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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 28 décembre 2000

Arrêt n° 130/2000 du 6 décembre 2000 Numéros du rôle : 1767, 1806 et 1809 En cause : les recours en annulation de l'article 22, § 3, alinéas 3, 4, 5 et 6, et § 4 de la loi du 25 mars 1999 relative à la réforme des cantons judiciaire La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges L. Françoi(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 130/2000 du 6 décembre 2000 Numéros du rôle : 1767, 1806 et 1809 En cause : les recours en annulation de l'article 22, § 3, alinéas 3, 4, 5 et 6, et § 4 de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires, introduits par P. d'Otreppe de Bouvette et P. Cauchie.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges L. François, J. Delruelle, A. Arts, R. Henneuse et E. De Groot, assistée de la référendaire B. Renauld, faisant fonction de greffier, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 9 septembre 1999 et parvenue au greffe le 10 septembre 1999, P. d'Otreppe de Bouvette, demeurant à 6810 Jamoigne, rue Saint-Pierre 15, a introduit un recours en annulation de l'article 22, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires (publiée au Moniteur belge du 22 mai 1999).

Cette affaire est inscrite sous le numéro 1767 du rôle de la Cour. b. Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 16 et 18 novembre 1999 et parvenues au greffe les 17 et 19 novembre 1999, P.d'Otreppe de Bouvette, demeurant à 6810 Jamoigne, rue Saint-Pierre 15, et P. Cauchie, demeurant à 1700 Dilbeek, Kapelstraat 67, ont introduit un recours en annulation de l'article 22, § 3, alinéas 5 et 6, et § 4, de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires (publiée au Moniteur belge du 22 mai 1999).

Ces affaires sont inscrites sous les numéros 1806 et 1809 du rôle de la Cour.

II. La procédure a) Dans l'affaire n° 1767 Par ordonnance du 10 septembre 1999, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 19 octobre 1999.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 11 novembre 1999.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 6 décembre 1999. b) Dans les affaires n°s1806 et 1809 Par ordonnances des 17 et 19 novembre 1999, le président en exercice a désigné les juges des sièges respectifs conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application dans ces affaires des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Les recours ont été notifiés conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 décembre 1999.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 21 décembre 1999.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 24 janvier 2000. c) Dans les trois affaires Par ordonnance du 25 novembre 1999, la Cour a joint les affaires. Les mémoires du Conseil des ministres ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 mars 2000.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - la partie requérante dans les affaires n°s 1767 et 1806, par lettre recommandée à la poste le 31 mars 2000; - la partie requérante dans l'affaire n° 1809, par lettre recommandée à la poste le 6 avril 2000.

Par ordonnances du 29 février 2000 et du 29 juin 2000, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 9 septembre 2000 et 9 mars 2001 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 12 juillet 2000, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 4 octobre 2000.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 13 juillet 2000.

Par ordonnance du 3 octobre 2000, le président en exercice a constaté que le juge E. Cerexhe, légitimement empêché, était remplacé par le juge R. Henneuse.

A l'audience publique du 4 octobre 2000 : - ont comparu : . Me E. Brewaeys, avocat au barreau de Bruxelles, pour la partie requérante dans l'affaire n° 1809; . Me C. Wijnants loco Me P. Peeters, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et E. De Groot ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. En droit - A Position du requérant dans l'affaire n° 1767 A.1. P. d'Otreppe de Bouvette, juge de paix des cantons de Messancy et Etalle, demande l'annulation de l'article 22, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires.

Il estime avoir intérêt à agir en cette qualité car il se trouve dans la situation visée par la disposition en raison de la fusion des cantons de Messancy et Etalle avec les cantons judiciaires d'Arlon et de Virton.

