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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 06 août 1997

Arrêt n° 35/97 du 12 juin 1997 Numéro du rôle : 1007 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, posées par le Tribunal de première instance de Liège. La Cour d'arbitrage composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, G. De Baets, E. Cerexh(...)

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Arrêt n° 35/97 du 12 juin 1997 Numéro du rôle : 1007 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, posées par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, G. De Baets, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par jugement du 15 novembre 1996 en cause de la s.a. Royale Belge contre l'Etat Belge, J. Pougin et M. Filot, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 novembre 1996, le Tribunal de première instance de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 208, paragraphe premier, 1°, du Code des impôts sur les revenus, modifié par la loi du 3 juin [lire : 30 mai] 1972 adaptant ce Code au Code judiciaire, est-il contraire au principe d'égalité consacré par les anciens articles 6 et 6bis de la Constitution, devenus articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994, en tant qu'il autorise le Roi - dans la jurisprudence de la Cour de cassation - à prévoir que le tiers débiteur d'un redevable d'impôts sur les revenus sera automatiquement débiteur direct du montant total des impôts dus par ledit redevable, dans tous les cas où le tiers n'aura pas respecté les obligations de déclaration à lui imposées dans le cadre de procédures de recouvrement mues à l'encontre du redevable alors que cette automaticité n'existe pas en droit commun ? 2. L'article 208, paragraphe premier, 1°, du Code des impôts sur les revenus, modifié par la loi du 3 juin [lire : 30 mai] 1972 adaptant ce Code au Code judiciaire, est-il contraire au principe d'égalité consacré par les anciens articles 6 et 6bis de la Constitution, devenus articles 10 et 11 de la Constitution coordonnée du 17 février 1994, en tant qu'il autorise le Roi -dans la jurisprudence de la Cour de cassation - à prévoir que le tiers saisi pourra être poursuivi comme débiteur pur et simple sans intervention préalable du juge des saisies alors que celle-ci est indispensable en droit commun ? » II.Les faits et la procédure antérieure Le 11 mai 1993, la s.a. Royale Belge, débitrice d'une indemnité à son assuré J. Pougin, fit l'objet de la demande valant saisie-arrêt simplifiée prévue par l'article 215, 1er, de l'arrêté royal du 4 mars 1965 portant exécution du Code des impôts sur les revenus (ci-après A.R./C.I.R.), en vigueur à cette date et devenu entre-temps l'article 164, 1er, de l'A.R./C.I.R. 1992, par laquelle le receveur des contributions directes de Liège 8 l'invita à payer les sommes revenant ou à revenir à J. Pougin et à son épouse, M. Filot.

La s.a. Royale Belge omit de faire la déclaration de tiers saisi dans le délai de quinze jours prévu par l'article 215, 4, de l'A.R./C.I.R. En conséquence, sur la base de l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R., l'administration des contributions directes lui adressa un commandement de payer la dette fiscale de J. Pougin et de M. Filot, auquel était jointe la contrainte établie en vertu de la force exécutoire des rôles au nom de ces derniers.

Par un exploit du 31 août 1993, la s.a. Royale Belge fit opposition devant le juge des saisies au Tribunal de première instance de Liège à l'exécution, à sa charge, de la contrainte établie au nom des époux J. Pougin et M. Filot. Le 16 septembre suivant, elle cita ces derniers à intervenir dans cette procédure.

Par son jugement du 15 novembre 1996, le juge des saisies constate que, par un arrêt du 24 mai 1996, la Cour de cassation a interrogé la Cour d'arbitrage sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 208, 1er, du Code des impôts sur les revenus, modifié par la loi du 30 mai 1972, en tant qu'il autorise le Roi à prévoir que le tiers débiteur d'un redevable d'impôt sur les revenus sera automatiquement débiteur direct du montant total des impôts dus par ledit redevable dans tous les cas où le tiers n'aura pas respecté les obligations de déclaration à lui imposées dans le cadre de procédures de recouvrement mues à l'encontre du redevable.

Comme, à cette date, la Cour d'arbitrage n'avait pas encore répondu à cette question préjudicielle, le juge des saisies décide de poser la même question à la Cour. Il s'agit de la première question reproduite ci-dessus, sub I. Il ajoute toutefois que cette question « ne présente que peu d'intérêt dès lors que le receveur resterait seul juge de l'étendue des poursuites qu'il entend diriger contre le tiers saisi » et que se pose le problème de l'absence de contrôle judiciaire préalable du juge des saisies quant à l'étendue de la dette du tiers saisi dans le régime de l'article 215 de l'A.R./C.I.R. Il décide en conséquence de poser la seconde question préjudicielle, reproduite ci-dessus, sub I. III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 20 novembre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 9 décembre 1996.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur Belge du 17 décembre 1996.

