publié le 12 septembre 1998
Arrêt n° 67/98 du 10 juin 1998 Numéro du rôle : 1157 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 366 à 377 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Namur. La Cour d'arbitrage,
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 67/98 du 10 juin 1998 Numéro du rôle : 1157 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 366 à 377 du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance de Namur.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 30 septembre 1997 en cause de R. Walgraffe contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 octobre 1997, le Tribunal de première instance de Namur a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 366 à 377 du Code des impôts sur les revenus de 1992 violent-ils les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée le 17 février 1994, éventuellement mis en relation avec l'article 6.1. de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et avec le principe général du droit relatif à l'indépendance et à l'impartialité du juge, a) d'une part, en ce qu'ils assignent, en premier ressort, au contribuable en matière d'impôts directs un juge qui, en la personne du directeur régional des contributions, est en réalité un membre de l'administration fiscale, et, partant, un organe de la puissance publique partie à la cause, alors qu'en d'autres matières relatives à des droits politiques, le justiciable se voit assigner un juge qui, n'étant pas nécessairement de l'ordre judiciaire, n'est pas, pour autant, l'organe de l'une des parties à la cause;b) d'autre part, en ce qu'ils ne prévoient pas la possibilité ni n'organisent la procédure de récusation du directeur régional des contributions, alors que tout autre juge de l'ordre judiciaire ou administratif, intervenant au contentieux des droits subjectifs, peut faire l'objet d'une telle procédure, par application, notamment, des articles 2 et 828 et suivants du Code judiciaire ? » II.Les faits et la procédure antérieure Le demandeur devant le juge a quo, en sa qualité d'avocat, a conseillé à un de ses clients de déposer plainte contre un contrôleur des contributions qu'il accusait d'indélicatesses à son égard. Le contrôleur fut incarcéré.
Ayant fait l'objet d'un contrôle approfondi et d'un avis de rectification annonçant d'importantes majorations d'impôts, le demandeur lança une assignation en référé afin d'obtenir que son dossier soit traité par d'autres fonctionnaires. L'impôt ayant été entre-temps enrôlé, le président du Tribunal de première instance de Namur constata que la mesure sollicitée n'avait plus d'objet mais condamna l'Etat belge aux dépens.
Invité à payer un impôt supplémentaire de près de 4 millions, le demandeur introduisit une réclamation entre les mains du directeur des contributions de Namur, c'est-à -dire un des fonctionnaires contre lesquels avait été mue l'action introduite devant le président du Tribunal.
Le demandeur lança une nouvelle assignation devant le Tribunal afin d'obtenir que le dossier relatif à ses réclamations soit transféré auprès d'un autre directeur des contributions.
Après avoir statué sur sa compétence, le Tribunal a posé à la Cour la question préjudicielle précitée.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 7 octobre 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 21 octobre 1997.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 24 octobre 1997.
Des mémoires ont été introduits par : - R. Walgraffe, demeurant à 5660 Couvin, Dessus la Ville 6, par lettre recommandée à la poste le 2 décembre 1997; - l'Etat belge, par lettre recommandée à la poste le 4 décembre 1997.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 16 décembre 1997.
Des mémoires en réponse ont été introduits par : - R. Walgraffe, par lettre recommandée à la poste le 8 janvier 1998; - l'Etat belge, par lettre recommandée à la poste le 13 janvier 1998.
Le 25 février 1998, l'Etat belge a introduit un « mémoire en réponse complémentaire » qui, n'étant pas prévu par la loi spéciale du 6 janvier 1989, est rejeté des débats.
Par ordonnance du 25 mars 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 7 octobre 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du même jour, le président M. Melchior a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière.
Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 22 avril 1998.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 26 mars 1998.
A l'audience publique du 22 avril 1998 : - ont comparu : . Me J.-P. Bours, avocat au barreau de Liège, pour R. Walgraffe; . Me C. Detry, avocat au barreau de Namur, pour l'Etat belge; - les juges-rapporteurs P. Martens et G. De Baets ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Mémoire du demandeur devant le juge a quo Première branche A.1. Les articles 366 à 377 du Code des impôts sur les revenus 1992, ci-après C.I.R. 92, organisent une réclamation préalable devant le directeur des contributions compétent et, ensuite, un recours devant la cour d'appel contre la décision du directeur. L'arrêt de la cour d'appel peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
A.2. La décision a quo qualifie le directeur régional des contributions de « juge ».
La jurisprudence de la Cour de cassation reconnaît au directeur régional un pouvoir juridictionnel.
Cette jurisprudence a toutefois suscité d'importantes réserves de la doctrine, le directeur étant, malgré son rôle juridictionnel, hiérarchiquement soumis aux instructions de ses supérieurs.
A.3. La jurisprudence de la Cour de cassation pose aussi des problèmes au niveau européen. La Cour de justice a considéré que ce n'est pas parce que le droit national luxembourgeois qualifie de « juridiction » la fonction du directeur lorsqu'il statue sur une réclamation que celui-ci constitue nécessairement une juridiction au sens du Traité parce que, étant à la fois juge et partie, le directeur n'est ni indépendant ni impartial, attributs cependant constitutifs de la mission de juger (arrêt Corbiau du 30 mars 1993).
