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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 07 août 1998

Arrêt n° 55/98 du 20 mai 1998 Numéro du rôle : 1187 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 19, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat. La Cour d'arbitrage, composée des prési après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par ar(...)

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07/08/1998
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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 55/98 du 20 mai 1998 Numéro du rôle : 1187 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 19, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, G. De Baets, E. Cerexhe, A. Arts et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 69.285 du 30 octobre 1997 en cause de l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires contre la Commission de contrôle de la représentativité des organisations syndicales des militaires et l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 novembre 1997, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 19, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat méconnaît-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? » II. Les faits et la procédure antérieure Le 18 août 1997, l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires a introduit devant le Conseil d'Etat une demande de suspension de l'exécution de décisions prises par la Commission de contrôle de la représentativité des organisations syndicales des militaires. Le même jour, la même association introduisait une demande d'annulation des mêmes décisions.

Par son arrêt précité du 30 octobre 1997, le président faisant fonction de la VIIIème chambre des référés du Conseil d'Etat rejetait la demande de suspension.

Il constatait toutefois que la partie requérante, pour ne pas retarder la solution de l'affaire en suspension, avait été représentée à l'audience par un avocat inscrit au tableau de l'Ordre tout en contestant qu'elle ne puisse se faire représenter devant le Conseil d'Etat par un avocat stagiaire. Elle demandait qu'une question préjudicielle soit posée à la Cour d'arbitrage.

Estimant que la réponse à cette question déterminerait la procédure en annulation devant le Conseil d'Etat et, plus particulièrement, si un avocat stagiaire pourrait représenter la partie requérante devant lui, le président de la VIIIème chambre a posé la question préjudicielle précitée.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 7 novembre 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 3 décembre 1997.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 17 décembre 1997.

Des mémoires ont été introduits par : - l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires, dont le siège est établi à 1030 Bruxelles, avenue Milcamps 77, par lettre recommandée à la poste le 11 décembre 1997; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 19 janvier 1998.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 23 janvier 1998.

L'a.s.b.l. Syndicat national des militaires a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 26 janvier 1998.

Par ordonnance du 25 mars 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 22 avril 1998.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 26 mars 1998.

Par ordonnance du 29 avril 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 7 novembre 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

A l'audience publique du 22 avril 1998 : - ont comparu : . Me M. Forges et Me P. Vande Casteele, avocats au barreau de Bruxelles, pour l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires; . Me M. Mahieu, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs P. Martens et G. De Baets ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. En droit - A - Mémoire de la partie requérante devant le Conseil d'Etat A.1. Les exigences du procès équitable, et notamment le respect du principe de l'égalité des armes, qui ressortit à l'ordre public, impliquent que chaque partie puisse présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire.

A.2. Devant toutes les juridictions, seuls les avocats ont en principe le droit de plaider (article 440 du Code judiciaire).

L'accès à la profession d'avocat présuppose l'obtention d'un diplôme de licencié en droit et la prestation du serment d'avocat.

Les cours de droit sont organisés de manière telle qu'il ne peut être prétendu que les avocats stagiaires ne justifieraient pas d'une formation académique en droit public et en droit administratif.

A.3. L'article 6.3.c) de la Convention européenne des droits de l'homme consacre le droit de « se défendre [soi-même] ou [d']avoir l'assistance d'un défenseur de son choix ».

Le principe général du libre choix de l'avocat concerne tant l'assistance que la représentation et ce principe ressortit à l'ordre public.

A.4. Les litiges déférés à la censure du Conseil d'Etat ne présentent pas une spécificité telle qu'il puisse être admis que les parties, qui peuvent d'ailleurs se présenter elles-mêmes, ne puissent y faire choix d'un avocat qui n'est pas encore inscrit au tableau de l'Ordre, alors que cet avocat peut comparaître devant toute autre juridiction.

