). B.6.1. Il appartient au législateur de fixer les taux applicables à l'impôt des sociétés et de déterminer les conditions et les exceptions en la matière. Il n'appartient pas à la Cour de décider si une mesure prescrite par la loi est opportune ou souhaitable.

B.6.2. En tenant compte exclusivement, lors de la fixation des conditions d'application du taux réduit de l'impôt des sociétés, du capital social réellement libéré restant à rembourser au début de la période imposable pour le calcul du seuil des 13 p.c. et en excluant, à cet égard, le montant des avances accordées aux sociétés de personnes par les associés ou leurs conjoints ainsi que par leurs enfants lorsque les associés ou leurs conjoints ont la jouissance légale des revenus de ceux-ci, le législateur a adopté une mesure qui se fonde sur un critère objectif - la nature de la composition du capital investi par les associés dans la société de personnes - qui est pertinent pour atteindre le double objectif exposé au B.5.2 et qui n'est pas disproportionné par rapport à celui-ci. En effet, si les avances en cause étaient comprises dans le capital social réellement libéré restant à rembourser au début de la période imposable, le montant équivalent à 13 p.c. de ce capital serait plus élevé et il serait dès lors possible de distribuer des intérêts plus élevés, ce qui ferait échec au premier objectif du législateur. Le second objectif du législateur, à savoir l'encouragement des investissements et surtout le maintien de moyens dans les entreprises belges en vue du renforcement de leur structure financière, serait lui aussi menacé.

La critique formulée par la partie requérante devant le juge a quo, selon laquelle le critère légal d'exclusion serait trop large parce qu'il touche également des contribuables qui ne sont pas concernés par l'évasion fiscale visée, ne tient pas compte du second objectif du législateur.

B.7. La partie requérante susdite fait encore observer que l'article 126, alinéa 3, littera c, du C.I.R. 1964 a été modifié par l'article 287, 3°, de la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer portant des dispositions fiscales, de sorte que les avances visées à l'article 15, alinéa 2, 2°, du C.I.R. 1964 sont, depuis l'exercice d'imposition 1991, effectivement considérées comme du capital social réellement libéré, à la condition que ces avances aient été consenties depuis au moins un an.

Le fait que la mesure critiquée a été assouplie par la loi du 22 décembre 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 22/12/1989 pub. 20/03/2009 numac 2009000181 source service public federal interieur Loi relative à la protection du logement familial fermer et que le législateur a déclaré à cette occasion vouloir corriger « une certaine incohérence fiscale » (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 806/1, p. 70) ne signifie pas que la mesure originaire n'était pas raisonnablement justifiée.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 126, alinéa 3, littera c, du Code des impôts sur les revenus 1964, tel qu'il avait été modifié par l'article 19 de la loi du 28 décembre 1983 et tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 1984 à 1990, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, en tant qu'il subordonne l'applicabilité du taux réduit en matière d'impôt des sociétés à la condition que les bénéfices distribués n'excèdent pas 13 p.c. du capital social libéré, étant entendu que sont également compris dans les bénéfices distribués, outre les dividendes attribués par l'assemblée générale, les intérêts qui sont octroyés sur les avances consenties par des associés.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 29 mars 2000.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, G. De Baets.

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