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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 18 août 1999

Arrêt n° 54/99 du 26 mai 1999 Numéro du rôle : 1333 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, posées par le juge de paix du second La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges L. Françoi(...)

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Arrêt n° 54/99 du 26 mai 1999 Numéro du rôle : 1333 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, posées par le juge de paix du second canton de Namur.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges L. François, P. Martens, J. Delruelle, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par ordonnance du 30 avril 1998 en cause de F. D'Hooghe contre J.-M. Herbiet, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 6 mai 1998, le juge de paix du deuxième canton de Namur a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « Les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi [du 25 juin 1992] sur le contrat d'assurance terrestre introduisent-ils, à l'égard d'époux communs en biens et ayant géré ensemble une exploitation agricole commune, une discrimination entre époux en ce que ces dispositions omettent de distinguer entre, d'une part, une assurance vie souscrite pour cause de décès entraînant, par cela, dissolution de la communauté et, d'autre part, une assurance vie `mixte' susceptible d'apporter capital au bénéfice d'un époux toujours commun en biens ? » 2.« Les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre introduisent-ils une discrimination entre époux en ce qu'ils aboutissent à attribuer à un seul de ces époux le bénéfice d'un avantage constitué grâce à l'épargne commune des deux, dès lors que les primes payées ne sont pas excessives ? » 3. « Les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils introduisent, sans justification admissible, une différence de traitement entre deux catégories de personnes comparables, selon qu'elles ont atteint dans le régime de l'ancienne loi sur les assurances, l'âge de 65 ans avant récompense due à la communauté correspondant à l'import des primes payées, d'avec ce qui se passe à l'égard de la même communauté, à propos de primes de même ordre, après mise en vigueur des dispositions impératives de la nouvelle loi sur les assurances ? » II.Les faits et la procédure antérieure La juridiction a quo est saisie de diverses demandes relatives à la gestion du patrimoine d'époux communs en biens et, notamment, de la question de la nature du capital d'une assurance-vie que l'époux a souscrite à son profit afin de garantir les prêts - entre-temps remboursés - afférents à une exploitation agricole achetée avec son épouse. Il n'est pas contesté que les primes d'assurance ont été payées par le produit de cette exploitation, c'est-à-dire par le patrimoine commun au sens de l'article 1405 du Code civil. L'époux a perçu le capital de l'assurance-vie lorsqu'il a atteint l'âge de 65 ans.

L'épouse, demanderesse sur reconvention, fait valoir que les dispositions en cause établissent une discrimination entre époux en ce que, contrairement aux dispositions antérieures, elles ne prévoient pas de récompense au profit du patrimoine commun dans une telle situation.

Le juge constate que ces dispositions ne distinguent pas l'assurance-vie « mixte » (garantissant la bonne fin de remboursement d'emprunts communs et le versement d'un capital lorsque le souscripteur aura atteint l'âge prévu, de manière à garantir au couple à la retraite le maintien de son train de vie) de l'assurance-vie « classique » (garantissant le paiement d'un capital au moment du décès et, donc, de la dissolution de la communauté), alors qu'elles n'ont pas le même caractère, que le remboursement d'un prêt et le train de vie du couple, garantis par l'assurance-vie « mixte » concernent la communauté puisque l'article 1408 du Code civil prévoit que les dettes contractées pour les besoins du ménage relèvent du passif du patrimoine commun; il considère que l'un des époux pourrait être lésé puisque ces dispositions ne prévoient pas de récompense au profit de la communauté qui existait lors de la souscription de l'assurance (antérieure à l'adoption des dispositions en cause) et qui a supporté le paiement des primes.

Considérant que les nouvelles dispositions pouvaient, dès leur mise en vigueur, créer un déséquilibre entre époux, le juge a adressé à la Cour les trois questions reproduites plus haut.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 6 mai 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 8 juin 1998.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 juin 1998.

Des mémoires ont été introduits par : - J.-M. Herbiet, demeurant à 5100 Naninne, rue de Cotibeau 42, par lettre recommandée à la poste le 1er juillet 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 24 juillet 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 16 septembre 1998.

J.-M. Herbiet a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 9 octobre 1998.

Par ordonnances des 29 octobre 1998 et 28 avril 1999, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 6 mai 1999 et 6 novembre 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 13 janvier 1999, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 17 février 1999.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 15 janvier 1999.