A.2. Le requérant estime que la disposition attaquée viole les articles 10 et 11 de la Constitution parce qu'elle crée une discrimination injustifiée entre les juges de paix actuellement en fonction, dont les uns conserveront leur statut de juge titulaire, tandis que les autres seront rétrogradés comme juge de complément, sans qu'on aperçoive de critères objectifs et raisonnables permettant d'opérer cette différenciation. En effet, la disposition entreprise relègue au rang de juge de complément le juge de paix qui dessert actuellement deux cantons qui seront scindés pour être fusionnés avec d'autres cantons, ce qui aura pour conséquence qu'en vertu de l'article 70 du Code judiciaire, ce juge de paix sera soumis à l'autorité des titulaires de ces autres cantons pour ce qui concerne la responsabilité et la répartition du service et qu'en vertu de l'article 355 du même Code, il ne pourra pas bénéficier du traitement d'un juge de paix titulaire de cantons de première classe même si les cantons issus de la fusion sont des cantons de première classe. Il oppose cette situation à celle des actuels titulaires de ces autres cantons qui conserveront leur rang de juge titulaire et à celle qui résulte de l'article 22, § 2, de la même loi qui prévoit d'une manière générale que lorsque plusieurs juges de paix deviennent titulaires d'un même canton en raison de la fusion des cantons, ces juges de paix sont compétents pour la totalité du territoire du canton, sans que l'un devienne juge de complément de l'autre.

Position du requérant dans l'affaire n° 1806 A.3. Le requérant dans l'affaire n° 1806 introduit une requête ampliative parce qu'il ressort d'un document de travail émanant du ministère de la Justice, dont il a eu connaissance, que l'administration considère que sa situation est réglée par l'article 22, § 3, alinéas 5 et 6, de ladite loi, disposition qui concerne l'hypothèse de la scission d'un canton judiciaire dont les parties seront fusionnées avec d'autres cantons. N'étant pas juge de paix d'un canton mais de deux cantons, le requérant ne s'estime pas concerné par cette disposition mais dès lors que l'administration entend l'appliquer à sa situation, il fait valoir son intérêt à en solliciter l'annulation. Surabondamment, on peut considérer que cette disposition concerne très marginalement sa situation parce que les villages de Vlessart, Louftémont et Behême, qui faisaient anciennement partie de la commune d'Anlier et donc du canton d'Etalle, font maintenant partie de la commune fusionnée de Léglise et relèveront donc du canton de Neufchâteau, de sorte qu'on peut dire que le canton d'Etalle sera scindé puisque ces parties seront fusionnées avec le canton de Neufchâteau tandis que le reste du canton sera fusionné avec le canton de Virton.

A.4. Sur le fond, le requérant estime que la disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution pour les mêmes motifs que ceux déjà exposés dans la requête précédente.

Position du requérant dans l'affaire n° 1809 A.5. P. Cauchie, juge de paix du troisième canton de Schaerbeek, demande l'annulation de l'article 22, § 3, alinéas 5 et (principalement) 6, et § 4, de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires.

Il justifie son intérêt à agir par le fait que le canton dont il était juge de paix a été supprimé. Il obtient désormais à titre personnel la qualité de juge de paix de complément auprès des deux autres cantons.

Bien qu'il ne subisse pas de perte de traitement, il subit un préjudice moral important et la manière dont il exerçait sa profession s'en trouve affectée. « Il perd de la considération, de la responsabilité et de l'autonomie. » A.6. Un premier moyen est pris de la violation du principe d'égalité et de non-discrimination contenu aux articles 10 et 11 de la Constitution. Le requérant estime subir une dégradation par rapport aux autres juges de paix du Royaume qui demeurent titulaires parce qu'un juge de paix de complément n'exerce pas seul la fonction dans le canton et qu'il n'a pas la responsabilité en matière de répartition du service, ce qui pour lui implique une perte de cette responsabilité.

Le requérant se plaint aussi de ne figurer qu'en deuxième place sur la liste de rang, contrairement à ses anciens collègues, et du fait qu'il ne peut même pas remplacer en principe le juge de paix empêché puisque l'article 323 du Code judiciaire énonce que ce dernier est remplacé par un juge de paix suppléant.

Le requérant fait valoir que la réglementation actuellement entreprise a été élaborée pour la situation concrète dans laquelle il se trouve et qu'en ce qui concerne le greffier en chef, la loi a prévu une possibilité de choix dont il ne peut, lui, pas bénéficier. Il est donc traité différemment et discriminé par rapport au greffier en chef se trouvant dans la même situation.

