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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 05 août 1997

Arrêt n° 29/97 du 21 mai 1997 Numéro du rôle : 1000 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 8 du Code pénal militaire, posée par la Cour militaire. La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchio après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arr(...)

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Arrêt n° 29/97 du 21 mai 1997 Numéro du rôle : 1000 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 8 du Code pénal militaire, posée par la Cour militaire.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, G. De Baets, E. Cerexhe, A. Arts et R. Henneuse, assistée du référendaire faisant fonction de greffier R. Moerenhout, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt du 23 octobre 1996 en cause du ministère public contre C. Van Elsen, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 4 novembre 1996, la Cour militaire a posé la question préjudicielle suivante : « Les règles constitutionnelles de l'égalité des Belges devant la loi et de la non-discrimination entre les citoyens ne font-elles pas obstacle à la différence existant apparemment entre, d'une part, les sous-officiers, caporaux et brigadiers déserteurs, qui sont automatiquement privés de leur grade lorsqu'une peine d'emprisonnement militaire leur est infligée, même avec sursis, et, d'autre part, les officiers déserteurs qui, en application des articles 43 et 44 du Code pénal militaire, sont punis de destitution, peine qui, en application de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, peut quant à elle être assortie d'un sursis d'exécution, ce qui autoriserait ces officiers à continuer de servir en tant qu'officiers aussi longtemps que n'intervient pas à leur égard une déchéance de ce sursis ? Comment, s'il est répondu positivement à la question précitée, convient-il de supprimer en droit cette discrimination ? » II. Les faits et la procédure antérieure 1. Par jugement du 1er juillet 1996, C.Van Elsen, adjudant sous-officier de carrière, fut condamné par le Conseil de guerre permanent siégeant à Bruxelles à cinq mois d'emprisonnement militaire, assortis d'une privation de grade avec sursis pour une durée de trois ans, parce qu'en violation des articles 45 et 47 du Code pénal militaire, il n'était pas rentré à son corps dans les quinze jours de la date d'expiration de son congé ou de sa permission, avec la circonstance aggravante qu'il avait franchi les limites du territoire belge en se rendant en Thaïlande. 2. Le ministère public fit appel de ce jugement le 12 juillet 1996.3. Dans son arrêt du 23 octobre 1996, la Cour militaire observe que selon la doctrine et la jurisprudence actuelles, la privation du grade résultant d'une peine d'emprisonnement militaire ne constituerait pas une peine séparée au sens que la loi donne à ce terme, mais un effet automatique attaché à la condamnation à l'emprisonnement militaire.La loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation ne serait donc pas applicable.

La Cour militaire décida qu'avant de statuer, elle devait poser la question préjudicielle précitée à la Cour d'arbitrage. La Cour militaire constate en effet que : 1) un officier qui se rendrait coupable de désertion doit, selon les articles 43 et 44 du Code pénal militaire, être condamné à la peine de destitution, peine qui peut être prononcée avec sursis, ce qui implique à moins d'une déchéance ultérieure du sursis que l'officier condamné conserve tout au moins provisoirement son rang; 2) les autres gradés qui, pour une même désertion, sont condamnés à une peine d'emprisonnement militaire conformément à l'article 46 du Code pénal militaire se voient ipso facto privés de leur grade, même si la peine d'emprisonnement militaire est assortie d'un sursis.

La Cour militaire se demande s'il existe pour cette différence de traitement une justification objective et raisonnable concernant le but et les effets de la norme en cause. Si tel n'était pas le cas, la Cour militaire demande si cette différence ne doit pas être supprimée en droit en donnant à l'effet prévu à l'article 8, alinéa 2, du Code pénal militaire le caractère d'une peine accessoire, ce qui permettrait l'application de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer.

III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 4 novembre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 21 novembre 1996.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 23 novembre 1996.

Des mémoires ont été introduits par : l'auditeur général près la Cour militaire, par lettre recommandée à la poste le 6 décembre 1996; l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires, avenue Milcamps 77, 1030 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 23 décembre 1996; le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 30 décembre 1996.

Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 21 janvier 1997.

Des mémoires en réponse ont été introduits par : l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires, par lettre recommandée à la poste le 19 février 1997;

C. Van Elsen, avenue Princesse Elisabeth 165, 1030 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 19 février 1997.

