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Arrêt De La Cour Constitutionelle
publié le 16 juillet 1997

Arrêt n° 37/97 du 8 juillet 1997 Numéro du rôle : 969 En cause : le recours en annulation des articles 11, 12 et 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions fiscales, financières et diverses, introduit par la s.a. B La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Arrêt n° 37/97 du 8 juillet 1997 Numéro du rôle : 969 En cause : le recours en annulation des articles 11, 12 et 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions fiscales, financières et diverses, introduit par la s.a. Banque Dewaay et la s.a. Dewaay, Servais et Cie.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges P. Martens, J. Delruelle, E. Cerexhe, H. Coremans et A. Arts, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 18 juin 1996 et parvenue au greffe le19 juin 1996, la s.a. Banque Dewaay, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, boulevard Anspach 1, boîte 39, et la s.a. Dewaay, Servais et Cie, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, boulevard Anspach 1, boîte 10, ont introduit un recours en annulation des articles 11, 12 et 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions fiscales, financières et diverses, publiée au Moniteur belge du 23 décembre 1995.

II. La procédure Par ordonnance du 19 juin 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.

Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.

Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 12 août 1996.

L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 août 1996.

Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 27 septembre 1996.

Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 9 octobre 1996.

Les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le5 novembre 1996.

Par ordonnances des 26 novembre 1996 et 29 mai 1997, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 18 juin 1997 et 18 décembre 1997 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.

Par ordonnance du 25 mars 1997, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 17 avril 1997.

Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le26 mars 1997.

A l'audience publique du 17 avril 1997 : - ont comparu : . Me M. Baltus, avocat au barreau de Bruxelles, pour les parties requérantes; . B. Druart et P. Goblet, fonctionnaires au ministère des Finances, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs J. Delruelle et A. Arts ont fait rapport; - les parties précitées ont été entendues; - l'affaire a été mise en délibéré.

La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.

III. Objet des dispositions attaquées L'article 198 du Code des impôts sur les revenus 1992 fait partie du titre III (Impôt des sociétés), chapitre II (Assiette de l'impôt), section IV (Détermination du montant net du revenu), sous-section I (Frais professionnels) de ce Code. Il détermine les frais qui ne sont pas considérés comme frais professionnels.

L'article 11 de la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions fiscales, financières et diverses ajoute un 10° à cet article 198 : « 10° sans préjudice de l'application de l'article 55, les intérêts, jusqu'à concurrence d'un montant égal à celui des revenus déductibles en vertu des articles 202 à 204, d'actions ou parts acquises par une société qui ne les a pas détenues pendant une période ininterrompue d'au moins un an, au moment de leur cession. » Cet article précise que « l'alinéa 1er, 10°, n'est toutefois pas applicable aux actions ou parts détenues dans des sociétés liées ou avec lesquelles il existe un lien de participation, même lorsqu'elles ont le caractère de placements de trésorerie, ni aux autres actions ou parts figurant sous les immobilisations financières ».

L'article 12 de la loi du 20 décembre 1995 dispose : « Dans l'article 205, 2, du même Code, remplacé par l'article 20 de la loi du 28 juillet 1992, les mots ' l'article 198, 1° à 3° et 7° ' sont remplacés par les mots ' l'article 198, alinéa 1er, 1° à 3°, 7° et 10° ' ».

Les articles 202 à 205 fixent les conditions auxquelles des bénéfices tels les dividendes peuvent être déduits.

L'article 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995 précise que les articles 11 et 12 entrent en vigueur à partir de l'exercice d'imposition 1996.

IV. En droit - A - Requête A.1. Les parties requérantes justifient leur intérêt à agir par le fait que la première est une entreprise de banque et qu'elle a recueilli en 1995 des dividendes concernés par la mesure attaquée et la seconde par le fait qu'elle recueille chaque année plusieurs millions de francs de dividendes en provenance d'un portefeuille d'actions, constitué dans le cadre de son activité d'arbitrage en actions étrangères, ainsi que de « market making » en options.

La mesure incriminée les touche donc directement dans leur activité et les touche également indirectement par le fait qu'elle pénalise la gestion dynamique du portefeuille d'actions de leurs clients, soumis à l'impôt des sociétés.

A.2. Un premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 172 de la Constitution, « en ce que [l'article 11 de la loi du 20 décembre 1995] interdit la déduction des intérêts de nature professionnelle dans la mesure correspondant à certains dividendes recueillis par le redevable, alors que le droit à la déduction des intérêts de nature professionnelle est reconnu en principe à tous les redevables qui payent pareils intérêts, que la disposition attaquée retire ce droit de déduction à certains contribuables, sans que ce refus de déduction repose sur une justification objective et raisonnable par rapport au but et aux effets de la mesure ».

