publié le 11 septembre 1999
Arrêt n° 51/99 du 5 mai 1999 Numéro du rôle : 1325 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 394, § 1 er , du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Nivelles. La Co composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerex(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 51/99 du 5 mai 1999 Numéro du rôle : 1325 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 394, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Nivelles.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 1er avril 1998 en cause de N. Martiny contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 14 avril 1998, le Tribunal de première instance de Nivelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 394, § 1er, du Code des impôts sur les revenus est-il conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où il pratique une distinction entre, d'une part, les conjoints de personnes débitrices de n'importe quelle dette, autre que des impôts sur les revenus, et, d'autre part, les conjoints de personnes débitrices d'impôts sur les revenus, dans la mesure où les premiers ne peuvent jamais, hormis le cas de fraude, subir le recouvrement sur leurs biens propres, de dettes de leur conjoint, tandis que les seconds ne peuvent échapper à un tel recouvrement sur leurs biens propres, [que] si, d'une part, ils font la preuve du caractère propre de ces biens et où, d'autre part, ils établissent en outre, soit qu'ils possédaient ces biens avant le mariage, soit qu'ils proviennent d'une succession ou d'une donation faite par une personne autre que leur conjoint, soit qu'ils les ont acquis au moyen de fonds provenant de la réalisation de semblables biens, soit qu'ils les ont acquis au moyen de revenus qui leur sont propres en vertu de leur régime matrimonial ? » II. Les faits et la procédure antérieure N. Martiny a introduit devant le Tribunal de première instance de Nivelles, chambre des saisies, une demande qui tend à constater et dire pour droit que la notification fiscale valant saisie-arrêt conservatoire a été pratiquée à concurrence de la moitié d'un bien propre de la demanderesse au sens de l'article 397, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus et que la saisie est nulle dans la mesure où elle a porté sur des sommes revenant à la demanderesse; à ordonner la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire à concurrence de la moitié du principal et des intérêts et à dire pour droit qu'à défaut de procéder à la mainlevée complète et définitive dans les 24 heures du jugement à intervenir, celui-ci vaudra mainlevée.
La demanderesse et son époux, dont elle est actuellement divorcée, ont fait l'objet d'une procédure en rectification à l'impôt des personnes physiques pour les exercices d'imposition 1983 à 1988. Des impôts ont été enrôlés à leur charge; ils ont fait l'objet de réclamations par les époux, ces réclamations étant actuellement à l'instruction.
Les époux ont vendu un immeuble; suite à une notification par le receveur des contributions du montant des impôts dus par les époux, le notaire a consigné les fonds provenant de l'aliénation de l'immeuble sur un compte rubriqué au Crédit général, moitié au nom de l'épouse et moitié au nom de l'époux.
Le Tribunal relève que l'article 394, § 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus établit une fiction en faveur du receveur selon laquelle la dette fiscale est toujours une dette commune aux conjoints dont le recouvrement peut être poursuivi sur le patrimoine commun et sur les patrimoines propres et ne fait aucune distinction entre les différents régimes matrimoniaux alors que, selon les règles de droit civil en régime de séparation de biens, les revenus recueillis pendant le mariage par chacun des conjoints sont des propres et la dette fiscale de tels revenus est également propre.
L'article 394, § 1er, alinéa 2, de ce Code permet toutefois au conjoint d'un contribuable d'échapper au recouvrement d'une dette fiscale qui ne lui incombe pas selon son régime matrimonial à la condition de fournir une double preuve soit : - celle du caractère propre dans le chef de son conjoint de la quotité d'impôt dont le paiement est exigé; - celle du caractère propre dans son chef des biens que le receveur veut saisir ainsi que leur origine non suspecte.
L'Etat belge ne conteste pas le caractère propre de la dette fiscale de l'époux puisqu'il s'agit d'une dette fiscale relative aux revenus professionnels résultant de son activité professionnelle.
Concernant le caractère propre des biens saisis, la demanderesse estime que la double preuve qui est exigée dans son chef par l'article 394, § 1er, alinéa 2, du Code des impôts sur les revenus, c'est-à -dire celle du caractère propre des biens et celle de l'une des quatre conditions requises par cet article, est discriminatoire par rapport aux épouses mariées sous un régime de séparation de biens de personnes débitrices de n'importe quel tiers autre que le ministère des Finances agissant en matière d'impôts sur les revenus. Elle demande qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour.
