publié le 01 juillet 2000
Arrêt n° 56/2000 du 17 mai 2000 Numéros du rôle : 1649, 1650 et 1765 En cause : les recours en annulation : - de la division organique 11, programme 3, allocation de base 33.05, et des articles 1 er et 38, en tant qu'ils portent - de la division organique 31, programme 1, allocation de base 33.05, et de l'article 1 er
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 56/2000 du 17 mai 2000 Numéros du rôle : 1649, 1650 et 1765 En cause : les recours en annulation : - de la division organique 11, programme 3, allocation de base 33.05, et des articles 1er et 38, en tant qu'ils portent sur cette allocation de base, du décret de la Communauté française du 3 novembre 1997 contenant le budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1998, - de la division organique 31, programme 1, allocation de base 33.05, et de l'article 1er, en tant qu'il porte sur cette allocation de base, du décret de la Communauté française du 22 décembre 1997 contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1997, introduits par le président du Parlement flamand et le Gouvernement flamand.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents G. De Baets et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, A. Arts, M. Bossuyt et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président G. De Baets, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours a. Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 23 mars 1999 et parvenues au greffe le 24 mars 1999, un recours en annulation de la division organique 11, programme 3, allocation de base 33.05, et des articles 1er et 38, en tant qu'ils concernent cette allocation de base, du décret de la Communauté française du 3 novembre 1997 contenant le budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1998 (publié au Moniteur belge du 23 septembre 1998, première édition) a été introduit respectivement par le président du Parlement flamand, Palais de la Nation, place de la Nation 2, 1000 Bruxelles, et par le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles.
Ces affaires sont inscrites respectivement sous les numéros 1649 et 1650 du rôle de la Cour. b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 septembre 1999 et parvenue au greffe le 7 septembre 1999, le Gouvernement flamand, place des Martyrs 19, 1000 Bruxelles, a introduit un recours en annulation de la division organique 31, programme 1, allocation de base 33.05, et de l'article 1er, en tant qu'il porte sur cette allocation de base, du décret de la Communauté française du 22 décembre 1997 contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1997 (publié au Moniteur belge du 4 mars 1999).
Cette affaire est inscrite sous le numéro 1765 du rôle de la Cour.
II. La procédure a. Les affaires nos 1649 et 1650 Par ordonnances du 24 mars 1999, le président en exercice a désigné les juges des sièges respectifs conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application dans ces affaires des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Par ordonnance du 31 mars 1999, la Cour a joint les affaires.
Les recours ont été notifiés conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 avril 1999.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 21 avril 1999.
Des mémoires ont été introduits par : - le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 25 mai 1999; - le président du Parlement flamand, par lettre recommandée à la poste le 26 mai 1999; - le Gouvernement flamand, par lettre recommandée à la poste le 31 mai 1999.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 20 août 1999.
Le Gouvernement de la Communauté française a introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 18 septembre 1999. b. L'affaire n° 1765 Par ordonnance du 7 septembre 1999, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 20 septembre 1999.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 2 octobre 1999.
Le Gouvernement de la Communauté française a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 2 novembre 1999.
Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettre recommandée à la poste le 17 décembre 1999. c. Les affaires jointes nos 1649, 1650 et 1765 Par ordonnance du 22 septembre 1999, la Cour a joint l'affaire n° 1765 et les affaires déjà jointes nos 1649 et 1650. Par ordonnances des 29 juin 1999 et 29 février 2000, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 23 mars 2000 et 23 septembre 2000 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 7 mars 2000, le président M. Melchior a soumis les affaire à la Cour réunie en séance plénière.
Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 29 mars 2000, après avoir invité le Gouvernement de la Communauté française à produire les pièces suite à la demande du président du Parlement flamand, au plus tard le jour de l'audience.
Cette dernière ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 9 mars 2000.