Les parties rappellent les grandes lignes du système légal et développent le régime des revenus définitivement taxés, le régime des intérêts et le régime instauré par les dispositions attaquées. Il en résulte que l'objectif poursuivi par le législateur, lorsqu'il a pris les dispositions litigieuses, était d'atteindre des sociétés dont le seul but recherché est fiscal, hors de toute volonté réelle de devenir actionnaire. Il n'y a pas de rapport entre l'objectif poursuivi et les moyens employés, parce que la mesure prise a été conçue d'une manière telle qu'elle n'atteint pas les sociétés visées mais qu'elle prive de manière injustifiée certains redevables du droit reconnu à toute entreprise de déduire les intérêts professionnels qu'elle paye.

La mesure entreprise porte atteinte à deux règles de bon sens : la possibilité de déduire du bénéfice comptable des sociétés les revenus définitivement taxés qu'il comprend n'est nullement une faveur mais une nécessité, si l'on veut éviter des taxations confiscatoires; la déduction des intérêts est une nécessité pour éviter d'imposer le bénéfice brut en contradiction avec un principe fondamental de l'impôt sur les revenus. Il en résulte qu'une interdiction de déduire des intérêts à concurrence des revenus définitivement taxés, qui n'est pas subordonnée à l'existence d'un quelconque rapport entre ces intérêts et les revenus définitivement taxés, est injustifiable. Le propos est illustré par un exemple chiffré. Les requérantes se réfèrent également à une étude du professeur Kleynen (« Les heurs et malheurs du principe ' non bis in idem ' », J.D.F., 1996, pp. 5 à 41).

A.3. Un deuxième moyen subsidiaire d'annulation est pris de la violation par l'article 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995 des articles 10 et 172 de la Constitution « en ce que cette disposition rend applicable l'article 11 de la même loi à partir de l'exercice fiscal 1996, donc pour des opérations accomplies par les redevables en 1995 avant la publication de la loi, alors que, de la sorte, la loi frappe de manière discriminatoire, contraire à l'égalité des citoyens, les redevables qui, dans l'ignorance des intentions du gouvernement, ont accompli des opérations de gestion de leur trésorerie parfaitement légitimes, sans avoir la possibilité, en raison de l'effet rétroactif donné à la loi, de les organiser de telle sorte que la sanction prévue par le nouveau texte ne leur soit pas applicable ».

Même si la Cour devait admettre la constitutionnalité de l'article 11 de la loi, il est inadmissible de l'appliquer à des opérations accomplies avant la publication de cette loi. Il en résulte une discrimination entre les sociétés selon les modalités d'opérations qu'elles ont faites légitimement en 1995. Depuis la publication de la loi, les sociétés intéressées peuvent prendre des mesures utiles afin de se mettre en dehors de son champ d'application, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Il y a encore une anomalie supplémentaire dans le fait que les sociétés qui ont clôturé leurs écritures avant le 31 décembre 1995 échappent à la rétroactivité tandis que celles qui les ont clôturées le 31 décembre 1995 y sont soumises, pour les mêmes opérations effectuées en 1995.

Pour compléter et préciser sur le plan technique les développements des moyens, les requérantes reproduisent l'étude du professeur Kleynen déjà citée.

Mémoire du Conseil des ministres A.4. La jurisprudence de la Cour sur la règle de l'égalité est d'abord rappelée, particulièrement en matière fiscale.

Concernant la loi entreprise, les six premières discriminations décrites dans l'étude du professeur Kleynen et invoquées par les requérantes à l'appui de leur recours ne sont pas de nature à fonder une annulation de la norme entreprise. « Il ressort en effet des termes mêmes de cette étude que lesdites discriminations sont déduites du principe suivant lequel des contribuables se trouvant dans des situations objectivement différentes ne peuvent être soumis sans justification à un traitement identique [...], c'est-à-dire que ces discriminations seraient contraires à l'article 11 de la Constitution dont la violation n'est nullement invoquée par les parties requérantes. » Il en va de même pour les autres critiques contenues dans la requête.

A titre principal, il y a donc lieu de rejeter la requête qui invoque exclusivement la violation des articles 10 et 172 de la Constitution et pas l'article 11 de celle-ci.

A.5. A titre subsidiaire, il convient d'examiner le rapport entre l'objectif poursuivi et les moyens employés. Cet objectif résulte des travaux préparatoires dont des extraits sont repris dans le mémoire.

A.6. La première discrimination invoquée par les parties requérantes dénonce le fait que la disposition litigieuse atteint un grand nombre de redevables qui n'ont ni fraudé ni manoeuvré, mais qui ont simplement géré normalement leurs intérêts et spécialement leur trésorerie.

Il faut d'abord relever à cet égard que l'exemple présenté par les parties requérantes est simplificateur et de nature à tromper la Cour sur l'application concrète de la disposition. A l'appui de sa thèse, le Conseil des ministres invoque des statistiques du ministère des Finances qui révèlent que la déduction des revenus définitivement taxés reste une affaire d'initiés. Ces statistiques peuvent être portées à la connaissance de la Cour si celle-ci le souhaite.