La même Cour a considéré que la cour d'appel est la première juridiction susceptible « de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, étant donné que le directeur devant lequel se déroule le litige en première instance appartient à l'administration fiscale et, par conséquent, ne constitue pas une juridiction au sens de l'article 177 du traité » (arrêt Peterbroeck du 14 décembre 1995).
A.4. En toute hypothèse, la procédure en matière d'impôts sur les revenus, telle qu'elle est organisée par les articles 366 à 377 du C.I.R. 92, ne permet pas au contribuable de bénéficier de deux degrés de juridiction totalement indépendants de l'administration.
A.5. En matière d'impôts indirects, la procédure de contestation est organisée tout autrement. Tant en matière de taxe sur la valeur ajoutée qu'en matière de droits d'enregistrement ou de succession, le contribuable dispose du droit de saisir le tribunal de première instance ou le juge de paix par la voie d'une opposition à contrainte.
Une procédure d'appel puis de cassation est organisée.
A.6. Pourtant, les situations qui donnent lieu aux deux procédures différentes sont très comparables.
En matière d'impôts sur les revenus comme en matière de T.V.A., un même contribuable peut être redevable des uns et des autres, se voir réclamer simultanément un supplément par l'une et l'autre des administrations compétentes et être contraint d'intenter deux procédures distinctes, répondant à des principes fondamentalement différents, selon la nature de l'impôt qui lui est réclamé.
A.7. La comparabilité des deux situations n'a d'ailleurs pas échappé à l'administration, qui procède actuellement à une restructuration dont l'objectif ultime est la scission de l'Administration de la T.V.A., de l'enregistrement et des domaines, pour permettre la fusion de l'Administration des contributions directes avec celle de la T.V.A. A.8. Il est incontestable qu'il existe des différences structurelles entre les impôts directs et les impôts indirects, constituant un critère objectif. On peut donc comprendre que cette différence induise certaines différences en rapport avec la nature même des deux types d'impôts envisagés : forme des déclarations, délais pour l'introduction de celles-ci, etc.
Mais on ne peut comprendre pourquoi le législateur a voulu réserver aux seuls contribuables passibles d'impôts indirects un véritable double degré de juridiction, créant de la sorte une discrimination sur un point fondamental : celui de l'accès des contribuables à la justice, du respect des droits de la défense et du respect du principe de l'égalité des armes.
A.9. Cette discrimination se justifie moins encore en matière de T.V.A., qualifiée d'impôt « indirect ». Celle-ci présente en effet de nombreuses ressemblances sur le plan technique avec l'impôt dit « direct » : périodicité des déclarations, lien direct avec le contribuable, qualifié d'« assujetti « , fait générateur constitué par un acte « occasionnel », mais posé par un assujetti défini comme étant quelqu'un qui le commet « d'une manière habituelle ».
A.10. Il est vain de tenter de chercher, dans les textes afférents à l'impôt sur les revenus, une justification raisonnable de cette différence de traitement.
A.11. En matière d'impôt sur les revenus, le système habituel trouve son origine dans la loi du 6 septembre 1895. La loi du 20 novembre 1962 portant réforme des impôts sur les revenus n'a rien changé en la matière, pas plus que celle du 16 mars 1976 modifiant la procédure, bien que son objectif fût d'accroître les droits du contribuable face à l'administration.
A.12. En outre, il ne peut exister aucun rapport de proportionnalité entre l'éventuel but visé et les moyens employés.
Si même il fallait admettre que l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas d'application en matière fiscale, le principe général du droit relatif à l'indépendance et à l'impartialité du juge est d'application et s'oppose à toute discrimination. Les articles 10 et 11 de la Constitution doivent dès lors être mis en relation avec l'article 6.1 de la Convention précitée.
A.13. Cette absence de tout rapport de proportionnalité résulte de l'importance des principes transgressés (accès des contribuables à la justice, respect des droits de la défense, égalité des armes), au regard du caractère strictement technique du critère objectif de différenciation entre impôts directs et indirects.
Seconde branche A.14. Les articles 366 à 376 du C.I.R. 92 ne contiennent aucune disposition imposant au directeur de se déporter lorsqu'il a un intérêt personnel au litige. Ils n'organisent pas des procédures assimilables à celles de la récusation (articles 828 à 848 du Code judiciaire) ou de la suspicion légitime (articles 648, 2°, et 650 du Code judiciaire; article 542 du Code d'instruction criminelle).
Il s'ensuit que, lorsqu'un problème de conflit d'intérêts se pose, il est réglé non pas préalablement mais a posteriori. C'est par le biais d'un appel devant la cour d'appel que le contribuable, confronté à l'hypothèse d'une décision rendue par un directeur qui aurait dû se déporter, peut demander que cette décision soit annulée et que la cour évoque l'affaire.
A.15. Les exemples d'annulation sont légion dans la jurisprudence.
Ainsi, il a été décidé qu'un inspecteur qui avait instruit une réclamation et signé, sur délégation, la décision directoriale, n'était pas suffisamment impartial lorsqu'il se trouvait être l'ex-époux de la cliente de l'avocat contribuable dont il traitait la réclamation (Liège, 17 avril 1991, J.L.M.B. 1991, p. 1033). Il a également été décidé qu'il n'était pas admissible que ce soit le même fonctionnaire qui, d'une part, enrôle l'impôt au stade de la taxation, ensuite, devenu inspecteur, inscrive la réclamation puis signe la décision directoriale (Cass., 14 décembre 1989; Cass., 23 mars 1990).
