publié le 19 juin 1997
Arrêt n° 24/97 du 30 avril 1997 Numéros du rôle : 957 et 980 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, posées par le **** **** Cour d'arbitrage, composée des présidents ***** et L. De Grève, et des juges H. ****, L(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 24/97 du 30 avril 1997 Numéros du rôle : 957 et 980 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, posées par le tribunal correctionnel de **** et par le tribunal correctionnel (chambre du conseil) de ****.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents ***** et L. De Grève, et des juges H. ****, L. ****, P. ****, J. ****, G. **** ****, E. ****, H. **** et A. Arts, assistée du greffier L. ****, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles a) Par jugement du 14 mai 1996 en cause du procureur du Roi, de M. **** et de J.-***** contre T. **** et la s.a. **** ****, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 mai 1996, le tribunal de première instance de **** a posé la question préjudicielle suivante : «*****» Cette affaire est inscrite sous le numéro 957 du rôle. b) Par ordonnance du 26 juin 1996 en cause du procureur du Roi, Ph. **** et ***** contre G. **** ****, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 juillet 1996, la chambre du conseil du tribunal de première instance de **** a posé la question préjudicielle suivante : «*****» Cette affaire est inscrite sous le numéro 980 du rôle.
****. Les faits et les procédures antérieures 1. Affaire portant le numéro 957 du rôle Dans le cadre de poursuites dirigées contre le responsable d'un accident de roulage, le tribunal de première instance de **** a désigné un expert-médecin, ayant pour mission de déterminer s'il existait un lien de causalité nécessaire entre l'accident et le décès, survenu dix semaines plus tard, de la victime de celui-ci. Le prévenu dénonce l'absence de caractère contradictoire de cette expertise; tout en relevant que selon, notamment, la jurisprudence de la Cour de cassation, l'expertise en matière pénale n'est pas régie par les règles contenues en les articles 962 et suivants du Code judiciaire et plus particulièrement les articles 965, 972, 973, 978 et 979 organisant le caractère contradictoire de l'expertise en matière civile, le tribunal considère que ce n'est pas sans pertinence que le prévenu fait valoir qu'il existe une discrimination non justifiée par des circonstances objectives entre, d'une part, celui qui, défendeur dans un procès civil, bénéficie du caractère contradictoire des opérations d'expertise dont l'objet serait de déterminer si, pour l'application des articles 1382 et 1383 du Code civil, il existe une relation causale entre la faute qui lui est reprochée et le décès de la victime et d'autre part, celui qui, prévenu dans un procès pénal où il doit répondre d'une accusation d'homicide involontaire (articles 418 et 420 du Code pénal) reposant sur l'appréciation de la même faute et de la même relation causale, ne peut bénéficier du caractère contradictoire d'une expertise ayant le même objet.
Jugeant que la réponse à la question de savoir s'il y avait violation des articles 10 et 11 de la Constitution par les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle en tant qu'ils fonderaient le caractère non contradictoire de l'expertise en matière pénale, dont celle ordonnée par le juge du fond, lui apparaissait indispensable pour rendre sa décision, le tribunal a adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus. 2. Affaire portant le numéro 980 du rôle Dans le cadre d'une constitution de partie civile par la victime d'une tentative d'homicide volontaire, l'inculpé étant soit en état de démence soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable du contrôle de ses actions, la chambre du conseil du tribunal de première instance de **** a souhaité entendre des experts qui auraient procédé à une expertise psychiatrique. Jugeant que l'enjeu touchait à l'ordre public, elle s'est interrogée, préalablement et d'office, sur le point de savoir si une telle expertise, menée de manière non contradictoire dans le cadre d'une instance répressive - ce qui est, selon la chambre du conseil, l'usage, voire la règle -, ne pose pas, au stade de la chambre du conseil, qualifiée de juridiction de fond et statuant sur intérêts civils, un problème de conformité aux règles constitutionnelles d'égalité devant la loi et de non-discrimination (articles 10 et 11 de la Constitution) et ce, au regard des dispositions des articles 962 et suivants du Code judiciaire. Elle a adressé à la Cour la question reproduite ci-dessus.
****. La procédure devant la Cour a) Dans l'affaire inscrite sous le numéro 957 du rôle Par ordonnance du 22 mai 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste les 5 et 10 juin 1996.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 juin 1996.
Des mémoires ont été introduits par : - T. ****, demeurant à ***** ****, rue des Coteaux 49, et par la s.a. **** ****, dont le siège social est établi à 1070 ****, rue des Mégissiers 30/36, par lettre recommandée à la poste le 18 juillet 1996; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 ****, par lettre recommandée à la poste le 22 juillet 1996.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 17 septembre 1996.
Des mémoires en réponse ont été introduits par : - T. **** et la s.a. **** ****, par lettre recommandée à la poste le 9 octobre 1996; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 17 octobre 1996. b) Dans l'affaire inscrite sous le numéro 980 du rôle Par ordonnance du 2 juillet 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1996.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 20 juillet 1996.