A l'audience publique du 29 mars 2000 : - ont comparu : . Me B. Maes loco Me R. Bützler et Me H. Geinger, avocats à la Cour de cassation, pour le président du Parlement flamand; . Me P. Van Orshoven, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement flamand; . Me M. Uyttendaele et Me N. Van Laer, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs A. Arts et J. Delruelle ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
III. En droit - A - Position du président du Parlement flamand A.1.1. Dans l'affaire n° 1649, le président du Parlement flamand dénonce la violation des règles répartitrices de compétences par les dispositions entreprises du décret du 3 novembre 1997 contenant le budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1998.
A.1.2. Le moyen est pris de la violation des articles 4, 127, § 2, 128, § 2, et 129, § 2, de la Constitution.
Le président du Parlement flamand soutient que l'article 4 de la Constitution souligne sans équivoque l'importance accordée par le Constituant au principe de territorialité, en particulier lorsqu'on lit cette disposition conjointement avec les autres dispositions constitutionnelles précitées, en tant que critère de partage de la compétence des Conseils des Communautés française et flamande de régler par décret, chacun pour ce qui le concerne, les matières énumérées dans ces articles, c'est-à -dire la sphère d'application dans laquelle peuvent s'exercer les compétences des communautés comme il est précisé par la Cour dans son arrêt n° 26/90. Dans le même sens, la Cour a souligné à plusieurs reprises que les articles 127 à 129 de la Constitution ont déterminé une répartition exclusive de compétence territoriale, ce qui suppose que l'objet de toute norme adoptée par un législateur décrétal puisse être localisé dans le territoire de sa compétence, de sorte que toute relation et toute situation concrètes soient réglées par un seul législateur (arrêts nos 9, 10, 17 et 29).
A.1.3. Selon le président du Parlement flamand, la Cour reconnaît que le législateur décrétal peut, il est vrai, déterminer, dans le respect des dispositions constitutionnelles, le critère ou les critères en application desquels l'objet des normes qu'il adopte est localisé, selon lui, dans son aire de compétence, sans préjudice du contrôle que la Cour exerce sur les critères choisis. Ainsi qu'il est apparu lors de l'examen de la compétence concernant la réglementation de l'emploi des langues dans les relations sociales, la Cour opère ce contrôle de constitutionnalité au regard des dispositions qui attribuent la compétence matérielle et qui contiennent les éléments sur la base desquels la validité de ces critères peut s'apprécier. Les critères de localisation doivent permettre une réelle localisation, être cohérents avec la nature de la compétence matérielle et exclure toutes les situations qui sont localisées hors de l'aire de compétence territoriale de la communauté concernée.
A.1.4. La partie requérante rappelle l'arrêt n° 54/96 du 3 octobre 1996, dans lequel la Cour considère qu'il convient d'examiner en particulier si la disposition entreprise a pour objet la promotion de la culture par la Communauté française ou si elle a une autre finalité. La Cour a constaté à l'époque que la disposition entreprise permettait, entre autres, « de financer des associations francophones situées dans les communes périphériques, toutes situées dans la région de langue néerlandaise, et dans les communes de la frontière linguistique qui sont également situées dans cette région linguistique » (B.8.2) et que cette disposition « de par la définition de son champ d'application ratione loci, [ . ] ne peut pas être considérée comme visant la promotion de la culture par la Communauté française; elle s'analyse en revanche comme une mesure de protection de la minorité francophone établie dans ces communes » (B.8.2).
Afin de démontrer l'importance de l'affectation concrète du crédit attaqué, le président du Parlement flamand « souhaite rappeler que le conseil du Gouvernement de la Communauté française - à la demande expresse de [la] Cour à l'audience du 6 juin 1996 a produit, par lettre du 7 juin 1996, adressée à [la] Cour, les arrêtés dudit Gouvernement décidant de l'octroi et de l'affectation des subventions d'un montant de 3,5 et de 7 millions de francs, soit 10,5 millions au total. Ce montant correspond au crédit visé qui a été annulé par [la] Cour ».