A.16. L'administration semble avoir pris conscience elle-même du caractère inadmissible de cette situation. Elle a tiré les enseignements des deux arrêts de cassation précités dans une circulaire du 16 août 1990.
Le contribuable qui a introduit une réclamation n'a d'autre garantie qu'a posteriori contre les risques de voir un fonctionnaire statuer, malgré le conflit d'intérêt qui devrait l'inciter à ne pas le faire.
Outre que la circulaire précitée n'a aucune force légale, il reste que le contribuable doit introduire un recours devant la cour d'appel afin de demander à celle-ci d'annuler la décision et ensuite d'évoquer le fond du litige, ce qui implique des frais complémentaires qui ne seront pas mis à charge de l'administration - même l'indemnité de procédure n'est pas d'application en matière fiscale - et ce qui ne se produit qu'après l'écoulement d'un laps de temps parfois excessivement long.
Le caractère comparable de la situation du contribuable qui conteste un impôt direct et de l'assujetti qui conteste un impôt indirect a été démontré. L'objectif du législateur, refusant la possibilité de récuser, dans la première situation, n'est pas perceptible et, en tout état de cause, il n'existe aucun rapport de proportionnalité entre le but visé et les moyens employés.
A.17. Il s'ensuit que les articles 366 à 377 du C.I.R. 92 violent les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement mis en relation avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général de droit relatif à l'indépendance et à l'impartialité du juge.
A.18. Il ne pourrait en aller autrement que si la Cour estimait, contrairement à l'interprétation donnée par le jugement a quo et par l'administration, que les articles 828 et suivants du Code judiciaire sont applicables à la matière de la réclamation dans le domaine de l'impôt des personnes physiques, telle qu'elle est régie par les articles 366 à 377 précités.
Mémoire de l'Etat belge A.19. La Cour d'arbitrage est sans compétence pour vérifier si une disposition législative est compatible avec une règle inscrite dans la Convention européenne des droits de l'homme. Il en est de même si est invoquée l'incompatibilité avec un principe général de droit.
A.20. Par ailleurs, même mis en relation avec les articles 10 et 11 de la Constitution, l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme ne peut être invoqué en matière fiscale, selon une jurisprudence constante tant nationale qu'européenne. Cette exception est fondée sur l'idée suivant laquelle la Convention européenne ne protège que des droits privés et que les droits et obligations des citoyens en tant que contribuables ressortissent au droit public et échappent, comme tels, au domaine d'application de la Convention.
A.21. En revanche, il est admis que l'indépendance et l'impartialité du juge constituent un principe général de droit applicable devant toutes les juridictions, en ce compris devant celles appelées à statuer dans une matière qui ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme (Cass., 23 mai 1985, Pas., 1985, I, n° 570). La jurisprudence a d'ailleurs expressément reconnu ce principe à l'égard du directeur des contributions directes (Cass., 14 décembre 1989, Pas., 1990, I, p. 481; Cass., 23 mars 1990, Pas., 1990, I, p. 867).
A.22. La question préjudicielle doit donc être comprise comme demandant à la Cour d'examiner : « a) si les articles 366 à 377, C.I.R. 92 violent les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que l'accès à un juge indépendant et impartial, principe général de droit, serait refusé à une catégorie de citoyens qui se voient obligés de saisir, en premier ressort en matière d'impôts directs, un juge qui, en la personne du directeur régional des contributions directes, est en réalité un membre de l'administration fiscale, et, partant, un organe de la puissance publique partie à la cause, alors que le respect du principe précité serait assuré dans d'autres matières relatives à des droits politiques, où le juge n'est pas nécessairement un membre de l'administration en cause. b) si les articles précités créent une discrimination injustifiée entre les citoyens, en ce sens que, n'organisant expressément aucune possibilité de récusation du directeur régional, les contribuables ayant intenté une réclamation se voient par conséquent privés de la garantie d'impartialité du juge, principe général du droit, alors qu'une procédure de récusation serait possible en toute autre matière, par application des articles 2 et suivants du Code judiciaire ». Quant à la première branche A.23. Il ne saurait y avoir de discrimination en la matière dans la mesure où il est unanimement reconnu que, lorsqu'il statue sur une réclamation en vertu de l'article 375, alinéa 1er, du C.I.R. 92, le directeur ou le fonctionnaire délégué par lui doit satisfaire au principe général de droit relatif à l'indépendance et à l'impartialité du juge, à peine de voir sa décision annulée par la cour d'appel. Le seul fait que le directeur soit un membre de l'administration fiscale ne lui enlève donc pas a priori la qualité de juge indépendant et impartial.
A.24. La Cour de cassation fonde sa jurisprudence sur une définition matérielle de la fonction de juridiction. En assignant au redevable d'impôts directs, en premier ressort, un juge qui est en réalité un membre de l'administration fiscale, la loi ne crée aucun traitement différencié au préjudice des redevables d'impôts directs par rapport aux titulaires d'autres droits subjectifs politiques.
A.25. A supposer qu'il en soit autrement, il conviendrait d'examiner si la mesure critiquée est fondée sur une différence objective susceptible de justifier un traitement différencié et ensuite de vérifier si la mesure est proportionnée au but poursuivi.