Des mémoires ont été introduits par : - la s.a. Vanstahl International, dont le siège social est établi à 1090 Bruxelles, Clos Fernand Tonnet 35, par lettre recommandée à la poste le 13 janvier 1997; - J.-Y. Meunier, demeurant à 9600 Renaix, drève de la Gendarmerie 23, la s.a. Dry, dont le siège social est établi à 9600 Renaix, drève de la Gendarmerie 23, et la s.a. Cogerim, dont le siège social est établi à 9600 Renaix, drève de la Gendarmerie 23, par lettre recommandée à la poste le 13 janvier 1997; - la s.a. Royale Belge, dont le siège social est établi à 1170 Bruxelles, boulevard du Souverain 25, par lettre recommandée à la poste le 16 janvier 1997; - l'Etat Belge, par lettre recommandée à la poste le 17 janvier 1997.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 12 février 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : - la s.a. Vanstahl International, par lettre recommandée à la poste le 4 mars 1997; - J.-Y. Meunier, la s.a. Dry et la s.a. Cogerim, par lettre recommandée à la poste le 4 mars 1997; - l'Etat Belge, par lettre recommandée à la poste le 10 mars 1997.

Par ordonnance du 29 avril 1997, la Cour a prorogé jusqu'au 20 novembre 1997 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 16 avril 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 6 mai 1997, après qu'elle eut invité les parties à s'expliquer sur la recevabilité des mémoires introduits sur la base de l'article 87, 1er, de la loi spéciale précitée, eu égard au prescrit de cet article, qui dispose notamment que « toute personne justifiant d'un intérêt dans la cause devant la juridiction qui ordonne le renvoi, peut adresser un mémoire à la Cour ».

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le17 avril 1997.

A l'audience publique du 6 mai 1997 : - ont comparu : . Me V. Martin, avocat au barreau de Liège, pour la s.a. Royale Belge; . Me J. Vanden Branden loco Me R. Tournicourt, avocats au barreau de Bruxelles, pour la s.a. Vanstahl International, J.-Y. Meunier, la s.a.

Dry et la s.a. Cogerim; . Me D. Drion, avocat au barreau de Liège, pour l'Etat Belge; - les juges-rapporteurs P. Martens et G. De Baets ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. L'objet de la disposition en cause L'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus (devenu l'article 300, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus 1992) dispose : «

Art. 208.1er. Le Roi détermine : 1° le mode à suivre pour les déclarations, la formation et la notification des rôles, les paiements, les quittances et les poursuites;».

V. En droit - A - Mémoire du Conseil des ministres et de l'Etat Belge représenté par le ministre des Finances A.1.1. Les discriminations alléguées ne trouvent pas leur source dans l'article 208, 1er, du Code des impôts sur les revenus, mais dans l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. Conformément à la jurisprudence de la Cour d'arbitrage, celle-ci doit donc se déclarer incompétente. Il appartient aux cours et tribunaux d'apprécier la conformité de la disposition réglementaire à la loi, sur la base de l'article 159 de la Constitution. En outre, même si - quod non - l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. violait les articles 10 et 11 de la Constitution, cela ne signifierait pas nécessairement que l'article 208, 1er, du Code des impôts sur les revenus contient le même vice : il s'agit d'une disposition générale chargeant le Roi de prendre des mesures d'exécution, qui n'autorise pas à prendre des mesures inconstitutionnelles (en ce sens : l'arrêt n° 70/95 de la Cour).

A.1.2. Sur le fond, il n'existe pas de différence de traitement entre des catégories de personnes : la différence résulte plutôt de la mise en oeuvre de procédures distinctes selon qu'il s'agit de catégories de dettes différentes. Par son arrêt n° 30/92, la Cour a déjà considéré qu'une différence de traitement ne concernait pas des catégories de personnes, en l'espèce des justiciables devant des tribunaux différents, susceptibles en conséquence de bénéficier ou non de la mesure de la suspension du prononcé d'une condamnation, mais des catégories de situations infractionnelles qui ne peuvent être comparées.

A.1.3. La situation des tiers détenteurs en matière fiscale et dans les autres matières est différente. Il convient de constater le caractère d'ordre public ou privé de la créance dont se prévaut le saisissant. La sanction de l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. se comprend en ayant égard à la finalité de cette disposition : il s'agit d'organiser une procédure rapide, souple, efficace et gratuite au profit du Trésor et du redevable, en vue d'assurer le fonctionnement de l'Etat. Des arrêts des Cours d'appel de Liège et de Bruxelles se fondent sur cette considération pour justifier l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. Le fisc ne dispose pas de la faculté d'obtenir de ses débiteurs des garanties conventionnelles se révélant particulièrement efficaces. Le receveur des contributions est amené plus souvent que la plupart des autres créanciers à recourir aux procédures d'exécution forcée; il est dès lors logique de renforcer ces dernières en matière fiscale par rapport au droit commun.

La nature et le but de la créance fiscale justifient que la dette et le débiteur soient déterminés par la loi et les règlements, l'administration des contributions directes établissant unilatéralement les titres exécutoires et le recouvrement pouvant en être poursuivi par la voie de la contrainte décernée par les receveurs. La sanction prévue par l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. s'inscrit dans le cadre de ces mesures de recouvrement.

Pour le surplus, il n'appartient pas à la Cour d'arbitrage d'apprécier l'opportunité de la mesure discutée.

