publié le 15 avril 2000
Extrait de l'arrêt n° 14/2000 du 2 février 2000 Numéro du rôle : 1613 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 3, § 2, alinéa 6, et § 3, alinéa 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la l La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 14/2000 du 2 février 2000 Numéro du rôle : 1613 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 3, § 2, alinéa 6, et § 3, alinéa 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, posées par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, H. Coremans, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt n° 77.745 du 21 décembre 1998 en cause de l'a.s.b.l.
Hiberniaschool contre la Communauté flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 3 février 1999, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 3 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, plus particulièrement le § 2, alinéa 6, et le § 3, alinéa 2, de cet article, viole-t-il l'article 24, §§ 1er et 5, de la Constitution, dans la mesure où ces dispositions attribuent au Conseil flamand de l'enseignement, au Ministre flamand de l'enseignement et au Gouvernement flamand le pouvoir discrétionnaire d'apprécier les demandes de dérogation au plan de rationalisation et de programmation, introduites par des établissements d'enseignement conformément à l'article 3, § 2, alinéa 6, et § 3, alinéa 2, de la loi du 29 mai 1959 ? 2. L'article 3, § 2, alinéa 6, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement est-il compatible avec les articles 10, 11 et 24 de la Constitution, dans la mesure où cet article dispose que, lorsqu'un établissement d'enseignement estime avoir épuisé toutes les possibilités visées à l'article 3, § 2, alinéas 4 et 5, de la loi du 29 mai 1959 pour appartenir à un centre scolaire, la commission de planification peut uniquement remettre au ministre un avis sur le droit de l'établissement scolaire à programmer au sens de l'article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi du 29 mai 1959 et sur les modalités de cette programmation mais pas sur le droit de l'établissement scolaire à obtenir une dérogation aux critères du plan de rationalisation au sens de l'article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi du 29 mai 1959 ? » (...) IV. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1.1. Les éléments soumis à la Cour font apparaître que les questions préjudicielles posées par le Conseil d'Etat portent sur les dispositions de l'article 3 de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, telles qu'elles étaient en vigueur avant le décret de la Communauté flamande du 14 juillet 1998 contenant diverses mesures relatives à l'enseignement secondaire et modifiant le décret du 25 février 1997 relatif à l'enseignement fondamental.
B.1.2. L'article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement énonce : « Dans les secteurs et niveaux auxquels s'applique un plan de rationalisation et de programmation tel que défini à l'article 13, 1, a, de la présente loi, il ne peut être maintenu ou créé des établissements organisés par la Communauté, sections ou autres subdivisions d'établissements s'ils ne répondent pas aux critères de ce plan. Pas plus des établissements ou des sections d'établissements ne peuvent continuer à être subsidiés ou être admis aux subventions, s'ils ne répondent pas aux critères de ce même plan. » B.1.3. Les dispositions en cause déterminent le cadre légal des plans de rationalisation et de programmation dans l'enseignement secondaire de plein exercice. Pour ce faire, on a recouru à la notion de « centre d'enseignement », « formé par un groupe d'établissements qui dispensent un enseignement de même caractère », ce qui signifie que cet enseignement appartient à l'une des catégories « enseignement non confessionnel », « enseignement confessionnel » ou « enseignement pluraliste » (article 3, §§ 1er et 2).
B.1.4. Les établissements qui ne répondent pas à ces catégories et qui sont de ce fait qualifiés de « non catégorisables » ou d'écoles « ayant leur caractère propre » peuvent se joindre à un centre d'enseignement - formé par des établissements présentant un caractère -, moyennant l'accord écrit des pouvoirs organisateurs des établissements qui forment ce centre d'enseignement. Pareilles écoles peuvent elles-mêmes former - « ensemble » - un centre d'enseignement, moyennant l'avis favorable de la commission de planification et l'accord du ministre (article 3, § 2, alinéa 4). Tout établissement qui rencontre des difficultés à faire partie d'un centre d'enseignement secondaire peut demander la conciliation de la commission de planification (article 3, § 2, alinéa 5).
B.1.5. Les dispositions soumises au contrôle de la Cour prévoient deux procédures particulières pour les écoles qui ne répondent pas aux normes de rationalisation et de programmation et voient ainsi leur droit au subventionnement mis en péril.
D'une part, les écoles qui ont tenté en vain de faire partie d'un centre d'enseignement ou d'en former un peuvent demander une dérogation aux normes de programmation (article 3, § 2, alinéa 6).