A.26. La compétence du directeur des contributions en la matière trouve son origine dans la loi du 30 juillet 1881 « modifiant quelques dispositions législatives réglant la compétence des députations permanentes » et dans celle du 6 septembre 1895 « relative aux cotisations fiscales en matière d'impôts directs ». Le choix du directeur pour connaître des réclamations s'explique par des considérations historiques.
A.27. L'origine du système actuel doit être recherchée dans les travaux préparatoires de la loi du 16 mars 1976 modifiant la procédure relative aux litiges en matière d'impôts directs.
Des parlementaires avaient proposé de supprimer l'obligation de réclamer auprès du directeur des contributions et d'instaurer une procédure contentieuse exclusivement judiciaire. Ils s'expliquaient longuement sur les motifs qui justifiaient leur proposition.
A.28. Ne pouvant marquer son accord sur cette proposition, le Gouvernement déposa une série d'amendements modifiant fondamentalement la portée du texte initial. Le Gouvernement mettait tout d'abord l'accent sur le caractère spécifique du contentieux fiscal. Il insistait d'autre part sur la nécessité d'un recours préalable à l'autorité hiérarchique. Ensuite, le Gouvernement invoquait le souci de maintenir l'unité de jurisprudence et élevait un certain nombre d'objections d'ordre pratique tirées de l'importance du contentieux fiscal, de l'exigence d'une formation fiscale des juges, de la lenteur et du coût plus élevé de la procédure judiciaire.
Le Gouvernement invoqua également les procédures comparables existant dans des pays voisins de la Belgique.
A.29. Dans l'avis qu'elle donna le 28 septembre 1967, la section de législation du Conseil d'Etat estima que l'examen du dossier fiscal par un supérieur hiérarchique de l'agent taxateur constituait une garantie pour l'intéressé en même temps qu'il contribue efficacement à dégager les points litigieux, chose importante lorsque la cause est, par la suite, déférée au tribunal. L'avis se référait également à une mercuriale prononcée le 1er septembre 1967 devant la Cour d'appel de Gand par l'avocat général Versée dont les considérations furent approuvées dans une note déposée par le commissaire royal à la réforme judiciaire.
A.30. Le Gouvernement fit encore remarquer que, devant l'importance considérable du contentieux fiscal, - 154.599 réclamations avaient été introduites en 1968 - confier ce contentieux aux tribunaux de l'ordre judiciaire serait de nature à perturber l'organisation judiciaire.
A.31. La loi finalement adoptée établit un compromis entre la thèse défendue par les auteurs de la proposition initiale et celle du Gouvernement, fondée sur l'instauration, au niveau du directeur des contributions, d'une procédure analogue à celle qui aurait été suivie devant le tribunal de première instance si celui-ci s'était substitué au directeur des contributions.
Ce compromis se traduisait par trois mesures essentielles : l'instauration d'une instruction contradictoire de la réclamation; l'abandon du pouvoir administratif de compléter l'oeuvre de taxation que détenait jusqu'alors le directeur qui, désormais, ne pouvait plus aggraver la situation du contribuable; la faculté donnée au requérant de formuler des griefs nouveaux devant la cour d'appel pour autant qu'ils invoquent une contravention à la loi ou une violation des formes substantielles de procédure.
A.32. Les éléments retenus par le législateur pour justifier la procédure adoptée s'inscrivent dans le cadre de ceux généralement formulés par la doctrine pour admettre le principe de la réclamation préalable devant l'administration en matière d'impôts directs. Elle constitue un instrument privilégié du dialogue qui doit nécessairement s'instaurer entre le contribuable et l'administration fiscale. En apportant une solution immédiate à de nombreux litiges fiscaux, elle assure un désencombrement des juridictions et, par là même, un allégement du contentieux juridictionnel. Même si elle ne règle pas immédiatement le différend, elle fixe les positions respectives des parties et clarifie le débat juridictionnel.
A.33. Le nombre de réclamations introduites est tel que si la connaissance en était confiée aux cours d'appel, celles-ci auraient besoin d'environ huit années pour traiter les dossiers pendants.
A.34. Le fait que le législateur ait pu soustraire le contentieux du premier degré en matière d'impôts directs à la compétence des cours et tribunaux trouve son origine dans l'article 145 de la Constitution. Le jus tributi est un droit politique. L'article 145 de la Constitution autorisait donc le législateur à instituer une juridiction à compétence spéciale.
Il est vrai que certaines contestations portant sur des droits subjectifs politiques sont tranchées par des collèges, généralement présidés par un magistrat de l'ordre judiciaire, notamment en matière de milice, en matière de professions commerciales et artisanales, dans les matières traitées par le conseil d'enquêtes économiques pour étrangers. Il apparaît toutefois que, dans l'ensemble de ces hypothèses, il ne s'agit pas du jus tributi mais bien soit du jus militiae, soit d'autres droits considérés comme politiques. En revanche, en matière de jus tributi, le législateur a confié également des fonctions juridictionnelles à la députation permanente du conseil provincial, jusqu'à la loi du 24 décembre 1996 relative à l'établissement et au recouvrement des taxes provinciales et communales, qui prévoit désormais, en son article 9, que la députation permanente agit « en tant qu'autorité administrative » et non en tant qu'organe juridictionnel. Toutefois, les contribuables de la Région de Bruxelles-Capitale doivent introduire leur réclamation auprès du collège juridictionnel.