Le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 ****, a introduit un mémoire, par lettre recommandée à la poste le 23 août 1996. c) Dans les deux affaires Par ordonnance du 9 juillet 1996, la Cour réunie en séance plénière a joint les affaires.Cette ordonnance a été notifiée aux parties par lettres recommandées à la poste le 10 juillet 1996.
Par ordonnance du 22 octobre 1996, la Cour a prorogé jusqu'au 22 mai 1997 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 4 février 1997, le président ***** a soumis les affaires à la Cour réunie en séance plénière.
Par ordonnance du même jour, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 27 février 1997.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats par lettres recommandées à la poste le 5 février 1997.
A l'audience publique du 27 février 1997 : - ont comparu : . Me ***** et Me J.F. **** ****, avocats au barreau de ****, pour T. **** et la s.a. **** ****; . Me Ph. ****, avocat au barreau de ****, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs L. **** et H. **** ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
****. En droit - A - Mémoire de T. **** et de la s.a. **** **** (affaire portant le numéro 957 du rôle) A.1.1. Quant aux faits, il est relevé que le jugement ayant ordonné l'expertise n'en ordonnait ni n'en prohibait le caractère contradictoire. Les parties n'ont pas pu prendre connaissance du rapport d'expertise avant l'avis du parquet signalant la fixation de la date de l'audience. La demande de récusation du juge ayant ordonné l'expertise, motivée par la circonstance que le juge avait indiqué à l'expert que celle-ci n'est pas contradictoire et que ce caractère ne peut la rendre incompatible avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, a été rejetée par le tribunal, lequel a considéré : « Attendu que suite au dépôt du rapport d'expertise, il appartient aux **** d'émettre toutes les considérations qu'ils estimeront utiles à la défense de leurs intérêts; qu'il appartiendra à M. le Juge Saint-****, président de la 45e chambre, de répondre aux éléments soulevés par les ****; que même si M. le Juge Saint-**** semble s'en être tenu jusqu'à présent à l'application des principes actuels et constants de la jurisprudence en la matière, aucun élément contraire n'ayant été soulevé par les ****, rien ne permet de dire, dès à présent, qu'il n'offrirait pas toutes les garanties pour mener la suite des débats et statuer en la cause qui lui est soumise, et qui oppose M. le Procureur du Roi et la partie civile aux ****, conformément aux dispositions de l'article 6 § 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; que l'impartialité du magistrat doit être présumée jusqu'à preuve du contraire. » Enfin, à la suite de l'indemnisation amiable des parties civiles par l'assureur de l'auteur de l'accident, celles-ci ont déclaré se désister de leur demande.
A.1.2. Le Code judiciaire consacre le caractère contradictoire de l'expertise qu'il organise.
Même si le non-respect de la contradiction, par l'expert, le juge ou encore l'une des parties, n'entraîne pas la nullité de l'expertise, la jurisprudence et la doctrine indiquent qu'il expose immanquablement à la **** la décision judiciaire à l'élaboration de laquelle ce rapport a contribué et que la juridiction saisie de ce recours devra constater que le rapport d'expertise litigieux est inopposable aux parties au détriment desquelles le principe du contradictoire a été méconnu.
En revanche, les dispositions du Code d'instruction criminelle sont muettes quant à la nature contradictoire ou non de l'expertise en matière pénale. La Cour de cassation a décidé du caractère non contradictoire de celle-ci, alors qu'aucun texte ne permet de fonder cette règle prétorienne et que la doctrine unanime indique que la règle inverse peut se prévaloir des articles 2 et 972 et suivants du Code judiciaire.
Il résulte du caractère prétorien de la règle litigieuse qu'aucun grief d'inconstitutionnalité n'est formulé à l'encontre du contenu proprement dit des trois dispositions du Code d'instruction criminelle reprises dans le libellé de la question - elles devaient l'être pour que la Cour soit valablement saisie - mais que la Cour d'arbitrage est interrogée sur la pertinence intrinsèque et, le cas échéant, sur la conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution, des caractéristiques que la Cour de cassation, au terme d'une oeuvre interprétative, a cru pouvoir conférer à une institution - l'expertise pénale - dont l'existence est simplement consacrée par ces trois seules dispositions.
A.1.3. L'apparition progressive de la contradiction au coeur de l'expertise en matière répressive dans des dispositions particulières relatives à l'exploration corporelle (alinéas 2 et 3 insérés dans l'article 90bis du Code d'instruction criminelle par l'article 7 de la loi du 4 juillet 1989 modifiant la loi du 20 avril 1874 relative à la détention préventive; article 44bis du Code d'instruction criminelle inséré par l'article 1er de la loi du 15 avril 1958Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/04/1958 pub. 28/09/2011 numac 2011000596 source service public federal interieur Loi relative à la publicité en matière de soins dentaires. - Traduction allemande fermer et articles 5 et 9 de l'arrêté royal du 10 juin 1959 relatif au prélèvement sanguin en vue du dosage de l'alcool) invite à remettre en question la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation.