D'autre part, toutes les écoles ont la possibilité - quel que soit leur caractère et qu'elles appartiennent ou non à un centre d'enseignement - de demander une dérogation aux plans de rationalisation et de programmation pour les cas exceptionnels ou non prévus (article 3, § 3, alinéa 2, 4°).
Les deux procédures impliquent que le ministre de l'Enseignement décide cas par cas, moyennant l'avis conforme de la commission de planification et, le cas échéant, après avoir consulté le Gouvernement flamand.
Quant aux questions préjudicielles B.2.1. La première question préjudicielle vise à savoir si les paragraphes 1er et 5 de l'article 24 de la Constitution sont violés en ce que la commission de planification, le ministre de l'Enseignement et le Gouvernement flamand se voient conférer le pouvoir discrétionnaire d'accorder des dérogations au plan de programmation (article 3, § 2, alinéa 6) ou aux plans de rationalisation et de programmation (article 3, § 3, alinéa 2, 4°).
B.2.2. L'article 24, § 5, de la Constitution traduit la volonté du Constituant de réserver aux pouvoirs législatifs le soin de régler les aspects essentiels de l'enseignement en ce qui concerne son organisation, sa reconnaissance et son subventionnement, mais il n'empêche pas que le législateur décrétal puisse attribuer des tâches d'exécution ou un pouvoir de décision à d'autres autorités, pourvu qu'il n'excède ni ne viole à cette occasion le pouvoir qui lui est reconnu par la Constitution.
B.2.3. L'établissement des plans de rationalisation et de programmation relève du domaine de l'organisation et du subventionnement de l'enseignement, auquel sont applicables les garanties de l'article 24, § 5, de la Constitution. En l'espèce, ce n'est toutefois pas le règlement de base en matière de plans de programmation et de rationalisation qui est en cause mais bien les procédures particulières sur la base desquelles des dérogations individuelles aux normes générales peuvent être accordées.
L'article 24, § 5, de la Constitution n'est pas violé en ce que cette mission est confiée au pouvoir exécutif et qu'il lui est laissé une marge d'appréciation propre en ce domaine. En effet, l'octroi des dérogations en cause implique nécessairement une mise en balance d'intérêts fondée sur les caractéristiques propres à chaque cas particulier.
Par ailleurs, le pouvoir exécutif est également tenu de respecter les garanties constitutionnelles en matière d'enseignement. En outre, il appartient aux juridictions compétentes de vérifier si le pouvoir exécutif a fait une application correcte de ces principes fondamentaux.
B.3.1. Le Conseil d'Etat pose également la question de la conformité des dispositions en cause avec l'article 24, § 1er, de la Constitution. La liberté d'enseignement garantie par la Constitution assure non seulement le droit de créer des écoles basées sur une philosophie confessionnelle ou non confessionnelle déterminée, mais également le droit de créer des écoles dont la spécificité réside dans certaines conceptions d'ordre pédagogique ou éducatif.
La liberté d'enseignement visée à l'article 24, § 1er, de la Constitution implique que les pouvoirs organisateurs autres que la communauté puissent, sous certaines conditions, prétendre à des subventions à charge de celle-ci. Le droit au subventionnement est limité, d'une part, par le pouvoir de la communauté de lier les subventions à des exigences tenant à l'intérêt général, entre autres celle d'un enseignement de qualité et du respect de certaines normes de population scolaire, et, d'autre part, par la nécessité de répartir les moyens financiers disponibles entre les diverses missions de la communauté. La liberté d'enseignement connaît dès lors des limites et n'empêche pas que le législateur décrétal impose des conditions de financement et de subventionnement qui restreignent l'exercice de cette liberté, pour autant qu'il n'y soit pas porté d'atteinte essentielle.
B.3.2. La circonstance que la possibilité d'accorder des dérogations soit donnée au pouvoir exécutif ne constitue pas en soi une mesure de nature à porter atteinte à la liberté d'enseignement. En effet, le pouvoir exécutif est lui aussi tenu de garantir la liberté d'enseignement.
B.3.3. Toutefois, dans les dispositions en cause, la marge de décision du pouvoir exécutif est à ce point limitée qu'elle ne lui permet pas de garantir la liberté d'enseignement à l'égard des écoles qui, en raison de leur caractère propre, ne parviennent pas à faire partie d'un centre d'enseignement.
Si l'article 3, § 2, alinéa 6, de la loi du Pacte scolaire permet au pouvoir exécutif d'accorder une dérogation aux normes de programmation, il ne prévoit cependant aucune possibilité de dérogation aux normes de rationalisation.