A.7. La deuxième discrimination invoquée par les parties requérantes revient à dire qu'il est discriminatoire de traiter de la même façon les sociétés agissant dans une intention frauduleuse et celles qui ont l'optique d'une gestion dynamique de leur portefeuille.

Il convient de préciser que s'il est vrai que la mesure critiquée a été adoptée dans le cadre de la lutte du Gouvernement contre la fraude, il résulte aussi des travaux préparatoires qu'elle vise à empêcher une utilisation abusive du régime des revenus définitivement taxés et à mettre fin à un mécanisme permettant aux sociétés une double déduction fiscale.

Par ailleurs, les deux catégories de sociétés distinguées par les requérantes ne sont nullement homogènes dans la mesure où elles ne sont pas étanches l'une par rapport à l'autre. Il ne s'agit donc pas de catégories de personnes se trouvant dans une situation totalement différente au regard de la mesure critiquée et qui ne pourraient être traitées de manière identique.

A.8. La troisième discrimination dénoncée par les parties requérantes résulterait du fait que sont traitées de la même façon les sociétés qui ont financé par l'emprunt l'acquisition temporaire d'actions ou de parts sociales et celles qui ont fait cette acquisition au moyen de fonds propres, mais qui supportent des charges financières dans le cadre de leur exploitation.

Il convient d'objecter qu'en réalité, le financement de l'opération au moyen de fonds propres n'est pas en soi de nature à exclure l'usage impropre du régime des revenus définitivement taxés auquel le législateur entend mettre fin. Il y aura en effet déplacement des besoins de financement vers d'autres opérations pour lesquelles ces fonds propres ne sont pas disponibles et, de plus, le principe de l'universalité des comptes annuels fait obstacle à l'établissement de la liaison entre le financement d'une opération et le bien acquis. Il ne s'agit donc pas non plus d'une catégorie de personnes se trouvant dans une situation totalement différente au regard de la mesure critiquée. « En tout état de cause, il ressort des travaux préparatoires de la mesure incriminée que le législateur a eu égard aux difficultés concrètes rencontrées sur le plan de la preuve et qu'il a fait le choix à cet égard ' de faire porter la charge de la preuve sur l'utilité de l'opération au regard du contribuable '. » Une analyse des travaux préparatoires révèle que le législateur a retenu un critère (optique de groupe) de nature à établir que l'acquisition d'actions ou de parts résulte d'une motivation économique et, partant, que le seul but recherché n'est pas fiscal. Il n'y a donc pas de disproportion manifeste entre la mesure critiquée et les objectifs du législateur.

A.9. Une quatrième discrimination résulterait du fait que sont traitées différemment, d'une part, les sociétés qui ont revendu rapidement leurs titres après les avoir achetés et après avoir recueilli un dividende et, d'autre part, celles qui ont revendu, avant détachement du coupon, des titres qu'elles avaient acquis plus d'un an auparavant après détachement du coupon précédent.

Il faut observer que les sociétés de la seconde catégorie ne recueillent pas de dividende ni, partant, de revenus définitivement taxés, de sorte qu'elles ne sont pas visées par la mesure incriminée.

Il résulte de la jurisprudence de la Cour qu'un moyen d'annulation est rejeté lorsque la différence de traitement n'est pas due aux dispositions entreprises, mais résulte d'une différence de comportement entre deux catégories de personnes. « Par ailleurs, dans le cadre d'un examen global des différents régimes fiscaux applicables aux cessions d'actions ou parts sociales, il y a lieu de constater que les deux catégories de sociétés distinguées par les requérantes sur la base des opérations effectuées, ne se trouvent pas dans des situations suffisamment comparables [...]. » « Lorsqu'une société finance par l'emprunt l'acquisition d'actions peu après la mise en paiement du dividende et qu'elle revend les titres à prix constant après l'encaissement du coupon suivant un an plus tard, cette société bénéficiera également d'une double déduction sous la forme de R.D.T. et d'intérêts (la condition d'une détention des titres pendant au moins un an étant remplie), de sorte que pour une durée de détention plus ou moins identique, celui qui recueille des dividendes ne subit pas de discrimination par rapport à celui qui réalise une plus-value, les régimes fiscaux applicables dans chaque hypothèse restant bien évidemment déterminés sur la base de la nature du revenu (dividende ou plus-value). » A.10. Une cinquième discrimination résulterait du fait que la mesure est discriminatoire dès lors qu'elle ne s'applique pas aux placements portant sur une période d'au moins un an, alors que, paradoxalement, seuls ceux-ci sont susceptibles de permettre la prise en charge d'un intérêt équivalent aux revenus définitivement taxés, selon le schéma envisagé dans l'exposé des motifs.

