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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 06 avril 2000

Arrêt n° 21/2000 du 23 février 2000 Numéro du rôle : 1480 En cause : le recours en annulation partielle de l'article 3, alinéas 2 et 3, du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 modifiant certaines dispositions en matière d'enfance La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges H. Boel, E(...)

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Arrêt n° 21/2000 du 23 février 2000 Numéro du rôle : 1480 En cause : le recours en annulation partielle de l'article 3, alinéas 2 et 3, du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 modifiant certaines dispositions en matière d'enfance et d'aide à la jeunesse, introduit par l'a.s.b.l. Bureau d'accueil et de défense des jeunes et par V. Macq.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et G. De Baets, et des juges H. Boel, E. Cerexhe, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée de la référendaire B. Renauld, faisant fonction de greffier, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 4 décembre 1998 et parvenue au greffe le 7 décembre 1998, un recours en annulation partielle de l'article 3, alinéas 2 et 3, du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 modifiant certaines dispositions en matière d'enfance et d'aide à la jeunesse (publié au Moniteur belge du 6 juin 1998) a été introduit par l'a.s.b.l. Bureau d'accueil et de défense des jeunes, dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, rue du Marché-aux-Herbes 27, et par V. Macq, demeurant à 1348 Louvain- la-Neuve, rue des Echassiers 1.

II. La procédure Par ordonnance du 7 décembre 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 30 décembre 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 15 janvier 1999.

Le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 9 février 1999.

Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettre recommandée à la poste le 2 mars 1999.

Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse par lettre recommandée à la poste le 31 mars 1999.

Par ordonnances du 26 mai 1999 et du 30 novembre 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 7 décembre 1999 et 7 juin 2000 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 10 novembre 1999, le président en exercice a complété le siège par le juge M. Bossuyt.

Par ordonnance du 10 novembre 1999, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 7 décembre 1999 après avoir invité les parties à s'expliquer sur l'incidence sur le recours de la nomination du deuxième requérant comme stagiaire judiciaire (parue au Moniteur belge du 15 septembre 1999).

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 15 novembre 1999.

A l'audience publique du 7 décembre 1999 : - ont comparu : . Me A. Bedoret, avocat au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes; . Me J. Martens loco Me E. Lemmens, avocats au barreau de Liège, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs E. Cerexhe et H. Boel ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. Objet de la disposition entreprise L'article 3 du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 dispose ainsi : « L'article 11 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'Aide à la jeunesse est remplacé par la disposition suivante :

Art. 11.A tout moment, les avocats des personnes intéressées visées à l'article 1er, 1° à 5°, peuvent prendre connaissance de toutes les pièces du dossier du conseiller ou du directeur selon les modalités prévues par le Gouvernement, à l'exception des pièces portant la mention « confidentiel » communiquées au conseiller ou au directeur par les autorités judiciaires.

Les intéressés peuvent prendre connaissance personnellement des pièces qui les concernent, à l'exclusion des rapports médico-psychologiques et des pièces communiquées pour information au conseiller ou au directeur par les autorités judiciaires.

La délivrance d'une copie des pièces dont la consultation est demandée, est soumise au paiement d'une rétribution fixée à 10 francs par page de document copié. Ce montant est lié à l'indice pivot 124,36 au 1er janvier 1997 et varie conformément aux dispositions de la loi du 1er mars 1977Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/03/1977 pub. 05/03/2009 numac 2009000107 source service public federal interieur Loi organisant un régime de liaison à l'indice des prix à la consommation du Royaume de certaines dépenses dans le secteur public. - Coordination officieuse en langue allemande fermer organisant un régime de liaison à l'indice des prix à la consommation du royaume de certaines dépenses du secteur public. Si le montant de la rétribution ainsi indexé comporte des décimales, il est arrondi à l'unité inférieure. » IV. En droit - A - Quant à l'intérêt des parties requérantes Position des parties requérantes A.1. La première partie requérante est une association sans but lucratif qui, aux termes de l'article 3, 4, alinéa 2, des statuts, peut, "en vue de compléter ou de réaliser ses objets, créer et/ou gérer des services notamment sur les droits des jeunes, l'accueil, l'information et l'assistance aux personnes". Cette disposition a été complétée par une décision prise lors de l'assemblée générale du 23 février 1989, libellée comme suit : « Le service droit des jeunes a comme objectif particulier une aide aux jeunes et aux familles visant à reconnaître leur autonomie et à parvenir [à] enrayer leur exclusion sociale par le recours exclusif au droit comme outil de travail social, en ce compris leur assistance et représentation visée à l'article 728, § 3, alinéa 3, du Code judiciaire ».