Pour la partie requérante, les dispositions présentement entreprises contiennent le même crédit que celui qui a été approuvé, alors que la finalité et l'affectation sont les mêmes. Elle demande à la Cour d'inviter à nouveau le Gouvernement de la Communauté française à produire les arrêtés en question.
A.1.5. Le président du Parlement flamand renvoie encore aux arrêts nos 54/96 du 3 octobre 1996 et 22/98 du 10 mars 1998 et ajoute « qu'il doit désormais être clair pour tout observateur objectif que, si l'on veut éviter que les mêmes dispositions décrétales inconstitutionnelles soient réédictées jusqu'à l'infini, il s'impose absolument d'annuler les normes budgétaires attaquées ».
A.1.6. Dans son mémoire du 26 mai 1999, le président du Parlement flamand renvoie à l'arrêt n° 50/99 du 29 avril 1999 relatif au décret de la Communauté française du 24 juillet 1997 contenant le premier ajustement du budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1997. Certes, la Cour a rejeté le recours, mais sous la réserve expresse que les dispositions entreprises ne peuvent en aucun cas être interprétées comme permettant d'affecter une partie quelconque des montants qui y sont prévus à l'aide aux associations francophones des communes à statut linguistique spécial.
La partie requérante souhaite que la lumière soit faite concernant l'affectation concrète du crédit attaqué, « aux fins d'éviter que [la] Cour doive à l'avenir et en particulier dans la présente affaire prendre une fois de plus la même décision ». La Cour doit pouvoir vérifier s'il se justifie ou non d'émettre une crainte quelconque quant à l'abus qui pourrait être fait des dispositions décrétales entreprises. Comme par le passé, le Gouvernement de la Communauté française doit être invité à produire les arrêtés dans lesquels il a décidé d'octroyer et d'affecter les crédits.
Position du Gouvernement flamand A.2.1. Le Gouvernement flamand dénonce, dans un moyen unique, la violation des articles 127, § 2, et 175, alinéa 2, de la Constitution tant par les dispositions entreprises du décret précité (affaire n° 1650) que par celles du décret de la Communauté française du 22 décembre 1997 contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1997 (affaire n° 1765). A.2.2. Il soutient qu'aux termes de l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 175, alinéa 2, de la Constitution, la fixation des moyens financiers d'une politique culturelle relève de l'acte de « régler » les matières culturelles. Dans le cadre de leurs compétences en matière culturelle, les communautés peuvent prendre toutes initiatives pour la promotion de la culture et pour concrétiser le droit de chacun à l'épanouissement culturel défini à l'article 23, alinéa 3, 5°, de la Constitution. Ce faisant, elles doivent avoir égard à la répartition exclusive de compétences territoriales que la Constitution établit, en Belgique, en matière culturelle (article 127, § 2, de la Constitution).
Les dispositions attaquées autorisent le Gouvernement de la Communauté française à accorder pour l'année budgétaire 1998, et à nouveau pour l'année budgétaire 1997, une aide aux associations francophones des communes à statut linguistique spécial. Tel qu'il est conçu par le législateur décrétal, ce crédit permet, entre autres, de financer des associations francophones établies dans les communes périphériques, toutes situées dans la région de langue néerlandaise, et dans les communes de la frontière linguistique, également situées dans cette même région linguistique. Il s'agit de communes dans lesquelles l'article 129, § 2, de la Constitution reconnaît l'existence de minorités et pour lesquelles la législation contient des mesures de protection de ces minorités.
Selon le Gouvernement flamand, ces dispositions ne peuvent pas être considérées comme visant la promotion de la culture par la Communauté française; elles s'analysent en revanche comme une mesure de protection de la minorité francophone établie dans ces communes. Il appartient à chaque législateur, dans la limite de ses compétences, d'assurer la protection des minorités, garantie entre autres par l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ni la Constitution, ni les lois de réformes institutionnelles n'instituent les Communautés flamande, française et germanophone protectrices respectivement des néerlandophones, des francophones et des germanophones dans les régions linguistiques unilingues de Belgique dont la langue n'est pas la leur. Elles ne les autorisent pas à intervenir dans ces régions linguistiques, en ce domaine, de façon unilatérale.