Il convient de répondre à cette thèse que l'objectif du législateur tel qu'il résulte des travaux préparatoires est de restituer aux véritables actionnaires le régime des revenus définitivement taxés qui est spécifique aux dividendes, étant entendu qu'un actionnaire n'a pas seulement la préoccupation d'empocher ce dividende mais qu'il est également investi de certains droits dont l'exercice éventuel suppose une certaine durée de détention des titres.

Le critère de durée retenu prouve que le ciblage des seuls contribuables qui abusent du mécanisme relève du réel souci du Gouvernement. Les limites du contrôle de la Cour sont par ailleurs rappelées : elle ne peut censurer une mesure dès lors qu'il apparaît que les considérations qui l'inspirent ne reposent pas sur une appréciation manifestement déraisonnable et dès lors qu'il apparaît que la mesure prise est bien de nature à prévenir les abus dénoncés.

Les parties requérantes se méprennent par ailleurs lorsqu'elles considèrent que seuls les placements portant sur une période d'au moins un an sont susceptibles de permettre la prise en charge d'un intérêt équivalent aux revenus définitivement taxés.

A.11. Une sixième discrimination résulterait du fait que la mesure ne s'applique qu'à certains placements de trésorerie, à l'exclusion de ceux qui visent à établir un lien de participation.

Il y a lieu d'objecter que les critères retenus pour la distinction sont empruntés aux dispositions réglementaires applicables en matière comptable (cf. rubrique IV du modèle de bilan en annexe à l'arrêté royal du 8 octobre 1976 relatif aux comptes annuels des entreprises, ainsi que la définition des rubriques de ce modèle formant la section 3 de ladite annexe), avec un tempérament permettant aux sociétés concernées d'apporter la preuve qu'il s'agit bien d'actions détenues dans des sociétés liées ou qu'il existe un lien de participation. « Dans la mesure où l'efficacité des critères de distinction et le coût administratif de leur application doi[ven]t être pris en considération pour apprécier si ces critères sont susceptibles d'une justification raisonnable [...], il faut admettre que la distinction opérée par le législateur est adéquate dès lors que, d'une part, un véritable placement de trésorerie n'est pas, en soi, de nature à être financé par l'emprunt, et que d'autre part, il suffit d'éviter de détenir les titres à l'époque de l'attribution de dividendes. » A.12. Une septième discrimination résulterait du fait que l'article 11, dans la mesure où il ne s'applique pas aux sociétés qui ont recueilli des dividendes non déductibles au titre de revenus définitivement taxés, peut engendrer, dans certaines hypothèses (perte récupérable), une taxation plus lourde des sociétés ayant recueilli des dividendes déductibles au titre de revenus définitivement taxés mais non effectivement déduits en raison d'une base de déduction insuffisante.

Il est objecté à cette thèse que la situation envisagée est typiquement une situation qui doit être résolue conformément à l'arrêt de la Cour n° 20/91 du 4 juillet 1991. Les deux catégories de situations envisagées, les sociétés recueillant des revenus définitivement taxés non déductibles et celles recueillant de tels revenus déductibles, ne sont pas suffisamment comparables au regard de la mesure litigieuse.

Les statistiques sont par ailleurs à nouveau invoquées pour justifier la mesure prise. Enfin, la jurisprudence de la Cour relative aux limites du contrôle de la Cour est également rappelée.

A.13. Concernant le deuxième moyen, subsidiaire, l'arrêt de la Cour de cassation du 5 mai 1970 est rappelé. Celui-ci décide : « du point de vue de la loi fiscale, il n'existe pas de situation définitivement acquise avant la clôture de l'exercice d'imposition ». L'arrêt de la Cour d'arbitrage n° 88/93 du 22 décembre 1993 concernant l'effet ordinaire de toute règle de nature législative est également rappelé.

Il en résulte que, en dépit du principe de la sécurité juridique, l'article 11 de la loi entreprise a une vocation naturelle et inaltérable à s'appliquer aux effets juridiques d'opérations antérieures, étant entendu qu'en vertu de l'article 28, alinéa 1er, de cette même loi, les opérations antérieures dont les effets sont soumis à la disposition nouvelle sont seulement celles de l'exercice d'imposition 1996.

Par ailleurs, la différence de traitement entre les sociétés qui clôturent leur exercice comptable au 31 décembre 1995 et celles qui clôturent un jour plus tôt ne résulte pas de la disposition entreprise mais de la combinaison de différentes décisions prises par des autorités différentes, l'article 360 du Code des impôts sur les revenus 1992, les articles 200 et 202 de l'arrêté royal d'exécution du Code des impôts sur les revenus 1992 et la décision de l'organe statutaire de la société fixant la date de clôture de l'exercice comptable.

Pour tous ces motifs, le recours doit être rejeté.