Le Tribunal décide de poser la question préjudicielle mentionnée ci-dessus.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 14 avril 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 19 mai 1998.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 21 mai 1998.
Des mémoires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 3 juillet 1998; - N. Martiny, demeurant à 1300 Wavre, Laie de la Traque 10, par lettre recommandée à la poste le 10 juillet 1998.
Par ordonnance du 6 août 1998, le président M. Melchior a prorogé jusqu'au 30 septembre 1998 le délai pour introduire un mémoire en réponse.
Les mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 6 août 1998; l'ordonnance du 6 août 1998 a été notifiée par les mêmes lettres.
Des mémoires en réponse ont été introduits par : - N. Martiny, par lettre recommandée à la poste le 29 septembre 1998; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 29 septembre 1998.
Par ordonnances du 29 septembre 1998 et du 30 mars 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 14 avril 1999 et 14 octobre 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 16 décembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 13 janvier 1999.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 17 décembre 1998.
A l'audience publique du 13 janvier 1999 : - ont comparu : . Me S. Vanaelst loco Me T. Afschrift, avocats au barreau de Bruxelles, pour N. Martiny; . Me P. Duquesne, avocat au barreau de Nivelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Position de N. Martiny A.1.1. L'impôt litigieux est afférent aux revenus propres de son époux. Le bien sur lequel l'administration fiscale entend recouvrer cet impôt est pour moitié un bien propre de N. Martiny. En régime de séparation de biens, il n'existe pas de « bien commun » mais seulement des « biens propres » ou des biens indivis. L'immeuble dont le prix a fait l'objet d'une saisie-arrêt était en copropriété indivise, par parts égales, entre les époux, par application stricte des règles du droit civil. Chaque part est donc un bien propre de chaque époux; il en va de même par voie de conséquence de leur part dans le prix de vente.
A.1.2. La disposition soumise à l'examen de la Cour exige encore pour que la dette d'impôt d'un époux ne puisse pas être recouvrée sur les biens propres de l'autre que ces biens aient été acquis de l'une ou l'autre manière, ou à l'un ou l'autre moment, limitativement énumérés par l'article 394, § 1er, alinéa 2.
Cette disposition crée donc une distinction entre deux catégories de personnes, les conjoints de débiteurs d'impôts des personnes physiques et les conjoints de débiteurs de toutes autres dettes, même fiscales.
Les personnes qui, en raison de leur régime matrimonial, ont des « biens propres », dont le conjoint a une « dette propre » quelle qu'elle soit, c'est-à -dire quels que soient sa nature et son créancier et les personnes qui, en raison de leur régime matrimonial, ont des « biens propres », dont le conjoint a une « dette propre » d'impôt des personnes physiques sont pourtant des catégories de personnes manifestement comparables, d'autant que la dérogation au droit commun du recouvrement d'une dette propre d'une personne sur les biens propres de son conjoint, ne profite qu'à l'Administration des contributions directes, pour l'impôt des personnes physiques, et non à toutes les autres administrations fiscales de l'Etat, pour toutes les autres formes d'impôts, directs ou indirects (T.V.A., droits de succession, droits d'enregistrement, etc.).
Cette différence de traitement est susceptible de justification au regard du but poursuivi - éviter les possibilités de fraude, d'une part, le caractère d'ordre public de l'impôt, d'autre part. Toutefois, cette justification n'est pas objective et raisonnable. En effet, la dérogation au droit commun du recouvrement forcé des obligations existe exclusivement au profit de l'Administration des contributions directes, pour l'impôt des personnes physiques. L'absence d'une mesure semblable à celle de l'article 394bis du Code des impôts sur les revenus en toute autre matière fiscale suppose que, pour ces autres impôts, une telle dérogation ne se justifie pas. On ne peut dès lors pas raisonnablement considérer qu'elle se justifie à propos de l'impôt des personnes physiques.