La première partie requérante poursuit non seulement une action individuelle mais un intérêt collectif qui se fonde sur la notion de travail communautaire tel qu'il est défini par l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 24 avril 1995. Cet intérêt n'est pas limité à l'intérêt individuel de ses membres. La norme entreprise affecte l'objet social de la première partie requérante. En outre, elle est affectée directement et défavorablement par la norme entreprise. En effet, le projet pédagogique des services de droit des jeunes prévoit explicitement une transparence maximale. Lesdits services reconnaissent, comme postulat de départ, l'autonomie des jeunes et des familles qui s'adressent à eux.

L'autorisation donnée aux conseiller et directeur de l'aide à la jeunesse par le décret attaqué de conserver des pièces dont les parties n'ont pas connaissance affecte directement l'action individuelle que le service droit des jeunes est amené à assurer au public qui s'adresse à lui.

Position du Gouvernement de la Communauté française A.2. Non seulement la première partie requérante n'a pas annexé à la requête la décision par laquelle le conseil d'administration a décidé d'introduire le recours, ce qui rend le recours irrecevable, mais elle ne se prévaut pas de la défense d'un intérêt collectif. Son objet social ne semble pas distinct de l'intérêt général. Par ailleurs, comme il est défini par elle, l'intérêt revendiqué par la première partie requérante semble être de même nature que l'intérêt du second requérant.

Quant à l'intérêt du second requérant Position des parties requérantes A.3. Le second requérant, qui est avocat, est amené, en cette qualité, à défendre des justiciables visés par les procédures organisées par le décret attaqué. Pour l'exercice de cette mission, la connaissance et l'étude du dossier soumis au conseiller de l'aide à la jeunesse, au directeur de l'aide à la jeunesse ou aux juridictions de la jeunesse sont d'une importance capitale. Il est donc affecté directement et défavorablement, par un intérêt personnel et distinct de celui de ses clients, par la norme entreprise qui l'empêche de pouvoir exercer son métier le plus efficacement possible et d'engager sa responsabilité en connaissance de cause.

Position du Gouvernement de la Communauté française A.4. Le second requérant n'a pas intérêt à attaquer la disposition entreprise, la connaissance du dossier soumis aux juridictions de la jeunesse étant étrangère aux dispositions décrétales dont l'annulation est demandée.

En outre, même si la Cour devait considérer que les parties requérantes démontrent à suffisance leur intérêt à agir, la Cour a dit pour droit dans son arrêt n° 69/93 que "la situation des requérants agissant en qualité d'avocats n'est susceptible [d'être directement et défavorablement affectée] que dans la mesure où ces dispositions feraient grief aux clients dont ils assurent la défense. Un tel intérêt ne peut être considéré comme suffisamment direct au regard des exigences de la Constitution et de la loi spéciale".

En l'espèce, cet intérêt n'est pas établi.

