publié le 08 juin 2000
Arrêt n° 46/2000 du 3 mai 2000 Numéros du rôle: 1599 et 1604 En cause: les recours en annulation de l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire, inséré par l'article 2, § 2, de la loi du 5 juillet 1998 relative au règlement collectif La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges P. Martens(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 46/2000 du 3 mai 2000 Numéros du rôle: 1599 et 1604 En cause: les recours en annulation de l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire, inséré par l'article 2, § 2, de la
loi du 5 juillet 1998Documents pertinents retrouvés
type
loi
prom.
05/07/1998
pub.
31/07/1998
numac
1998011215
source
ministere des affaires economiques
Loi relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis
fermer relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis, introduits par l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles et G.-A. Dal et par l'Ordre des avocats du barreau de Liège et G. Rigo.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges P. Martens, J. Delruelle, A. Arts, M. Bossuyt et E. De Groot, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant: I. Objet des recours Par requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste les 27 et 29 janvier 1999 et parvenues au greffe les 28 janvier et 1er février 1999, l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, Palais de Justice, place Poelaert, et G.-A. Dal, avocat, ayant son cabinet à 1000 Bruxelles, rue de l'Aurore 18, d'une part, et l'Ordre des avocats du barreau de Liège, dont le siège est établi à 4000 Liège, Palais de Justice, place Saint-Lambert, et G. Rigo, avocat, ayant son cabinet à 4000 Liège, rue Beeckman 14, d'autre part, ont introduit un recours en annulation de l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire, inséré par l'article 2, § 2, de la loi du 5 juillet 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/07/1998 pub. 31/07/1998 numac 1998011215 source ministere des affaires economiques Loi relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis fermer relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis (publiée au Moniteur belge du 31 juillet 1998).
II. La procédure Par ordonnances du 28 janvier 1999 et du 1er février 1999, le président en exercice a désigné les juges des sièges conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Par ordonnance du 10 février 1999, la Cour a joint les affaires.
Les recours ont été notifiés conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 9 mars 1999.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 18 mars 1999.
Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 23 avril 1999.
Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 30 avril 1999.
Des mémoires en réponse ont été introduits par: - l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles et G.-A. Dal, par lettre recommandée à la poste le 26 mai 1999; - l'Ordre des avocats du barreau de Liège et G. Rigo, par lettre recommandée à la poste le 1er juin 1999.
Par ordonnances du 29 juin 1999 et du 23 décembre 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 27 janvier 2000 et 27 juillet 2000 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 22 décembre 1999, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 19 janvier 2000.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 24 décembre 1999.
A l'audience publique du 19 janvier 2000: - ont comparu: . Me M. Mahieu, avocat à la Cour de cassation, pour l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles et G.-A. Dal; . Me P. Henry, Me B. de Cocquéau et Me V. Thiry, avocats au barreau de Liège, pour l'Ordre des avocats du barreau de Liège et G. Rigo; . Me N. Van Laer loco Me M. Uyttendaele, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.
Par ordonnance du 1er mars 2000, la Cour a constaté que le juge H. Coremans, légitimement empêché, est remplacé comme membre du siège par le juge E. De Groot, a rouvert les débats et a fixé l'audience au 21 mars 2000.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 3 mars 2000.
A l'audience publique du 21 mars 2000: - ont comparu: . Me M. Mahieu, avocat à la Cour de cassation, pour l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles et G.-A. Dal; . Me P. Henry, avocat au barreau de Liège, pour l'Ordre des avocats du barreau de Liège et G. Rigo; . Me N. Van Laer loco Me M. Uyttendaele, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
III. En droit A Position des parties requérantes A.1. Les parties requérantes dans les deux affaires sont, d'une part, respectivement l'Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles et l'Ordre des avocats du barreau de Liège et, d'autre part, des avocats.
Les parties requérantes font valoir qu'elles ont intérêt à demander l'annulation d'une disposition qui porte atteinte au principe du secret professionnel de l'avocat.
A.2. Les requérants dans les deux affaires exposent un moyen unique d'annulation, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ils font valoir que la disposition entreprise interdit de manière générale, absolue et radicale aux avocats et à leurs clients de se prévaloir du secret professionnel lorsque les seconds ont sollicité le règlement collectif de leurs dettes, alors qu'il n'existe pas d'autre exception au caractère absolu du secret professionnel. Ils estiment que cette interdiction crée une différence de traitement injustifiable entre la procédure de règlement collectif de dettes et d'autres procédures comparables.