A.1.4. Dès lors que la conformité des articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle au prescrit des articles 10 et 11 de la Constitution dépend exclusivement de l'interprétation qu'il convient de leur donner et qu'il paraît hasardeux de déterminer l'interprétation que le juge a **** s'est appropriée, eu égard à l'emploi du conditionnel dans le libellé de la question préjudicielle («*****»), la Cour est invitée à dire concurremment pour droit, en recourant à celle de ses techniques qu'il lui plaira d'utiliser, d'une part, que les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'excluent pas, et au contraire commandent, l'application des articles 972 et suivants du Code judiciaire, et qu'en conséquence l'expertise en matière pénale doit revêtir un caractère contradictoire, à tout le moins lorsqu'elle est ordonnée par une juridiction de jugement, et que dans cette interprétation, ces dispositions ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution et, d'autre part, que les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle, interprétés en ce sens qu'ils excluent le caractère contradictoire de l'expertise pénale, même lorsqu'elle est ordonnée par une juridiction de jugement, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.1.5. La double interprétation mentionnée sous A.1.4 correspond aux enseignements (de lege **** et de lege ****) de la doctrine qui, unanimement, a critiqué la jurisprudence traditionnelle consacrée par la Cour de cassation.
De plus, les Codes néerlandais et français de procédure pénale ont introduit le caractère contradictoire dans la procédure de l'expertise. Les critiques de la doctrine ont été traduites dans divers projets de réforme et il ressort d'une vaste enquête effectuée dans les milieux judiciaires qu'une majorité de magistrats et d'avocats sont favorables au déroulement contradictoire de l'expertise pénale, même au stade de l'information ou de l'instruction préparatoires.
A.1.6. Les dispositions litigieuses sont susceptibles d'une interprétation conforme et conciliante.
Conformément à l'article 2 du Code judiciaire, les règles qu'il contient (en l'espèce, celles qui garantissent le caractère contradictoire de l'expertise) peuvent s'appliquer à l'expertise pénale, à moins que celle-ci ne soit régie soit par des dispositions légales non expressément abrogées, soit par des principes de droit de la procédure pénale dont l'application ne serait pas compatible avec le respect du contradictoire.
A.1.6.1. Il n'existe pas de dispositions légales non expressément abrogées dont l'application ne serait pas compatible avec les articles 972 et suivants du Code judiciaire. Les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle n'ont aucune incidence sur la nature de l'expertise pénale et ne sont pas incompatibles avec les articles 972 et suivants du Code judiciaire. Il en va de même des dispositions particulières relatives aux frais et honoraires des experts et au droit spécial de la procédure pénale (A.1.3). Les seules dispositions légales spécifiques à la procédure en matière pénale excluant l'application des règles de la procédure civile concernent de tout autres questions (délais de citation, formes des recours, point de départ et durée des délais de recours, etc.).
A.1.6.2. Quant aux principes de droit dont l'application ne serait pas compatible avec celle des articles 972 et suivants du Code judiciaire, leur recherche appelle la critique de la jurisprudence traditionnelle, qui n'est d'ailleurs pas uniformément suivie, et selon laquelle les articles 962 à 991 du Code judiciaire sont dans leur ensemble inapplicables aux expertises ordonnées par les juges répressifs, quel que soit le stade de la procédure et quel que soit l'objet de l'expertise.
La Cour de cassation tempère elle-même sa jurisprudence en admettant implicitement mais certainement que l'article 966 du Code judiciaire, relatif à la récusation de l'expert, est également applicable aux experts désignés en matière répressive et en décidant, avec réserve, qu'en matière pénale, l'expertise est exécutée, «*****», de manière non contradictoire (****. 1er juin 1988, Pas. I, 480).
A.1.6.3. L'affirmation du procureur général **** sur laquelle repose la jurisprudence de la Cour de cassation et selon laquelle «*****» ne constitue pas un principe de droit dont l'application serait incompatible avec la règle du contradictoire prévue par le Code judiciaire.
En effet, si la nature de la juridiction compétente justifiait par elle-même **** des dispositions du Code judiciaire, l'article 2 de ce Code serait totalement vidé de sa substance, puisque cette disposition prévoit précisément que les règles qui régissent la procédure mue devant les juridictions civiles **** **** régissent en principe les procédures mues devant d'autres juridictions. Au contraire, la Cour de cassation, le Conseil d'Etat, la Cour d'arbitrage et les juridictions disciplinaires ont admis l'applicabilité de nombreuses dispositions du Code judiciaire aux procédures qui leur sont soumises. Cette dernière circonstance suffit à priver l'argument déduit de la nature des juridictions de toute sa pertinence. Elle suffit à tout le moins, par hypothèse, à exclure que cet argument soit érigé en «*****», au sens de l'article 2 du Code judiciaire. Même s'il était fondé, le même argument ne serait pas assez précis pour écarter l'application des articles 972, 973 et 978 du Code judiciaire. Il résulte au contraire d'un enseignement constant de la doctrine et de la jurisprudence qu'au stade du jugement, la procédure pénale est essentiellement contradictoire.