Quant au fond Sur le premier moyen d'annulation Position des parties requérantes A.5.1. Un premier moyen est pris de la violation par la disposition entreprise des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, en ce que la disposition attaquée autorise implicitement mais certainement les autorités judiciaires à communiquer des pièces relatives à une information judiciaire ou à une instruction au conseiller ou au directeur de l'aide à la jeunesse, introduisant ainsi une exception ou une limitation au secret de l'information judiciaire ou de l'instruction tel qu'organisé respectivement par les articles 28quinquies, § 1er, et 57, § 1er, du Code d'instruction criminelle. Or, l'information judiciaire et l'instruction sont une compétence réservée à l'Etat en vertu de l'article 77, alinéa 1er, 9°, de la Constitution et il ne peut être dérogé au principe du secret de l'information et de l'instruction que par voie de disposition légale uniquement.

A.5.2. L'objectif du décret, au termes mêmes des travaux préparatoires, est d'inciter les autorités judiciaires à transmettre des documents et informations couverts par le secret de l'information ou de l'instruction aux conseiller et directeur de l'aide à la jeunesse. Aucune disposition légale n'autorise cette violation du secret et la norme attaquée ne peut en constituer une puisqu'elle est prise par la Communauté française dans une matière qui n'est pas de sa compétence. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement de la Communauté française, le secret de l'information ou de l'instruction ne relèvent pas du secret professionnel. En outre, invoquer, comme le fait le même Gouvernement, le partage du secret professionnel, à supposer qu'il s'agisse de cela - quod non -, pour justifier la transmission d'informations et l'interdiction d'accès à celles-ci par les particuliers, les personnes qui les accompagnent et dans certains cas les avocats, est abusif.

Position du Gouvernement de la Communauté française A.6.1. Le premier moyen manque en fait et en droit.

A.6.2. La disposition entreprise n'a ni pour objet ni pour effet de solliciter ou d'autoriser la communication de pièces par les autorités judiciaires, lesquelles déterminent seules s'il y a lieu ou non d'informer le conseiller ou le directeur de l'aide à la jeunesse des situations de danger dont elles ont connaissance, encourues par des jeunes ou des enfants.

A.6.3. Subsidiairement, l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles habilite le législateur décrétal à adopter cette norme dans la mesure où celle-ci constitue, conformément à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, un complément indispensable des règles qu'il édicte et qui sont de sa compétence.

Quant au second moyen d'annulation Position des parties requérantes A.7.1. Un second moyen d'annulation est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution en combinaison avec le principe général de droit de l'égalité des armes, avec les articles 6, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 32 de la Constitution.

A.7.2. Une première discrimination est instaurée entre les personnes intéressées et leurs avocats ayant accès devant le conseiller ou le directeur de l'aide à la jeunesse à un dossier dont aucune pièce n'est marquée confidentielle, d'une part, et les personnes intéressées et leurs avocats ayant accès devant le conseiller ou le directeur de l'aide à la jeunesse à un dossier dont une ou plusieurs pièces sont marquées confidentielles, d'autre part.

Cette discrimination est contraire à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui institue la garantie du droit à un procès équitable, au principe de l'égalité des armes, ainsi qu'aux articles 8 et 10 de la même Convention, qui garantissent le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la liberté d'opinion et à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations et, enfin, à l'article 32 de la Constitution puisque la norme entreprise limite le droit des avocats et des personnes intéressées de consulter des documents qui les concernent.

A.7.3. Une seconde discrimination est instaurée entre les personnes intéressées bénéficiant de l'assistance d'un avocat, d'une part, et les personnes intéressées ne bénéficiant pas de l'assistance d'un avocat, d'autre part.

Position du Gouvernement de la Communauté française A.8.1. Les parties requérantes ne démontrent pas qu'elles appartiennent à une catégorie de personnes qui, par rapport à d'autres catégories auxquelles elles pourraient être comparées, seraient traitées de manière discriminatoire par les dispositions qu'elles critiquent.