Mémoire en réponse des parties requérantes Concernant la recevabilité des moyens A.14. Concernant la recevabilité des moyens qui n'invoquent pas la violation de l'article 11 de la Constitution, quatre remarques sont formulées.

Tout d'abord, un justiciable ne doit exposer au juge que les faits et la demande, et c'est le juge qui recherche lui-même les règles de droit qu'il doit appliquer.

Ensuite, ce sont bien les articles 10 et 172 de la Constitution qui ont été violés. En effet, le grief des parties requérantes consiste à soutenir que tous les citoyens ont le droit de déduire leurs charges professionnelles, sauf ceux à qui s'applique la disposition incriminée sans qu'il y ait à cette distinction de justification objective et raisonnable.

L'article 11 de la Constitution, pour sa part, vise essentiellement les droits et libertés énumérés aux articles 12 à 32 de la Constitution, droits qui ne sont pas invoqués par les requérantes.

Enfin, l'analyse des différences faite par le Conseil des ministres est contestée. « En définitive, les diverses différences non justifiables de traitement décrites dans la requête ainsi que dans l'étude de M. Kleynen constituent [...] un tout indivisible, duquel il ressort que la disposition attaquée est totalement incohérente en ce sens qu'elle s'applique lorsque la mesure nouvelle ne se justifie pas et ne s'applique pas lorsqu'elle pourrait se justifier. » Quant au fond A.15. Concernant le fond, les parties requérantes critiquent tout d'abord la thèse qui semble résulter de l'ensemble du mémoire du Conseil des ministres selon laquelle des opérations de gestion dynamique de la trésorerie des entreprises, et plus particulièrement des placements temporaires de trésorerie en actions, seraient des opérations spéculatives critiquables, voire suspectes, qui ne mériteraient dès lors pas que l'on s'insurge contre les mesures qui les concernent. De telles opérations sont, selon les parties requérantes, bien au contraire nécessitées par une technique moderne.

Un article du professeur Bihain dans la Revue générale de fiscalité (juin-juillet 1996, p. 162) est invoqué à cet égard.

Par ailleurs, les griefs d'inconstitutionnalité invoqués constituent, pris dans leur ensemble, un tout indivisible qui permet d'arriver à la conclusion que la mesure attaquée produit des effets totalement incohérents.

A.16. Concernant l'ensemble des griefs, plusieurs considérations générales sont formulées. La thèse du Conseil des ministres méconnaît tout d'abord de façon absolue les incidences financières, comptables et fiscales du détachement d'un coupon.

Le Conseil des ministres perd par ailleurs de vue que la vente avant détachement du coupon permet de réaliser une plus-value déductible à 100 p.c., tandis que la vente après ce détachement permet elle la déduction de revenus définitivement taxés qui eux ne sont déductibles qu'à concurrence de maximum 95 p.c.

Une autre erreur du mémoire réside dans les conclusions qu'il tire de statistiques qui font ressortir un accroissement du volume global des revenus définitivement taxés déduits au titre de l'exercice d'imposition 1994. C'est sans preuve qu'il est affirmé que cet accroissement ne peut provenir que de l'utilisation de manoeuvres.

L'Etat perd de vue les modifications apportées à la législation belge en exécution de la directive européenne du 23 juillet 1990 sur les relations entre les sociétés-mères et les filiales.

Le Conseil des ministres a aussi commis plusieurs erreurs en affirmant, lors des travaux préparatoires et dans le mémoire, que les mécanismes permettant d'abuser du système des revenus définitivement taxés peuvent consister dans des opérations d'achat-vente sur une courte période au moyen de capitaux empruntés, d'actions ne présentant pas le caractère d'immobilisations financières.

Enfin, une dernière erreur fondamentale réside dans la démesure de la sanction qui s'applique sans distinction selon que l'investissement en actions a été effectué au moyen de fonds propres ou de capitaux empruntés, selon que les titres ont été revendus après quelques jours ou après environ un an, selon que les titres ont été revendus avec bénéfice ou avec perte et selon que les titres ont été acquis à titre spéculatif ou à titre professionnel, et qui ne s'applique de toute façon pas à d'autres hypothèses où il serait peut-être justifiable de l'appliquer.

A.17. La réponse du Conseil des ministres relative aux limites du contrôle de la Cour n'est pas pertinente pour la plupart des considérations développées dans la requête qui établissent qu'il n'existe aucun rapport de proportionnalité entre l'objectif poursuivi et les moyens mis en oeuvre.

Concernant la première discrimination contestée par le Conseil des ministres, les parties requérantes précisent qu'il ne s'agit que d'un exemple préliminaire et schématique destiné à illustrer les discriminations analysées plus loin. Par-delà l'exemple, ce qu'il faut percevoir c'est que de nombreuses sociétés disposent d'une trésorerie excédentaire et que rien ne justifie de les pénaliser, lorsqu'elles décident d'investir dans des actions qu'elles ne conservent pas pendant au moins un an.

