publié le 27 septembre 1997
Arrêt n° 48/97 du 14 juillet 1997 Numéro du rôle : 965 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 62 de la loi relative à la circulation routière La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 48/97 du 14 juillet 1997 Numéro du rôle : 965 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 62 de la loi relative à la circulation routière (arrêté royal du 16 mars 1968 portant coordination des lois relatives à la police de la circulation routière), posée par le Tribunal de première instance de Bruges.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, P. Martens, J. Delruelle, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans, A. Arts, R. Henneuse et M. Bossuyt, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par jugement du 3 juin 1996 en cause du ministère public contre M. Annicaert, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 juin 1996, le Tribunal de première instance de Bruges a posé la question préjudicielle suivante : « Faut-il interpréter l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière (arrêté royal du 16 mars 1968) en ce sens que la force probante particulière qui s'attache aux procès-verbaux envoyés à temps en matière d'infractions au Code de la route, c'est-à -dire dans un délai de huit jours à compter de la date de la constatation - force probante qui signifie que ces procès-verbaux font foi jusqu'à preuve du contraire - ne peut porter, à peine de violer les articles 10 et 11 de la Constitution, que sur des procès-verbaux dressés par des verbalisants qui ne sont pas personnellement concernés par les infractions constatées en ce qu'ils ont encouru ou risqué, du fait de l'infraction, un dommage matériel et/ou moral quelconque ? » II. Les faits et la procédure antérieure Le litige qui a donné lieu à la procédure devant le juge a quo porte sur le fait qu'une automobiliste n'aurait pas respecté, à hauteur d'un carrefour, la priorité d'un cycliste venant de la droite, de sorte que celui-ci a dû freiner pour éviter une collision.
Le cycliste, compétent pour ce faire en tant que fonctionnaire public, a dressé en conséquence un procès-verbal qui a été envoyé à l'automobiliste concernée.
L'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière reconnaît à ce procès-verbal envoyé au contrevenant dans le délai prescrit, c'est-à -dire dans les huit jours, une force probante particulière, valant jusqu'à preuve du contraire.
Le tribunal de police a considéré la prévention établie dans le chef de l'automobiliste. L'automobiliste, qui nie que le cycliste ait été gêné, interjette appel de ce jugement devant le Tribunal de première instance de Bruges et demande au juge de poser une question préjudicielle à la Cour au sujet de l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière.
Elle considère notamment que cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il n'est pas fait de distinction entre un procès-verbal dressé par un tiers indépendant et un procès-verbal dressé par une personne lésée. Elle estime que l'égalité des armes entre les parties au procès est donc rompue.
Le juge a quo déclare que le Tribunal croit percevoir une différence entre les diverses qualités en lesquelles un verbalisant peut agir et décide de poser une question préjudicielle.
III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 7 juin 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 21 juin 1996.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 3 juillet 1996.
Des mémoires ont été introduits par : - M. Annicaert, Prinses Paolalaan 7, 8310 Bruges, par lettre recommandée à la poste le 3 août 1996; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 5 août 1996.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 25 juin 1996.
Par ordonnances du 26 novembre 1996 et du 29 mai 1997, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 7 juin 1997 et 7 décembre 1997 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 6 février 1997, la Cour a complété le siège par le juge M. Bossuyt.
Par ordonnance du 5 mars 1997, le président L. De Grève a soumis l'affaire à la Cour réunie en séance plénière.
Par ordonnance du même jour, la Cour : - a reformulé comme suit la question préjudicielle : « L'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière viole-t-il à l'égard du prévenu les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une force probante particulière s'attache aux procès-verbaux visés dans cette disposition législative, jusqu'à preuve du contraire, si cette disposition (est interprétée en ce sens qu'elle) est applicable sans distinction à tous les verbalisants qu'elle vise, et donc également lorsque le verbalisant est personnellement concerné par l'infraction constatée et/ou lorsqu'il a encouru ou risqué un quelconque dommage matériel et/ou moral ? » - a invité les parties à faire connaître leur point de vue sur la question suivante dans un mémoire complémentaire à introduire pour le 24 mars 1997 au plus tard : « L'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière viole-t-il à l'égard du prévenu les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une force probante particulière s'attache, jusqu'à preuve du contraire, aux procès-verbaux visés dans cette disposition législative (en dérogeant ainsi aux règles générales applicables en matière d'administration de la preuve et d'appréciation des preuves en matière pénale) ? ».
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 7 mars 1997.
Des mémoires complémentaires ont été introduits par : - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 20 mars 1997; - M. Annicaert, par lettre recommandée à la poste le 24 mars 1997.