A.8.2. Dès lors que ni l'article 142 de la Constitution ni la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage n'ont conféré à celle-ci le pouvoir d'annuler des règles législatives pour violation directe des règles d'un traité international, la Cour ne peut examiner les griefs invoqués que dans la mesure où ils se fondent sur les articles 10 et 11 de la Constitution, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

A.8.3. Subsidiairement, en ce qui concerne la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, les décisions prises par les conseiller et directeur de l'aide à la jeunesse ne sont pas de caractère juridictionnel. Ceux-ci sont des autorités administratives. C'est au tribunal de la jeunesse qu'il appartient toujours de trancher les contestations relatives à l'accord ou à la mise en uvre de leurs décisions.

A.8.4. Les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne sont pas non plus violés en l'espèce. En effet, les dispositions décrétales dont l'annulation est demandée peuvent être considérées comme constituant "une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire . à la sûreté publique, . à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" (article 8.2 de la Convention), ou comme "des mesures nécessaires, dans une société démocratique, . à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire" (article 10.2 de la Convention).

A.8.5. L'article 32 de la Constitution n'est pas non plus violé puisque les procès-verbaux et pièces issus d'informations ou d'instructions judiciaires ne constituent pas des documents au sens de l'article 32 de la Constitution.

A.8.6. A titre plus subsidiaire encore, il existe des critères de différenciation susceptibles de justification objective et raisonnable, et un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Le but poursuivi par la modification de l'article 11 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse est d'assurer la meilleure information possible du conseiller et du directeur de l'aide à la jeunesse tant au sujet de l'existence qu'au sujet de la nature des difficultés et des dangers encourus par les jeunes au sens du décret du 4 mars 1991, auxquels le décret a pour fin d'apporter l'aide spécialisée. Pour réaliser cet objectif, il est de l'intérêt essentiel des jeunes en difficulté ou en danger que les informations détenues par les autorités judiciaires sur les dangers encourus par ceux-ci puissent être portées à la connaissance du conseiller ou du directeur de l'aide à la jeunesse. Il peut par contre être jugé opportun de ne pas communiquer certaines pièces au jeune ou à ses parents. Mais il peut ne pas être déraisonnable que l'autorité judiciaire puisse choisir d'accepter que soient communiquées certaines des informations qu'elle détient dans le cadre d'instructions ou d'informations judiciaires à l'avocat du jeune ou à sa famille. Il reste que ces mêmes autorités judiciaires peuvent raisonnablement estimer qu'il n'y a pas lieu de transmettre certaines pièces à l'avocat du jeune en difficulté. Cette question ne relevant par ailleurs pas du législateur décrétal, pas plus d'ailleurs que de la Cour. - B - Quant au désistement de la partie requérante V. Macq B.1. A l'audience du 7 décembre 1999, la partie requérante V. Macq a demandé à la Cour de prendre acte de son désistement du recours en annulation au motif qu'ayant été nommé stagiaire judiciaire, "il estime qu'à l'heure actuelle il est sans intérêt à agir devant la Cour".

Le Gouvernement de la Communauté française a déclaré ne pas s'opposer au désistement.

Rien n'empêche la Cour, en l'espèce, de décréter le désistement.

Quant à la recevabilité de l'a.s.b.l. Bureau d'accueil et de défense des jeunes Quant à la capacité d'agir de la partie requérante B.2.1. Le Gouvernement de la Communauté française soutient que l'a.s.b.l. Bureau d'accueil et de défense des jeunes n'a pas la capacité requise pour ester en justice à défaut d'avoir produit la copie de l'extrait du procès-verbal de la réunion du conseil d'administration tenue le 30 novembre 1998 relatif à la décision du conseil d'administration d'introduire un recours en annulation et de donner mandat à cette fin.

B.2.2. L'a.s.b.l. Bureau d'accueil et de défense des jeunes a joint à son mémoire en réponse la copie demandée.

B.2.3. L'exception est rejetée.