Ils estiment encore que l'existence d'autres mesures, considérées ensemble ou isolément, permet de réaliser, de manière suffisante, le but assigné à la disposition entreprise, et en concluent que celle-ci engendre une discrimination non susceptible de justification objective et raisonnable démontrant un rapport de proportionnalité entre la mesure qu'elle édicte et le but qu'elle poursuit.
A.3. A l'appui de leur moyen, les requérants citent plusieurs auteurs et décisions de justice qui consacrent le caractère absolu du secret professionnel de l'avocat comme principe général de droit, participant au bon fonctionnement de la justice et au respect des droits de la défense.
Les seuls tempéraments à ce caractère absolu sont l'état de nécessité et la théorie du conflit de valeurs.
Les requérants se réfèrent à l'arrêt n° 26/96 de la Cour à l'appui de leur thèse.
A.4. Les requérants font valoir que le client n'est pas maître du secret professionnel de l'avocat, et qu'il ne lui appartient pas de l'en délier. A l'appui de cette thèse, les requérants dans l'affaire n° 1599 font valoir que l'arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 1997, que certains ont interprété comme consacrant une relativisation du secret professionnel, ne peut s'interpréter autrement que comme étendant l'application de la théorie du conflit de valeurs au cas où, dans le chef du client et plus seulement de l'avocat, la levée du secret serait justifiée, ut singuli, par la préservation d'une valeur jugée supérieure.Pour les requérants, la disposition entreprise, en obligeant de manière préventive l'avocat et son client à violer le secret en révélant toutes les informations relatives à sa situation patrimoniale, que celles-ci lui soient favorables ou non, va bien au-delà de la portée de l'arrêt de la Cour de cassation.
A.5. Les requérants dans l'affaire n° 1604 font valoir que l'exception introduite par la disposition en cause est tout à fait exorbitante du droit commun. Ils estiment que l'avocat auquel il sera fait injonction de fournir certaines informations se trouvera confronté à l'alternative suivante: ou bien il confirme la situation patrimoniale du débiteur et la demande d'informations ne présente guère d'intérêt, ou bien il fournit des informations en contradiction avec celles communiquées par son client et il met ainsi sa responsabilité pénale en cause. « Il en résulte en pratique une quasi-obligation de dénonciation sur demande d'infraction pénale commise par le débiteur. » A.6. Afin d'apprécier si, en l'espèce, des motifs particuliers pourraient justifier la dérogation qu'ils dénoncent, les requérants comparent la procédure de règlement collectif de dettes avec d'autres procédures comparables, à savoir la procédure du concordat judiciaire (loi organique du 17 juillet 1997), le sursis de paiement (article 1244 du Code civil; article 38, § 1er, de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation; articles 1337bis à 1337octies du Code judiciaire) et la procédure de conciliation en matière de crédit hypothécaire (article 59, § 1er, de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire).
A l'instar de la procédure de règlement collectif des dettes, toutes ces procédures tendent à aménager, le cas échéant de manière collective, un plan d'apurement du passif à la demande et au profit d'un débiteur surendetté et malheureux. A ce titre, elles requièrent toutes dans son chef la même « bonne foi procédurale ». Mais cette exigence n'a jamais justifié la moindre entorse au secret professionnel de l'avocat, alors qu'elle justifierait dans la procédure de règlement collectif de dettes la suppression pure et simple. La disposition en cause crée donc une différence de traitement flagrante.
A.7. Les requérants dans l'affaire n° 1604 comparent par ailleurs la procédure de règlement collectif de dettes avec la procédure que peut introduire le débiteur d'aliments afin de voir sa part contributive réduite ou même supprimée en fonction de l'évolution de ses revenus.
Ils concluent de cette comparaison que le législateur n'a pas estimé devoir déroger à la règle du secret professionnel dans des procédures mettant pourtant en jeu des créances jouissant d'une discrimination positive en raison de leurs statuts.
A.8. Les parties requérantes considèrent que l'atteinte portée aux principes en cause par la mesure est totalement disproportionnée au but poursuivi. Elles rappellent que la bonne foi procédurale est une valeur dont le respect est recherché à l'occasion de tout litige civil, mais dont la préservation n'a jamais justifié que la loi supprime de manière générale, absolue et abstraite, le secret professionnel de l'avocat.