A.7. Un deuxième moyen est pris de la violation du principe d'égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution, en connexité avec l'article 152, alinéas 2 et 3, de la Constitution. Le requérant estime que la disposition entreprise a pour effet qu'il devient « un juge de paix de complément » au lieu d'un juge de paix titulaire, et ce sans jugement et sans son consentement.

Il fait valoir qu'un juge ne peut être révoqué ni par le pouvoir législatif ni par le pouvoir exécutif, mais exclusivement par le pouvoir judiciaire.

A.8. Le requérant estime que puisque la « renumérotation » des cantons de Schaerbeek est indissociablement liée à la disposition attaquée, tant que sa situation ne sera pas réglée de manière conforme à la Constitution, le troisième canton de Schaerbeek devra être maintenu pour lui permettre d'y exercer sa fonction de juge de paix.

Position du Conseil des ministres dans l'affaire n° 1767 A.9. Le Conseil des ministres estime que le moyen n'est pas fondé. La disposition attaquée doit être replacée dans son contexte : il résulte des travaux préparatoires que la disposition entreprise a revu entièrement la répartition des cantons judiciaires pour tenir compte non seulement de la fusion des communes de 1976 mais aussi de la réorganisation des services de police. Les trois objectifs de la réforme des cantons judiciaires supprimer les doubles cantons, former des cantons comptant approximativement 50.000 à 60.000 habitants et respecter les limites communales sont légitimes. La disposition attaquée, qui est une disposition transitoire, figure parmi les moyens utilisés pour atteindre ces trois objectifs. Le moyen est raisonnablement justifié et proportionnel à cet égard. Le problème qui se pose dans le cas du canton d'Etalle-Messancy a d'ailleurs fait l'objet de développements dans le rapport fait au nom de la commission de la justice de la Chambre. C'est à tort que le requérant affirme qu'en vertu de l'article 355 du Code judiciaire, il ne pourra pas bénéficier du traitement d'un juge de paix titulaire d'un canton de première classe même si les cantons issus de la fusion sont des cantons de première classe. L'article 17 de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer est invoqué à l'appui de cette thèse.

A.10. A titre subsidiaire, le Conseil des ministres se permet d'attirer l'attention de la Cour sur le fait qu'une proposition de loi a été déposée afin de remplacer la première phrase comprise à l'article 22, § 3, dernier alinéa, de la loi entreprise. L'article a été adopté à l'unanimité par la commission de la justice du Sénat et transmis à la Chambre. Si ce projet est accepté, le recours deviendra sans objet.

Position du Conseil des ministres dans les affaires n°s 1806 et 1809 A.11. A titre principal, le Conseil des ministres estime que le moyen invoqué dans l'affaire n° 1806 est irrecevable à défaut d'intérêt. La référence au document de travail constitue une erreur puisque la disposition vise l'hypothèse de la scission d'un canton, situation étrangère à celle du requérant. Dès lors qu'elle ne s'applique pas à sa situation, le requérant n'a pas intérêt à demander l'annulation ni de l'article 22, § 3, alinéa 6, ni de l'article 22, § 3, alinéa 5.

A.12. A titre subsidiaire, le Conseil des ministres se permet d'attirer l'attention de la Cour sur le fait qu'un avant-projet d'amendement concernant l'article 4 du projet de loi modifiant l'annexe au Code judiciaire est à l'étude au sein du cabinet de la Justice.

A.13. A titre encore plus subsidiaire, il se réfère à la réponse développée dans l'affaire n° 1767.

A.14. Concernant l'affaire n° 1809, le Conseil des ministres estime que le premier moyen n'est pas fondé, pour les raisons déjà invoquées dans l'affaire n° 1767.

Par ailleurs, l'argument concernant la situation des greffiers en chef n'est pas non plus fondé : il est dénué de pertinence parce que la référence à l'article 23, dernier alinéa, est elle aussi dénuée de pertinence. Elle vise en effet la situation où deux cantons ou plus sont scindés, ce qui n'est pas l'hypothèse dans laquelle se trouve le requérant, qui aurait dû se référer à une disposition visant la situation du greffier en chef telle qu'elle résulte de la scission d'un seul canton.