A l'audience publique du 17 février 1999 : - ont comparu : . Me S. Toussaint loco Me A.-M. Servais et Me J. Detroux, avocats au barreau de Namur, pour J.-M. Herbiet; . Me E. Maron loco Me M. Uyttendaele, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs L. François et H. Coremans ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire de J.-M. Herbiet A.1.1. A l'époque du mariage des époux D'Hooghe-Herbiet, le régime légal - qu'ils n'ont pas souhaité maintenir par le biais de la déclaration prévue dans les dispositions transitoires de la loi du 14 juillet 1976 - était celui de la communauté des meubles et acquêts : tombaient dans la communauté tout ce qui était acquis pendant le mariage et tous les biens mobiliers des époux, même lorsqu'ils étaient échus par donation ou succession. L'assurance-vie souscrite par F. D'Hooghe stipulait qu'il en était le bénéficiaire, puisqu'il était l'agriculteur et son épouse l'aidante. La loi précitée de 1976 a maintenu, dans l'article 1400.7 du Code civil, le caractère commun du bénéfice de l'assurance-vie conclue dans de telles circonstances mais la loi du 25 juin 1992, en abrogeant tacitement l'article 1400.7 du Code civil, a adopté une solution opposée, sans prévoir de récompense au profit du patrimoine commun du chef des primes payées, sauf si elles sont excessives.

A.1.2. La loi de 1992 prive ainsi J.-M. Herbiet de la protection qu'elle avait recherchée en adoptant le régime de la communauté légale, lequel se trouve vidé de sa substance puisque la nouvelle loi permet à un époux, en souscrivant une assurance-vie, de se constituer une épargne propre, nonobstant le paiement des primes par le patrimoine commun et, partant, de détourner l'article 1405, 2°, du Code civil.

A.1.3. S'il est logique, quant à la première question, que le capital d'une assurance-vie classique, qui se borne à garantir un capital au moment du décès de la personne désignée, soit propre puisqu'elle est souscrite en considération de la dissolution future de la communauté par le décès, l'assurance-vie mixte constituée en garantie d'emprunts communs entraîne, en revanche, après le remboursement de ceux-ci, l'exigibilité au profit du souscripteur du capital convenu, alors même que le mariage perdure; le bénéfice de ce capital influence directement le train de vie du couple formé par le souscripteur-bénéficiaire et son conjoint, notamment la nature et l'ampleur des dettes contractées pour les besoins du ménage, toutes choses qui concernent directement la communauté puisque de telles dettes relèvent du passif du patrimoine commun (article 1408 du Code civil); le capital devrait donc être logiquement commun.

Le législateur de 1976 fut attentif à cette distinction. Celui de 1992 ne le fut pas et la règle qu'il a adoptée est discriminatoire.

A.1.4. Quant à la seconde question, la loi de 1992, votée dans l'indifférence, trompe l'espérance légitime des conjoints et introduit une discrimination entre des individus que la loi avait voulu protéger en attribuant à un seul époux le bénéfice d'un avantage constitué grâce à l'épargne des deux.

A.1.5. Quant à la troisième question, les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils introduisent, sans justification admissible, une différence de traitement entre deux catégories de personnes comparables, selon qu'elles ont atteint, dans le régime de l'ancienne loi sur les assurances, l'âge de 65 ans avant récompense due à la communauté correspondant à l'import des primes payées ou qu'elles ont atteint cet âge, toutes choses étant égales par ailleurs, après mise en vigueur des dispositions impératives de la nouvelle loi sur les assurances.

Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. Le législateur, en adoptant l'article 127 de la loi du 25 juin 1992, a pu considérer que tous les types d'assurances-vie devaient être traités de la même manière quant à leur place dans l'actif d'époux communs en biens, en raison de certaines caractéristiques invariables de cette assurance. Le risque assuré étant soit la survie, soit le décès de l'assuré - qu'il s'agisse d'assurances en cas de décès (assurance-vie entière, temporaire, assurance de survie, assurance à terme fixe), d'assurances en cas de vie ou assurances-vie au sens étroit (assurance de capital différé, assurance de rente viagère) ou d'assurances mixtes, lesquelles ne sont que la juxtaposition d'une assurance en cas de décès et d'une assurance en cas de vie -, on ne peut nier que ce type d'assurance est lié intimement à la personne de l'assuré; il convenait donc d'en considérer le bénéfice comme bien propre par nature, indépendamment de l'échéance de l'assurance et même lorsque le régime matrimonial est celui de la communauté universelle. Lors de l'élaboration des dispositions en cause, qui fit l'objet de controverses doctrinales, c'est la théorie des biens propres par nature qui fut prise en compte; en vertu de celle-ci, sont notamment considérés comme des biens propres par nature, les biens qui sont affectés à la personne en raison de leur destination économique. Or, cette destination est la même dans le cas de l'assurance-vie que dans le cas de l'indemnité réparant un dommage corporel : la subsistance malgré une diminution des forces. Dans le cas de telles indemnités réparant un dommage corporel, il est unanimement admis qu'il convient de les exclure de la communauté en raison de leur affectation et l'on n'aperçoit pas pour quelles raisons la solution devrait être différente dans le cas des assurances en cas de vie et ce, qu'il s'agisse de l'assurance-vie « classique » ou d'autres types d'assurance-vie, puisque la réalisation du risque est intimement liée à la durée de vie de l'assuré.

A.2.2. L'article 128 de la loi du 25 juin 1992, inspiré par des dispositions plus anciennes, se justifie par le fait que le paiement des primes par la communauté doit être considéré comme une libéralité faite au conjoint, aucune récompense n'étant due à la communauté pour les primes d'assurance versées par elle pour une assurance-vie au profit de l'un des conjoints (sauf si les primes étaient excessives) et ce, que le capital soit versé pendant le mariage ou après la dissolution de celui-ci.

Eu égard au postulat de la liberté contractuelle et de l'entente des époux, il est en outre raisonnable de penser que l'autre époux a marqué son accord à cet égard ou, à tout le moins, était au courant, ne fût-ce que par la déclaration fiscale commune.

Enfin, quelle que soit la nature du capital, propre ou commun, l'époux bénéficiaire sera toujours tenu de contribuer aux charges du ménage.

Le capital de l'assurance doit, de ce point de vue, s'analyser de la même manière qu'une donation ou une succession d'un tiers. Aucune justification raisonnable ne permettrait d'ailleurs d'expliquer que, dans un cas, on considère que le patrimoine commun a droit à une récompense alors que dans un autre, une telle récompense ne serait pas due.

A.2.3. L'article 148 de la loi du 25 juin 1992 est une disposition transitoire selon laquelle cette loi s'applique aux contrats en cours dès son entrée en vigueur.

La circonstance qu'une loi nouvelle soit moins favorable que la législation antérieure pour certaines personnes ne constitue évidemment pas en tant que telle une violation des principes d'égalité et de non-discrimination.

A.2.4. A supposer que les dispositions litigieuses traitent de manière identique deux situations différentes et, partant, soient contraires aux articles 10 et 11 de la Constitution, encore faudrait-il conclure que les mesures adoptées par le législateur ne sont nullement disproportionnées : elles se justifient eu égard à la nature et à la finalité du contrat d'assurance-vie et, en outre, ne portent pas atteinte aux dispositions du contrat de mariage dans lequel il peut être prévu que le capital devenant exigible pendant le mariage tombera dans la communauté ou que celle-ci sera récompensée des primes payées par elle, même si elles ne sont pas exagérées.

A.2.5. Le juge a quo interroge la Cour sur une discrimination entre époux. La circonstance que le conjoint du bénéficiaire s'estime lésé par la nouvelle législation n'implique toutefois nullement une discrimination au sens des articles 10 et 11 de la Constitution : en l'espèce, le conjoint du bénéficiaire d'une assurance-vie ne peut être considéré comme une personne se trouvant dans une situation comparable à celle du bénéficiaire lui-même parce que les règles qui s'appliquent au second ne concernent nullement le premier. Telles qu'elles sont formulées, les questions appellent une réponse négative.