Par ordonnance du 29 avril 1997, la Cour a prorogé jusqu'au 4 novembre 1997 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 25 mars 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 17 avril 1997 après avoir déclaré irrecevable le mémoire en réponse de C. Van Elsen et l'avoir écarté des débats.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le26 mars 1997.

A l'audience publique du 17 avril 1997 : ont comparu : . Me Ph. Traest, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; . Me Ph. Vande Casteele et Me S. Huart, avocats au barreau de Bruxelles, pour l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires; les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport; les avocats précités ont été entendus; l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

IV. Objet des dispositions en cause Les articles 6, 8, 43, 44, 45, 46 et 47 du Code pénal militaire disposent : «

Art. 6.La peine de la destitution ne s'applique qu'aux officiers.

Elle a pour effet de priver le condamné de son grade et du droit d'en porter les insignes et l'uniforme.

Art. 8.L'emprisonnement militaire s'applique aux sous-officiers, caporaux, brigadiers et soldats.

Il emporte pour les sous-officiers, caporaux et brigadiers la privation de leur grade.

Art. 43.Est réputé déserteur et sera puni de la destitution : Tout officier qui, en temps de guerre, se sera absenté de son corps ou de sa résidence pendant plus de trois jours ou qui sera sorti du royaume sans autorisation;

Tout officier qui, en temps de paix, se sera absenté de son corps ou de sa résidence pendant plus de quinze jours, ou qui, étant sorti du royaume sans autorisation, sera demeuré absent pendant plus de huit jours.

Art. 44.La même peine pourra être infligée à tout officier en congé ou en permission qui ne sera pas rentré à son corps ou à sa résidence, en temps de guerre, trois jours, en temps de paix, quinze jours après l'expiration de son congé ou de sa permission, ou après avoir reçu un ordre de rappel.

Art. 45.Est réputé déserteur : Tout sous-officier, caporal, brigadier ou soldat qui se sera absenté de son corps ou de son détachement, sans y être autorisé, pendant plus de trois jours en temps de guerre, pendant plus de huit jours en temps de paix;

Tout sous-officier, caporal, brigadier ou soldat qui voyageant isolément, ne sera pas arrivé à destination en temps de guerre, trois jours, en temps de paix, huit jours après celui qui lui aura été fixé;

Tout sous-officier, caporal, brigadier ou soldat en permission ou en congé qui ne sera pas rentré à son corps, en temps de guerre trois jours, en temps de paix quinze jours après l'expiration de son congé ou de sa permission, ou après l'époque fixée par un ordre de rappel.

Art. 46.Tout sous-officier, caporal, brigadier ou soldat coupable de désertion en temps de paix sera puni de l'emprisonnement militaire de deux mois à deux ans.

Art. 47.La durée de l'emprisonnement militaire sera de trois mois à trois ans : Si le coupable a déjà antérieurement été condamné pour désertion;

S'il a déserté de concert avec un camarade;

S'il a emporté son arme à feu ou emmené son cheval;

S'il faisait partie d'une patrouille, d'une garde, d'un poste ou de tout autre service armé au moment de la désertion;

S'il a franchi les limites du territoire belge;

S'il a fait usage d'un congé ou permission contrefaits ou falsifiés;

Si la désertion a duré plus de six mois. » L'article 34 du Code de procédure pénale militaire énonce : «

Art. 34.Les dispositions énoncées dans l'article 9 de la loi du 31 mai 1888, instituant la libération conditionnelle, sont rendues applicables aux infractions commises par les personnes qui appartiennent à l'armée ou qui sont justiciables de la juridiction militaire.

Le sursis peut, toutefois, être accordé, même lorsque l'emprisonnement à subir dépasse deux ans, si cet emprisonnement a été prononcé en vertu du Code pénal militaire ou de l'arrêté-loi du 13 novembre 1915.

Il peut être accordé pour l'emprisonnement militaire, quelle que soit sa durée.

Ces dispositions ne s'appliquent, en aucun cas, à la peine militaire de la destitution.