A.1.6.4. Quant aux principes généraux de la procédure pénale qu'expriment les articles 153, 190 et 211, dont il résulte que la procédure de jugement est publique, orale et contradictoire, ils commandent tout au contraire l'application de la règle du contradictoire aux expertises pénales ordonnées par les juridictions de jugement; c'est d'ailleurs sur la base de cette règle que, par exemple, le juge du fond ne peut procéder à une visite des lieux qu'en présence des parties et en se constituant préalablement en audience publique; or, l'on n'aperçoit pas de différence notable qui, à ce degré de généralité et d'importance des principes, existerait entre l'expertise ordonnée par la juridiction de jugement et la visite des lieux ordonnée par la même juridiction.
Dès lors, en l'absence de principe de droit en procédure pénale qui permettrait d'écarter l'application des articles 962 et suivants du Code judiciaire aux expertises ordonnées par les juridictions répressives de jugement et, parmi ces dispositions, celles qui assurent à l'expertise un déroulement contradictoire, les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle doivent être interprétés en ce sens qu'ils n'excluent pas, et au contraire commandent, l'application des articles 972 et suivants du Code judiciaire, et, dans cette interprétation, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
A.1.7. Dans l'interprétation traditionnelle, les dispositions en cause engendrent une discrimination entre le défendeur à l'action civile fondée sur une mort accidentelle et portée devant une juridiction civile, d'une part, et le prévenu, et le cas échéant la personne qui en est civilement responsable, ainsi que leur assureur, contre lesquels, outre l'action publique dirigée contre le prévenu lui-même, cette même action civile est dirigée devant une juridiction répressive, d'autre part.
Les seconds sont en effet privés du droit de participer à la recherche et à la manifestation de la vérité judiciaire et disposent de moyens d'investigation plus faibles et moins efficaces que le premier, alors qu'ils sont exposés à des poursuites pénales et donc à un jugement de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur liberté. Au demeurant, cette différence de traitement contraste sans justification apparente avec la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle «*****».
A.1.8. La jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle «*****» est un tempérament qui ne suffit pas à faire disparaître la discrimination en cause car il est d'ordre purement théorique et formel.
En effet, d'une part, l'exercice, par le prévenu, de son droit de contester à l'audience un rapport d'expertise réalisé non contradictoirement peut, chaque fois que la contradiction ne peut être différée (disparition des données et pièces sur lesquelles est fondée l'expertise, autopsie), s'avérer impossible. Tel est aussi le cas lorsque, comme en l'espèce, l'expert déclare se fonder sur des éléments d'un dossier médical dont il ne reproduit rien, et qu'il ne livre que l'interprétation qu'il en retient. D'autre part, le caractère théorique et formel de l'argumentation de la jurisprudence traditionnelle résulte de manière plus générale du fait que cette argumentation laisse subsister la discrimination que subissent le prévenu, le civilement responsable et leurs assurés sur le plan de l'intime conviction du juge. En effet, même s'il leur est théoriquement loisible de critiquer le rapport de l'expert à l'audience, il reste que ce rapport aura précédé la formulation des critiques et sera soumis au juge dans sa seule version initiale, c'est-à -dire vierge de toute critique.
A.1.9. La jurisprudence traditionnelle aboutit à une seconde discrimination, qui résulte d'une comparaison des coûts. Le coût d'une contre-expertise que le prévenu doit supporter pour tenter de rétablir la contradiction, à supposer que la nature de l'expertise le permette - **** non en l'espèce -, est systématiquement plus élevé que le coût de la participation à une expertise judiciaire, contradictoire **** ****.
A.1.10. Ces discriminations ne peuvent être justifiées par le prétendu principe selon lequel les règles de procédure sont fonction de la nature de la juridiction saisie (A.1.6.2 à A.1.6.4) et la solution qui consiste, au nom du caractère trop libéral des règles du Code judiciaire en matière d'expertise, à conférer un caractère non contradictoire à l'expertise pénale ordonnée par une juridiction de jugement est hors de toute proportion avec l'objectif d'efficacité et de célérité poursuivi. Plusieurs éléments doivent en effet être pris en compte : il incombe au ministère public, partie au procès pénal, d'assumer le rôle de la partie la plus diligente; l'informatisation récente des greffes permet aux juges d'assurer un contrôle réel sur le respect des délais fixés pour l'exécution des expertises; l'argument du prétendu manque d'efficacité des règles du Code judiciaire par rapport aux nécessités des poursuites pénales, est en tout cas sans objet en ce qui concerne les expertises ordonnées dans le cadre de l'action civile uniquement; l'article 990 du Code judiciaire qui permet aux experts de différer l'accomplissement de leur mission jusqu'au versement d'une provision est inapplicable aux expertises pénales; enfin, l'expertise unilatérale n'est pas toujours un gage d'efficacité car, faute de contradiction ou en raison des arguments techniques qui ne sont soulevés qu'à l'audience par les parties, elle mène régulièrement le procès pénal dans une impasse au stade de l'audience.