Par ordonnance du 16 avril 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 6 mai 1997.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 17 avril 1997.
A l'audience publique du 6 mai 1997 : - a comparu : .Me L. De Schepper, avocat au barreau de Bruges, pour M. Annicaert; - les juges-rapporteurs M. Bossuyt et R. Henneuse ont fait rapport; - l'avocat précité a été entendu; - l'affaire a été mise en délibéré sous réserve d'une convocation régulière de l'avocat du Conseil des ministres.
Par ordonnance du 28 mai 1997, la Cour a rouvert les débats et fixé l'audience publique au 12 juin 1997.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties et à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 29 mai 1997.
A l'audience publique du 12 juin 1997 : - ont comparu : . Me L. De Schepper, avocat au barreau de Bruges, pour M. Annicaert; . Me S. Michiels loco Me M. Van Bever, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs M. Bossuyt et R. Henneuse ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Mémoire de M. Annicaert A.1.1. L'appelante devant le juge a quo, à la demande de laquelle la question préjudicielle a été posée, considère que l'article 62, alinéas 1er et 2, de la loi relative à la police de la circulation routière viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il n'est pas fait de distinction, dans cette disposition, entre deux situations essentiellement différentes, à savoir, d'une part, celle du verbalisant en tant qu'observateur, tiers indépendant, et, d'autre part, celle du verbalisant en tant que partie concernée et personne potentiellement lésée.
Dans le premier cas, il n'y a pas de violation du principe d'égalité, mais dans le second, il y a clairement une violation.
A.1.2. La confusion des qualités de verbalisant et de personne lésée viole le principe d'égalité et ne satisfait pas aux exigences formulées par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le principe de l'égalité des armes des parties au procès contenu dans cette disposition conventionnelle, qui constitue une expression différente du principe d'égalité établi aux articles 10 et 11 de la Constitution, implique que chaque partie doit avoir une chance raisonnable d'expliquer sa cause devant le juge dans des circonstances qui ne la placent pas dans une situation défavorable par rapport à la partie adverse.
En droit pénal, il est élémentaire que le ministère public et la personne lésée supportent la charge de la preuve de leurs affirmations et que le prévenu bénéficie de la présomption d'innocence telle qu'elle est garantie par l'article 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
A.1.3. Le procès-verbal dressé sur la base de l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière a une force probante particulière et renverse la charge de la preuve; son contenu s'impose au juge jusqu'à preuve du contraire. Si cette valeur probante particulière est également attachée au procès-verbal dressé par un verbalisant qui est en même temps la personne lésée, la partie adverse se trouve placée ab initio dans une situation impossible au regard de l'administration de la preuve. Dans cette hypothèse, le verbalisant n'agit pas en tant que fonctionnaire public qui effectue de façon impartiale certaines constatations, mais en tant que personne lésée, en tant que citoyen ordinaire, non investi de droits supérieurs à ceux de la partie adverse. Or, il lui est possible, sur la base de l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière, de s'octroyer à lui-même la preuve de ses allégations, qui valent jusqu'à preuve du contraire.
Force est donc de conclure que, dans le cas spécifique où le verbalisant est également la personne lésée, l'article 62, alinéas 1er et 2, de la loi relative à la police de la circulation routière viole le principe d'égalité et les droits de la défense, puisque la partie adverse se trouve placée dans une situation impossible au regard de l'administration de la preuve, qui n'aurait jamais été la sienne dans des circonstances normales et loyales.
Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. Concernant l'étendue de la saisine, le Conseil des ministres observe que la question préjudicielle posée n'a manifestement pas trait au problème de savoir si un procès-verbal valant jusqu'à preuve du contraire constitue en soi une violation de l'égalité des armes entre les parties.
La question posée concerne uniquement la réflexion selon laquelle il est permis de se demander s'il ne faudrait pas opérer une distinction entre, d'une part, les procès-verbaux dressés par un verbalisant qui n'est pas concerné personnellement par les infractions constatées et, d'autre part, les procès-verbaux dressés par un verbalisant qui est personnellement concerné par les infractions constatées.
A.2.2. Un verbalisant qui a encouru ou risqué un dommage lors d'une infraction n'est pas nécessairement un « verbalisant personnellement concerné » tel qu'il est dit dans la décision de renvoi, puisqu'un facteur humain tel que l'implication personnelle est difficilement mesurable. Dès lors que cette implication personnelle du verbalisant ne peut être vérifiée, on ne saurait déduire de sa présence ou de son absence une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.