Par ailleurs, à supposer que cette justification soit objective et raisonnable, il n'y a pas de rapport de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Le « moyen employé » consiste en une dérogation au droit commun du recouvrement des dettes propres d'un époux sur les biens propres de l'autre, en renversant la charge de la preuve au profit de l'Etat et en créant une présomption de fraude et de simulation. Contrairement à la loi civile, la loi fiscale présume, de manière irréfragable, qu'il y a eu collusion entre les époux et que le débiteur aurait en réalité acquis des biens qu'il aurait « fait mettre au nom » de son conjoint, pour échapper frauduleusement aux poursuites de son créancier. Le législateur méconnaît donc les règles de proportionnalité parce que pour atteindre le but visé - éviter la possibilité d'une fraude -, il déroge de manière importante au droit commun par un renversement de la charge de la preuve et une présomption de fraude. La loi ne permet donc pas à l'Administration des contributions directes de recouvrer sa créance sur les biens d'un tiers lorsqu'il y a collusion entre les débiteurs de l'impôt et ce tiers (en l'occurrence son conjoint); elle le permet dans tous les cas où l'origine des fonds n'a pas pu être prouvée conformément à l'article 394, § 1er, parce que, dans ce cas, il pourrait y avoir collusion entre les époux. Pour écarter un simple risque de fraude, la loi fiscale prend un autre risque : celui de recouvrer une dette d'impôt propre à un contribuable, sur les biens propres de son conjoint.
A l'appui de cette thèse, la partie invoque un passage des travaux préparatoires où il est dit qu'« eu égard au caractère exorbitant du droit commun que revêt cette mesure, l'administration prescrira à ses services de ne l'appliquer qu'avec modération et dans les cas de fraude manifeste ».
Position du Conseil des ministres A.2.1. Le débiteur d'une dette fiscale n'est pas comparable au débiteur d'une dette civile. Le droit civil et le droit fiscal constituent deux branches distinctes du droit. Leur nature foncièrement différente justifie qu'ils soient régis par des règles propres, parfois divergentes. L'impôt est établi par l'effet de la loi sur l'ensemble des revenus perçus au cours d'une année par un redevable sans que celui-ci ait à manifester d'une quelconque manière son accord; en droit commun, une dette ne naît que suite à un engagement volontaire du débiteur. Ce mode particulier de naissance de la dette d'impôt, dérogatoire au droit commun, implique la mise en place d'une procédure particulière de recouvrement, elle aussi dérogatoire au droit commun. Les possibilités de recouvrement plus étendu offertes par l'article 394, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne font en définitive que compenser les garanties que peuvent se ménager contractuellement d'autres créanciers.
Il en résulte que les deux catégories de personnes envisagées dans la question préjudicielle ressortissent à des domaines tout à fait distincts et qui ne sont donc pas comparables.
A.2.2. En tout état de cause, la différence de traitement repose sur un critère objectif et est raisonnablement justifiée. Il existe un rapport de proportionnalité entre les moyens utilisés et le but visé.
Tout d'abord, il faut constater que tous les conjoints ayant fait choix des mêmes conventions matrimoniales sont traités de la même manière sur le plan du recouvrement de l'impôt.
Par ailleurs, la Cour a déjà admis que la procédure fiscale puisse déroger aux règles de droit commun, particulièrement en matière de recouvrement. L'arrêt n° 11/97 du 5 mars 1997 est invoqué à l'appui de cette thèse.
Dans la présente affaire, la seule dérogation apportée au droit commun par l'article 394 du Code des impôts sur les revenus 1992 consiste à permettre au receveur des contributions de poursuivre le recouvrement de la quotité de l'impôt afférente aux revenus propres de l'un des conjoints, ainsi que du précompte mobilier et du précompte professionnel enrôlés au nom de l'un d'eux, sur certains biens propres « suspects » de l'autre conjoint. Il faut observer qu'en droit commun le mécanisme de la solidarité passive ou du cautionnement permet d'arriver au même résultat et d'atteindre ainsi les biens propres des deux conjoints. Les créanciers privés ne manquent d'ailleurs pas de recourir à ces mécanismes pour garantir le recouvrement de leurs créances, ce qui apparaît impossible à l'Etat compte tenu de la nature de la créance fiscale.
Par ailleurs, le droit commun prévoit que les dettes contractées par un seul des époux pour les besoins du ménage ou pour l'éducation des enfants obligent solidairement l'autre époux et permet donc le recouvrement de telles dettes sur ses biens propres.
La rigueur de la disposition soumise au contrôle de la Cour peut se justifier par la spécificité de la relation existant entre le fisc et les redevables.
Au regard du but poursuivi qui est d'éviter toute possibilité de collusion entre les conjoints au détriment du Trésor, la mesure n'apparaît pas disproportionnée. En opérant un renversement de la charge de la preuve au profit du Trésor, elle a pour effet de dispenser le receveur d'avoir à intenter, en sa qualité de créancier, soit l'action paulienne, soit l'action en déclaration de simulation, et à fournir les preuves que ces actions postulent.