A.1.11. L'arrêt rendu par la Cour le 21 mars 1995 a censuré, en matière de prescription, une discrimination qui, comme en l'espèce, existait entre les parties à l'action civile née d'une infraction et les parties à l'action civile fondée sur une faute non constitutive d'infraction, et qui en outre, toujours comme en l'espèce, présentait un caractère paradoxal (J.T., 1995, p. 262).
Cette discrimination dénoncée par la Cour au profit des victimes de faits qualifiés d'infractions doit, **** **** et par identité de motifs, être dénoncée, cette fois en matière d'expertise et au profit des auteurs des mêmes faits. On observera d'ailleurs que cette discrimination est susceptible de se produire au détriment du demandeur à l'action civile portée devant la juridiction répressive, dans l'hypothèse où un rapport d'expertise non contradictoire exclurait la relation causale entre la faute et le décès de la victime.
Mémoires du Conseil des ministres (affaires portant les numéros 957 et 980 du rôle) A.2.1. L'expertise en cause dans l'affaire portant le numéro 957 du rôle n'a pas été ordonnée par le procureur du Roi ou le juge d'instruction mais par une juridiction de jugement; les juridictions de jugement ont le pouvoir d'ordonner de telles expertises et de choisir des experts, certes en l'absence de toute règle dans le Code d'instruction criminelle, mais eu égard à la circonstance qu'aucune disposition de la loi ne le leur interdit. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'expertise ordonnée par le juge d'instruction et par les juridictions de fond n'est pas soumise aux règles de la contradiction.
A.2.2. Les expertises en cause ne concernent pas l'action civile mais l'action publique elle-même, en vue de livrer au juge les éléments nécessaires afin de juger de celle-ci. Contrairement à ce qu'énoncent les décisions en cause, les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle ne concernent nullement l'expertise ordonnée par le juge du fond en matière pénale, ni a fortiori l'expertise ordonnée par le tribunal correctionnel ou la chambre du conseil : la compétence de la juridiction de fond de désigner un expert-médecin découle en effet de l'économie générale du Code et de la compétence des juridictions de jugement d'ordonner des mesures d'instruction supplémentaires.
A.2.3. La distinction entre les deux catégories de citoyens, mentionnées par les questions préjudicielles, c'est-à -dire les parties dans un procès civil et les parties dans un procès pénal, repose sur un critère objectif et ne viole aucunement les principes de l'égalité des Belges et de la non-discrimination prévus aux articles 10 et 11 de la Constitution belge.
En tant qu'elle est fonction de la nature de la juridiction qui ordonne l'expertise, la distinction repose sur un critère objectif.
A.2.4. Elle est également raisonnablement justifiée en tenant compte du but de la mesure critiquée et de la nature des principes en cause.
La non-applicabilité des dispositions du Code judiciaire en ce qui concerne l'expertise pénale est en effet la conséquence du caractère **** et unilatéral de l'instruction en matière répressive, qui est un des principes de base du Code d'instruction criminelle et qui s'applique aux expertises ordonnées en vue de statuer tant sur l'action publique intentée contre le prévenu que sur l'action civile.
La circonstance qu'il pourrait s'agir devant le tribunal civil et la juridiction pénale d'une appréciation de la même faute et de la même relation causale ne peut pas être décisive. Même s'il s'agit de l'appréciation de la même faute, il reste le fait que l'action publique est entamée par le ministère public devant la juridiction répressive, tandis qu'une procédure civile est entamée par un citoyen et ne peut aboutir à une condamnation pénale (affaire portant le numéro 957 du rôle). Et les différences fondamentales entre les procédures devant les juridictions répressives et les procédures devant les juridictions civiles peuvent justifier un traitement différent, même si l'expertise ordonnée par une juridiction répressive concerne en partie les intérêts civils (affaire portant le numéro 980 du rôle).
A.2.5. La nature essentiellement différente du procès pénal et du procès civil explique également la différence de traitement. La procédure pénale résulte d'un délit à la suite duquel des sanctions pénales et infamantes peuvent être infligées au prévenu; elle a pour objectif la vérité et vise à juger l'action publique.
De la nature spécifique d'une procédure pénale **** dès lors la présomption d'innocence et le caractère secret et **** de l'instruction. A l'origine, l'information et l'instruction sont, par la force des choses, secrètes pour éviter soit de jeter le discrédit sur les personnes, soit d'alerter les coupables. Aussi bien, l'expertise peut être entamée à l'insu de la personne soupçonnée, qui peut ainsi n'en rien savoir. D'autre part, l'inculpé est présumé innocent. Il est absolument passif.
L'expertise, ordonnée par les juridictions de jugement, doit être considérée comme la suite de l'instruction préparatoire. Les juridictions de jugement ont en effet le droit et même l'obligation d'ordonner des mesures d'instruction complémentaires chaque fois qu'elles jugent l'instruction préparatoire incomplète. Seul le débat à l'audience de la juridiction de jugement est contradictoire. En effet, les articles 153, 190 et 211 du Code d'instruction criminelle ne garantissent la contradiction que lors de la seule audience.