Quant à l'intérêt de la partie requérante B.3.1. Le Gouvernement de la Communauté française soutient également que la partie requérante ne justifie pas de l'intérêt requis en droit à défaut d'établir qu'elle pourrait être affectée défavorablement par l'article 3, alinéas 2 et 3, du décret de la Communauté française du 6 avril 1998 modifiant l'article 11 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse.

B.3.2. L'article 11 du décret de la Communauté française du 4 mars 1991 relatif à l'aide à la jeunesse disposait : « A tout moment, les avocats des personnes intéressées visées à l'article 1er, 1° à 5°, peuvent prendre connaissance de toutes les pièces du dossier du conseiller ou du directeur selon les modalités prévues par l'Exécutif.

Les intéressés peuvent prendre connaissance personnellement des pièces qui les concernent, à l'exclusion des rapports médico-psychologiques. » Aux termes de l'article 1er, 1° à 5°, du même décret, les personnes "intéressées" sont les : « 1° jeune : la personne âgée de moins de dix-huit ans ou celle de moins de vingt ans pour laquelle l'aide est sollicitée avant l'âge de dix-huit ans; 2° enfant : le jeune âgé de moins de dix-huit ans;3° famille : les personnes avec qui le jeune est dans un lien de filiation ainsi que le tuteur et le protuteur;4° familiers : les personnes qui composent le milieu familial de vie du jeune en ce compris les parents d'accueil; 5° parent d'accueil : la personne à qui est confiée la garde du jeune soit par les parents de celui-ci, soit par une instance de placement ou une administration publique, soit par un organisme d'adoption;".

B.3.3. La partie requérante, dont l'objet social est, entre autres, de "créer et/ou [de] gérer des services notamment sur les droits des jeunes, l'accueil, l'information et l'assistance aux personnes" et qui "a comme objectif particulier une aide aux jeunes et aux familles visant à reconnaître leur autonomie et à parvenir [à] enrayer leur exclusion sociale par le recours exclusif au droit comme outil de travail social, en ce compris leur assistance et représentation visées à l'article 728, § 3, alinéa 3, du Code judiciaire", peut être affectée dans son objet social par des dispositions qui limitent l'accès à certaines informations soit des personnes dont elles prétendent défendre les intérêts soit des avocats de ces personnes.

B.3.4. L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

Quant au fond Quant au premier moyen B.4. Le premier moyen est pris de la violation par les alinéas 2 et 3 de l'article 3 du décret attaqué de la Communauté française du 6 avril 1998 des règles répartitrices de compétences entre l'Etat, les communautés et les régions. La partie requérante soutient que cette disposition autorise implicitement mais certainement les autorités judiciaires à communiquer au conseiller ou au directeur de l'aide à la jeunesse des pièces relatives à une information judiciaire ou à une instruction et introduirait ainsi une exception ou une limitation au secret de l'information judiciaire ou de l'instruction telles qu'elles sont organisées par les articles 28quinquies, § 1er, et 57, § 1er, du Code d'instruction criminelle. La compétence de déroger au principe du secret de l'information et de l'instruction étant, selon la partie requérante, réservée à l'Etat en vertu de l'article 77, alinéa 1er, 9°, de la Constitution, une disposition décrétale, comme celle qui est attaquée en l'espèce, ne saurait y déroger sans violer cette disposition constitutionnelle.

B.5. Contrairement à ce que soutient la partie requérante, l'article attaqué du décret n'a ni pour objet ni pour effet d'apporter une exception, même implicite, au principe du secret de l'information et de l'instruction.

La disposition attaquée qui interdit la transmission par le directeur ou le conseiller de l'aide à la jeunesse de toutes les pièces communiquées par les autorités judiciaires aux personnes intéressées et de ces mêmes pièces lorsqu'elles portent la mention "confidentiel" aux avocats de ces personnes ne constitue aucune ingérence dans le droit exclusif des autorités judiciaires de déterminer les pièces qui peuvent être communiquées au directeur et au conseiller dans le respect du principe du secret de l'information et de l'instruction. En aucun cas, en effet, la disposition attaquée n'autorise ni ne contraint les autorités judiciaires à transmettre des informations aux directeur et conseiller précités. De même, le décret attaqué ne porte pas atteinte au choix de l'opportunité réservé aux autorités judiciaires de mentionner que certaines des pièces qu'elles communiquent seront confidentielles et ne pourront, dès lors, pas être consultées par les avocats des personnes intéressées.