Mémoire de J.-Y. Meunier, de la s.a. Dry et de la s.a. Cogerim A.2.1. J.-Y. Meunier, la s.a. Dry et la s.a. Cogerim justifient de l'intérêt à la cause au sens de l'article 87 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage. Cet intérêt se distingue de celui du requérant : il existe dans le chef de toute personne dont la situation pourrait être directement affectée par l'arrêt à intervenir (Cour d'arbitrage, arrêt n° 40/90). En l'espèce, cet intérêt est le suivant : l'arrêt dans la présente cause est susceptible d'affecter directement les droits des trois intervenants en tant que le juge des saisies d'Audenarde estimerait qu'il n'est pas utile de poser les mêmes questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage. Dans l'affaire pendante devant ce juge des saisies comme dans la présente cause, la compatibilité avec l'article 10 de la Constitution de l'article 300, 1er, 1°, du C.I.R. 92 (auparavant l'article 208, 1er, 1°, du C.I.R. 64), exécuté notamment par l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 (auparavant l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R.), est contestée. Les intervenants ont fait l'objet d'une saisie-arrêt fondée sur l'article 164 de l'A.R./C.I.R. 92 dans le cadre de la procédure de recouvrement d'impôts dus par une autre société et ils ont omis de faire la déclaration de tiers saisi dans le délai de quinze jours prévu par cet article 164. Conformément à l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92, ils peuvent donc être poursuivis comme s'ils étaient débiteurs directs des impôts dus par la société redevable. Ils ont fait opposition aux contraintes qui leur ont été signifiées par le receveur des contributions; ces affaires sont pendantes devant le juge des saisies d'Audenarde.

A.2.2. Quant au fond, le droit commun des articles 1452, 1er, 1466 et 1542 du Code judiciaire en matière de saisie-arrêt subordonne à l'intervention préalable du juge des saisies la sanction selon laquelle, lorsque le tiers débiteur n'a pas fait sa déclaration dans le délai de quinze jours ou ne l'a pas fait en conformité avec l'article 1452 du Code judiciaire, il peut être déclaré débiteur de tout ou partie de la dette de son créancier. Le juge des saisies dispose à cet égard d'un pouvoir d'appréciation étendu et, selon la jurisprudence, il ne déclarera le tiers saisi débiteur que dans les cas de fraude, de collusion ou de négligence inexcusable; la sanction ne sera pas imposée lorsque le tiers n'a aucune dette à l'égard du débiteur principal. La sanction ne peut même pas être imposée en droit commun lorsque le tiers néglige de déposer une déclaration complémentaire à la demande du saisissant ou du débiteur saisi concernant l'augmentation des avoirs dont le tiers saisi est débiteur.

C'est la procédure de droit commun qui s'applique en matière de T.V.A. : l'article 85bis, 2, du Code de la T.V.A. renvoie en effet à l'article 1542, alinéa 1er, du Code judiciaire. La jurisprudence en la matière subordonne l'éventuelle sanction de l'assimilation du tiers détenteur au redevable direct, à l'existence d'une dissimulation des biens, d'une tentative en ce sens ou d'une collusion frauduleuse.

La sanction de l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 est plus lourde que celle résultant du droit commun : elle est automatique et ne résulte pas d'une décision d'un juge indépendant et impartial à la suite d'un débat contradictoire; le tiers est codébiteur de l'ensemble des dettes fiscales du contribuable, même s'il n'a aucune dette à l'égard de ce dernier; le tiers peut être déclaré débiteur à l'égard du fisc, même au-delà du montant de sa propre dette à l'égard du contribuable; le tiers qui a fait la première déclaration mais a omis de faire une déclaration complémentaire en vertu de l'article 164, 4, alinéa 2, de l'A.R./C.I.R. 92 est lui aussi automatiquement débiteur des dettes du contribuable et peut en outre être poursuivi en justice à cet effet par le receveur.

L'inégalité dénoncée résulte de ce que, dans le régime de l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92, il n'y a pas d'intervention du juge des saisies pouvant tenir compte des éléments de fait et de ce que la dette du tiers n'est pas limitée à ce qui était en réalité dû au contribuable originaire. Le receveur des contributions directes n'est par ailleurs pas compétent pour réduire le montant de la dette en fonction du montant dû par le tiers saisi.

La circonstance que le régime particulier de l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 concerne une dette fiscale en matière d'impôts sur les revenus et a pour but de sauvegarder les droits du Trésor ne justifie pas la différence de traitement au niveau du recouvrement et de la poursuite entre les différentes catégories de tiers saisis. En effet, l'article 85bis, 2, du Code de la T.V.A. ne prévoit pas un pareil régime et le débiteur du redevable de la T.V.A. ne peut être poursuivi en tant que débiteur solidaire en vertu d'une décision unilatérale et exécutoire du receveur de la T.V.A. Il n'existe aucun critère de distinction pertinent entre les tiers saisis poursuivis pour une dette en matière d'impôts sur les revenus, une dette de T.V.A. ou une dette de droit commun.

La sanction dénoncée est en outre disproportionnée par rapport à l'objectif d'obtenir le paiement des dettes d'impôt non apurées du contribuable originaire et d'éviter que le tiers saisi, en concertation avec ce dernier, ne dissimule les sommes qui lui sont dues au détriment du saisissant. L'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 a instauré en effet une présomption irréfragable selon laquelle le tiers saisi négligent est automatiquement réputé débiteur du contribuable d'une dette égale au montant total des créances fiscales à apurer, éventuellement majoré des augmentations d'impôt, des intérêts et des amendes, sommes qui seront dès lors recouvrables à charge du tiers saisi. Celui-ci est, dans ces conditions, menacé dans son droit de propriété protégé par l'article 16 de la Constitution et par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.