En réalité, la modification apportée par l'article 9 de la loi du 24 décembre 1996 a anticipé la réforme de la procédure en matière d'impôts d'Etat, dans le cadre de laquelle la mission juridictionnelle du directeur des contributions est supprimée (voy. l'avant-projet de loi approuvé par le Conseil des ministres le 28 novembre 1997).
A.35. Lors des discussions ayant abouti à l'article 93, aujourd'hui article 145 de la Constitution, le seul exemple d'exception prévue par cette disposition auquel les travaux préparatoires se réfèrent est celui des contestations en matière d'impositions. Bien plus, on peut considérer que l'article 93 a été envisagé par le Congrès national principalement sinon exclusivement afin de soustraire les litiges fiscaux à la compétence exclusive des cours et tribunaux.
A.36. Il existe manifestement un rapport de proportionnalité entre le moyen utilisé et le but poursuivi. En effet, le législateur a associé le maintien de la compétence du directeur régional à la création d'un ensemble de garanties semblables à celles dont bénéficierait le contribuable devant un tribunal de l'ordre judiciaire. D'autre part, les redevables disposent du droit de porter le litige en second ressort devant la cour d'appel.
A.37. Il apparaît de ces considérations que le fait d'assigner, en premier ressort, au contribuable, en matière d'impôts directs, un juge qui est en réalité un membre de l'administration fiscale, repose sur un critère objectif de différenciation, résidant dans une distinction objective entre les contestations mettant en oeuvre le jus tributi et celles qui concernent d'autres droits subjectifs politiques. D'autre part, la mesure est proportionnée par rapport au but poursuivi.
La première branche de la question appelle une réponse négative.
Seconde branche A.38. La question comporte une inexactitude en ce qu'il y est affirmé que « tout autre juge de l'ordre judiciaire ou administratif (...) peut faire l'objet » d'une procédure de récusation « par application, notamment, des articles 2 et 828 et suivants du Code judiciaire ».
En réalité, comme l'a précisé le Conseil d'Etat, « lorsque l'article 2 du Code judiciaire énonce que les règles de ce Code s'appliquent à toutes les procédures, il ne peut s'agir que des procédures prévues pour les cours et tribunaux qui font l'objet dudit Code et non des procédures organisées par les législations qui régissent spécialement les juridictions administratives » (C.E., 10 juin 1971, arrêt n° 14.802).
Il en résulte que les articles 828 et 847 du Code judiciaire ne s'appliquent pas au juge administratif, sauf s'il en est disposé autrement.
Les dispositions du Code judiciaire relatives à la récusation ne sont donc pas applicables en matière d'impôt direct, le directeur n'étant pas une juridiction de l'ordre judiciaire.
A.39. Cela ne signifie pas pour autant que le principe d'égalité et de non-discrimination serait violé. En effet, une jurisprudence unanime considère que les décisions des directeurs des contributions directes, qui sont de nature juridictionnelle, doivent satisfaire à la règle d'indépendance et d'impartialité qui constitue l'un des principes généraux de droit applicables à toutes les juridictions. Il en découle que tout directeur régional dont le redevable peut légitimement redouter qu'il n'offre pas toutes les garanties d'impartialité est tenu de s'abstenir de participer au jugement de la réclamation présentée par lui. Pour ce faire, le directeur régional dispose précisément de la faculté de déléguer son pouvoir de décision à un autre fonctionnaire (article 377 du C.I.R. 92). Cette faculté de délégation doit cependant s'inscrire dans le respect du principe de territorialité.
A.40. Si le directeur refuse de déléguer son pouvoir de décision, le redevable dispose de la possibilité de déférer la décision directoriale à la censure de la cour d'appel, qui annulera la décision si le grief invoquant l'absence d'impartialité du directeur s'avère fondé (voy. Liège, 17 avril 1991, J.T. 1991, p. 540). Lorsque la cour d'appel annule la décision rendue par le directeur des contributions, elle doit, en raison du caractère d'ordre public de l'impôt, statuer elle-même au fond dans les limites du litige dont elle est saisie (Cass., 14 décembre 1989, Pas., 1990, I, 1981).
Dans cette hypothèse, la cour d'appel statue en premier et dernier ressort et cette circonstance n'engendre aucune discrimination, eu égard au pouvoir particulier attribué à la cour d'appel statuant en matière d'impôts directs.
A.41. Il résulte de l'ensemble de ces observations que, contrairement à ce que laisse supposer le libellé de la question préjudicielle, le fait que les articles 366 à 377 du C.I.R. 92 ne prévoient pas ni n'organisent de façon expresse la procédure de récusation du directeur n'empêche nullement qu'une telle faculté existe néanmoins, par le biais du respect du principe général de droit précité, combiné avec le droit de délégation prévu par l'article 375, alinéa 1er, du C.I.R. 92.
Il en découle que les articles 366 à 377 du C.I.R. 92 n'instaurent en réalité aucune différence de traitement susceptible de violer les principes d'égalité et de non-discrimination consacrés par les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.42. Subsidiairement, il convient de souligner que, même si la procédure de récusation n'est pas organisée d'une manière formelle par les articles 366 à 377 du C.I.R. 92, cette circonstance n'est pas discriminatoire étant donné qu'elle ne prive nullement les contribuables de la possibilité de soumettre leur cause à un juge indépendant et impartial.