Par ailleurs, les catégories des juges de paix et des greffiers en chef ne sont pas des catégories comparables. Les premiers bénéficient de la protection offerte par l'article 152 de la Constitution, les seconds pas.

A titre subsidiaire, le Conseil des ministres attire l'attention de la Cour sur l'avant-projet d'amendement déjà signalé.

A.15. Le Conseil des ministres estime que le deuxième moyen n'est pas fondé parce que la situation du requérant ne correspond nullement à celle que vise l'article 152 de la Constitution puisqu'il n'est ni privé ni suspendu de ses fonctions de juge de paix. Il subit simplement les effets de la réforme des cantons judiciaires voulue par le législateur, réforme qui répond à des objectifs tout à fait légitimes (cf. supra). La volonté du Constituant n'est pas de figer l'organisation judiciaire.

Le Conseil des ministres signale enfin à titre subsidiaire que si l'amendement déjà évoqué est voté, le recours devient sans objet ou irrecevable à défaut d'intérêt.

Réponse du requérant dans les affaires n°s 1767 et 1806 A.16. Le requérant est bien conscient de la nécessité d'une restructuration des cantons judiciaires et ne conteste pas la légitimité du but poursuivi par le législateur. Il estime cependant que ces objectifs peuvent être atteints sans qu'il faille opérer de différence de traitement entre juges de paix. Dans l'hypothèse où deux cantons desservis par un seul titulaire sont scindés pour être fusionnés avec d'autres cantons, il n'y a aucune raison de déroger au principe général inscrit à l'article 22, § 2, de la loi et il n'y a aucune raison de dire que dans cette hypothèse, le juge de paix concerné deviendra juge de complément des cantons issus de la fusion.

Il n'y a non plus aucune raison d'accorder une sorte de priorité de rang aux actuels titulaires des cantons avec lesquels seraient fusionnés les cantons scindés et rien n'empêche de dire que le juge de paix des cantons scindés devient titulaire des cantons issus de la fusion, sur pied d'égalité avec ses collègues.

Le requérant maintient que le statut de juge de complément le défavoriserait au point de vue du traitement puisqu'il n'aurait pas le traitement d'un juge de paix titulaire d'un canton de première classe, dont il devrait bénéficier s'il devenait juge de paix titulaire du canton d'Arlon. L'article 17 de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer n'est à cet égard pas pertinent.

Le statut de juge de paix de complément aurait également pour conséquence que le requérant se verrait soumis à l'autorité de ses collègues pour ce qui concerne la responsabilité et la répartition du service, alors qu'in casu il est le plus ancien nommé.

En ce qui concerne l'argumentation développée à titre subsidiaire par le Conseil des ministres, le requérant fait observer que la proposition de loi dont question contient la même discrimination, puisque la responsabilité de l'organisation du service serait confiée au juge titulaire, de sorte que le requérant se verrait soumis à l'autorité de celui-ci dans chacun des deux cantons issus de la fusion.

A.17. Le requérant prend acte de ce que le Conseil des ministres considère que l'article 22, § 3, alinéa 6, de la loi entreprise n'est en principe pas applicable à cette situation.

De manière générale, le requérant fait observer qu'il n'a pas invoqué jusqu'à présent le principe d'inamovibilité inscrit dans l'article 152 de la Constitution qu'il serait cependant en droit de faire valoir parce qu'il ne veut pas faire obstacle à la réforme des cantons judiciaires et est disposé à accepter ce déplacement, mais seulement en tant que juge titulaire.

Réponse du requérant dans l'affaire n° 1809 A.18. La partie fait remarquer tout d'abord qu'une loi doit être jugée dans l'état où elle se trouve au moment où le recours est introduit et au moment où la Cour doit rendre son arrêt. D'éventuelles modifications ne doivent pas être prises en considération, encore moins des avant-projets qui sont toujours en discussion.