Concernant la deuxième discrimination, les parties requérantes ne peuvent admettre qu'on assimile aux contribuables qui utilisent les revenus définitivement taxés en vue d'éluder l'impôt les sociétés qui agissent dans une optique de gestion dynamique d'une trésorerie excédentaire.

Concernant la troisième discrimination, les parties requérantes objectent qu'on chercherait vainement en quoi il est raisonnable de penser que des actions qui n'ont pas été acquises en vue de diriger une société-cible seraient financées au moyen de capitaux empruntés dans le but de réaliser le mécanisme décrit par le Conseil des ministres, tandis que des actions qui ont été acquises dans ce but seraient financées au moyen de fonds propres, en dehors de toute recherche d'éluder l'impôt. Il en résulte que le législateur s'est totalement trompé de cible.

Concernant la quatrième discrimination, la thèse du Conseil des ministres qui conclut à la non-comparabilité des situations doit être rejetée, parce qu'elle se base sur l'hypothèse d'une détention pendant au moins un an. Or, une telle situation est étrangère à la question de savoir s'il est discriminatoire d'appliquer la mesure en cas de dividende et de ne pas l'appliquer en cas de plus-value, lorsque la détention est inférieure à un an.

Concernant la cinquième discrimination, les parties requérantes contestent la pétition de principe sur laquelle se fonde le Conseil des ministres qui veut qu'un placement de moins d'un an montre que le contribuable a abusé du mécanisme des revenus définitivement taxés. « C'est bafouer les réalités économiques que de refuser la déduction des intérêts pour un montant correspondant à un placement d'environ un an en cas de placement pendant une période de quelques jours, et de l'admettre en cas de placement pendant un an, avec emprunt. » C'est à tort que l'Etat refuse de prendre en considération la situation des sociétés qui revendent des actions rapidement après les avoir achetées et ce pour des raisons tout à fait légitimes et alors que les placements de courte durée pendant la période de détachement d'un coupon qui sont fortement pénalisés par d'autres mesures fiscales ne sont jamais décidés pour des raisons fiscales. La thèse du Conseil des ministres est fondée sur des erreurs de raisonnement et non sur une analyse objective des éventuels abus réprimés. Il en résulte que la mesure prise ne peut être objectivement et raisonnablement justifiée.

Concernant la sixième discrimination, les parties requérantes relèvent des contradictions entre ce qui est dit dans l'exposé des motifs de la loi, à savoir que les sommes empruntées par une société sont irréfragablement présumées avoir été utilisées pour effectuer les placements de trésorerie productifs de revenus définitivement taxés que la société a réalisés, et ce qui est défendu dans le mémoire devant la Cour, dans lequel l'Etat affirme au contraire qu'un placement de trésorerie n'est normalement pas financé par un emprunt.

Concernant la septième discrimination, le raisonnement du Conseil des ministres qui juge non comparables des sociétés recueillant des revenus définitivement taxés non déductibles et celles recueillant des revenus définitivement taxés déductibles doit être rejeté. « C'est précisément parce qu'il s'agit de situations totalement différentes, qu'il n'est pas justifiable d'avoir mis les dividendes déductibles mais non effectivement déduits sur le même pied que les dividendes effectivement déduits.

Il aurait été tout simple de l'éviter en prévoyant de n'appliquer le rejet des intérêts qu'à concurrence des R.D.T. ' déduits ' (ou mieux encore ' effectivement déduits ') en lieu et place des R.D.T. ' déductibles '. » Les conclusions que le Conseil des ministres tire des statistiques du ministère des Finances sont par ailleurs contestées.

A.18. Concernant le deuxième moyen invoqué à titre subsidiaire, la jurisprudence de la Cour invoquée par le Conseil des ministres n'est pas pertinente, parce qu'elle ne permet nullement de pénaliser des opérations qui étaient définitivement accomplies au moment où la loi a été publiée et qui auraient été accomplies autrement si la loi avait été connue à ce moment-là. Par ailleurs, la différence de traitement entre les redevables résulte bien de la disposition insérée dans le Code des impôts sur les revenus, compte tenu de l'ensemble des dispositions de ce Code.

A.19. Pour conclure, les parties requérantes se demandent si, compte tenu de la grande complexité de cette matière, une expertise ne serait pas utile. « La bonne compréhension de ce problème nécessite une connaissance approfondie de règles qui sont parmi les plus compliquées du Code des impôts sur les revenus.

Dans ces conditions, la Cour souhaitera peut-être s'entourer d'avis impartiaux qui pourraient lui être donnés par des experts qu'elle désignerait conformément aux articles 91, alinéa 2, 5°, et 94 de la loi spéciale du 6 janvier 1989. » - B - Quant aux dispositions entreprises B.1. L'article 198 du Code des impôts sur les revenus 1992 fait partie du titre III (Impôt des sociétés), chapitre II (Assiette de l'impôt), section IV (Détermination du montant net du revenu), sous-section I (Frais professionnels) de ce Code. Il détermine les frais qui ne sont pas considérés comme frais professionnels.