A.9. Les requérants font encore valoir que la mesure édictée par la disposition entreprise est d'autant moins proportionnée au but qui lui est assigné que ce but peut être atteint sans elle. Le souci de « bonne foi procédurale » et de « transparence patrimoniale » se satisfait en effet de l'article 1675/15 du Code judiciaire ou des dispositions du Code judiciaire régissant la requête civile, et notamment l'article 1133. En outre, l'objectif poursuivi pouvait se contenter de moyens nettement moins attentatoires aux principes en cause comme, par exemple, le « protocole » institué par l'article 334 du Code des impôts sur les revenus. A cet égard, les requérants réfutent la thèse, défendue au cours des débats parlementaires, selon laquelle on ne peut se référer à ce mécanisme, parce que les contextes sont différents. Ils estiment au contraire que dans les deux cas, il s'agit bien d'un débiteur à qui il est demandé d'exposer sa situation patrimoniale avec bonne foi, et que la démarche est d'une spontanéité relative, puisque les débiteurs sont sous la menace de leurs créanciers.
Position du Conseil des ministres A.10. Le Conseil des ministres déduit de l'article 458 du Code pénal et de décisions jurisprudentielles que le secret professionnel de l'avocat a pour raison d'être la garantie que doit avoir le client que son conseil ne révélera pas à des tiers les confidences qu'il lui a faites dans le cadre de sa profession. Il ajoute que le secret professionnel touche directement aux droits de la défense et qu'il est destiné à protéger le client et non le praticien.
A.11. Le Conseil des ministres considère que le secret professionnel n'est pas aussi absolu que le soutiennent les parties requérantes.
L'article 458 du Code pénal prévoit expressément qu'une loi peut déroger au secret et en délier le dépositaire. Il s'agit de l'obligation faite aux médecins, par les articles 55, 56 et 57 du Code civil, de donner avis à l'officier d'état civil de la naissance d'un enfant, et des dispositions qui les obligent à avertir les autorités de certaines maladies qu'ils constateraient chez leurs clients.
En outre, la jurisprudence ajoute parmi les exceptions au principe du secret professionnel, l'état de nécessité et le conflit de valeurs.
Le Conseil des ministres cite l'arrêt de la Cour de cassation du 12 novembre 1997 ainsi qu'un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes qui donnent, à son avis, une définition du secret professionnel beaucoup plus nuancée que celle des requérants. Il en découle que le client, seul maître de sa défense, doit être libre de dévoiler certains éléments couverts par le secret professionnel s'il l'estime de son intérêt, et qu'il doit pouvoir autoriser son avocat à révéler ces faits.
A.12. Le Conseil des ministres rappelle que l'objectif poursuivi par la disposition en cause est d'organiser la transparence patrimoniale du débiteur, dans le souci de garantir sa bonne foi procédurale. Il s'agit d'une mesure indispensable pour apprécier l'effectivité et l'opportunité des mesures envisagées par le médiateur de dettes et le juge des saisies. Il convenait de leur accorder de très larges pouvoirs en matière de collecte des informations, étant donné la gravité pour les créanciers des mesures qui peuvent être adoptées. La levée du secret professionnel est justifiée, dans les travaux parlementaires, par une présomption d'acceptation du débiteur. Il est capital que celui-ci collabore de bonne foi à une procédure qu'il a lui-même engagée et qui est destinée à apurer ses dettes tout en lui conservant une existence conforme à la dignité humaine.
A.13. Le Conseil des ministres estime que les références faites par les requérants aux procédures de faillite et de concordat sont dépourvues de toute pertinence puisqu'elles ne concernent que des personnes ayant la qualité de commerçant, dont le patrimoine est soumis à différentes règles de publicité qui permettent d'assurer une collecte efficace des informations.
A.14. Il estime aussi qu'il faut prendre les références aux procédures de sursis de paiement et de conciliation en matière de crédit hypothécaire avec réserve parce que les mesures qui peuvent être prises dans ces procédures sont beaucoup plus limitées pour le créancier que celles qui peuvent être prises dans le cadre d'un règlement collectif de dettes.
Il s'impose dès lors d'accorder aux créanciers concernés des garanties supplémentaires leur permettant d'avoir la certitude que le plan de règlement correspondra bien à la réalité patrimoniale du débiteur et ne leur causera pas un préjudice plus important que le bénéfice que ce dernier en retirera.