Mémoire en réponse de J.-M. Herbiet A.3.1. Les contrats d'assurance-vie « mixte » et « classique » se distinguent par leur finalité. L'assurance-vie « mixte » est en réalité destinée à garantir la bonne fin du remboursement d'emprunts communs, et est donc liée autant à la personne de l'assuré qu'à la nature du risque. Il faut enfin distinguer le caractère personnel des prérogatives liées à la qualité de souscripteur de l'assurance-vie (droit de désigner et révoquer le bénéficiaire, droit au rachat et à la réduction, droit de remise en vigueur, droit d'obtenir une avance sur contrat, droit de mise en gage du contrat et de cession des droits relatifs au contrat), lesquelles restent propres à celui-ci, du caractère propre ou personnel du capital constituant le bénéfice de l'assurance-vie.

A.3.2. L'on peut certes admettre que le caractère propre d'une assurance-vie dite « classique » (souscrite par un époux au profit de l'autre et dont les primes sont payées par la communauté) dans le chef du bénéficiaire se justifie par l'intention manifeste d'un époux de gratifier l'autre; mais l'on doit considérer, comme De Page et Laloux le firent, que l'assurance contractée par un époux pour lui-même et acquise à l'aide des deniers communs tombe en communauté, fût-ce parce que ladite assurance contractée au cours du mariage par l'un des époux fait naître à son profit une créance mobilière, qui tombe en communauté en vertu de l'article 1401, 1°, du Code civil quelle que soit la date de son échéance.

A.3.3. L'article 148 de la loi du 25 juin 1992 doit être analysé en conjugaison avec les articles 127 et 128.

Les questions préjudicielles sont relatives à la discrimination existant entre deux catégories de personnes comparables : deux conjoints, cosignataires de prêts importants garantis par une assurance-vie « mixte » dont les primes ont été payées par le patrimoine commun; l'un bénéficiant en propre du capital, l'autre n'ayant droit à rien, la distinction est discriminatoire. - B - B.1. Bien que les questions soient formulées en termes généraux, il ressort des motifs du jugement a quo que le problème posé par les deux premières est celui de savoir si les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ont pour effet que lorsque deux époux sont communs en biens, que l'un d'eux a souscrit une assurance-vie pour garantir la bonne fin du remboursement d'emprunts communs et, ce remboursement étant fait, pour apporter un capital, non au conjoint survivant du souscripteur, mais uniquement à ce dernier au cas où il atteindrait un âge convenu, et qu'en outre, les primes ont été prélevées sur les biens communs, ce capital est propre et ne donne lieu à récompense que si les versements effectués à titre de primes et prélevés sur le patrimoine commun sont « manifestement exagérés eu égard aux facultés de celui-ci ».

B.2. Les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre disposent : «

Art. 127.Prestations d'assurance Le bénéfice de l'assurance contractée par un époux commun en biens au profit de l'autre ou à son profit constitue un bien propre de l'époux bénéficiaire. » «

Art. 128.Récompense de primes Une récompense n'est due au patrimoine commun que dans la mesure où les versements effectués à titre de primes et prélevés sur ce patrimoine sont manifestement exagérés eu égard aux facultés de celui-ci. » «

Art. 148.Dispositions transitoires [...] § 3. En matière de contrats d'assurance sur la vie, les dispositions de la présente loi s'appliquent aux contrats en cours dès son entrée en vigueur. » B.3. Avant l'entrée en vigueur de la loi en cause, l'article 1400.7 du Code civil déclarait propres, sauf récompense s'il y a lieu, les droits résultant d'une assurance de personnes, souscrite par le bénéficiaire lui-même, acquis par lui au décès de son conjoint ou après la dissolution du régime. Il s'en déduisait a contrario que, dans l'hypothèse envisagée en B.1, le capital était commun.

Revenant sur la position qu'il avait adoptée sur les régimes matrimoniaux dans la loi du 14 juillet 1976 et l'article 1400.7 du Code civil que cette loi contenait, le législateur a décidé en 1992, sans abroger expressément cet article, que le bénéfice de l'assurance constitue un bien propre de l'époux bénéficiaire même lorsque le souscripteur l'a contractée à son seul profit, que les époux sont communs en biens et que la communauté n'est pas dissoute. Il ne s'en est pas autrement expliqué que par le souci de « mettre fin à des hésitations qui existaient sous l'empire de la loi de 1874 » (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1586/1, p. 104).

Il peut être pertinent de relever également le souci, exprimé à propos de l'article 106 en projet de la loi en cause, de « fixer de façon sûre les droits de l'assureur et du bénéficiaire désigné » en précisant à quelles conditions le paiement fait par l'assurance est libératoire (ibid., p. 94).