Nonobstant le sursis accordé, la condamnation à l'emprisonnement militaire emporte pour les sous-officiers, caporaux et brigadiers, la privation de leur grade. » V. En droit A Mémoire de l'auditeur général A.1.1. La question, telle qu'elle est posée par la Cour militaire, appelle une réponse affirmative. En effet, la destitution prévue pour les officiers à l'article 6 du Code pénal militaire a les mêmes conséquences individuelles que la privation du grade applicable, en vertu de l'article 8 de ce Code, aux sous-officiers, brigadiers et caporaux. Dans la mesure où il empêche, comme l'admet la jurisprudence la plus récente de la Cour militaire, que la privation du grade soit prononcée avec sursis, cet article 8 crée, dans le statut pénal militaire, une nette discrimination entre les officiers, d'une part, et les sous-officiers, brigadiers et caporaux, d'autre part.

La différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée. La désertion d'un officier constitue, cela va sans dire, une infraction plus directe à la discipline militaire que la désertion d'un membre du cadre subalterne. Tant les responsabilités liées au statut d'officier que les effets d'une désertion pour les forces armées exigent donc que la sanction pénale punissant la désertion d'un officier soit au moins aussi lourde que la sanction infligée pour la désertion d'un sous-officier, brigadier ou soldat. Pour cette raison, le Code pénal militaire aggrave systématiquement les peines prévues pour les infractions lorsque celles-ci sont commises par des officiers.

Il faut en conclure que la discrimination qui existe actuellement entre les statuts pénaux de ces deux catégories de militaires ne saurait être justifiée par un ou plusieurs critères objectifs inhérents à la spécificité des statuts respectifs de ces deux catégories de personnes.

En faisant en sorte qu'il soit impossible pour le juge pénal d'accorder un sursis pour la privation du grade, l'article 8 du Code pénal militaire est de nature à entraîner, pour les sous-officiers, brigadiers et caporaux condamnés, des sanctions disproportionnées à la gravité de l'infraction commise. Il n'est pas du tout équitable que quelqu'un qui a accompli valablement une carrière presque complète dans les forces armées perde en pratique son emploi ainsi que ses droits à la pension, suite à une absence du service peut-être exceptionnelle. Cela est d'autant plus flagrant lorsque la peine d'emprisonnement militaire n'est prononcée que de manière conditionnelle. L'article 34 du Code de procédure pénale militaire énonce en effet explicitement qu'en cas d'emprisonnement militaire avec sursis, la condamnation emporte malgré tout la privation du grade. Chaque chef de corps peut proposer le retrait définitif d'emploi pour un sous-officier du cadre actif qui a été privé de son grade. Dans ce cas, le militaire peut perdre son droit à la pension comme le prévoient les lois coordonnées sur les pensions militaires.

A.1.2. La question préjudicielle repose en fait sur la circonstance que la privation du grade prévue à l'article 8 du Code pénal militaire ne doit pas être considérée comme une peine susceptible d'être prononcée avec sursis, mais comme la conséquence automatique d'une condamnation.

Il est toutefois également possible de considérer la privation du grade comme une peine complémentaire. La privation du grade constituant une aggravation d'une peine principale, cette sanction doit être considérée comme une peine complémentaire, bien qu'elle soit prononcée de manière obligatoire et automatique. Elle doit être vue comme une sanction imposée par le juge, conformément à la loi, à une personne reconnue coupable d'un fait qualifié d'infraction. L'article 8 de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer dispose qu'il peut être sursis à l'exécution, soit du jugement ou de l'arrêt, soit de tout ou partie de la peine principale ou subsidiaire. L'article 34, dernier alinéa, du Code de procédure pénale militaire ne contredit nullement cette disposition législative. Dans la jurisprudence ancienne de la Cour militaire elle-même, il est dit que la privation du grade constitue une peine qui, en tant que telle, est susceptible de sursis. Le droit de grâce ne peut s'appliquer qu'à des peines, à l'exclusion de toute autre sanction. Un arrêté royal de grâce du 26 février 1980 a accordé un sursis pour ce qui concerne la privation du grade.