En outre, le tiers saisi ne dispose d'aucun droit de réclamation supplémentaire, alors que, selon le droit commun, le codébiteur peut faire valoir les exceptions relatives à la dette principale.

Mémoire de la s.a. Vanstahl International A.3.1. La s.a. Vanstahl International justifie de l'intérêt à la cause au sens de l'article 87 de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage.

Cet intérêt se distingue de celui du requérant : il existe dans le chef de toute personne dont la situation pourrait être directement affectée par l'arrêt à intervenir (Cour d'arbitrage, arrêt n° 40/90).

En l'espèce, cet intérêt est le suivant : l'arrêt dans la présente cause est susceptible d'affecter directement les droits de l'intervenant en tant que la Cour d'appel d'Anvers estimerait qu'il n'est pas utile de poser les mêmes questions préjudicielles à la Cour d'arbitrage. Dans l'affaire pendante devant cette Cour d'appel comme dans la présente cause, la compatibilité avec l'article 10 de la Constitution de l'article 300, 1er, 1°, du C.I.R. 92 (auparavant l'article 208, 1er, 1°, du C.I.R. 64), exécuté notamment par l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 (auparavant l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R.), est contestée. L'intervenante a fait l'objet d'une saisie-arrêt fondée sur l'article 164 de l'A.R./C.I.R. 92 dans le cadre de la procédure de recouvrement d'impôts dus par deux autres personnes et elle aurait omis de faire la déclaration complémentaire relative aux données nouvelles intervenues après le dépôt de la première déclaration visée par l'article 164, 4, de l'A.R./C.I.R. 92.

Sur la base de l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92, le receveur des contributions directes de Hasselt I a signifié une contrainte à l'intervenante, ordonnant le paiement des montants dus par des tiers, créanciers de celle-ci, au titre d'impôts, d'intérêts de retard et de frais d'exécution. Par une ordonnance du 19 décembre 1995, le juge des saisies de Hasselt a constaté la nullité de cette contrainte. L'Etat Belge a interjeté appel de cette ordonnance auprès de la Cour d'appel d'Anvers, devant laquelle l'affaire est actuellement pendante.

A.3.2. Quant au fond, l'intervenante développe une argumentation identique à celle qui figure dans le mémoire de J.-Y. Meunier, de la s.a. Dry et de la s.a. Cogerim, résumée sub A.2.2, ci-avant.

Mémoire de la s.a. Royale Belge A.4.1. Après avoir précisé un certain nombre d'éléments de fait relatifs notamment aux motifs pour lesquels elle ne put être en mesure de faire la déclaration de tiers saisi dans le délai requis, la s.a.

Royale Belge résume la présente affaire à la question de savoir si, dans l'hypothèse du non-respect par un tiers saisi de ses obligations, le receveur des contributions devrait ou non se pourvoir devant le juge des saisies afin d'obtenir un titre exécutoire contre le tiers saisi.

A.4.2. Quant au fond, la Cour d'arbitrage est liée par l'interprétation de la norme en cause telle qu'elle est donnée par le juge a quo.

Selon la Cour de cassation, l'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus doit s'interpréter comme autorisant le Roi à prévoir que le tiers saisi sera automatiquement poursuivi comme débiteur direct du montant total de l'imposition dans tous les cas où il n'aura pas respecté ses obligations de déclaration, et ce sans égard ni à la gravité de la faute commise par ce tiers, ni à l'importance du préjudice de l'Etat, ni à la disproportion entre le montant de la dette d'impôt et celui des obligations du tiers envers le redevable; le juge a quo fait sienne cette interprétation de la Cour de cassation. En conséquence, par un arrêt du 24 mai 1996, la Cour de cassation a posé une question préjudicielle sur la compatibilité de cet article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus avec les articles 10 et 11 de la Constitution; cette affaire a été inscrite sous le numéro 962 du rôle de la Cour d'arbitrage.

A.4.3. La norme critiquée provoque une différence de traitement entre des catégories de personnes, le tiers saisi en matière fiscale dans le cadre de l'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, et les autres tiers saisis, de droit commun et en matière d'impôts indirects.

En vertu du droit commun de l'article 1542 du Code judiciaire, à défaut d'avoir fait la déclaration dans le délai prescrit de quinze jours, le tiers saisi peut être déclaré débiteur, en tout ou en partie, des causes de la saisie, cette appréciation étant de la compétence du juge des saisies. Cette disposition s'applique en matière de T.V.A. en vertu de l'article 85, 2, du Code de la T.V.A. Ces situations sont identiques ou, à tout le moins, comparables, seule la nature de la dette du débiteur saisi à l'égard du saisissant pouvant les différencier.

L'inégalité de traitement est accentuée par l'interprétation donnée par les tribunaux. Alors que, selon un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 1988, l'intervention du juge des saisies est exclue pour la saisie-arrêt fiscale, les juges du fond interprètent le droit commun de l'article 1542 du Code judiciaire en veillant à ce que l'application de cette disposition ne conduise pas à une sanction excessive pour le tiers saisi ou à un enrichissement injustifié pour le saisissant. Toujours selon l'interprétation de la Cour de cassation, les tiers saisis négligents en matière fiscale sont poursuivis comme s'ils étaient débiteurs directs, alors qu'en vertu de l'article 1542 du Code judiciaire, le juge des saisies possède un pouvoir d'appréciation quant aux circonstances de la tardiveté de la déclaration de tiers saisi ou de l'erreur de fait.