La seconde branche appelle donc une réponse négative.
Mémoire en réponse de l'Etat belge A.43. Telle qu'elle est libellée, la question préjudicielle ne porte nullement sur les différences de traitement qui pourraient résulter d'une comparaison entre la matière des impôts directs et celle des impôts indirects. L'argumentation développée par le demandeur est donc irrelevante.
A.44. Subsidiairement, la différence invoquée entre la procédure en matière d'impôts directs et la procédure en matière d'impôts indirects repose sur un critère objectif, raisonnablement justifié.
En effet, il existe entre les deux catégories d'impôts une différence fondamentale résidant dans la circonstance que les impôts indirects, lesquels sont perçus sur des faits occasionnels, ne font nullement l'objet de rôles nominatifs.
En matière d'impôts indirects, le titre de perception n'est établi, et la procédure contentieuse n'est ouverte, en cas de défaut de paiement par le contribuable, qu'en vue de la perception de l'impôt. Le contribuable qui désire contester le bien-fondé de l'imposition peut alors faire opposition à ce type de perception. Dans cette optique, les impositions qualifiées d'indirectes deviennent assimilables à des créances civiles de sommes.
A.45. Comme les règles relatives au recouvrement et à la perception sont principalement régies par le droit commun, il est normal que le contentieux en matière d'impôts indirects soit de la compétence exclusive des juridictions ordinaires.
Mémoire en réponse du demandeur devant le juge a quo A.46. Le demandeur avait lui-même souligné que, même s'il fallait admettre que l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme n'est pas d'application en matière fiscale, le principe général de droit relatif à l'indépendance et à l'impartialité du juge est d'application et s'oppose à semblable discrimination.
A.47. Il est par ailleurs inexact de faire état d'une jurisprudence constante « tant nationale qu'européenne » pour contester l'applicabilité de l'article 6 de la Convention. La Cour de cassation française admet que la matière fiscale relève de l'article 6 de la Convention.
A.48. L'exposé des motifs précédant les projets de loi relative au contentieux en matière fiscale et « à l'organisation judiciaire en matière fiscale » commence par les termes suivants : « La manière dont le contentieux fiscal est tranché fait l'objet de critiques. Ainsi, il est souligné, non sans raison, que la résolution des litiges, particulièrement en matière d'impôts directs, organisée pour l'essentiel par le CIR 1992, ne satisfait plus aux exigences actuelles, et ce, notamment sur la base des conceptions modernes du droit à une bonne administration de la justice, reconnu dans divers articles de la Constitution, à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. » Quant à la première branche A.49. L'affirmation selon laquelle le directeur aurait les qualités de juge indépendant et impartial est contestable (voy. les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes cités dans le mémoire).
A.50. De surcroît, la question n'est pas de savoir si, en fait, le directeur des contributions est indépendant et impartial, mais d'estimer s'il donne aux contribuables, de façon suffisante, l'apparence d'une juridiction nantie de ces deux qualités.
A.51. Enfin, la jurisprudence des cours d'appel démontre qu'à de nombreuses reprises, les directeurs des contributions ne se sont pas comportés en juridiction indépendante et impartiale.
A.52. S'il a pu être affirmé autrefois que le droit fiscal était une « branche autonome du droit, possédant ses notions et ses règles propres », cette assertion doit aujourd'hui être revue.
Serait-il même une branche autonome du droit, le droit fiscal ne l'est pas plus, par exemple, que le droit social, le droit pénal ou le droit dit « commercial ».
En toute hypothèse, l'affirmation d'autonomie du droit fiscal n'explique pas pourquoi les litiges en matière d'impôts indirects relèvent, dès le premier degré de juridiction, de la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire, alors que les litiges en matière d'impôts sur les revenus devraient être traités par les directeurs régionaux des contributions.
A.53. Prétendre déduire de l'autonomie du droit fiscal que celui-ci doit être soustrait à la compétence des magistrats de l'ordre judiciaire est injurieux pour ceux-ci : ils traitent des problèmes complexes et connaissent, depuis des décennies, des litiges en matière d'impôts. Certains sont d'ailleurs appelés à composer ensuite les « chambres spécialisées en matière fiscale » des cours d'appel.
A.54. S'il est souhaitable qu'un contribuable puisse demander un « examen hiérarchique » de son dossier, ceci ne doit pas avoir pour conséquence de faire du directeur des contributions une juridiction substituée au tribunal de première instance. En matière d'impôts indirects, et particulièrement de T.V.A., il est toujours loisible à l'assujetti de faire examiner son dossier par l'autorité hiérarchique avant toute opposition à contrainte.
A.55. Le projet de loi relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale tend à permettre aux tribunaux de première instance de connaître des litiges en matière d'impôts sur les revenus, ce qui suffit à démontrer l'inanité des arguments invoqués par l'Etat.
A.56. La mission de maintenir l'unité de jurisprudence appartient à la Cour de cassation (article 612 du Code judiciaire).