A.1.3. Etant donné que la privation du grade prévue à l'article 8 du Code pénal militaire doit être considérée comme une sanction pénale, il est possible de surseoir à son exécution de la même manière que pour la destitution prévue à l'article 6 du même Code. Ces dispositions n'engendrent par conséquent aucune discrimination pour ce qui concerne les sanctions applicables en cas de désertion d'un officier, d'une part, et d'un sous-officier, d'un brigadier ou d'un caporal, d'autre part. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont pas violés.

Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. La différence de traitement évoquée dans la question préjudicielle résulte d'une interprétation donnée par la Cour militaire à la lecture conjointe de l'article 20, 2, de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation et de l'article 34 du Code de procédure pénale militaire. La légalité de cette interprétation n'a jamais été contrôlée par la Cour de cassation.

Cette jurisprudence de la Cour militaire n'est conforme ni à l'esprit ni à la portée de l'article 20, 2, de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer. Dans une interprétation conforme à ceux-ci, il n'existe pas de différence de traitement et il ne saurait être question d'une violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

L'article 34 du Code de procédure pénale militaire y a été inséré, dans sa version actuelle, par l'arrêté-loi du 14 septembre 1918. Il a encore été remplacé par la loi du 24 juillet 1923, mais uniquement pour remplacer la peine de l'incorporation dans une compagnie de correction par la peine de l'emprisonnement militaire.

L'arrêté-loi du 14 septembre 1918 a donné aux juridictions militaires de plus amples possibilités pour prononcer des peines conditionnelles.

Il a toutefois été explicitement interdit d'accorder le bénéfice du sursis aux officiers condamnés à la destitution. Dans le même sens, il a également été confirmé, en ce qui concerne les sous-officiers, que l'incorporation dans une compagnie de correction (actuellement l'emprisonnement militaire) emporte automatiquement la privation du grade et que le sursis dont est assortie la condamnation n'y change rien. Ceci est justifié, dans le rapport au Roi, par la circonstance que l'officier ou le sous-officier concerné ne possède plus l'autorité morale indispensable au commandement.

La loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer est applicable aux juridictions militaires. Son article 20, 2, dispose expressément que la condamnation avec sursis est applicable à toutes les peines qui, avant l'entrée en vigueur de cette loi, ne pouvaient, en vertu de lois particulières, être prononcées avec sursis, à l'exception d'une série de cas qu'il énumère. L'article 34 du Code de procédure pénale militaire n'a pas été repris dans cette énumération, en sorte que les peines qui, en vertu de ce dernier article, ne pouvaient être prononcées avec sursis peuvent désormais être assorties de cette mesure.

L'arrêté-loi de 1918 prévoyait expressément de traiter de la même manière les officiers et les sous-officiers, partant de la constatation que tant les officiers que les sous-officiers ne possèdent plus l'autorité morale indispensable au commandement lorsqu'ils encourent la peine de la destitution, pour les premiers, ou celle de l'incorporation dans une compagnie de correction (actuellement l'emprisonnement militaire), pour les seconds. En ne mentionnant pas l'article 34 du Code de procédure pénale militaire dans la liste des exceptions prévues à l'article 20, 2, le législateur de 1964 a indiqué que cet argument concernant le manque d'autorité n'était plus admis. L'article 20, 2, de la loi de 1964 a implicitement modifié l'alinéa 5 de l'article 34 du Code précité. La privation du grade, comme conséquence de la condamnation à un emprisonnement militaire, peut également être prononcée avec sursis.

A.2.2. L'interprétation de la Cour militaire se fonde sur la distinction rigoureuse entre la destitution avec privation de grade de l'officier, au titre de peine, et la privation de grade du sous-officier, comme conséquence de la peine. Il résulte cependant de l'ensemble des dispositions du Code pénal militaire et de la jurisprudence de la Cour de cassation que cette distinction ne doit pas être envisagée d'une manière aussi stricte. Il existe une marge pour une interprétation conforme à la Constitution, selon laquelle la privation du grade résultant de la condamnation à un emprisonnement militaire peut également être prononcée avec sursis.

La Cour de cassation a confirmé, dans son arrêt du 1er mars 1937 (Pas., 1937, I, 75), sa jurisprudence antérieure selon laquelle, en cas de condamnation à un emprisonnement militaire, la mention de la privation du grade est purement facultative, étant donné que cette privation du grade découle de la condamnation elle-même. La privation du grade est contenue dans la définition de la peine d'emprisonnement militaire.