Le premier moyen n'est pas fondé.

Quant au second moyen B.6. Le second moyen est pris de la violation par les alinéas 2 et 3 attaqués de l'article 3 du décret précité de la Communauté française du 6 avril 1998 des articles 10 et 11 de la Constitution lus en combinaison avec le principe général du droit à l'égalité des armes, avec les articles 6, 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 32 de la Constitution. Tout d'abord, une première discrimination serait instaurée entre les personnes intéressées et leurs avocats lorsqu'aucune pièce transmise au directeur ou au conseiller de l'aide à la jeunesse n'est marquée confidentielle, d'une part, et les personnes intéressées et leurs avocats lorsqu'une ou plusieurs pièces sont marquées confidentielles, d'autre part. Une deuxième discrimination serait par ailleurs instaurée entre les personnes intéressées bénéficiant de l'assistance d'un avocat, d'une part, et les personnes intéressées ne bénéficiant pas de l'aide d'un avocat, d'autre part.

B.7. Selon les travaux préparatoires, le décret de la Communauté française dont l'article 3 est attaqué a un caractère essentiellement technique (Doc., Parlement de la Communauté française, 1997-1998, n° 223-8, p. 2). Le décret de la Communauté française du 4 mars 1991 a institué un certain nombre de droits pour les jeunes et les familles en difficulté qui peuvent obtenir des mesures d'aide auprès du directeur ou du conseiller de l'aide à la jeunesse quand une intervention du tribunal de la jeunesse a été estimée nécessaire. Ce même décret s'est basé sur le principe de la nécessité d'une transparence dans l'action de ces autorités afin d'obtenir l'adhésion des personnes concernées. Cependant, la mise en application concrète de ce décret a révélé des difficultés et plus particulièrement dans le cadre de la transmission par les autorités judiciaires des informations concernant les jeunes et les familles (ibid.).

Le décret attaqué du 6 avril 1998 a pour objectif le respect du caractère confidentiel des pièces désignées comme telles par les autorités judiciaires, réservant ainsi leur connaissance aux seuls directeur ou conseiller d'une part et, d'autre part, pour les rapports médico-psychologiques, en réservant leur connaissance aux seuls avocats des personnes intéressées. Cette exception a été justifiée par le souci de fournir au directeur ou au conseiller de l'aide à la jeunesse des informations permettant de constater un état de danger pour des jeunes mais aussi celui de préserver de la connaissance des intéressés des informations troublantes, dangereuses ou choquantes tenant par exemple à d'éventuelles négligences parentales, à des hypothèses d'un viol d'un enfant par l'un de ses proches, à de graves perturbations d'ordre psychologique ou moral (ibid.). Il est aussi précisé dans les mêmes travaux préparatoires que toutes ces mesures s'inscrivent dans une phase non judiciaire d'une intervention vis-à-vis des jeunes et de leurs familles puisque le directeur ou le conseiller interviennent après que le tribunal a statué sur l'état de danger du mineur, c'est-à-dire après le jugement (ibid., p. 6). Il a aussi été précisé que si l'avocat déclare qu'il n'accepte pas la mesure proposée s'il ne dispose pas de la faculté de consulter l'ensemble des pièces du dossier, le dossier sera transmis au juge de la jeunesse selon les dispositions du droit fédéral (ibid.).