A.15. De même, il faut distinguer le règlement collectif de dettes de la procédure en réduction ou en suppression de part que peut introduire un débiteur d'aliments. Dans cette procédure, le juge procède à un examen comparatif des patrimoines des personnes concernées et doit donc les traiter de façon égale. Il ne pourrait se concevoir que le créancier d'aliments qui est attrait à la cause contre son gré ait à délier son avocat de son secret professionnel.
A.16. Le Conseil des ministres conclut que la mesure mise en cause est raisonnablement justifiée et est proportionnée à l'atteinte grave aux droits des créanciers qui peut résulter du règlement collectif de dettes.
Réponse des requérants A.17. En réponse à l'argument selon lequel le client serait maître du secret professionnel, les requérants dans les deux affaires font valoir que la disposition attaquée, loin de consacrer la maîtrise du client sur le secret, établit au contraire une présomption irréfragable de renonciation au bénéfice du secret professionnel, présomption qui pourra jouer, le cas échéant, contre l'intérêt du client. Si le client était le seul maître du secret, il serait inévitablement amené à en délier ses confidents afin de démontrer ainsi sa « bonne foi ».
A.18. Les requérants dans l'affaire n° 1599 dénoncent en outre l'argumentation du Conseil des ministres selon laquelle la renonciation à la protection du secret par le client serait le prix à payer pour obtenir la faveur qu'il sollicite du juge et de ses créanciers. Pour les requérants, la situation obérée du justiciable et les initiatives judiciaires qu'il prend en vue de résorber cette situation ne peuvent en aucune manière justifier une suppression des garanties procédurales dont seraient pourvus les justiciables mieux nantis. Les requérants dans l'affaire n° 1604 font en outre valoir que la procédure impose au débiteur des efforts importants qui vont bien au-delà de ceux imposés à tout débiteur et qui profiteront à la masse des créanciers.
A.19. Quant à la comparaison avec les autres procédures, les requérants dans l'affaire n° 1599 font remarquer que la distinction entre commerçants et non-commerçants est inexacte. Les dispositions de la loi hypothécaire et les articles 1390bis et suivants du Code judiciaire instituent aussi un régime de publicité pour les non-commerçants, régime plus efficace et plus fiable que celui qui est prévu pour les commerçants. Les requérants dans l'affaire n° 1604 font remarquer que les règles de publicité pour les commerçants personnes physiques sont extrêmement limitées, de même que pour les non-commerçants.
De même, les requérants dans les deux affaires contestent que le préjudice éventuel subi par les créanciers soit plus important dans la procédure du règlement collectif de dettes que dans les procédures comparées.
Enfin, ils estiment que la justification de la mesure par référence à l'atteinte portée aux droits des créanciers n'est pas pertinente car, potentiellement, toute procédure judiciaire comporte des enjeux relatifs aux droits patrimoniaux des parties et est susceptible d'avoir des conséquences importantes sur leurs droits réels et personnels. Ils font enfin valoir que ce n'est pas la procédure elle-même qui porte atteinte aux droits des créanciers, mais bien la situation de surendettement du débiteur.
B Quant à l'objet des recours B.1. Les requérants demandent l'annulation partielle de l'article 1675/8, inséré dans le Code judiciaire par l'article 2, § 2, de la loi du 5 juillet 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/07/1998 pub. 31/07/1998 numac 1998011215 source ministere des affaires economiques Loi relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis fermer relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis.
Cet article est ainsi rédigé: « A moins que cette mission ne lui ait été confiée par la décision d'admissibilité, le médiateur de dettes chargé d'une procédure de règlement amiable ou judiciaire des dettes peut s'adresser au juge, conformément à l'article 1675/14, § 2, alinéa 3, pour qu'il soit fait injonction au débiteur ou à un tiers de lui fournir tous renseignements utiles sur des opérations accomplies par le débiteur et sur la composition et la localisation du patrimoine de celui-ci.
En toute hypothèse, le tiers tenu au secret professionnel ou au devoir de réserve ne peut se prévaloir de celui-ci. Les articles 877 à 882 lui sont applicables. » Seul l'alinéa 2 de la disposition est visé par les requérants. Il est rédigé de manière générale et concerne tout tiers tenu au secret professionnel ou au devoir de réserve. Les requêtes font cependant apparaître qu'il n'est mis en cause qu'en ce qui concerne le secret professionnel des avocats. La Cour n'examinera l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire qu'en tant qu'il empêche un avocat de se prévaloir du secret professionnel lorsqu'il est saisi d'une demande de renseignements sur les opérations accomplies, sur la composition et sur la localisation du patrimoine du débiteur qui a introduit une requête en règlement collectif de dettes et dont la requête a été acceptée par le juge.