L'article 11 de la loi du 20 décembre 1995 portant des dispositions fiscales, financières et diverses ajoute un 10° à l'alinéa 1er de cet article 198 : « 10° sans préjudice de l'application de l'article 55, les intérêts, jusqu'à concurrence d'un montant égal à celui des revenus déductibles en vertu des articles 202 à 204, d'actions ou parts acquises par une société qui ne les a pas détenues pendant une période ininterrompue d'au moins un an, au moment de leur cession. » Cet article 11 dispose encore que « l'alinéa 1er, 10°, n'est toutefois pas applicable aux actions ou parts détenues dans des sociétés liées ou avec lesquelles il existe un lien de participation, même lorsqu'elles ont le caractère de placements de trésorerie, ni aux autres actions ou parts figurant sous les immobilisations financières ».

L'article 12 de la loi du 20 décembre 1995 dispose : « Dans l'article 205, 2, du même Code, remplacé par l'article 20 de la loi du 28 juillet 1992, les mots ' l'article 198, 1° à 3° et 7° ' sont remplacés par les mots ' l'article 198, alinéa 1er, 1° à 3°, 7° et 10° '. » Les articles 202 à 205 font partie de la sous-section III de la section IV (Revenus déductibles des bénéfices imposables). Ils fixent les conditions auxquelles des bénéfices tels les dividendes peuvent être déduits. L'article 205 précise que la déduction prévue à l'article 202 (notamment les dividendes) est limitée au montant des bénéfices de la période imposable, tel qu'il subsiste après application de l'article 199, diminué des frais et charges qui ne sont pas considérés comme frais professionnels, sauf exception, notamment l'article 198, alinéa 1er, 10°, comme il est précisé à l'article 12 de la loi entreprise.

L'article 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995 précise que les articles 11 et 12 entrent en vigueur à partir de l'exercice d'imposition 1996.

Quant à l'exception d'irrecevabilité B.2. Pour satisfaire aux exigences de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.

B.3. Dans leur requête, les parties requérantes invoquent la violation des articles 10 et 172 de la Constitution.

Dans son mémoire, le Conseil des ministres estime que six des sept discriminations que dénoncent les requérantes procèdent de la violation non pas de l'article 10 de la Constitution, mais de l'article 11 de la Constitution qui n'est pas invoqué par les requérantes.

B.4. L'article 10 de la Constitution contient la règle de l'égalité devant la loi tandis que l'article 11 établit celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés, mais ces deux règles constitutionnelles sont l'expression d'un même principe et sont donc indissolublement liées.

B.5. Le recours est dès lors recevable et ne doit pas être rejeté pour le motif que la requête n'invoque pas expressément la violation de l'article 11 de la Constitution.

Quant au premier moyen B.6. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 172 de la Constitution, en ce que l'article 11 de la loi entreprise interdit la déduction des intérêts de nature professionnelle dans la mesure correspondant à certains dividendes recueillis par le redevable, alors que le droit à la déduction des intérêts qui constituent des frais professionnels est reconnu en principe à tous les redevables qui payent pareils intérêts.

B.7. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

Les articles 10 et 11 de la Constitution ont une portée générale. Ils interdisent toute discrimination, quelle qu'en soit l'origine. Ils sont également applicables en matière fiscale, ce que confirme d'ailleurs l'article 172 de la Constitution, lequel fait une application particulière du principe d'égalité formulé à l'article 10.

B.8. Il résulte des travaux préparatoires de la loi entreprise que le législateur a entendu mettre fin à un mécanisme permettant aux sociétés une double déduction fiscale : « L'opération fiscale qui consiste à financer l'acquisition temporaire d'actions ou parts de sociétés belges ou étrangères par un emprunt dont les intérêts sont d'un niveau équivalent à celui des dividendes perçus, permet d'éponger fiscalement d'autres bénéfices réalisés par la société. Cette opération génère en effet une double déduction, les intérêts d'emprunt d'une part et, d'autre part, à concurrence de 95 p.c. les dividendes déductibles à titre de revenus définitivement taxés (R.D.T.). Afin d'empêcher cette utilisation abusive du régime des R.D.T., il est proposé de rejeter comme dépenses non admises les intérêts d'emprunts déductibles en principe comme charges professionnelles, à concurrence du montant des revenus définitivement taxés se rapportant à des actions ou parts détenues par la société pendant une période ininterrompue de moins d'un an au moment de leur cession » (Doc. parl., Chambre, 1995-1996, n° 208/1, p. 7).