B.4. Le souci de légiférer clairement, de façon que chacun connaisse à tout moment l'étendue de ses droits et obligations, n'est en rien pertinent pour justifier une option législative plutôt qu'une autre, que rien n'empêcherait d'exprimer tout aussi clairement. Celle que le législateur a préférée s'explique d'autant moins par le but d'éviter l'insécurité juridique qu'elle recourt, pour déterminer s'il y a lieu à récompense, à une notion aussi imprécise que celle de « versements [...] manifestement exagérés eu égard aux facultés » du patrimoine commun (article 128).

B.5. Pas plus que les travaux préparatoires, les mémoires n'apportent la justification recherchée, dans le cas où l'assurance garantit le paiement d'un capital au seul souscripteur. La Cour ne l'aperçoit pas davantage dans ce même cas. Une telle assurance, en effet, ne vise en aucune manière à la subsistance de l'époux survivant. La charge qu'impose au patrimoine commun le paiement des primes d'assurance crée un déséquilibre au détriment de cet époux : une retraite est garantie au seul souscripteur bénéficiaire, aux frais de la communauté et en principe sans récompense, sans que son conjoint ait pu en accepter l'éventualité en considération de celle de sa propre survie. Par ailleurs, en inscrivant la mesure en cause dans la loi sur le contrat d'assurance terrestre, alors que l'article 1400.7 du Code civil n'est pas expressément abrogé et que ce Code indique l'économie générale des régimes matrimoniaux en leur consacrant un titre entier avec lequel une telle solution est peu cohérente, le législateur a rendu possible que ce conjoint n'ait pas eu connaissance du caractère unilatéral de l'avantage produit par un tel contrat après le remboursement de l'emprunt. Selon le régime légal, si l'effort de prévoyance des époux communs en biens s'était plutôt manifesté par l'achat de titres ou d'autres biens d'épargne, ceux-ci eussent été communs. Certes, les « pensions, rentes viagères ou allocations de même nature, dont un seul des époux est titulaire » sont propres (article 1401, 4°) ainsi que « le droit à réparation d'un préjudice corporel ou moral personnel » (article 1401, 3°); mais de tels avantages proviennent généralement d'une activité ou d'un préjudice qui était propre à leur bénéficiaire.

Dans de telles conditions, il ne se justifie pas d'affirmer que l'assentiment et l'intention libérale de l'époux qui n'est pas bénéficiaire peuvent se présumer.

Les dispositions en cause sont discriminatoires.

B.6.1. La Cour est invitée par la troisième question préjudicielle à comparer la situation de l'époux commun en biens qui bénéficiait, sous la législation ancienne, de l'avantage que constitue la récompense due au patrimoine commun pour le paiement des primes d'une assurance sur la vie dont son conjoint serait à la fois le souscripteur et le bénéficiaire, à la situation de l'époux qui, en vertu des articles 127 et 128 de la loi en cause, ne bénéficie pas de cet avantage, alors que la police d'assurance avait été souscrite sous l'empire de l'ancienne législation.

B.6.2. En fixant le moment où elle entre en vigueur - comme le fait, en l'espèce, l'article 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 -, la loi crée une distinction entre les rapports juridiques qui tombent dans son champ d'application (contrats en cours ou à venir) et les rapports qui y échappent (contrats qui ne sont plus en cours).

Les dispositions en cause étant, pour les raisons indiquées plus haut, discriminatoires en elles-mêmes, il n'y a pas lieu d'examiner la circonstance qu'elles sont d'application immédiate.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 127, 128 et 148, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils ont pour effet que lorsque deux époux sont communs en biens, que l'un d'eux a souscrit une assurance-vie pour garantir la bonne fin du remboursement d'emprunts communs et, ce remboursement étant fait, pour apporter un capital, non au conjoint survivant du souscripteur, mais uniquement à ce dernier au cas où il atteindrait un âge convenu, et qu'en outre, les primes ont été prélevées sur les biens communs, ce capital est propre et ne donne lieu à récompense que si les versements effectués à titre de primes et prélevés sur le patrimoine commun sont manifestement exagérés eu égard aux facultés de celui-ci.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 26 mai 1999.

Le greffier, Le président, L. Potoms. M. Melchior.

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