Les directeurs des contributions ont d'autant moins compétence pour uniformiser la jurisprudence qu'ils délèguent fréquemment leur pouvoir de statuer, qu'ils ne motivent pas leur décision lorsqu'elle est favorable au contribuable et que les décisions directoriales ne sont jamais publiées.
La considération selon laquelle les directeurs appliquent les lois de l'impôt d'une façon uniforme « sur la base des commentaires administratifs et de la jurisprudence des cours » suffit à enlever toute apparence d'indépendance aux directeurs. Les commentaires et circulaires administratifs sont en effet dépourvus de toute valeur juridique normative.
Par ailleurs, on ne voit pas en quoi l'administration aurait pour souci le maintien de l'unité de jurisprudence en matière d'impôts sur les revenus, et non en matière d'impôts indirects.
A.57. En ce qui concerne le nombre de réclamations mentionné par l'Etat belge, il faut noter que les litiges en matière fiscale portent souvent sur plusieurs exercices et que l'administration se considère comme saisie d'autant de réclamations qu'il y a d'exercices en cause, alors que, si le litige était déféré aux tribunaux, il ne s'agirait que d'un seul litige. Il faut donc vraisemblablement réduire de moitié les chiffres cités par l'Etat belge.
Soutenir qu'un domaine déterminé du droit est lieu de trop de litiges pour qu'on puisse en saisir les tribunaux est le plus mauvais argument qui se puisse imaginer. Il n'a empêché ni la création des tribunaux du travail ni le vote des lois du 10 juillet et du 8 août 1997 sur la réforme de la faillite et du concordat judiciaire.
Le projet de loi relative à l'organisation judiciaire en matière fiscale prévoit d'ailleurs, en son article 9, la nomination de neuf magistrats supplémentaires au Tribunal de première instance de Bruxelles, six à Anvers, trois à Mons, quatre à Gand et six à Liège.
A.58. La comparaison faite avec d'autres pays, et particulièrement la France, est inopportune. Le contentieux en matière fiscale y est organisé d'une manière que critique sévèrement la Cour de cassation française.
A.59. L'argument tiré des lenteurs et du coût plus élevé de la procédure judiciaire n'est pas relevant. Il n'est en rien prouvé que la durée d'une procédure devant le tribunal de première instance est nécessairement plus longue que devant le directeur des contributions, d'autant que, dans le premier cas, les parties disposent des moyens qui leur sont impartis par les articles 747 et 751 du Code judiciaire, alors qu'il n'existe aucune possibilité de contraindre le directeur à statuer dans un délai raisonnable.
A.60. Contrairement à ce qu'assure l'Etat belge, les articles 144 et 145 de la Constitution ne créent pas une distinction entre les contestations en matière d'impôts directs et celles relatives aux « autres droits subjectifs politiques », mais entre les « contestations qui ont pour objet des droits civils « (article 144) et celles ayant pour objet « des droits politiques » (article 145).
La Constitution étant claire sur ce point, un recours aux travaux préparatoires ne se justifie pas.
A.61. A supposer même que la Constitution ait établi une différence de traitement entre la matière des impôts directs et celle des autres droits subjectifs politiques, elle n'en a consacré aucune entre les impôts directs et les impôts indirects.
Si même la Constitution avait établi une différence de traitement entre les contestations relatives aux deux catégories d'impôts, en précisant que, dans le premier cas seul, les contestations sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi, il reste que le législateur n'est pas dispensé de respecter les articles 10 et 11 de la Constitution lorsqu'il met en oeuvre les dispositions de celle-ci relatives aux contestations en matière fiscale. La loi doit donc instituer des « juridictions » qui, si même elles ne relèvent pas de l'ordre judiciaire, ne peuvent être composées de fonctionnaires qui sont les organes d'une des parties.
Quant à la seconde branche A.62. L'examen de la jurisprudence des cours d'appel révèle que celles-ci ont été appelées à d'innombrables reprises à annuler des décisions directoriales pour violation du principe inscrit à l'article 6 de la Convention européenne. Il n'existe aucun texte légal faisant interdiction au directeur de statuer dans un litige où il est personnellement impliqué.
A.63. La faculté donnée aux directeurs de déléguer à un autre fonctionnaire ne règle pas le problème puisqu'il s'agit d'une faculté, que le fonctionnaire délégué est un subordonné du directeur, qu'on voit d'ailleurs mal comment les directeurs pourraient prétendre mener à bien leur mission d'uniformisation de la jurisprudence s'il n'en était pas ainsi et qu'enfin permettre au contribuable de recourir à l'autorité hiérarchique n'a guère de sens si celle-ci s'empresse de déléguer un subordonné.
Enfin, le recours a posteriori, par le biais d'une procédure que la partie adverse qualifie elle-même de « lente et coûteuse » (et imposant même le recours à un avocat...), n'est pas satisfaisant, alors qu'en matière d'impôts indirects, la possibilité de récusation est prévue d'emblée. - B - B.1. L'article 366 du Code des impôts sur les revenus 1992, ci-après appelé C.I.R. 92, dispose : « Le redevable peut se pourvoir en réclamation, par écrit, contre le montant de l'imposition établie à sa charge, y compris tous additionnels, accroissements et amendes, auprès du directeur des contributions de la province ou de la région dans le ressort de laquelle l'imposition, l'accroissement et l'amende ont été établis. » L'article 371 précise que les réclamations doivent être motivées et indique dans quel délai elles doivent être introduites.