L'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, eu égard à l'habilitation au Roi qu'il contient, institue à l'encontre d'un tiers étranger au rapport fiscal entre l'Etat et le contribuable, une sanction exorbitante du droit commun sans commune mesure avec le dommage que le défaut ou le retard de la déclaration peut causer à l'Etat.

A.4.4. Il ne peut être admis que la nécessité d'une procédure rapide et efficace pour le recouvrement des impôts directs justifie le recours à une sanction aussi expéditive que celle figurant dans la norme en cause.

Le législateur n'a d'ailleurs pas prévu la même sanction en matière de T.V.A. L'existence d'un plus grand nombre de redevables en matière d'impôts sur le revenu qu'en matière de T.V.A. ne peut constituer un critère de différenciation objectif et raisonnable : les assujettis à la T.V.A., s'ils sont moins nombreux, sont en revanche tenus de faire des déclarations plus fréquemment.

Le projet de nouveau Code de procédure fiscale ne permet toujours pas de s'en remettre à l'appréciation du juge des saisies, mais ne fait plus état que d'une faculté de sanction, et non plus d'une obligation en cas d'omission de déclaration de tiers saisi ou d'erreur dans l'accomplissement de cette formalité.

A.4.5. En tout état de cause, le critère retenu, même s'il est objectif, n'est pas pertinent, le droit commun présentant une efficacité satisfaisante dans le respect de tous les droits en présence. Une ordonnance du juge des saisies de Namur du 4 juin 1993 constate une discrimination dans la mesure notamment où, en ce qui concerne le tiers saisi, il est, comme dans la procédure de droit commun de l'article 1542 du Code judiciaire, un débiteur « ordinaire » de son créancier et compte tenu du fait que seule la situation particulière de celui-ci, débiteur fiscal, différencie la situation de celle du droit commun. Cette même ordonnance relève que cette situation particulière ne justifie pas la différence de traitement, laquelle n'est pas constatée en matière de T.V.A., et qu'elle peut entraîner des conséquences disproportionnées. Dans la présente espèce, la dette fiscale principale représente un montant valant près du quadruple de la créance du contribuable à l'égard du tiers saisi. La sanction dépasse de très loin la simple réparation du préjudice issu de l'absence de déclaration ou de la déclaration incomplète ou tardive.

A.4.6. Il convient aussi de tenir compte de la nature des principes en cause. A cet égard, plusieurs arrêts de la Cour d'arbitrage se montrent attentifs à l'accès au juge, aux droits de la défense et au droit au traitement équitable de la cause. Ces droits sont violés par la disposition discutée, en ce qu'elle ne prescrit pas à l'administration fiscale de se pourvoir préalablement devant le juge des saisies et qu'elle ne prévoit pas de recours juridictionnel du tiers saisi.

La Cour européenne des droits de l'homme, dans ses arrêts du 24 février 1994 et du 22 septembre 1994, a déclaré l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme applicable à des procédures fiscales. La doctrine relève aussi que ce n'est pas la qualification juridique d'un droit ou la nature de la loi en cause qui détermine si un droit ou une obligation a un caractère civil ou non au sens de cette disposition, mais son contenu matériel et ses effets en droit interne.

L'identité du saisissant exceptée, la situation envisagée dans l'article 215 de l'A.R./C.I.R. ne diffère pas de celle rencontrée lors d'une saisie-arrêt de droit commun, laquelle ne met en cause que des droits et obligations de caractère civil.

Le tiers détenteur est étranger à la dette d'impôt du contribuable à l'égard de l'Etat. La relation entre le receveur des contributions et le tiers détenteur est de nature patrimoniale, à caractère civil.

L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 26 novembre 1992, qui applique l'article 6.1 de la Convention à un litige relatif à une pension du secteur public, illustre l'interprétation large de cette disposition, laquelle a aussi été appliquée par la même Cour dès lors que des aspects de droit privé prédominent dans la procédure ou que l'issue de celle-ci est déterminante pour des droits et obligations de caractère privé.

Mémoire en réponse de J.-Y. Meunier, de la s.a. Dry et de la s.a.

Cogerim A.5.1. C'est bien le législateur, et non le Roi, qui a instauré une différence de traitement entre différentes catégories de tiers saisis, à savoir d'une part ceux qui sont concernés par une dette de droit commun ou de T.V.A. et d'autre part ceux qui font l'objet d'une saisie-arrêt fondée sur l'article 164 de l'A.R./C.I.R. 92 (l'article 215 ancien de l'A.R./C.I.R.). Dans le jugement de renvoi, la Cour d'arbitrage est interrogée sur la discrimination éventuelle contenue dans l'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, tel qu'il est interprété par la Cour de cassation. Or, par son arrêt du 24 mai 1996, celle-ci a considéré que l'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus habilite le Roi à prendre la norme en cause.

C'est donc le législateur qui est à l'origine de l'inégalité entre les tiers saisis puisque le Code de la T.V.A. n'a pas, quant à lui, prévu de disposition dérogatoire au droit commun. Il n'existe aucun motif justifiant cette différence de traitement.