Plusieurs dispositions de la loi fiscale établissent un système autonome et complet qui se suffit à lui-même et qui ne se concilie pas avec l'application des règles de droit privé.
Quant au respect du principe de proportionnalité, il faut prendre en compte le fait que le conjoint non débiteur a la faculté de prouver le caractère propre d'un bien par la seule justification des revenus qui lui ont permis d'acquérir ledit bien. Même si le texte légal ne le précise pas expressément, il est admis que puisque les biens acquis au moyen de revenus propres peuvent être soustraits à la saisie, lesdits revenus échappent a fortiori à l'emprise du receveur des contributions. De même, l'achat d'un bien financé par un emprunt contracté par un des époux est assimilable à une acquisition au moyen de revenus propres, s'il est établi que le prêt est remboursé exclusivement par des revenus propres. La preuve requise par l'article 394, § 1er, alinéa 2, peut être administrée par toutes voies de droit et sa production ne suscite pas de difficultés particulières. Le conjoint « non débiteur » doit éviter toute intervention financière de l'autre conjoint dans l'acquisition dudit bien et se ménager les preuves nécessaires.
Le recouvrement de l'impôt sur les biens propres suspects d'un conjoint ne repose nullement sur l'arbitraire de l'administration. Il appartiendra en effet au juge des saisies d'apprécier et de contrôler l'application de la disposition litigieuse. C'est à lui et à lui seul qu'il appartiendra de déterminer si la preuve requise par cette disposition est rapportée ou non par le conjoint du redevable. Eu égard aux compétences qui lui sont dévolues par l'article 1395 du Code judiciaire, le juge des saisies appréciera la valeur probante des éléments qui lui sont soumis.
En conclusion, la règle critiquée a pour seul effet de soumettre le conjoint non débiteur de l'impôt à un régime de preuve plus contraignant qu'en droit commun eu égard à la possibilité de fraude aisément réalisable entre époux; cette règle n'est manifestement pas disproportionnée par rapport à l'objectif d'assurer, de la meilleure manière, le recouvrement de l'impôt.
Réponse de N. Martiny A.3. N. Martiny conteste la thèse défendue par le Conseil des ministres quant à la non-comparabilité. Elle relève que les catégories sont d'autant plus comparables que les personnes dont les conjoints ont une dette d'impôt autre que l'impôt des personnes physiques se retrouvent dans la catégorie des personnes dont les conjoints ont une dette quelle qu'elle soit. La différence entre le droit fiscal et le droit civil n'est donc pas un bon argument.
La partie relève également que le législateur a choisi de conserver une mesure, alors que les circonstances historiques qui avaient justifié son édiction avaient depuis disparu.
Concernant la justification de la mesure et la disproportion, la mesure confère à l'administration un droit applicable par principe à toutes les situations et s'applique sans distinction tant en cas de fraude manifeste qu'en l'absence de toute fraude. Le rôle du juge des saisies est vraiment limité puisqu'il devra admettre la légalité du recouvrement de l'impôt dû par un époux sur les biens propres de son conjoint, dès lors que la preuve de l'une des quatre origines des fonds ayant permis l'acquisition du bien propre en question n'est pas rapportée. Le juge des saisies ne dispose à cet égard d'aucun pouvoir d'appréciation et ne peut en aucun cas protéger les époux manifestement non fraudeurs puisque son pouvoir ne porte nullement sur l'appréciation de l'existence ou non d'une fraude.
Par ailleurs, le risque de fraude existe aussi bien chez les débiteurs de dettes civiles ou des débiteurs d'autres impôts, par exemple des personnes coupables d'avoir organisé un carrousel T.V.A. Réponse du Conseil des ministres A.4. Le droit fiscal recherche la réalité économique. Dans la présente affaire, on ne voit pas comment, sauf si on exige la preuve de l'origine des fonds ayant permis l'acquisition litigieuse, l'administration pourrait renverser la présomption légale de propriété dont se prévaut la requérante.