A.2.6. Le procès civil vise, au contraire, à juger d'une demande de réparation : il résulte non d'une initiative du ministère public mais en principe d'une contestation individuelle et ne peut aboutir à une peine infamante pour le défendeur, même s'il concerne un fait qui pourrait être qualifié de délit. Dans cette situation, le caractère contradictoire de l'expertise est plus logique et compatible avec les principes généraux de la procédure civile.
A.2.7. La distinction est aussi raisonnablement justifiée eu égard à la position du prévenu : celui-ci est présumé innocent, a droit au silence et ne peut être obligé de coopérer à la recherche de la preuve. Si l'expertise pénale était contradictoire, son refus de coopération pourrait être interprété comme un aveu ou d'une manière qui ne lui serait pas favorable. Il peut en revanche préférer ne critiquer l'expertise que lors des débats à l'audience, la procédure étant alors accusatoire et les droits de défense pouvant peut-être s'exercer plus librement lorsque le prévenu n'a pas assisté aux opérations de l'expertise sur l'action publique.
A.2.8. Quant à la conformité des articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, évoquée par la question préjudicielle dans l'affaire portant le numéro 980 du rôle, l'on a dit que les articles 153, 190 et 211 du Code d'instruction criminelle ne garantissent le caractère contradictoire de la procédure que lors de la seule audience. La jurisprudence de la Cour de cassation, qui a fait à plusieurs reprises application de ce principe, est conforme à celle de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a rappelé à différentes reprises que le caractère équitable d'un procès doit être apprécié en tenant compte de l'ensemble de la procédure : «*****» (Cour européenne des droits de l'homme, 22 avril 1992, affaire ****, ****. Cour, série A, volume 235B, n° 33; Cour européenne des droits de l'homme, 15 juin 1992, affaire ****, ****.
Cour, série A, volume 238, n° 43).
Mémoire en réponse de T. **** et de la s.a. **** **** (affaire portant le numéro 957 du rôle) A.3.1. La jurisprudence traditionnelle rappelée par le Conseil des ministres ne suffit pas à justifier une réponse négative à la question préjudicielle - qui porte sur les dispositions en cause dans l'interprétation qui résulte précisément de cette jurisprudence traditionnelle - et ne lie pas la Cour d'arbitrage. Celle-ci est invitée à consacrer une interprétation des règles légales actuellement soumises à sa censure telle que ces règles se révèlent conformes à la Constitution. Les considérations qui suivent sont donc formulées à titre subsidiaire, pour le cas où la Cour d'arbitrage ne retiendrait pas cette interprétation conciliante.
A.3.2. Le critère organique, premier élément de justification avancé par le Conseil des ministres, ne résiste pas à l'analyse, à peine de vider l'article 2 du Code judiciaire de son contenu (A.1.6 et suivants).
A.3.3. La nature **** de la procédure, deuxième élément de justification avancé, est un argument dépourvu de toute pertinence, dans la mesure où, contrairement à ce qu'affirme le Conseil des ministres, la procédure répressive est bien contradictoire lorsque, comme en l'espèce, l'on se situe en phase de jugement. Il résulte notamment des articles 153, 190 et 211 du Code d'instruction criminelle que la procédure de jugement est publique, orale et contradictoire; elle partage donc le caractère contradictoire de la procédure civile.
A peine de se contredire, le Conseil des ministres ne peut, dans le cadre de la question préjudicielle soumise à la Cour en l'espèce, combattre une thèse qu'il promeut simultanément sur le plan législatif, lorsque le ministre de la Justice présente un avant-projet de réforme de la procédure pénale qui consacre le rétablissement de la contradiction en de nombreuses étapes de la procédure répressive et ce, dès le stade de l'information et de l'instruction préparatoires (A.1.5).
A.3.4. La présomption d'innocence, troisième élément de justification avancé, ne permet pas d'établir l'adéquation indispensable entre le but poursuivi, à savoir la protection accrue du délinquant lorsqu'il encourt une sanction infamante, protection déjà traduite dans la présomption d'innocence, et le moyen utilisé, à savoir le caractère unilatéral de l'expertise ordonnée par la juridiction de jugement : le justiciable dans une procédure civile - et donc contradictoire - dispose en effet d'une garantie plus étendue.
La thèse du Conseil des ministres présuppose, pour qu'il y ait «*****», que cette présomption ne bénéficie à l'auteur de l'infraction que lorsque celui-ci est poursuivi devant la juridiction répressive. Or, il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la règle de la présomption d'innocence est également applicable pour la preuve de la responsabilité civile, devant la juridiction civile si l'action est fondée sur un fait qualifié d'infraction. Cette dernière hypothèse est précisément celle avec laquelle les exposants comparent l'hypothèse de la poursuite de l'auteur de l'infraction devant la juridiction répressive, pour en déduire qu'il y a discrimination à leur détriment.