L'article 374 traite des moyens de preuve dont dispose l'administration afin d'instruire la réclamation et permet au réclamant d'être entendu et d'obtenir communication des pièces relatives à la contestation dont il n'avait pas connaissance.
L'article 375 prévoit que le directeur des contributions ou le fonctionnaire délégué par lui statue par décision motivée et précise qu'il ne leur est pas permis d'établir des suppléments d'impôts ou de compenser un dégrèvement reconnu justifié avec une insuffisance d'imposition constatée.
L'article 377 énonce : « Les décisions des directeurs des contributions et des fonctionnaires délégués prises en vertu des articles 366, 367 et 376, peuvent être l'objet d'un recours devant la Cour d'appel dans le ressort de laquelle est situé le bureau où la perception a été ou doit être faite.
Le requérant peut soumettre à la Cour d'appel des griefs qui n'ont été ni formulés dans la réclamation, ni examinés d'office par le directeur ou par le fonctionnaire délégué par lui, pour autant qu'ils invoquent une contravention à la loi ou une violation des formes de procédure prescrites à peine de nullité. » Quant à la première branche de la question B.2.1. Dans la première partie de la question, le juge a quo interprète l'article 366 du C.I.R. 92 comme organisant un recours juridictionnel qui s'exerce devant un organe de l'administration dont la décision est contestée. Cette disposition traite la catégorie des justiciables qui introduisent une réclamation en matière d'impôts sur les revenus différemment de ceux qui, à propos d'autres droits politiques, exercent un recours, soit devant une juridiction de l'ordre judiciaire soit devant une juridiction administrative qui n'est pas l'organe de l'administration en cause. Le juge a quo pose dès lors la question de savoir si les articles 366 à 377 du C.I.R. 92 sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.2.2. Les garanties d'indépendance et d'impartialité sont indispensables à l'exercice de la fonction de juger. En ce qu'il est incorporé dans une structure hiérarchique qui est celle de l'administration partie au litige, le directeur des contributions ne saurait offrir, aux yeux du contribuable, de telles garanties. Il s'ensuit que, sans qu'il y ait lieu d'examiner si l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme est applicable ou non, les articles 366 à 377 du C.I.R. 92, dans l'interprétation du juge a quo, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.3.1. L'article 366 du C.I.R. 92 peut cependant s'interpréter comme instituant auprès du directeur des contributions un recours administratif, d'ailleurs entouré, dans un souci de bonne administration, de garanties analogues à celles qui sont de rigueur pour les recours juridictionnels. Dès lors que les décisions du directeur des contributions peuvent être attaquées devant la cour d'appel, il n'est pas discriminatoire, en raison de la spécificité de la matière fiscale, de faire précéder ce recours juridictionnel d'une phase administrative.
B.3.2. Il est vrai que, dans ce cas, les justiciables ne disposent que d'un seul degré de juridiction puisque le pourvoi en cassation qu'ils peuvent exercer contre les arrêts de la cour d'appel n'est pas un recours de pleine juridiction.
Mais leur situation n'est pas différente de celle des justiciables qui, à propos d'autres droits politiques, ne disposent que d'un recours au Conseil d'Etat contre l'acte administratif qui leur fait grief.
B.3.3. Dans cette interprétation, les articles 366 à 377 du C.I.R. 92 ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Quant à la deuxième branche de la question B.4.1. Si l'article 366 du C.I.R. 92 est interprété comme confiant une mission juridictionnelle au directeur des contributions, celui-ci doit pouvoir être récusé.
B.4.2. En s'abstenant d'organiser la procédure de récusation, ainsi que le font les articles 828 à 847 du Code judiciaire pour les matières judiciaires, le législateur fiscal n'a pas permis aux réclamants d'user de leur droit de récusation. Il les a ainsi privés, sans justification admissible, de l'exercice d'une prérogative qui appartient à tous les autres justiciables.
Le recours devant la cour d'appel, qui n'offre qu'un contrôle a posteriori, n'est pas de nature à remédier utilement à cette discrimination.
B.4.3. Dans cette interprétation de l'article 366, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative dans sa deuxième branche.
B.5.1. Si l'article 366 est interprété comme organisant un recours administratif, les règles relatives à la récusation des juges ne s'appliquent pas en tant que telles au directeur des contributions.
B.5.2. Dans cette interprétation, la question préjudicielle, en sa seconde branche, appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. Dans l'interprétation selon laquelle l'article 366 du Code des impôts sur les revenus 1992 confie au directeur des contributions une mission juridictionnelle, les articles 366 à 377 de ce Code violent les articles 10 et 11 de la Constitution : a) en ce qu'ils confient une mission juridictionnelle à une autorité qui ne présente pas les garanties d'indépendance et d'impartialité objective, b) en ce qu'ils n'organisent pas de procédure de récusation.2. Dans l'interprétation selon laquelle l'article 366 du Code des impôts sur les revenus 1992 organise un recours administratif devant une autorité administrative, les articles 366 à 377 de ce Code ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 10 juin 1998, en l'absence du juge M. Bossuyt, légitimement empêché, et du juge R. Henneuse, juge le dernier nommé du groupe linguistique le plus nombreux, qui a dû s'abstenir.
Le greffier, L. Potoms Le président, M. Melchior