A.2.3. Les procès-verbaux qui sont dressés conformément à l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière font foi, jusqu'à preuve du contraire, des constatations matérielles faites par les verbalisants dans les limites de leur mission légale; cette valeur probante ne s'attache toutefois ni aux déductions ou présomptions que les verbalisants tirent de ces constatations ni aux considérations juridiques qu'ils y rattachent, pas plus qu'aux informations qu'ils ont rassemblées en dehors de ces constatations. Par conséquent, les éléments du procès-verbal qui sont colorés par l'opinion personnelle du verbalisant ne bénéficient pas de la valeur probante particulière attribuée par l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière.
L'on ne saurait dès lors constater une inégalité de traitement entre les justiciables à l'encontre desquels un procès-verbal est dressé par un verbalisant qui n'a encouru ni risqué aucun dommage à l'occasion de l'infraction et ceux à l'encontre de qui un procès-verbal est dressé par un verbalisant pour qui tel était le cas. En effet, l'on ne saurait partir du principe que le verbalisant fera sciemment de fausses constatations matérielles.
Mémoire complémentaire du Conseil des ministres A.3.1. Selon le Conseil des ministres, l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en tant qu'il reconnaît une force probante particulière faisant foi jusqu'à preuve du contraire aux procès-verbaux qu'il vise.
La ratio legis de l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière réside dans le fait que le législateur a voulu remédier à la difficulté d'administrer la preuve de certaines infractions en attachant une valeur particulière à la constatation matérielle des faits.
A.3.2. La force probante légale particulière n'appartient qu'aux procès-verbaux qui sont dressés par des fonctionnaires désignés par la loi pour constater des infractions déterminées et elle est liée à cette mission explicite et aux conditions de validité imposées par la loi. La force probante particulière ne dépend pas de la qualité du verbalisant mais bien de la nature des infractions constatées et des difficultés inhérentes à celles-ci d'en administrer la preuve; il n'est pas davantage opéré de distinction en fonction de la qualité de victime, de personne lésée ou de prévenu.
A.3.3. La différence entre un procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve du contraire et un procès-verbal valant information se situe au niveau de l'obligation de motivation imposée au juge, celle-ci étant plus stricte dans le premier cas que dans le second. Ceci constitue une garantie supplémentaire pour une bonne administration de la justice et peut difficilement être considéré comme une violation du principe d'égalité.
A.3.4. Le caractère contraignant d'un procès-verbal faisant foi jusqu'à preuve du contraire peut être neutralisé par la preuve contraire.
La preuve contraire appartient aux droits de la défense et peut être administrée par tout moyen de preuve légal. Le juge apprécie souverainement la valeur probante des éléments apportés, ce qui constitue à nouveau une garantie pour le prévenu, la personne lésée ou le témoin.
A.3.5. Enfin, la règle fixée à l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière ne viole pas non plus la présomption d'innocence garantie par les articles 6.1 et 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et par les articles 14.1 et 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Mémoire complémentaire de M. Annicaert A.4.1. La force probante particulière attachée aux procès-verbaux visés à l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière viole le principe d'égalité.
Dans la pratique, la preuve contraire ne sera pas recherchée par le ministère public ni par une éventuelle partie civile mais devra être administrée par le prévenu, pour qui il est impossible de fournir une preuve négative.
A.4.2. Il est artificiel d'invoquer la possibilité de contradiction devant le juge ou la possibilité d'administrer la preuve contraire par toutes voies de droit. Tout ceci n'empêche pas qu'une situation inégale et injustifiée quant à l'administration de la preuve est créée au détriment du prévenu, et ce uniquement pour des infractions mineures.
A.4.3. En outre, une éventuelle partie civile peut elle aussi tirer profit de la force probante particulière et elle n'est pas tenue d'administrer la preuve du fait culpeux, alors qu'elle y serait obligée dans le droit pénal commun, de sorte qu'elle est favorisée par rapport au prévenu, bien que, sur le plan civil, les deux parties se trouvent cependant sur un pied d'égalité. - B - B.1.1. Par ordonnance du 5 mars 1997, la Cour a reformulé comme suit la question préjudicielle : « L'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière viole-t-il à l'égard du prévenu les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une force probante particulière s'attache aux procès-verbaux visés dans cette disposition législative, jusqu'à preuve du contraire, si cette disposition (est interprétée en ce sens qu'elle) est applicable sans distinction à tous les verbalisants qu'elle vise, et donc également lorsque le verbalisant est personnellement concerné par l'infraction constatée et/ou lorsqu'il a encouru ou risqué un quelconque dommage matériel et/ou moral ? » B.1.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que la question préjudicielle porte sur les alinéas 1er et 2 de l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière, qui sont libellés comme suit : « Les fonctionnaires et agents de l'autorité délégués par le gouvernement pour surveiller l'exécution des présentes lois coordonnées constatent les infractions à ces lois et aux règlements sur la police de la circulation routière par des procès-verbaux faisant foi jusqu'à preuve contraire.