A.3.5. Le critère de «*****», déduit par le Conseil des ministres de la répartition de la charge de la preuve dans les procédures civile et pénale, ne résiste pas plus à l'analyse, car il ne peut être objectivé (l'attitude que pourrait empiriquement adopter tel ou tel prévenu et la réaction de tel ou tel magistrat à cette attitude ne peuvent certainement pas constituer un critère de justification objective et raisonnable de la discrimination litigieuse) et est inopérant puisque, en vertu de l'article 1315 du Code civil et de l'article 870 du Code judiciaire, c'est à la victime qu'il incombe de prouver la faute - constitutive d'infraction - de celui qu'elle a assigné devant la juridiction civile, de telle sorte qu'à l'instar du prévenu poursuivi devant la juridiction répressive, le défendeur à l'action civile attrait devant la juridiction civile n'est légalement pas tenu de collaborer à l'administration de la preuve; s'il **** de comparaître à l'expertise ordonnée par la juridiction civile, il se verra opposer les conclusions - le cas échéant défavorables - de l'expert.
A.3.6. La jurisprudence traditionnelle consacre également une discrimination entre le demandeur à l'action civile portée devant la juridiction civile, d'une part, et la partie civile devant la juridiction répressive, d'autre part (A.1.11, in fine), car cette jurisprudence prive, en matière pénale, à la fois le prévenu et la partie civile du bénéfice de la contradiction.
A supposer même que la discrimination litigieuse puisse, dans le chef de l'auteur de l'infraction, être justifiée objectivement et raisonnablement sur la base d'un ou plusieurs des critères proposés par le Conseil des ministres, **** non, cette discrimination conserve un caractère inconstitutionnel à l'égard de la victime qui a porté, ou qui n'avait d'autre choix que de porter, sa réclamation devant la juridiction répressive, et qui reste étrangère à tous ces critères.
Mémoire en réponse du Conseil des ministres dans l'affaire portant le numéro 957 du rôle A.4.1. Suite au désistement des parties civiles, la question préjudicielle posée par le tribunal correctionnel de **** se limite à l'expertise ordonnée dans le cadre de l'action publique elle-même.
A.4.2. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, les articles 90bis et 44bis du Code d'instruction criminelle ne visent pas à garantir au prévenu une véritable contradiction lors de l'expertise en matière répressive mais à créer la possibilité de se faire assister par un médecin choisi librement, lors de l'exécution des investigations qui impliquent une atteinte à la personne concernée.
Ils ne créent aucun droit pour le médecin en question d'assister au déroulement ultérieur de l'expertise mais donnent au médecin seulement le droit d'assister à l'exploration corporelle ou au prélèvement sanguin; enfin, ils ne créent aucun droit dans le chef des autres parties qui se présenteront lors du procès pénal.
A.4.3. Même s'il est vrai que la Cour connaît la technique de l'interprétation conforme, c'est à tort que les parties adverses soutiennent que les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle peuvent être interprétés en deux sens différents : ils excluent le caractère contradictoire de l'expertise pénale; la doctrine critique certes la jurisprudence de la Cour de cassation qui l'affirme mais ces critiques, loin de soutenir une interprétation conciliante des dispositions en cause, réclament une modification de la législation.
A.4.4. Contrairement à ce que soutiennent les parties adverses, la question n'est pas de savoir si le principe selon lequel la procédure est déterminée par la nature de la juridiction et non par les intérêts en contestation, constitue oui ou non un principe de droit dont l'application serait incompatible avec la règle du contradictoire prévue par le Code judiciaire : c'est en réalité le caractère **** et unilatéral de l'instruction en matière répressive, un des principes de base du Code d'instruction criminelle, qui est un principe de droit de la procédure pénale, établi dans la jurisprudence de la Cour de cassation, dont l'application n'est pas compatible avec le respect du contradictoire. Quant aux articles 153, 190 et 211 du Code d'instruction criminelle, ils garantissent la contradiction seulement à l'audience elle-même et ne prescrivent aucunement à l'expert, commis en matière répressive, de procéder en présence des parties à ses recherches et constatations, ni de discuter avec elles ses conclusions.
A.4.5. Le prévenu ayant droit au silence, celui-ci pourrait faire l'objet d'une interprétation défavorable si l'expertise était contradictoire; il s'agit là d'une différence fondamentale entre procès civil et procès pénal et le fait que le rapport d'expertise est soumis au juge dans sa seule version initiale, c'est-à -dire vierge de toute critique, n'y change rien. Dans un procès civil, l'expert fait également une distinction entre son rapport original, qui a été envoyé en **** à toutes les parties, et la réponse qu'il a donnée aux remarques de ces parties.