A.5.2. L'Etat Belge invoque à tort l'arrêt n° 70/95 pour soutenir que, dans la présente affaire, la Cour doit se déclarer incompétente pour contrôler la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution d'une mesure trouvant sa source dans une norme réglementaire. Contrairement à la disposition législative d'habilitation jugée dans cet arrêt n° 70/95, la loi en cause dans la présente affaire n'a pas de portée générale puisqu'en vertu de l'article 300, 1er, 1°, du C.I.R. 92 (l'article 208, 1er, 1°, ancien, du C.I.R.), le Roi est habilité à instaurer une procédure particulière de saisie-arrêt-exécution pour le recouvrement des dettes fiscales dues en application du Code des impôts sur les revenus, mais pas pour le recouvrement des dettes de droit commun ou des dettes de T.V.A. A.5.3. La réponse de l'Etat Belge, selon laquelle le traitement différent se justifie par la nature de la créance et par le but de recouvrement de l'impôt, n'est pas satisfaisante. La dérogation au droit commun n'est en effet pas requise pour garantir le recouvrement des dettes d'impôt. La dette du tiers saisi n'est pas d'une nature telle qu'il faut exclure l'intervention du juge des saisies. Il n'existe aucune distinction entre le tiers saisi mis en cause dans une procédure de recouvrement de la T.V.A. et celui qui l'est dans le cadre d'une dette d'impôt sur le revenu.

Les arrêts de la Cour d'appel de Liège et de la Cour d'appel de Bruxelles, invoqués par l'Etat Belge pour établir l'absence de disproportion, sont critiquables : ils n'examinent pas si le critère de distinction justifiant la procédure particulière de l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 est relevant, ni s'il est raisonnablement justifié ou présente un caractère pertinent.

A.5.4. La circonstance, invoquée par l'Etat Belge, selon laquelle les créanciers de droit commun sont souvent en mesure de se faire octroyer par leurs débiteurs des garanties conventionnelles, ne fournit pas davantage une justification valable pour l'instauration de la procédure particulière discutée dans la présente affaire. En effet, le receveur des contributions directes dispose de garanties légales qu'il peut imposer pour le recouvrement des dettes découlant du Code des impôts sur les revenus; elles trouvent notamment leur source dans les articles 420, 422 et 425 du C.I.R. 92. Ceci fournit un argument supplémentaire pour démontrer que la procédure particulière de recouvrement de l'article 164, 5, de l'A.R./C.I.R. 92 n'est pas justifiée.

Mémoire en réponse de la s.a. Vanstahl International A.6. La s.a. Vanstahl International développe une argumentation identique à celle qui figure dans le mémoire en réponse de J.-Y. Meunier, de la s.a. Dry et de la s.a. Cogerim, résumée sub A.5, ci-avant.

Mémoire en réponse du Conseil des ministres et de l'Etat Belge représenté par le ministre des Finances A.7.1. L'argument de la spécificité des lois fiscales en matière de saisie-arrêt n'a pas été retenu par le législateur lorsqu'il adopta l'article 85bis, 2, du Code de la T.V.A., qui ne contient pas de mesure comparable à celle de l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. Cette différence s'explique par le fait que le législateur est en droit d'organiser une procédure particulière en matière fiscale mais qu'il n'en a pas l'obligation.

Il a considéré que le souci d'adopter un régime plus strict est plus aigu en matière de contributions directes qu'en matière de T.V.A. La créance, le justiciable et surtout la procédure de mise en recouvrement sont définis, dans ces deux domaines, selon des critères très différents. Le nombre de redevables de contributions directes est beaucoup plus important que pour la T.V.A.; là où, en matière de T.V.A., il y a une simultanéité entre le fait générateur de la taxe et son exigibilité, il se passe généralement plus d'un an en matière d'impôt sur le revenu entre la période imposable et l'exigibilité de l'impôt; en matière de T.V.A., la régularité des déclarations et des paiements suppose un contrôle instantané, périodique et efficace de la solvabilité des redevables et permet une réaction rapide et appropriée en cas de non-paiement; les techniques de report de crédits d'impôt T.V.A. et de paiement par retenue des crédits d'impôt T.V.A. permettent de prévenir les difficultés liées au recouvrement de cette taxe. Dès lors, les caractéristiques et la nature de celle-ci rendent son recouvrement plus aisé; on comprend mieux que le législateur ait doté l'administration des contributions directes d'instruments dont l'administration de la T.V.A. pouvait se passer.

L'application stricte de l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. peut conduire à des situations choquantes, notamment lorsqu'il y a une disproportion importante entre la créance fiscale et la dette du tiers saisi ou que celui-ci omet un détail dans son obligation de déclaration. Dans ces hypothèses, cette disposition n'est pas appliquée; les receveurs des contributions peuvent tenir compte de situations concrètes et disposent d'un certain pouvoir d'appréciation dans l'application de ce texte. Le juge des saisies pourrait en outre constater l'abus de droit dans des cas pareils. Par son arrêt n° 44/95, la Cour d'arbitrage a indiqué que l'article 92, alinéa 2, du Code de la T.V.A., qui subordonne le droit d'appel à la consignation des sommes dues en vertu du jugement du tribunal de première instance, pouvait être interprété en ce sens qu'il laisse à l'administration compétente le soin de tenir compte des données concrètes relatives à chaque affaire. Telle est aussi la position de l'Etat Belge en ce qui concerne la présente affaire.