A.19. Concernant le premier moyen, le requérant confirme qu'un juge de paix effectif qui devient juge de paix de complément subit une dégradation dans les fonctions qu'il exerce et dans la place qui lui revient.

A.20. Concernant le deuxième moyen, le requérant fait valoir qu'il est retiré du canton dans lequel il avait été nommé, ce que le législateur ne peut pas faire en raison du principe de la séparation des pouvoirs.

L'ancien article 151 de la Constitution prévoyait que le juge de paix était nommé directement par le Roi. Cette nomination implique le fait d'être nommé comme titulaire dans un canton déterminé. Le législateur ne peut donc pas le transférer à un autre endroit ni transformer sa fonction de juge effectif en juge de complément. L'actuel article 151, § 4, de la Constitution, qui prévoit que les juges de paix sont nommés par le Roi dans les conditions et selon le mode déterminés par la loi, ne permet pas davantage au législateur de déplacer un juge de paix ou de le dégrader en juge de complément quand l'on ne trouve plus une place pour lui. Sont ainsi violés non seulement l'article 152 de la Constitution mais aussi l'article 151 et le principe de la séparation des pouvoirs. Ces arguments sont incontestablement compris dans le deuxième moyen tel qu'il avait été exposé dans la requête. - B Quant aux dispositions entreprises B.1. L'article 22 de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires dispose : « § 1er. Le juge de paix qui, au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, est titulaire d'un canton judiciaire maintenu, devient juge de ce canton, même si le ressort de celui-ci est modifié, si son siège est déplacé ou si sa dénomination est changée.

L'alinéa précédent est également applicable aux juges de paix qui desservent plusieurs cantons réunis en un seul canton aux termes de la présente loi. § 2. Lorsque conformément aux dispositions de la présente loi, plusieurs juges de paix deviennent titulaires d'un même canton en raison de la fusion des cantons et indépendamment d'éventuels changements de ressort, ces juges de paix sont compétents pour la totalité du territoire du canton. La répartition du service et la direction incombent à celui qui possède la plus grande ancienneté de nomination. Lorsque suite à des cessations de fonction, un seul juge de paix reste, il devient, sans que l'article 287 du Code judiciaire soit d'application, titulaire pour l'ensemble du canton sans devoir prêter serment à nouveau. § 3. Lorsque deux cantons ou plus desservis par un seul titulaire jusqu'au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, deviennent ou restent des cantons autonomes conformément aux dispositions de la présente loi et indépendamment d'éventuels changements de ressort, ce juge de paix communique dans les six mois de l'entrée en vigueur de la présente loi via le ministre de la Justice au Roi quel canton il préfère. Il est nommé, sans que l'article 287 du Code judiciaire soit d'application, dans le canton de son choix sans devoir prêter serment à nouveau.

Lorsque deux cantons ou plus desservis par un seul titulaire jusqu'au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, sont scindés conformément aux dispositions de la présente loi, de sorte qu'un canton devient autonome et le ou les autres sont rattachés à des cantons existants, indépendamment d'éventuels changements de ressort, ce juge de paix devient, sans que l'article 287 du Code judiciaire soit d'application, titulaire du canton autonome, et ce sans devoir prêter serment à nouveau.

Lorsque deux cantons ou plus desservis par un seul titulaire au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi sont scindés conformément à ses dispositions, de sorte que ces cantons ou des parties de ces cantons sont fusionnés avec d'autres cantons ou parties de cantons, indépendamment d'éventuels changements de ressort, ce juge de paix devient, sans que l'article 287 du Code judiciaire soit d'application, titulaire du nouveau canton si aucun titulaire n'est disponible à cette fin, et ce sans devoir prêter serment à nouveau.

S'il y a un titulaire, le juge de paix visé à l'alinéa précédent devient à titre personnel juge de complément des cantons concernés. En cas de cessation de fonctions d'un titulaire visé à l'alinéa précédent, le juge de complément devient, sans application de l'article 287 du Code judiciaire, titulaire du canton sans devoir à nouveau prêter serment.