B.3.4. Lorsqu'un établissement d'enseignement ayant un caractère propre est dans l'impossibilité de satisfaire aux normes de rationalisation - ce qui met en péril son droit aux subventions -, il ne peut, comme l'a fait l'a.s.b.l. Hiberniaschool, recourir qu'à la procédure définie à l'article 3, § 3, alinéa 2, 4°, de la loi du 29 mai 1959 en vue d'obtenir une dérogation aux normes de rationalisation pour les cas exceptionnels ou non prévus.
Les dispositions en cause conduisent ainsi à ce que les écoles qui ne font pas partie d'un centre d'enseignement - même si elles ont tenté de le faire - voient la continuité de l'enseignement qu'elles dispensent à ce point entravée ou menacée qu'elles sont défavorisées de manière excessive par rapport aux établissements qui font partie d'un tel centre. En effet, elles sont obligées, pour assurer le maintien de leur droit aux subventions, de recourir à une procédure que le législateur présente comme étant exceptionnelle.
Dans cette mesure, les dispositions en cause violent l'article 24, § 1er, de la Constitution.
B.4.1. Ce qui précède apporte également une réponse à la seconde question préjudicielle. Celle-ci invite la Cour à répondre à la question de savoir si l'article 3, § 2, alinéa 6, de la loi du Pacte scolaire viole les articles 10, 11 et 24 de la Constitution en ce qu'il est uniquement prévu une possibilité de dérogation aux critères de programmation et non aux critères de rationalisation.
B.4.2. Pour le subventionnement de l'enseignement secondaire, les dispositions en cause se fondent sur la notion de « centre d'enseignement », « formé par un groupe d'établissements qui dispensent un enseignement de même caractère », comme il est précisé au B.1.3.
B.4.3. Le traitement différent des établissements d'enseignement « catégorisables » et « non catégorisables » instauré par l'article 3 de la loi du 29 mai 1959 repose sur un critère objectif et pertinent en ce que, pour fixer la manière dont les établissements d'enseignement peuvent constituer un centre d'enseignement, il a été tenu compte de leur orientation philosophique. En prévoyant que les centres d'enseignement à constituer en vue de l'application du plan de rationalisation et de programmation doivent être en règle générale constitués d'établissements de même caractère au sens de la loi, le législateur a cherché à sauvegarder, à travers la nécessaire rationalisation de l'offre d'enseignement, la liberté de choix des parents garantie par la Constitution.
B.4.4. Les établissements d'enseignement ayant un caractère propre peuvent, en vertu de l'article 3, § 2, alinéas 4 et 5, de la loi du Pacte scolaire, faire partie d'un centre d'enseignement ou tenter d'en former un.
Pour les raisons exposées aux B.3.3 et B.3.4, l'article 3, § 2, alinéa 6, de la loi du Pacte scolaire produit, pour les écoles ayant un caractère propre qui ne sont pas parvenues à faire partie d'un centre d'enseignement, des effets qui sont disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur. Par comparaison aux écoles ayant un caractère mentionné par la loi, il est ainsi établi une différence de traitement contraire aux articles 10, 11 et 24, § 4, de la Constitution.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 3, § 2, alinéa 6, et § 3, alinéa 2, 4°, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement ne viole pas l'article 24, § 5, de la Constitution en tant qu'il habilite la commission de planification (actuellement le Conseil flamand de l'enseignement), le ministre flamand de l'Enseignement et le Gouvernement flamand à examiner les demandes de dérogation aux plans de rationalisation et/ou de programmation sur la base de ces dispositions. - L'article 3, § 2, alinéa 6, et § 3, alinéa 2, 4°, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement viole l'article 24, § 1er, de la Constitution en tant que la commission de planification (actuellement le Conseil flamand de l'enseignement), le ministre flamand de l'Enseignement et le Gouvernement flamand ne peuvent accorder aux établissements d'enseignement qui ne relèvent pas d'un centre d'enseignement une dérogation aux normes de rationalisation que pour les cas exceptionnels ou non prévus. - L'article 3, § 2, alinéa 6, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement viole les articles 10, 11 et 24 de la Constitution en tant que la compétence attribuée à la commission de planification par cette disposition porte uniquement sur le droit des établissements d'enseignement à programmer et sur les modalités de cette programmation au sens de l'article 3, § 1er, alinéa 3, de la loi du Pacte scolaire, mais non sur le droit d'obtenir une dérogation aux critères du plan de rationalisation au sens de l'article 3, § 1er, alinéa 3, de la même loi.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 2 février 2000.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, G. De Baets.