A.7.2. Quant à la violation alléguée de l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour n'est pas compétente pour la constater de manière directe. La s.a. Royale Belge n'explique pas en quoi cette violation serait discriminatoire.

Sur le fond, la Cour de cassation et la Cour d'appel de Liège, celle-ci postérieurement à la jurisprudence invoquée de la Cour européenne des droits de l'homme, ont confirmé la non-application de cette disposition aux droits et obligations trouvant leur origine dans le droit fiscal.

Les arrêts invoqués de la Cour de Strasbourg sont irrelevants en l'espèce. L'arrêt du 24 février 1994 se fonde sur quatre éléments qui confèrent à la disposition litigieuse de la loi française en cause dans cette affaire un caractère pénal; tel n'est pas le cas dans la présente affaire : la mesure prévue par l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. n'est pas une sanction visant à punir pour empêcher la réitération d'agissements semblables, mais elle tend au contraire à la réparation pécuniaire d'un préjudice; elle ne se fonde pas sur une mesure répressive de caractère général, mais concerne occasionnellement un tiers pouvant se trouver détenteur de sommes appartenant à un contribuable défaillant; l'article 215, 5, ne prévoit pas de sanction pénale, notamment pas de contrainte par corps. Telle est, implicitement, la position de la Cour de cassation dans son arrêt du 24 mai 1996, qui ne reconnaît pas au Roi le pouvoir d'édicter des sanctions de nature pénale.

L'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 22 septembre 1994 est également irrelevant en l'espèce, le présent litige ne constituant pas une contestation portant sur des droits et obligations de caractère civil. L'objet des poursuites à charge du tiers détenteur est le paiement de la dette d'impôt du redevable. L'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. ne porte pas atteinte à la nature de la dette, qui n'est ni une dette de dommages et intérêts ni une dette fondée sur une présomption de débition par le tiers d'une somme au moins égale à l'impôt dû par le redevable. La sanction fiscale ne crée donc pas de dette nouvelle et n'affecte dès lors pas le fond du droit.

A.7.3. Pour le surplus, l'argumentation principale est rappelée, selon laquelle c'est en réalité l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R. qui est en cause dans la présente affaire, la Cour d'arbitrage n'étant pas compétente pour en juger. - B - Quant à la recevabilité des mémoires et des mémoires en réponse de J.-Y. Meunier, de la s.a. Dry, de la s.a. Cogerim et de la s.a.

Vanstahl International B.1. L'article 87, 1er, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage dispose que lorsque la Cour statue, à titre préjudiciel, sur les questions visées à l'article 26, toute personne justifiant d'un intérêt dans la cause soumise à la juridiction qui ordonne le renvoi peut adresser un mémoire à la Cour dans les trente jours de la publication prescrite par l'article 74 et est, de ce fait, réputée partie au litige.

Les mémoires de J.-Y. Meunier, de la s.a. Dry, de la s.a. Cogerim et de la s.a. Vanstahl International ne sont pas recevables car la simple qualité de partie à une procédure analogue à celle dont la Cour est saisie à titre préjudiciel ne suffit pas pour établir l'intérêt requis par l'article 87, 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989.

Quant au fond B.2. L'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus (ci-après C.I.R.) - devenu l'article 300, 1er, 1°, du C.I.R. 1992 - habilite le Roi à déterminer le « mode à suivre pour [...] les poursuites » exercées en vue du recouvrement des impôts. En exécution de cette disposition, l'article 215, 1er, de l'arrêté royal du 4 mars 1965 portant exécution du C.I.R. (ci-après A.R./C.I.R.) - devenu l'article 164, 1er, de l'A.R./C.I.R. 1992 - prévoit que les tiers débiteurs d'un redevable sont tenus, sur la demande que leur en fait le receveur compétent, de payer sur la partie saisissable des revenus, sommes et effets qu'ils doivent ou qui sont en leurs mains, et à l'acquit du redevable, jusqu'à concurrence de tout ou partie du montant dû par ce dernier au titre d'impôts, accroissements d'impôts, intérêts de retard, amendes et frais de poursuite ou d'exécution.

L'article 215, 4, (164, 4, de l'A.R./C.I.R. 1992) oblige les tiers détenteurs qui ne sont pas à même de satisfaire à cette demande à faire au receveur la déclaration prévue à l'article 1452 du Code judiciaire; celle-ci « doit énoncer avec exactitude tous les éléments utiles à la détermination des droits des parties ». A défaut de faire cette déclaration dans le délai prévu ou d'informer le receveur des éléments nouveaux postérieurs, ces tiers sont, en vertu de l'article 215, 5, (164, 5, de l'A.R./C.I.R. 1992), poursuivis comme s'ils étaient débiteurs directs.

B.3.1. L'article 215 de l'A.R./C.I.R. prévoit une procédure de saisie-arrêt par laquelle le receveur compétent adresse une demande de payement à tout tiers qui, à un titre quelconque, est débiteur d'un redevable d'impôt. Il s'agit d'une saisie-arrêt simplifiée en vue d'une perception accélérée de l'impôt.