Il s'ensuit qu'à l'estime du Gouvernement flamand, les dispositions attaquées violent les articles 127, § 2, et 175, alinéa 2, de la Constitution et doivent être annulées. C'est pour le moins le cas en tant que ces dispositions sont interprétées comme permettant d'affecter une partie quelconque des montants qui y sont prévus à l'aide aux associations francophones des communes à statut linguistique spécial, c'est-à -dire une affectation que la Cour a jugée contraire aux règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions.
A.2.3. Dans son mémoire introduit dans l'affaire n° 1649, le Gouvernement flamand demande de déclarer fondé le recours du président du Parlement flamand et d'annuler les dispositions entreprises.
Position du Gouvernement de la Communauté française A.3.1. Le Gouvernement de la Communauté française souligne que la Communauté française n'a pas défini la sphère d'application du crédit litigieux. L'interprétation qui en est faite par la Communauté flamande ne repose sur aucun élément contenu dans le texte des dispositions en cause. Lorsqu'un décret ne formule pas de critères de localisation, sa sphère d'application territoriale est régie par l'article 127, § 2, de la Constitution lui-même et le décret ne saurait violer cette disposition constitutionnelle. C'est d'autant plus le cas que le crédit litigieux est de la même nature que celui prévu par l'article 4, alinéas 4 et 5, du décret de la Communauté française pour l'année budgétaire 1996 et portant adaptation du décret contenant le budget général des dépenses pour l'année budgétaire 1997.
Les recours en annulation de l'article nommé en dernier lieu ont été rejetés par la Cour.
Il découle de l'arrêt n° 54/96 de la Cour que les communautés peuvent prendre toutes initiatives pour la promotion de la culture, en ce compris les initiatives ayant des conséquences extraterritoriales, pour autant qu'elles ne contrecarrent pas la politique culturelle de l'autre communauté. Le Gouvernement de la Communauté française n'aperçoit pas en quoi des subventions allouées dans le cadre de l'information, de la promotion et du rayonnement de la langue française, de la culture française, de la Communauté française, de la démocratie et des droits de l'homme auraient pour effet de contrarier la politique culturelle de la Communauté flamande. Si l'on partait de cette attitude, les communautés ne pourraient prendre aucune initiative susceptible d'entraîner des conséquences en dehors du ressort de leur communauté.
A.3.2. Dans son mémoire en réponse pour les affaires jointes nos 1649-1650, le Gouvernement de la Communauté française réagit à la demande du président du Parlement flamand de produire les arrêtés relatifs à l'affectation concrète des crédits.
Selon lui, il n'y a pas lieu de vérifier, dans le débat devant la Cour, l'affectation concrète de ces crédits. Devant la Cour, seule compte la régularité des dispositions décrétales par rapport aux règles répartitrices de compétences. Seul le Conseil d'Etat apprécie la validité des arrêtés d'exécution. - B - B.1. Les recours tendent à l'annulation partielle des décrets de la Communauté française relatifs au budget général des dépenses respectivement pour les années 1997 (deuxième ajustement) et 1998, en tant qu'ils prévoient des crédits pour des subventions allouées dans le cadre de l'information, de la promotion, du rayonnement de la langue française, de la culture française, de la Communauté française, de la démocratie et des droits de l'homme (article 1er et division organique 31, programme 1, allocation de base 33.05, du décret de la Communauté française du 22 décembre 1997 contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1997 et articles 1er et 38 de la division organique 11, programme 3, allocation de base 33.05, du décret de la Communauté française du 3 novembre 1997 contenant le budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1998).