B.8.1. Il résulte de ce qui précède qu'en ce qui concerne la première discrimination invoquée, la Cour constate que la différence de traitement alléguée est raisonnablement justifiée au regard des objectifs définis par le législateur décrétal et rappelés en B.7, objectifs aux termes desquels les autorités judiciaires peuvent estimer ne devoir transmettre qu'au directeur et au conseiller d'aide à la jeunesse certaines pièces d'un dossier et ce, en raison de leur caractère troublant, choquant ou dangereux. Pour le surplus, ce sont les autorités judiciaires et non la disposition attaquée du décret qui déterminent si certaines pièces seront ou non marquées du sceau de la confidentialité.

B.8.2. Il résulte de ceci que, de ce point de vue, la discrimination qui pourrait exister quant à la violation du principe de l'égalité des armes garantie par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne saurait être établie. Il résulte par ailleurs des travaux préparatoires précités du décret (supra, B.7) qu'il ne saurait y avoir de violation du principe de l'égalité des armes entre les avocats et les personnes intéressées, d'une part, et le directeur ou le conseiller à l'aide à la jeunesse, d'autre part, puisque le décret attaqué se situe dans une phase non juridictionnelle de l'aide aux jeunes en difficulté et que si le jeune ou son avocat refusent une mesure proposée, c'est au tribunal de la jeunesse qu'il appartient, aux termes de l'article 37 du même décret, de trancher les contestations selon les procédures instituées par la loi fédérale.

B.8.3. Pour les mêmes motifs que ceux invoqués en B.8.2 et pour celui plus précis que l'article 32 de la Constitution exclut expressément du principe de la transparence administrative les procès-verbaux et les pièces issus d'informations ou d'instructions judiciaires, il ne saurait être porté atteinte de manière discriminatoire par le décret attaqué à l'article 32 de la Constitution.

B.8.4. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux invoqués en B.8.2. et pour celui plus précis tiré de l'examen des travaux préparatoires cités en B.7, les mesures prises par le décret limitant, dans une phase non juridictionnelle de l'aide à la jeunesse, la communication aux avocats ou aux personnes intéressées de certaines pièces du dossier peuvent être considérées comme nécessaires "à la sûreté publique [ . ], à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui" (article 8.2 de la Convention européenne des droits de l'homme) ou comme "des mesures nécessaires, dans une société démocratique, [ . ] à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire" (article 10.2 de la Convention européenne des droits de l'homme).

B.9. En ce qui concerne la seconde discrimination invoquée, à savoir entre les personnes intéressées qui ont un avocat et celles qui n'en ont pas, la Cour rappelle d'abord que la disposition attaquée du décret concerne une phase non juridictionnelle de l'aide à la jeunesse qui justifie, comme il a été relevé en B.7, que les interventions du directeur ou du conseiller de l'aide à la jeunesse puissent être faites en connaissance de cause en épargnant toutefois aux personnes intéressées par cette intervention la communication de pièces troublantes, choquantes ou dangereuses. La Cour constate ensuite que le législateur décrétal a pu raisonnablement considérer que, dans cette phase non juridictionnelle, les avocats des personnes intéressées qui ont accès à certaines pièces du dossier sont à même d'apprécier de quelles pièces ils estimeront être en état de communiquer le contenu à leur client, en sorte que les personnes intéressées qui n'ont pas d'avocat ne sont pas nécessairement dans une situation différente, quant à l'accès aux pièces, des personnes qui ont un avocat. Enfin, la Cour rappelle que toutes les personnes intéressées, qu'elles aient ou non un avocat, peuvent toujours, si elles estiment ne pas pouvoir accepter une décision du directeur ou du conseiller de l'aide à la jeunesse, en raison notamment de ce qu'elles n'auraient pas connaissance de toutes les pièces du dossier, s'adresser au tribunal de la jeunesse.

B.10. Il résulte de ce qui précède que le second moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour - décrète le désistement de V. Macq; - rejette le recours pour le surplus.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 23 février 2000.

Le greffier f.f., B. Renauld.

Le président, M. Melchior.

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