Le législateur a entendu viser des opérations dont « le seul but recherché est fiscal hors toute volonté réelle de devenir actionnaire » (Doc. parl., Chambre, 1995-1996, n° 208/8, p. 4).

B.9. C'est au législateur qu'il appartient de déterminer les objectifs qu'il entend poursuivre en matière fiscale. Il peut se soucier de lutter contre un usage anormal qui pourrait être fait de la déduction des revenus définitivement taxés. Ainsi, il est légitime que le législateur refuse que des sociétés puissent bénéficier d'une double déduction à l'impôt des sociétés pour des opérations qui ne seraient menées que pour l'avantage fiscal qu'elles procurent. La Cour doit cependant vérifier si la mesure prise par le législateur peut se justifier objectivement et raisonnablement au regard de cet objectif.

B.10. Il résulte du texte de l'article 11 de la loi entreprise que la mesure n'est pas applicable aux sociétés qui ont détenu les actions ou les parts acquises pendant une période ininterrompue d'au moins un an.

La mesure n'atteint pas davantage les sociétés qui détiennent des actions ou des parts dans des sociétés liées ou avec lesquelles il existe un lien de participation.

Il résulte des travaux préparatoires que le législateur a renoncé à établir un lien direct entre l'acquisition des actions et le financement de cette opération, en raison de la difficulté pratique d'établir concrètement la liaison entre le financement d'une opération et le bien acquis. « Il s'agit en effet d'éléments du bilan qui se retrouvent, le premier au passif et le second à l'actif, sans que, d'un point de vue comptable, il y ait lieu d'indiquer un quelconque lien de cause à effet puisque le mouvement comptable ne se fera jamais directement entre ces deux postes » (Doc. parl., Chambre, 1995-1996, n° 208/8, p. 20). Le critère utilisé par le législateur en vue d'exclure certaines charges financières de l'avantage de la déduction comme frais professionnels est la nature des considérations qui ont motivé la décision du contribuable de recourir à l'emprunt : « Si les actions qui ont été acquises l'ont été dans une optique de groupe parce que l'on veut diriger la société cible (filiale), parce que l'on veut acquérir une participation ou établir un lien durable, le rejet de la déduction ne s'appliquera pas parce que le contribuable a établi la motivation économique de son acquisition » (ibidem, pp. 20-21). Le législateur a ainsi estimé que, dans ces deux cas exclusivement, les motifs économiques de l'opération étaient démontrés.

Cette justification - concrétisée par les dispositions de l'article 11 attaqué prévoyant que l'avantage de la déduction dont il est question est maintenu lorsque les actions ou parts acquises avec des moyens externes restent détenues pendant plus d'une année et prévoyant que la mesure entreprise n'est pas applicable aux sociétés acquérant des actions ou des parts dans des sociétés avec lesquelles il existe un certain lien - montre que le législateur, en adoptant la mesure attaquée, a considéré que les dépenses réalisées en vue du financement d'une activité qui vise à la réalisation d'une possibilité de déduction fiscale spécifique, en l'espèce la déduction de revenus définitivement taxés, sont inspirées par des préoccupations purement fiscales et sont étrangères à celles qui justifient qu'une dépense reçoive le statut de charge professionnelle.

Le critère de distinction utilisé par le législateur est objectif et raisonnablement proportionné au but poursuivi, à savoir éviter que des moyens auxquels il est fait appel dans le seul but d'obtenir par une autre voie un avantage fiscal puissent à leur tour faire l'objet d'une déduction fiscale.

La mesure ne porte pas atteinte à la règle de la déductibilité fiscale des revenus définitivement taxés et ne porte pas atteinte de manière injustifiée aux règles qui régissent l'établissement du bénéfice net imposable.

Le moyen ne peut être admis.

Quant au deuxième moyen B.12. Les parties requérantes formulent un deuxième moyen d'annulation à l'encontre de l'article 28, alinéa 1er, de la loi du 20 décembre 1995, pris de la violation des articles 10 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition rend applicable l'article 11 de la loi à partir de l'exercice fiscal 1996, donc pour des opérations accomplies par les redevables en 1995 avant la publication de la loi. Il en résulterait une discrimination entre les sociétés selon les modalités des opérations qu'elles ont faites légitimement en 1995.

B.13. Lorsque le législateur prend une mesure en vue d'éviter que des contribuables ne retirent de la combinaison d'opérations un avantage fiscal qu'il n'avait pas envisagé, et qu'il veille à atteindre les seules opérations qui ne s'expliquent que par la volonté de bénéficier de cet avantage, il ne viole pas le principe de l'égalité devant l'impôt en rendant cette mesure immédiatement applicable, étant donné qu'il ne déroge pas, à cette occasion, aux règles générales concernant la détermination de l'année d'imposition.

Le deuxième moyen doit dès lors être rejeté.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 8 juillet 1997.

Le greffier, Le président, L. Potoms. M. Melchior.

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