Ces programmes prévoient des crédits respectifs de 12,7 millions de francs (crédit non dissocié de 12,5 millions de francs et crédit supplémentaire de 0,2 million de francs - décret du 22 décembre 1997 - budget 1997, second ajustement) et de 12,5 millions de francs (crédit non dissocié - décret du 3 novembre 1997 - budget 1998).
B.2. Dans un moyen unique, les parties requérantes font respectivement valoir que ces dispositions ont été adoptées en violation des articles 4, 127, § 2, 128, § 2, et 129, § 2, de la Constitution (président du Parlement flamand) et en violation des articles 127, § 2, et 175, alinéa 2, de la Constitution (Gouvernement flamand).
B.3. En vertu de l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la Constitution, les Conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun pour ce qui le concerne, les matières culturelles.
Par l'effet de la lecture conjointe de cette disposition et de l'article 175, alinéa 2, de la Constitution, aux termes duquel les Conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun en ce qui le concerne, l'affectation de leurs recettes, la fixation de leurs moyens financiers destinés à la mise en oeuvre d'une politique culturelle relève de l'acte de régler les matières culturelles.
En vertu de l'article 127, § 2, de la Constitution, les décrets qui règlent, notamment, les matières culturelles ont « force de loi respectivement dans la région de langue française et dans la région de langue néerlandaise, ainsi qu'à l'égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à l'autre communauté ».
Cette disposition constitutionnelle a déterminé une répartition exclusive de compétence territoriale, ce qui suppose que l'objet de toute norme adoptée par un législateur communautaire puisse être localisé dans le territoire pour lequel il est compétent.
Ce même principe de territorialité vaut pareillement pour les compétences des communautés s'agissant des matières personnalisables et de l'emploi des langues visées aux articles 128 et 129 de la Constitution.
B.4.1. Il est fait état de la jurisprudence de la Cour et notamment de l'arrêt n° 54/96 du 3 octobre 1996 par lequel la Cour a annulé, pour cause de violation des articles 127, § 2, et 175, alinéa 2, de la Constitution, dans le décret de la Communauté française du 22 décembre 1994, la disposition qui visait à octroyer, pour l'année budgétaire 1995, un crédit de 10,5 millions de francs alloué dans le cadre du programme « Aide aux associations francophones des communes à statut linguistique spécial ».
Dans cet arrêt, la Cour a notamment considéré : « B.7.1. Dans le cadre de leur compétence en matière culturelle, les communautés peuvent prendre toute initiative pour la promotion de la culture et pour concrétiser le droit de chacun à l'épanouissement culturel défini à l'article 23, alinéa 3, 5°, de la Constitution.
Ce faisant, elles doivent avoir égard à la répartition exclusive de compétence territoriale que la Constitution établit, en Belgique, en matière culturelle (article 127, § 2, de la Constitution).
B.7.2. Cette délimitation ne signifie pas, en raison de la nature même de la promotion de la culture, que la compétence communautaire en cette matière cesse d'exister au seul motif que les initiatives prises peuvent produire des effets en dehors de la région qui, dans le domaine des matières culturelles, a été confiée aux soins de la communauté concernée conformément à l'article 127 de la Constitution.
Toutefois, ces effets extraterritoriaux potentiels des mesures de promotion de la culture ne peuvent contrarier la politique culturelle de l'autre communauté. La délimitation territoriale n'empêche pas davantage que chacun - indépendamment de la région linguistique où il se trouve - a le droit à l'épanouissement culturel qu'il choisit librement.
B.8.1. La question se pose néanmoins de déterminer si la disposition attaquée a pour objet la promotion de la culture par la Communauté française ou si elle a une autre finalité.
B.8.2. La première disposition budgétaire attaquée autorise le Gouvernement de la Communauté française à accorder une aide aux associations francophones des communes à statut linguistique spécial.