A.5. La discrimination est d'autant plus évidente que les parties adverses peuvent être représentées par des fonctionnaires, choisis librement par le ministre compétent, sans aucune exigence quant à la possession d'un diplôme de licencié en droit ni quant à une ancienneté minimale en tant qu'agent.

A.6. La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage n'exclut pas les avocats stagiaires et ne limite donc pas le choix des requérants. Lorsque le Conseil d'Etat interroge la Cour d'arbitrage sur l'exclusion des avocats stagiaires, ce qui est le cas dans la présente affaire, l'avocat stagiaire désigné par la partie requérante peut d'ailleurs plaider devant la Cour.

A.7. Les avocats stagiaires ne sont pas exclus du prétoire à Strasbourg.

A.8. L'article 19, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, qui exclut indifféremment tous les avocats inscrits en Belgique sur la liste des stagiaires, méconnaît les articles 10 et 11 de la Constitution.

Mémoire du Conseil des ministres A.9. Il existe une différence objective entre l'avocat stagiaire et l'avocat inscrit au tableau de l'Ordre : le premier, au début de son stage, n'est pourvu d'aucune expérience professionnelle; il doit satisfaire à un certain nombre d'obligations du stage qui lui permettront d'acquérir l'expérience et les connaissances pratiques nécessaires à l'exercice de la profession. Il n'est donc pas a priori discriminatoire de traiter différemment des catégories objectivement distinctes.

A.10. La distinction critiquée a été adoptée par le législateur, en 1952 d'abord, en 1982 ensuite. Il pourrait se concevoir que le législateur, tout en admettant la comparution personnelle des parties, sans avocat, devant le Conseil d'Etat, ait voulu que, lorsque les parties comparaissent par avocat, cette intervention soit assortie d'une garantie minimale de qualité. La seule exigence de l'accomplissement des trois années de stage ne pouvait être considérée comme manifestement disproportionnée par rapport à l'objectif ainsi poursuivi.

A.11. Depuis lors, divers facteurs permettent de reconsidérer le caractère raisonnable de la distinction critiquée, notamment l'évolution législative récente qui permet à tous les avocats, y compris stagiaires, de plaider à la Cour d'arbitrage et, en matière pénale, à la Cour de cassation.

A.12. La justification d'une telle différence de traitement peut être reconsidérée.

La distinction ne parait pas conserver aujourd'hui la justification qui pouvait encore être la sienne à l'époque de sa dernière consécration législative.

A.13. Le Conseil des ministres déclare donc s'en référer à la sagesse de la Cour.

Mémoire en réponse de la requérante devant le Conseil d'Etat A.14. L'objet de la question dépasse les limites assignées par le Conseil des ministres : il y a lieu d'apprécier la légitimité de l'exclusion des avocats stagiaires, tant pour assister une partie que pour la représenter.

A.15. Le Conseil des ministres relève la préoccupation qu'avait eue le législateur, en 1939, de « prévoir la présence de membres du barreau face aux auditeurs et aux commissaires du Gouvernement ». Face aux auditeurs, il n'y a pas de commissaire du gouvernement mais uniquement des agents représentant l'Etat. Ces agents ne sont soumis à aucune condition particulière. L'argument selon lequel il s'agissait d'empêcher les parties requérantes de faire appel à un avocat stagiaire n'est pas pertinent, l'avocat stagiaire n'étant pas moins qualifié qu'un agent de l'Etat.

A.16. Il est donc permis de dire que la distinction critiquée n'a jamais pu avoir de justification admissible. On ne peut partager la conclusion du Conseil des ministres selon laquelle la condition retenue par le législateur en 1952 et en 1982 était admissible à l'époque. - B - B.1. L'article 19, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat dispose : « Les parties peuvent se faire représenter ou assister par des avocats inscrits au tableau de l'Ordre des avocats ainsi que, selon les dispositions du Code judiciaire, par toute personne établie dans un Etat membre des Communautés européennes et y habilitée, depuis trois ans au moins, à exercer la profession d'avocat. [...] » Cette disposition est interprétée par le Conseil d'Etat comme établissant une exigence de recevabilité. Sa méconnaissance entraîne, d'office, l'irrecevabilité de la requête signée par un avocat stagiaire et celui-ci ne peut plaider à l'audience.