Une copie de ces procès-verbaux est adressée aux contrevenants dans un délai de huit jours à compter de la date de la constatation des infractions. » B.1.3. La question préjudicielle concerne le cas particulier dans lequel se trouve le prévenu d'une infraction de roulage lorsque le verbalisant n'est pas un tiers indépendant mais est personnellement concerné, d'une manière ou d'une autre, par l'infraction constatée, en ce qu'il a encouru ou a risqué un dommage. Avant de répondre à cette question, il convient d'examiner si, abstraction faite de cette hypothèse particulière, l'article 62, alinéas 1er et 2, de la loi relative à la police de la circulation routière viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.2.1. Les procès-verbaux visés à l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière ont une valeur probante légale particulière et constituent dès lors une exception à la règle générale selon laquelle un procès-verbal vaut en tant que simple renseignement.
Les procès-verbaux précités constituent une exception à la libre administration de la preuve en matière répressive, le juge appréciant, selon sa propre conviction, la valeur probante d'un élément déterminé; ils ont pour effet de placer le prévenu dans une situation de preuve qui diffère de ce qui est de règle en droit pénal. La Cour doit examiner si cette différence de traitement est objectivement et raisonnablement justifiée et si les droits du prévenu ne sont pas restreints de manière disproportionnée.
B.2.2. Les infractions visées à l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière ont souvent un caractère fugace et éphémère et leur constatation est rendue plus difficile par la mobilité du véhicule. Le but est de remédier à cette difficulté d'administrer la preuve, en attachant une foi particulière aux constatations des faits établies par des personnes disposant du pouvoir nécessaire à cette fin.
B.3.1. Compte tenu de la ratio legis de la disposition litigieuse, il convient de souligner que la valeur probante légale particulière ne concerne que les éléments matériels de l'infraction et non les autres éléments constitutifs de celle-ci.
B.3.2. La valeur probante légale particulière visée à l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière n'est attachée qu'aux procès-verbaux dressés par les personnes visées à l'article 3 de la même loi et est liée à la mission particulière qui leur est explicitement confiée par le législateur de constater les infractions de roulage et à la responsabilité que cette mission implique. La valeur probante particulière vaut aussi seulement pour la constatation des infractions et des délits de police; elle est seulement liée aux constatations faites personnellement par le verbalisant et ne s'attache pas aux constatations qui ont été faites d'une manière qui n'est pas légale ou compatible avec les principes généraux du droit.
De surcroît, s'agissant des procès-verbaux ayant une valeur probante légale particulière, il est permis d'apporter la preuve contraire.
Elle fait partie des droits de la défense et peut être administrée par tous les moyens de preuve légaux, que le juge appréciera.
B.3.3. Eu égard à l'objectif poursuivi, à la nature spécifique des infractions dont il s'agit et compte tenu de ce qui précède, l'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière ne limite pas déraisonnablement les droits du prévenu et ne viole pas en soi les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.1. La question préjudicielle envisage l'hypothèse où un verbalisant serait personnellement concerné par l'infraction au sujet de laquelle il a établi un procès-verbal. Elle suppose une comparaison entre deux catégories de personnes : celles qui sont impliquées dans une infraction constatée par un verbalisant que ces faits concernent personnellement; celles qui sont impliquées dans des faits constatés par un verbalisant qui n'est pas personnellement concerné. L'article 62 impose, dans l'un et l'autre cas, de reconnaître une force probante identique au procès-verbal, ce qui revient à traiter également deux situations différentes.
B.4.2. Dans l'hypothèse où le verbalisant est impliqué dans les faits qu'il prétend constater, l'article 62 empêche que le procès se déroule de manière équitable puisqu'il oblige le juge à admettre la force probante du procès-verbal. L'article 62 viole ainsi les articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec les règles du procès équitable, confirmées d'ailleurs par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 62 de la loi relative à la police de la circulation routière viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'une force probante particulière s'attache, jusqu'à preuve contraire, aux procès-verbaux visés dans cette disposition législative sans distinguer suivant que le verbalisant est ou non personnellement concerné par les faits qu'il a constatés.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 juillet 1997.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, L. De Grève.