Telle qu'elle est conçue et rédigée, cette disposition permet, entre autres, de financer des associations francophones situées dans les communes périphériques, toutes situées dans la région de langue néerlandaise, et dans les communes de la frontière linguistique qui sont également situées dans cette région linguistique. Il s'agit de communes dans lesquelles l'article 129, § 2, de la Constitution reconnaît l'existence de minorités et pour lesquelles la législation contient des mesures de protection de ces minorités.
De par la définition de son champ d'application ratione loci, cette disposition ne peut pas être considérée comme visant la promotion de la culture par la Communauté française; elle s'analyse en revanche comme une mesure de protection de la minorité francophone établie dans ces communes.
B.9. Il appartient à chaque législateur, dans la limite de ses compétences, d'assurer la protection des minorités, garantie entre autres par l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Ni la Constitution, ni les lois de réformes institutionnelles n'instituent les Communautés flamande, française et germanophone protectrices respectivement des néerlandophones, des francophones et des germanophones dans les régions linguistiques unilingues de Belgique dont la langue n'est pas la leur. Elles ne les autorisent pas à intervenir dans ces régions linguistiques, en ce domaine, de façon unilatérale. » B.4.2. Les parties requérantes font valoir que les dispositions présentement entreprises sont aussi dictées par la volonté de financer des associations francophones dans les communes de la périphérie et les communes de la frontière linguistique situées dans la région de langue néerlandaise.
Le Gouvernement de la Communauté française estime que les parties requérantes confèrent aux dispositions entreprises une portée qui ne trouve pas appui dans leur texte et qu'à défaut d'un critère de localisation quelconque, le champ d'application territorial est réglé par l'article 127, § 2, de la Constitution, en sorte que ces articles ne sauraient être contraires à la disposition constitutionnelle précitée.
B.4.3. Les dispositions budgétaires attaquées ne sont pas libellées de la même façon que les dispositions annulées par la Cour.
La Cour doit rechercher l'objet réel des dispositions entreprises, qui sont rédigées en termes généraux.
B.5. Il ne peut être exigé du législateur décrétal qu'il rappelle expressément, dans chaque disposition, les règles répartitrices de compétences que les autorités d'exécution sont, autant que lui-même, censées respecter; il faut donc, même en cas de silence d'un décret d'une communauté sur ce point, présumer que le législateur décrétal se conforme auxdites règles répartitrices et, par conséquent, qu'il ne se fixe pas unilatéralement pour but la protection d'une minorité linguistique dans une région linguistique de Belgique dont la langue n'est pas celle de cette communauté.
B.6. Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable. Elle peut être démentie par la réalité. En l'espèce, des indices suffisants établissent que l'intention d'utiliser les textes en cause pour permettre le subventionnement contesté est imputable au législateur décrétal lui-même. La circonstance que le subventionnement a été exécuté ne constitue pas à elle seule un tel indice. Mais c'est bien cette intention qui apparaît des travaux préparatoires dont il ressort qu'une part indéterminée des crédits litigieux est destinée à la protection des minorités de langue française dans les communes périphériques et les Fourons (Compte rendu intégral, Parlement de la Communauté française, 1996-1997, 8 juillet 1997, p. 47 et pp. 102 et suivantes, et ibid., 17 juillet 1997, pp. 123-124, et ibid., 1997-1998, 21 octobre 1997, p. 55, et 11 mars 1998, pp. 9-10).
B.7. Le moyen est fondé.
Par ces motifs, la Cour annule - la division organique 11, programme 3, allocation de base 33.05 et les articles 1er et 38, en tant qu'ils portent sur cette allocation de base, du décret de la Communauté française du 3 novembre 1997 contenant le budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1998; - la division organique 31, programme 1, allocation de base 33.05, et l'article 1er, en tant qu'il porte sur cette allocation de base, du décret de la Communauté française du 22 décembre 1997 contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses de la Communauté française pour l'année budgétaire 1997.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 17 mai 2000.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, G. De Baets.