Quant au fond B.2. Les requérants dans les deux affaires formulent un moyen unique d'annulation, pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ils considèrent que l'interdiction générale, absolue et radicale faite aux avocats ainsi qu'à leurs clients de se prévaloir du secret professionnel comporte une atteinte disproportionnée à leurs droits, compte tenu de l'importance fondamentale de ce principe, et que cette disposition introduit dès lors une discrimination non objectivement justifiable entre la procédure du règlement collectif de dettes et d'autres procédures comparables.
B.3. En levant de manière absolue le secret professionnel lorsque, dans la procédure de règlement collectif de dettes, le juge fait injonction à l'avocat du débiteur de lui fournir des renseignements couverts par ce secret, la disposition en cause introduit une différence de traitement entre le débiteur et son avocat engagés dans cette procédure, d'une part, et les débiteurs et leurs avocats qui se trouvent engagés dans d'autres procédures judiciaires, d'autre part.
B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5. La procédure du règlement collectif de dettes vise à rétablir la situation financière du débiteur surendetté en lui permettant notamment dans la mesure du possible de payer ses dettes et en lui garantissant simultanément ainsi qu'à sa famille qu'ils pourront mener une vie conforme à la dignité humaine (articles 1675/3, alinéa 3, du Code judiciaire). La situation financière de la personne surendettée est globalisée, et celle-ci est soustraite à la pression anarchique des créanciers. Par ailleurs, la loi veille à l'égalité entre ces derniers.
B.6. Dans ce cadre, l'article 1675/8 vise à assurer la transparence patrimoniale du débiteur, afin d'éviter que la procédure soit utilisée de manière abusive par des débiteurs solvables qui occulteraient tout ou partie de leur patrimoine saisissable. Afin d'atteindre cet objectif, le législateur a estimé qu'il était nécessaire de lever le secret professionnel (Doc. parl., Chambre, 1996-1997, nos 1073-1074/1, p. 33). B.7. La levée du secret professionnel de l'avocat est une mesure pertinente pour atteindre l'objectif décrit ci-dessus. En empêchant l'avocat de se prévaloir du secret, le législateur donne au juge et au médiateur de dettes un moyen de s'assurer que la procédure se déroulera dans la transparence complète du patrimoine du débiteur.
B.8.1. La Cour doit encore examiner si la mesure est raisonnablement proportionnée au but poursuivi.
S'il est vrai que la règle du secret professionnel doit céder lorsqu'une nécessité l'impose ou lorsqu'une valeur jugée supérieure entre en conflit avec elle, la Cour observe que l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire établit une levée du secret professionnel absolue et a priori. Les travaux préparatoires justifient cette mesure par une renonciation implicite à laquelle procéderait le débiteur en introduisant sa demande de règlement collectif de dettes. Une telle renonciation, présumée, anticipée, et accomplie sans que celui qui la fait ne puisse évaluer sur quel objet précis elle portera et si elle n'est pas, éventuellement, contraire à ses intérêts, ne saurait justifier, au même titre que la théorie de l'état de nécessité ou du conflit de valeurs, une atteinte de cette ampleur à la garantie que représente pour le débiteur et pour son avocat, le secret professionnel.
B.8.2. La Cour observe en outre que le juge peut, en vertu de l'article 1675/15 du Code judiciaire, prononcer la révocation de la décision d'admissibilité de la demande de règlement collectif de dettes lorsque le débiteur fait preuve de mauvaise foi procédurale.
B.9. Il découle de ce qui précède que l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire, en ce qu'il prévoit que des avocats saisis d'une demande d'informations sur le patrimoine d'une personne qui est en procédure de règlement collectif de dettes ne peuvent se prévaloir du secret professionnel, n'est pas raisonnablement proportionné à l'objectif poursuivi.
Par ces motifs, la Cour annule l'article 1675/8, alinéa 2, du Code judiciaire, inséré par l'article 2, § 2, de la loi du 5 juillet 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/07/1998 pub. 31/07/1998 numac 1998011215 source ministere des affaires economiques Loi relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis fermer relative au règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles saisis, en tant qu'il s'applique aux avocats.
Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 3 mai 2000.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, M. Melchior.