Ceci n'est pas en contradiction avec l'article 8 du Code pénal militaire. Cet article doit être lu en combinaison avec les autres articles du chapitre Ier de ce Code, et notamment les articles 5 et 6.

Il n'est pas contesté que la privation du grade évoquée à l'alinéa 2 des articles 5 et 6 constitue un élément de la définition de la peine de destitution. L'alinéa 2 de l'article 8 est rédigé de manière similaire. Le contenu juridique ne doit dès lors pas être différent.

A.2.3. Il appert de l'ensemble des dispositions du Code pénal militaire et de la jurisprudence de la Cour de cassation qu'il existe une marge pour affirmer que la privation du grade est implicitement contenue dans la peine d'emprisonnement militaire applicable aux sous-officiers. L'arrêté-loi de 1918 empêchait que les sous-officiers qui étaient condamnés avec sursis à l'incorporation dans une compagnie de correction (emprisonnement militaire) continuassent d'assurer le commandement qui correspondait à leur grade. Ils ont malgré tout été privés de leur grade, de la même manière que les officiers ne pouvaient être condamnés avec sursis à la peine de la destitution. Le législateur de 1964 n'entendait pas modifier ce traitement égal des sous-officiers et des officiers. La suppression de l'interdiction du sursis s'applique donc aussi bien aux sous-officiers qu'aux officiers.

La différence de traitement dénoncée n'existe pas. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont pas violés.

Mémoire en intervention de l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires A.3. L'a.s.b.l. Syndicat national des militaires est une association syndicale reconnue par arrêté royal du 27 février 1985. L'article 6 de ses statuts dispose que « l'association a pour objectif de promouvoir et de défendre auprès des organes compétents les intérêts professionnels, juridiques, matériels, sociaux et moraux des membres qu'elle représente ».

Eu égard tant à la formulation particulière de la question préjudicielle qu'à l'intérêt de la réponse apportée par la Cour, l'association sans but lucratif estime avoir un intérêt à la cause et adresse un mémoire à la Cour, en qualité de partie intervenante, conformément à la décision de son conseil d'administration du 18 décembre 1996.

B Quant à la recevabilité de l'intervention de l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires B.1.1. L'a.s.b.l. Syndicat national des militaires a introduit un mémoire en intervention. Cette association sans but lucratif estime avoir un intérêt à la cause, compte tenu à la fois de la formulation particulière de la question préjudicielle et de l'intérêt de la réponse de la Cour.

B.1.2. La loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage a réglé l'intervention volontaire d'un tiers dans la procédure relative à une question préjudicielle. Seule une personne répondant aux deux conditions prescrites par l'article 87, 1er, peut, en pareil cas, être réputée partie à une question préjudicielle pendante devant la Cour.

Cette personne doit : justifier d'un intérêt dans la cause soumise à la juridiction qui a ordonné le renvoi et avoir adressé un mémoire à la Cour dans le délai prescrit.

B.1.3. Le mémoire en intervention et le mémoire en réponse de l'a.s.b.l. Syndicat national des militaires, qui n'est pas partie à la cause mue devant le juge a quo et ne justifie pas non plus d'un intérêt dans cette affaire, ne sont pas recevables.

Quant au fond B.2. Il ressort de la décision de renvoi et des mémoires des parties que les dispositions sur lesquelles porte la question préjudicielle sont susceptibles d'interprétations différentes.

B.3.1. Selon l'interprétation mentionnée par le juge a quo, la privation du grade qui résulte de la condamnation à l'emprisonnement militaire ne serait pas une peine séparée, mais la conséquence automatique d'une condamnation à l'emprisonnement militaire, de sorte que la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation ne trouverait pas à s'appliquer à cette privation du grade.

Cette interprétation a pour conséquence qu'il existe concrètement, en ce qui concerne la privation du grade, une différence de traitement entre les sous-officiers, caporaux et brigadiers, d'une part, et les officiers, d'autre part, lorsqu'ils sont condamnés pour désertion.