Lorsqu'un canton est scindé conformément aux dispositions de la présente loi, de sorte que des parties de ce canton sont fusionnées avec d'autres cantons ou parties de canton, indépendamment d'éventuels changements de ressort, le juge de paix de ce canton devient, sans application de l'article 287 du Code judiciaire, titulaire du canton pour lequel aucun titulaire n'est disponible, ce sans devoir à nouveau prêter serment.

S'il y a un titulaire disponible, le juge de paix visé à l'alinéa précédent devient à titre personnel juge de paix de complément des cantons concernés. En cas de cessation de fonctions d'un titulaire visé à l'alinéa précédent, le juge de complément devient, sans application de l'article 287 du Code judiciaire, titulaire du canton sans devoir à nouveau prêter serment. § 4. En ce qui concerne l'application de la présente loi, les cantons de Bruxelles sont renumérotés comme suit : 1° Bruxelles 1 comprend l'ancien canton de Bruxelles 1 et une partie de l'ancien canton de Bruxelles 3;2° Bruxelles 2 comprend l'ancien canton de Bruxelles 2 et une partie de l'ancien canton de Bruxelles 3;3° Bruxelles 3 comprend les anciens cantons de Bruxelles 5 et Bruxelles 6;4° Bruxelles 4 comprend les anciens cantons de Bruxelles 4 et Bruxelles 7 et une partie de l'ancien canton de Bruxelles 3;5° Bruxelles 5 comprend l'ancien canton de Bruxelles 8;6° Bruxelles 6 comprend l'ancien canton de Bruxelles 9. En ce qui concerne l'application de la présente loi, les cantons de Schaerbeek sont renumérotés comme suit : 1° Schaerbeek 1 comprend l'ancien canton de Schaerbeek 1 et une partie de l'ancien canton de Schaerbeek 3;2° Schaerbeek 2 comprend l'ancien canton de Schaerbeek 2 et une partie de l'ancien canton de Schaerbeek 3. Quant à la recevabilité du recours dans l'affaire n° 1806 B.2.1. P. d'Otreppe de Bouvette, qui postule dans une première requête l'annulation de l'article 22, § 3, alinéas 3 et 4, de la loi entreprise (affaire n° 1767), a également dans une seconde requête, introduit un recours en annulation à l'encontre de l'article 22, § 3, alinéas 5 et 6 (affaire n° 1806), même s'il ne s'estime pas personnellement concerné par ces dernières dispositions. Il invoque à l'appui de son intérêt un document de l'administration, qui considère que sa situation est régie par l'article 22, § 3, alinéa 6.

Le Conseil des ministres conteste son intérêt à agir contre l'article 22, § 3, alinéas 5 et 6.

B.2.2. Sans se prononcer sur l'application au requérant de l'une ou l'autre disposition, la Cour constate que la règle contenue dans l'alinéa 4 et celle contenue dans l'alinéa 6 sont identiques.

Quant à l'étendue des recours B.3.1. La Cour doit déterminer l'étendue des recours sur la base du contenu des requêtes. L'examen des recours est limité aux dispositions contre lesquelles les requérants formulent des griefs.

B.3.2. Les requérants reprochent à l'article 22, § 3, alinéas 3, 4, 5 et 6, et § 4, de la loi entreprise de violer les articles 10 et 11 de la Constitution. Il résulte de l'exposé de leurs moyens que le grief fait à ces dispositions est de « reléguer » au rang de juge de paix de complément certains juges de paix. Seuls les alinéas 4 et 6 du paragraphe 3 de l'article 22 sont dès lors en cause. La Cour limite l'examen des recours à ces dispositions.

Quant au fond B.4. Les parties requérantes dénoncent la différence de traitement entre les juges de paix qui, comme elles-mêmes, peuvent, en vertu des dispositions entreprises, rester actifs, mais comme juges de paix de complément, et les juges de paix qui demeurent titulaires.