B.2. La loi du 23 décembre 1946 portant création d'un Conseil d'Etat ne permettait aux parties de s'y faire représenter que par des avocats de nationalité belge ayant dix années d'inscription au tableau de l'Ordre des avocats. Cette exigence avait pour objectif « d'avoir, en matière de contentieux administratif, des avocats qui se spécialiseront et aideront l'auditorat et le Conseil à construire la jurisprudence administrative ». Elle devait permettre d'opérer « un filtrage » et d'éviter que la nouvelle juridiction ne soit « encombrée par des revendications sans fondement juridique ou dont l'objet sortirait de sa compétence ». La proposition de créer un barreau spécial ayant le monopole de la plaidoirie fut rejetée (Doc. parl., Sénat, S.E. 1939, n° 80, p. 59).

B.3. La loi du 11 juin 1952, qui a modifié la loi du 23 décembre 1946, a abrogé cette disposition, le législateur estimant qu'elle n'avait plus de raison d'être, puisque la jurisprudence du Conseil d'Etat a défini les conditions dans lesquelles les recours doivent être introduits et qu'il n'était pas justifié de maintenir une restriction que n'appliquent ni les cours d'appel ni même la Cour de cassation (Doc. parl., Sénat, 1950-1951, n° 387, p. 2; Sénat, 1951-1952, n° 181, p. 2). Le ministre de l'Intérieur introduisit un amendement, qui fut adopté, étendant le droit de représentation et d'assistance devant le Conseil d'Etat « à tous les avocats dès le moment qu'ils sont inscrits au tableau de l'Ordre (donc après trois années de stage) ». (Doc. parl., Chambre, 1951-1952, n° 414, p. 2) B.4. La loi du 6 mai 1982 modifiant les lois sur le Conseil d'Etat avait pour objet essentiel d'en modifier les cadres et de tenir compte du droit communautaire en matière de libre prestation de services.

Elle a étendu aux avocats européens la condition d'ancienneté de trois ans, c'est-à-dire la durée minimale du stage pour les avocats belges, sans remettre en cause le principe de cette exigence.

B.5. Si le Code judiciaire impose certaines obligations aux stagiaires, il n'établit aucune distinction à leur détriment en ce qui concerne l'exercice de la profession, « sans préjudice des dispositions particulières relatives à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat » (article 439 du Code judiciaire).

L'article 478 du Code judiciaire, selon lequel, en matière civile, seuls les avocats nommés à cette fin et qui portent le titre d'avocats à la Cour de cassation peuvent postuler et conclure devant elle, constitue une exception qui exclut tous les autres avocats. Seul l'article 19 des lois coordonnées prévoit une exception qui exclut les seuls avocats stagiaires.

B.6. L'exception prévue dans la seule matière du contentieux confié au Conseil d'Etat n'est pas justifiée. Les programmes des études universitaires de droit contiennent une formation adéquate en droit administratif. Rien ne permet de prétendre que les avocats stagiaires défendraient des « revendications sans fondement juridique » comme l'avait craint le législateur en 1946. Enfin, l'exigence d'une ancienneté de trois ans est sans rapport avec le souhait, exprimé également en 1946, de voir traiter le contentieux administratif par des avocats spécialisés.

B.7. Il s'ensuit que la disposition en cause établit une différence de traitement injustifiée entre deux catégories d'avocats et restreint sans raison admissible le droit des justiciables de choisir librement leur conseil.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 19, alinéa 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 20 mai 1998.

Le greffier, L. Potoms Le président, M. Melchior

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