Conformément aux articles 46 et 47 du Code pénal militaire, les sous-officiers, caporaux et brigadiers sont, en pareil cas, punis de l'emprisonnement militaire. Ceci a pour conséquence, si l'on suit l'interprétation précitée, que les intéressés sont privés de leur grade, même si le sursis de l'exécution est accordé en ce qui concerne la peine d'emprisonnement militaire. En vertu des articles 43 et 44 du Code pénal militaire, les officiers, en cas de désertion, sont punis de la destitution. Aux termes de l'article 6 du Code pénal militaire, la peine de la destitution a pour effet de priver le condamné de son grade et du droit d'en porter les insignes et l'uniforme. Lorsque la peine de la destitution est prononcée avec sursis de l'exécution, ceci a pour effet que la privation du grade demeure sans conséquence et que l'officier conserve son grade aussi longtemps que le sursis n'est pas supprimé.

B.3.2. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.3. Bien qu'il soit objectif, le critère de distinction n'est, en l'espèce, pas raisonnablement justifié. Alors que le Code pénal militaire prévoit généralement pour des délits similaires des sanctions plus sévères pour les officiers que pour les membres du cadre subalterne, parce qu'une atteinte portée aux règlements militaires par des officiers est considérée comme étant plus grave que des infractions similaires commises par des membres du cadre subalterne, l'interprétation susmentionnée a pour effet que les conséquences de la condamnation pour désertion sont considérablement plus lourdes pour les membres du cadre subalterne que pour les officiers, dès lors qu'aucun sursis de l'exécution ne peut leur être accordé pour la privation du grade.

Les conséquences de la privation du grade sont manifestement disproportionnées à l'objectif poursuivi par la loi pénale, depuis la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation, dans les cas où la peine d'emprisonnement militaire est prononcée avec sursis.

B.3.4. L'article 8 du Code pénal militaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution s'il doit être interprété en ce sens que la privation du grade ne peut, s'agissant de sous-officiers, caporaux et brigadiers condamnés pour désertion, être assortie du sursis de l'exécution, même lorsque ce sursis est accordé pour la peine d'emprisonnement militaire.

B.4.1. La Cour constate toutefois qu'une autre interprétation peut être donnée à l'article 8, alinéa 2, du Code pénal militaire. Selon cette interprétation, la privation du grade visée dans cet article est contenue dans la peine d'emprisonnement militaire et fait partie de cette peine. Etant donné que, dans cette interprétation, la privation du grade n'est pas séparable de la peine infligée mais qu'elle en fait partie, le sursis de l'exécution éventuellement accordé s'applique alors à l'ensemble de cette peine sans que la privation du grade en soit exclue.

B.4.2. L'exception formulée à l'article 34, dernier alinéa, du Code de procédure pénale militaire n'y fait pas obstacle. Cette disposition a en effet été instaurée par la loi du 24 juillet 1923, donc antérieurement à la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer qui dispose en son article 20, 2, que la condamnation avec sursis est applicable à toutes les peines qui, avant l'entrée en vigueur de cette loi, ne pouvaient, en vertu de lois particulières, être prononcées avec sursis, à l'exception d'un certain nombre de peines que cet article énumère sans mentionner la peine d'emprisonnement militaire avec privation du grade.

B.4.3. Si l'on suit cette interprétation, il n'existe, pour l'application de l'article 8 de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation, aucune différence de traitement, s'agissant de la privation du grade, entre les sous-officiers, caporaux et brigadiers condamnés pour désertion, d'une part, et les officiers condamnés pour ce même fait, d'autre part. Dans cette interprétation, l'article 8, alinéa 2, du Code pénal militaire ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 8 du Code pénal militaire viole les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens qu'il n'est pas sursis à l'exécution de la privation du grade qui est la conséquence de la peine d'emprisonnement militaire infligée aux sous-officiers, caporaux et brigadiers condamnés pour désertion, lorsque le sursis à l'exécution de la peine est prononcé.

L'article 8 du Code pénal militaire ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens qu'il est sursis à l'exécution de la privation du grade qui est la conséquence de la peine d'emprisonnement militaire infligée aux sous-officiers, caporaux et brigadiers condamnés pour désertion, lorsque le sursis à l'exécution de la peine est prononcé.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 mai 1997.

Le greffier f.f., Le président, R. Moerenhout. L. De Grève.

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