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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 30 septembre 1998

Arrêt n° 82/98 du 7 juillet 1998 Numéro du rôle : 1121 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 8, 3°, - chapitre II « Assujettissement de certains agents du secteur public et de l'enseignement subventionné libre à l'assuranc La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)

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30/09/1998
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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 82/98 du 7 juillet 1998 Numéro du rôle : 1121 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 8, 3°, - chapitre II « Assujettissement de certains agents du secteur public et de l'enseignement subventionné libre à l'assurance contre le chômage, à l'assurance maladie (secteur des indemnités) et à l'assurance maternité » - de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses, posée par la Cour du travail de Gand.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, J. Delruelle, H. Coremans et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 20 juin 1997 en cause de l'Office national de l'emploi contre A.L., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 1er juillet 1997, la Cour du travail de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 8, 3°, de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses (Moniteur belge du 1er août 1991) est-il conforme aux principes d'égalité et de non-discrimination inscrits aux articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée, en tant qu'il aboutit à ce que des personnes dont la relation de travail en service public est rompue pour cause d'absence injustifiée sont traitées autrement que les personnes (visées à l'article 7 de la loi) dont la relation de travail est rompue pour un autre motif, quelquefois plus sérieux ou plus grave ? » II. Les faits et la procédure antérieure A.L. a travaillé à la Société nationale des chemins de fer belges (en abrégé : S.N.C.B.) du 26 juin 1972 au 18 mars 1994 en qualité de membre du personnel statutaire. Etant donné qu'il a été mis fin à sa relation de travail pour cause d'absence injustifiée, l'Office national de l'emploi n'admet pas A.L. au bénéfice des allocations de chômage. Cette décision se fonde notamment sur l'article 8, 3°, de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses.

Le 7 novembre 1994, A.L. demande l'annulation de la décision devant le Tribunal du travail d'Audenarde, qui déclare la demande fondée.

L'Office national de l'emploi interjette appel de ce jugement.

La Cour du travail de Gand constate qu'un agent démis ne peut pas faire valoir les mêmes droits en matière d'assurance chômage et d'assurance maladie, selon qu'il est démis pour absence injustifiée ou pour d'autres faits graves, même pénalement punissables, tels que le vol, l'escroquerie, le faux en écriture et la corruption. Avant de statuer au fond, la Cour du travail de Gand pose la question préjudicielle susmentionnée.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 1er juillet 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 14 août 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 19 août 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 1er octobre 1997; - A.L., Steenbergstraat 55, 9520 Sint-Lievens-Houtem, par lettre ordinaire, le 13 octobre 1997.

Par ordonnance du 21 octobre 1997, le président de la Cour constate que le mémoire introduit par A.L. n'a pas été introduit par lettre recommandée à la poste et l'a été après le délai prévu par l'article 85 de la loi organique et déclare que A.L. dispose d'un délai de huit jours pour introduire éventuellement des remarques écrites.

Cette ordonnance a été notifiée à A.L., par lettre recommandée à la poste le 21 octobre 1997.

Par ordonnance du 18 novembre 1997, la Cour déclare que le mémoire introduit par A.L. est irrecevable et l'écarte des débats.

Cette ordonnance a été notifiée à A.L., par lettre recommandée à la poste le 19 novembre 1997.

Par ordonnances des 18 décembre 1997 et 30 juin 1998, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 1er juillet 1998 et 1er janvier 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 27 mai 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 17 juin 1998.

Cette ordonnance a été notifiée au Gouvernement de la Communauté française ainsi qu'à son avocat, par lettres recommandées à la poste le 28 mai 1998.

A l'audience publique du 17 juin 1998 : - a comparu Me H. Van Laer loco Me M. Uyttendaele, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs H. Coremans et L. François ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire du Gouvernement de la Communauté française A.1. Les agents qui sont licenciés à la suite d'une décision de l'autorité et les agents qui perdent leur emploi à la suite d'absences injustifiées ne sont pas comparables.

Les travaux préparatoires de la loi du 20 juillet 1991 font apparaître que les dispositions du chapitre II du titre Ier visent « à créer une solution en faveur des agents statutaires dont la relation de travail prend fin à cause d'un acte unilatéral de l'autorité compétente (hiérarchique ou de tutelle) ou d'une annulation par un collège juridique administratif » (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1695/6, p. 4). L'objectif de la loi est donc d'assujettir les agents licenciés à l'assurance chômage, à l'assurance maladie (secteur des indemnités) et à l'assurance maternité. Pour cette première catégorie d'agents, la relation de travail prend fin à la suite d'un acte unilatéral de l'autorité hiérarchique ou de tutelle; cette décision est donc indépendante de la volonté de l'agent mis en cause.

En ce qui concerne la deuxième catégorie d'agents, les travaux préparatoires indiquent que la protection légale ne vaudra pas pour ceux dont la relation de travail est rompue à cause d'absences injustifiées. « Dans ce cas, la rupture de la relation de travail n'est pas à considérer comme un acte unilatéral de l'autorité ou de l'employeur : elle est due au fait de l'intéressé, qui néglige de communiquer à ses supérieurs hiérarchiques des motifs pouvant justifier son absence. Il ne faut donc pas comparer une telle démission d'office avec une peine disciplinaire pour non-respect des devoirs professionnels; on peut présumer que l'absence injustifiée équivaut en fait à une démission volontaire » (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1374-1, pp. 9-10). Le Gouvernement de la Communauté française constate que l'arrêt de la Cour du travail cite erronément ce passage puisqu'elle assimile la démission d'office à une sanction disciplinaire pour non-respect des devoirs professionnels.