Concernant la comparaison avec d'autres matières fiscales, il faut relever qu'il existe des différences dans les systèmes de recouvrement suivant qu'il s'agit d'impôts directs ou indirects. Les techniques de recouvrement sont liées aux particularités de l'impôt à recouvrer. La mesure envisagée par le législateur n'aurait aucun sens pour assurer le recouvrement d'un impôt sur la dépense ou la consommation. D'autres mesures de recouvrement spécifiques à la nature de l'impôt envisagé existent (cautionnement, fermeture du débit, confiscation, etc.) qui ne sont pas en tant que telles applicables aux impôts directs. Il n'apparaît pas du tout anormal que le législateur fiscal chargé d'assurer une juste perception de l'impôt sur les revenus soit chargé de vérifier si, à l'occasion de certaines opérations, les investissements prétendument faits au nom de telle personne n'ont pas été, en réalité, effectués au moyen de revenus d'une autre personne, en l'occurrence le conjoint.
Par ailleurs, la loi fiscale ne présume nullement la collusion entre les époux. Elle intervertit seulement la charge de la preuve parce que l'impôt se fonde sur la réalité. Le droit civil crée, en revanche, une fiction, une présomption, en présumant égales les parts indivises.
En conclusion, le but recherché est conforme à la mission d'intérêt général de l'administration, à savoir le recouvrement correct de l'impôt, et on ne voit pas quelle autre mesure, moins préjudiciable au redevable, aurait pu être mise en uvre pour parvenir à cet objectif. - B - B.1. L'article 394, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 (C.I.R. 92) dispose : « Chacune des quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints ainsi que le précompte enrôlé au nom de l'un d'eux peuvent, quel que soit le régime matrimonial, être recouvrés sur tous les biens propres et sur les biens communs des deux conjoints.
Toutefois, la quotité de l'impôt afférente aux revenus de l'un des conjoints qui lui sont propres en vertu de son régime matrimonial ainsi que le précompte mobilier et le précompte professionnel enrôlés au nom de l'un d'eux ne peuvent être recouvrés sur les biens propres de l'autre conjoint lorsque celui-ci peut établir : 1° qu'il les possédait avant le mariage;2° ou qu'ils proviennent d'une succession ou d'une donation faite par une personne autre que son conjoint;3° ou qu'il les a acquis au moyen de fonds provenant de la réalisation de semblables biens;4° ou qu'il les a acquis au moyen de revenus qui lui sont propres en vertu de son régime matrimonial.» B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où elle traite différemment les conjoints de personnes débitrices d'impôts sur les revenus et les conjoints de personnes débitrices d'une autre dette, même fiscale.
Ces personnes se trouvent dans des situations différentes mais non suffisamment éloignées l'une de l'autre pour conclure à leur non-comparabilité.
B.3. Il apparaît des travaux préparatoires de la disposition soumise au contrôle de la Cour que le législateur a voulu maintenir une disposition, dérogatoire au droit commun, dont le but est « d'écarter une fraude facilement réalisable en matière de recouvrement de l'impôt » (Doc. parl., Chambre, 1980-1981, n° 716/8, p. 57). Le législateur voulait plus particulièrement éviter toute possibilité de collusion entre les époux au détriment du Trésor. Il résulte également des travaux préparatoires que le législateur voulait par cette mesure que les droits du Trésor soient garantis de la même manière à l'égard des époux, que leur régime matrimonial soit un régime de communauté ou un régime de séparation de biens (ibid.).
B.4. Le produit de l'impôt étant affecté à des dépenses publiques qui visent à la satisfaction de l'intérêt général, il doit être admis que la procédure de recouvrement puisse déroger aux règles du droit commun pour autant que cette dérogation soit compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.5. L'article 394, § 1er, C.I.R. 92, qui permet le recouvrement de chacune des quotités de l'impôt afférentes aux revenus respectifs des conjoints sur les biens propres des deux conjoints, est une mesure pertinente au regard du but poursuivi par le législateur : la lutte contre la possibilité d'une collusion entre époux.
Le législateur a pu considérer qu'il y a un risque particulier de collusion entre époux en matière d'impôt sur les revenus. De ce qu'il n'a pas pris de mesures identiques en matière d'impôts indirects, il ne peut être déduit qu'il aurait violé le principe d'égalité.
B.6. La Cour constate enfin que le moyen utilisé pour atteindre l'objectif n'est pas disproportionné : l'article 394, § 1er, alinéa 2, C.I.R. 92 protège l'autre conjoint contre un recouvrement de l'impôt sur ses biens propres à la condition de prouver leur origine réelle conformément à cette disposition.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 394, § 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il traite les conjoints de personnes débitrices d'impôts sur les revenus différemment des conjoints de personnes débitrices d'une quelconque dette.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 5 mai 1999.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, M. Melchior