Si le tiers saisi n'est « pas à même de satisfaire à la demande » en ce sens qu'il ne peut faire une des objections juridiques mentionnées à l'article 216, il lui appartient de faire la déclaration de tiers saisi que le Code judiciaire prévoit dans les procédures de saisie-arrêt conservatoire (article 1452) et de saisie-arrêt-exécution (article 1539 renvoyant audit article 1452) et qui, s'il y est fait état d'obstacles légaux à l'exécution de la demande, contraint le receveur à faire appel à un huissier pour pratiquer une saisie-arrêt-exécution de droit commun.

L'absence de déclaration de tiers saisi de même que le caractère incomplet ou tardif de cette déclaration ont cependant des effets différents suivant qu'il s'agit d'une saisie-arrêt de droit commun - les articles 1456 et 1542 du Code judiciaire prévoyant que « le tiers saisi, cité à ces fins devant le juge des saisies, peut être déclaré débiteur [...] des causes de la saisie [...] » par ce juge - ou qu'il s'agit de la saisie-arrêt simplifiée prévue par l'article 215 de l'A.R./C.I.R., le tiers saisi étant alors, sans intervention du juge des saisies, poursuivi par l'administration elle-même comme s'il était débiteur direct de l'impôt à recouvrer.

Une différence de traitement est ainsi créée entre les tiers saisis suivant que leur créancier est un débiteur ordinaire ou un redevable d'impôt.

B.3.2. La Cour ne peut se prononcer sur le caractère justifié ou non d'une différence de traitement au regard des articles 10 et 11 de la Constitution que si cette différence est imputable à une norme législative. A cet égard, il y a lieu de relever que lorsqu'un législateur délègue, il faut supposer, sauf indication contraire, qu'il n'entend habiliter le délégué qu'à faire de son pouvoir un usage conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.

La Cour analysera la mesure exprimée dans l'article 215 de l'A.R./C.I.R., non afin de se prononcer sur la constitutionnalité d'un arrêté royal, ce qui n'est pas de sa compétence, mais seulement en se plaçant, conformément aux termes des questions préjudicielles, dans l'hypothèse où l'article 208, 1er, 1°, précité du C.I.R. doit s'interpréter comme autorisant le Roi à prendre cette mesure.

B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.5.1. Alors que les règles établies par le Code judiciaire s'appliquent aux tiers débiteurs d'un débiteur ordinaire, celles établies par ou en vertu du Code des impôts sur les revenus s'appliquent aux tiers débiteurs d'un redevable d'impôt. Le produit de l'impôt ne pouvant être affecté qu'à la satisfaction de l'intérêt général et à la mise en oeuvre, par les pouvoirs publics, de leurs engagements vis-à-vis de la collectivité, il peut être admis que la procédure de recouvrement puisse déroger, dans une certaine mesure, aux règles du droit commun.

B.5.2. La mesure en cause, en raison de son caractère automatique, institue toutefois un procédé disproportionné à l'objectif d'assurer le recouvrement des impôts. Il n'est pas impossible en effet que l'administration se méprenne sur l'importance ou même sur l'existence des obligations du tiers envers le redevable. Il est donc possible que ce tiers soit tenu de payer un impôt dû par autrui, d'un montant supérieur à ce qu'il doit à ce redevable. Certes, la déclaration qu'il est invité à faire lui permet précisément de faire valoir ses objections. Mais il est possible qu'il n'ait pas fait de déclaration, ou qu'il ne l'ait pas faite à temps, ou qu'il ait fait une déclaration inexacte, en raison de circonstances dont un juge eût estimé, s'il eût pu être saisi, qu'elles excluent toute faute, ou du moins une faute suffisante pour justifier une sanction de cette importance. La disproportion est d'autant plus manifeste que la rigueur d'une telle mesure ne peut se justifier par la spécificité de la relation existant entre le fisc et les redevables, puisque l'obligation du tiers est en soi étrangère à une telle relation.

B.6. Par la seconde question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la différence de traitement née de ce que le tiers saisi pourra être poursuivi, en exécution de l'article 215, 5, de l'A.R./C.I.R., sans intervention du juge des saisies, alors que celle-ci est indispensable en droit commun.

Comme la Cour l'a constaté sub B.5.2, la mesure en cause est disproportionnée en tant qu'elle ne prévoit pas la saisine d'un juge.

B.7. Il résulte de ce qui précède que les questions préjudicielles appellent une réponse affirmative étant entendu qu'il n'appartient pas à la Cour d'apprécier quel juge doit être saisi.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1° L'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, modifié par la loi du 30 mai 1972 adaptant ce code au Code judiciaire, interprété comme autorisant le Roi à prévoir que le tiers débiteur d'un redevable d'impôts sur les revenus sera automatiquement débiteur direct du montant total des impôts dus par ledit redevable, dans tous les cas où le tiers n'aura pas respecté les obligations de déclaration à lui imposées dans le cadre de procédures de recouvrement mues à l'encontre du redevable, alors que cette automaticité n'existe pas en droit commun, est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.2° L'article 208, 1er, 1°, du Code des impôts sur les revenus, modifié par la loi du 30 mai 1972 adaptant ce code au Code judiciaire, interprété comme autorisant le Roi à prévoir que le tiers débiteur d'un redevable d'impôts sur les revenus pourra être poursuivi comme débiteur pur et simple sans intervention préalable d'un juge, alors que celle-ci est indispensable en droit commun, est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 12 juin 1997.

Le greffier, Le président, L. Potoms. M. Melchior.

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