A.2. Il résulte de ce qui précède que les deux catégories d'agents ne sont pas comparables, ou qu'à tout le moins, la distinction opérée se justifie de manière objective et raisonnable par rapport au but poursuivi, à savoir la lutte contre la pauvreté des agents dont la relation de travail est rompue à la suite d'une décision unilatérale de l'autorité.

Il existe un rapport de proportionnalité raisonnable entre les moyens utilisés et le résultat recherché. Il n'est pas manifestement déraisonnable, dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, d'exclure du bénéfice de l'assurance chômage, de l'assurance maladie (secteur des indemnités) et de l'assurance maternité les agents ayant démissionné volontairement de leur travail. Le système d'indemnisation du chômage est en effet fondé sur le principe que, pour pouvoir bénéficier d'allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté (voy. l'article 44 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage).

Dès lors que selon les travaux préparatoires, le législateur a assimilé l'absence injustifiée à une démission volontaire, il a raisonnablement pu exclure de la lutte contre la pauvreté les agents qui renoncent volontairement à leurs revenus. La disposition en cause ne viole donc pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - B - B.1. L'article 8, 3°, mentionné dans la question préjudicielle figure au chapitre II du titre Ier de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses, qui porte sur l'assujettissement de certains agents du secteur public et de personnes y assimilées à l'assurance contre le chômage, à l'assurance maladie (secteur des indemnités) et à l'assurance maternité.

Par les dispositions de ce chapitre, le législateur entendait appliquer les branches précitées du régime de la sécurité sociale « au personnel statutaire des services publics dont la relation de travail est rompue unilatéralement par l'autorité ou annulée suite à une procédure irrégulière de la nomination ». En effet : « les agents licenciés n'ont pas été repris dans le régime général de la sécurité sociale à cause de leur lien statutaire de sorte que par la rupture de leur relation de travail ils perdent non seulement leur revenu professionnel, mais également tout revenu de remplacement possible. C'est surtout lorsque des membres de la famille de l'agent licencié sont également touchés que les conséquences de la mesure prise s'avèrent le plus souvent exagérément lourdes, même s'il s'agit dans ces cas souvent de la sanction d'une faute commise par l'intéressé. » (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1374-1, p. 8) « Le seul moyen qui leur reste est l'appel à l'intervention du CPAS. Dans un Etat moderne, axé sur le bien-être de chacun, cette situation n'est plus acceptable. [...] L'objectif unique [...] est de remédier vis-à-vis des intéressés à une situation de pauvreté totalement inacceptable. » (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1695/6, p. 5) B.2. En vertu de l'article 8, 3°, de la loi du 20 juillet 1991, les dispositions du chapitre II ne sont toutefois pas applicables « aux personnes dont la relation de travail en service public est rompue à cause d'absence injustifiée ».

Les travaux préparatoires précisent à cet égard : « Dans ce cas, la rupture de la relation de travail n'est pas à considérer comme un acte unilatéral de l'autorité ou de l'employeur : elle est due au fait de l'intéressé, qui néglige de communiquer à ses supérieurs hiérarchiques des motifs pouvant justifier son absence. Il ne faut donc pas comparer une telle démission d'office avec une peine disciplinaire pour non-respect des devoirs professionnels; on peut présumer que l'absence injustifiée équivaut en fait à une démission volontaire. » (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1374-1, pp. 9-10) B.3. La question préjudicielle soumise à la Cour porte sur la différence de traitement entre les agents des services publics dont la relation de travail est rompue pour cause d'absence injustifiée et les agents des services publics dont la relation de travail est rompue unilatéralement par l'employeur pour un autre motif, quelque grave qu'il soit. Les derniers, à l'inverse des premiers, sont assujettis à l'assurance contre le chômage, à l'assurance maladie (secteur des indemnités) et à l'assurance maternité.

B.4. Lorsque la loi exclut de son champ d'application une catégorie déterminée de personnes, la Cour doit examiner s'il existe une justification raisonnable pour ce faire.

B.5. La différence de traitement repose en l'espèce sur un critère objectif, à savoir le type de fait qui a causé la rupture de la relation de travail, mais elle n'est pas pertinente au regard de l'objectif poursuivi par la réglementation, qui consiste à éviter que les agents statutaires des pouvoirs publics qui sont licenciés, fût-ce en raison de leur faute, tombent dans la misère. En effet, rien ne fait apparaître pourquoi cet objectif ne serait pas valable, ou le serait moins, pour les personnes licenciées pour cause d'absence injustifiée que pour celles qui ont commis d'autres fautes.

Les travaux préparatoires justifient cette distinction par la seule présomption que l'absence injustifiée équivaut en fait à une démission volontaire. Pareille présomption, que l'intéressé n'a même pas la faculté de renverser, ne constitue pas une justification : d'une part, toute absence injustifiée n'implique pas la volonté de démissionner; d'autre part, à supposer que certaines absences puissent être assimilées à des démissions, d'autres comportements de l'agent ne le pourraient pas moins. La règle critiquée ne tient même pas compte de la gravité des fautes.

B.6. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 8, 3°, de la loi du 20 juillet 1991 portant des dispositions sociales et diverses viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 7 juillet 1998.

Le greffier, L. Potoms.

Le président, L. De Grève.

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