B.5. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.6. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires que le législateur a voulu faire correspondre les cantons judiciaires aux limites communales résultant de la fusion des communes datant de 1975 (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1139/1, p. 2). Cette intervention législative était devenue nécessaire en raison des problèmes que posaient aux justiciables, au parquet et aux forces de police, en particulier depuis la réforme des polices et la place donnée aux zones interpolices, des délimitations territoriales distinctes (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1891/9, p. 2). Le législateur a, par ailleurs, voulu permettre, dans certains cas, une répartition plus équilibrée de la charge de travail (ibid., pp. 2 et 3).

Les dispositions entreprises font partie des mesures transitoires concernant la désignation des magistrats pour les nouveaux cantons. Le législateur est parti d'un principe de continuité selon lequel le juge de paix titulaire d'un canton judiciaire le reste, même si le ressort du canton est modifié quelque peu, si le canton reçoit une nouvelle dénomination ou si son siège est déplacé (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1139/1, p. 21). Le législateur s'est aussi soucié d'assurer qu'aucun juge de paix ne soit privé de fonction en cas de fusion ou de scission de cantons (ibid., p. 22).

B.7. Les situations régies par les alinéas 4 et 6 de l'article 22, § 3, de la loi entreprise se distinguent tant de celle d'un juge de paix titulaire d'un canton maintenu (article 22, § 1er) que de celle de plusieurs juges de paix qui deviennent titulaires d'un seul et même canton par suite d'une fusion de cantons (article 22, § 2).

B.8.1. Le législateur a pu estimer qu'il était indiqué de mieux adapter la répartition des cantons judiciaires à la répartition des communes à la suite de la fusion des communes et de permettre une répartition plus équilibrée du travail (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1139/1, pp.2 et 18, n° 1-1139/4, pp. 1-2, et Chambre, 1998-1999, n° 1891/9, pp.2-3).

B.8.2. En raison de la différence de situations indiquée au B.7, il peut se justifier de manière objective et raisonnable que des mesures transitoires spécifiques soient prévues pour les juges de paix dont le canton n'est pas maintenu (article 22, §§ 2 et 3). Il reste toutefois à vérifier si les mesures dénoncées ne sont pas disproportionnées quant à leurs effets, compte tenu des principes en cause.

B.9.1. Les parties requérantes estiment que leur désignation dans un autre statut que celui de juge de paix titulaire est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 152 de la Constitution, lequel dispose : « Les juges sont nommés à vie. Ils sont mis à la retraite à un âge déterminé par la loi et bénéficient de la pension prévue par la loi.

Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement.

Le déplacement d'un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement. » B.9.2. Cette disposition constitutionnelle ne peut être considérée comme empêchant le législateur de procéder à une nouvelle délimitation du ressort territorial des cantons judiciaires qui se justifie pour les raisons de bonne administration de la justice invoquées dans les travaux préparatoires.

Le fait pour un juge de paix, autrefois autonome, d'être soumis, en vertu d'une règle objective, du fait d'une telle réorganisation, à l'autorité d'un de ses collègues pour ce qui concerne la répartition et la direction du service ne porte pas atteinte aux garanties d'indépendance dont il doit disposer dans les affaires qu'il sera amené à juger. En outre, la situation des juges de paix concernés ne peut être considérée comme un déplacement visé par l'article 152 de la Constitution.

B.10. La Cour observe que le législateur a fait usage de deux méthodes en cas de pluralité de juges de paix dans un canton dont le ressort territorial a été modifié. Dans un cas, le juge de paix reste juge de paix (compétent pour la totalité du territoire du canton), dans d'autres cas, il devient juge de complément.

Le fait que ce juge de paix devient juge de paix de complément entraîne une conséquence disproportionnée compte tenu de ce que, dans la situation comparable de pluralité de titulaires visée à l'article 22, § 2, une mesure de transition est prévue qui n'emporte pas cette même conséquence.

B.11. Les moyens sont fondés.

Par ces motifs, la Cour annule les alinéas 4 et 6 du paragraphe 3 de l'article 22 de la loi du 25 mars 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/03/1999 pub. 22/05/1999 numac 1999009407 source ministere de la justice Loi relative à la réforme des cantons judiciaires fermer relative à la réforme des cantons judiciaires.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 6 décembre 2000.

Le greffier f.f., B. Renauld.

Le président, M. Melchior.

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