A.4.6. Les différences entre les procédures civiles et pénales justifient un traitement différent, même si l'expertise porte sur une faute et une relation causale identiques. L'espèce qui a fait l'objet de l'arrêt n° 21/95 ne peut être comparée à celle examinée ici : la première portait sur une discrimination entre les parties à l'action civile née d'une infraction et les parties à l'action civile fondée sur une faute non constitutive d'infraction alors que la seconde porte sur une distinction entre une procédure devant le juge pénal et une procédure devant le juge civil, toutes les deux sur la base d'une faute qui est constitutive d'infraction. - B - B.1. Par souci de synthèse, il y a lieu de fondre les deux questions préjudicielles en une seule, formulée en ces termes : «*****» B.2. L'expertise n'est traitée par le Code d'instruction criminelle qu'en ce qui concerne les attributions du procureur du Roi en cas de flagrant crime (articles 43 et 44) et celles du juge au tribunal de police (article 148).
Il est de jurisprudence que les articles 962 à 991 du Code judiciaire relatifs à l'expertise, dispositions dont certaines exigent qu'elle se déroule d'une manière contradictoire, ne doivent pas obligatoirement être appliqués aux expertises devant les juridictions pénales.
B.3. Il existe ainsi une différence de traitement entre parties à un procès devant des juridictions civiles et parties à un procès devant des juridictions pénales, les premières étant les seules pour lesquelles le déroulement de l'expertise ordonnée par le juge revêt obligatoirement un caractère contradictoire.
B.4. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5. La Cour est interrogée uniquement quant au caractère non contradictoire de l'expertise lorsque c'est un juge pénal en sa qualité de juge du fond qui désigne un expert. Elle se limite à l'examen de l'expertise ordonnée à ce stade de la procédure.
B.6. La différence de traitement est en relation avec un critère objectif en raison de la nature de la juridiction saisie, même au stade de l'examen des intérêts civils.
B.7. Tant lorsque le juge statue sur les poursuites pénales que lorsqu'il statue sur l'action civile - les intérêts de la partie civile ne se distinguant pas de ceux de toute partie à un procès civil et l'objet de l'expertise pouvant être identique -, la différence de traitement en cause ne peut être justifiée. La procédure est, dans ces phases, contradictoire; l'absence de caractère contradictoire de l'expertise aboutit à ce que la recherche de la preuve puisse se faire au prix d'une atteinte aux droits de défense, ceux-ci ne pouvant s'exercer que lors de la discussion du rapport au cours des débats à l'audience.
La possibilité de contester ultérieurement un rapport d'expertise judiciaire n'assure pas nécessairement le respect des droits de défense. L'ancienneté des faits, la disparition d'indices matériels, l'impossibilité de faire procéder à des devoirs qui ne peuvent s'accomplir que dans un temps proche des faits litigieux : tous ces éléments réduisent les chances de pouvoir contester utilement les conclusions d'une expertise à laquelle on n'a pas pu participer. A supposer que celui qui critique une expertise obtienne du juge qu'il en ordonne une nouvelle, celle-ci ne sera pas obligatoirement contradictoire et ne permettra donc pas dans tous les cas la confrontation des points de vue.
Interprétées en ce sens qu'elles n'obligeraient pas l'expert désigné par le juge du fond en matière pénale à respecter les règles de la contradiction, les dispositions mentionnées dans la question préjudicielle violent les articles 10 et 11 de la Constitution lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.8. L'article 2 du Code judiciaire dispose cependant que les règles énoncées dans ce Code s'appliquent à toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci sont régies par des dispositions légales non expressément abrogées ou par des principes de droit dont l'application n'est pas compatible avec celle des dispositions **** ****. On a pu dire que le Code judiciaire constitue «*****», y compris la procédure pénale (Exposé des motifs du projet de loi contenant le Code judiciaire, ****., Sénat, 1963-1964, n° 60, p. ****, et rapport de ***** royal à la réforme judiciaire, idem, p. 60).
L'article 2 du Code judiciaire s'oppose à ce que, notamment, les dispositions qui, dans ce Code, se réfèrent à l'accord des parties ou subordonnent certains effets à leur initiative s'appliquent en matière pénale, où l'autonomie de la volonté des particuliers n'a pas de place. Mais à peine de méconnaître cet article 2, la circonstance que la juridiction ordonnant l'expertise est une juridiction pénale ne suffit pas à rendre inapplicables, parmi les dispositions du Code judiciaire qui assurent la contradiction, celles dont l'application est compatible avec les principes du droit répressif : il n'existe pas de dispositions légales régissant l'expertise, ordonnée par le juge pénal, qui interdiraient ou rendraient impossible l'application à cette expertise de toutes les dispositions du Code judiciaire qui garantissent le caractère contradictoire de l'expertise en matière civile; il n'existe pas davantage de principes de droit qui excluraient l'application de toutes ces dispositions à l'expertise ordonnée par le juge pénal.
B.9. Lus, à la lumière de l'article 2 du Code judiciaire, de la façon qui vient d'être exposée, les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés en ce sens qu'ils n'obligeraient l'expert désigné par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond à respecter aucune des règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. - Les articles 43, 44 et 148 du Code d'instruction criminelle et les articles 962 et suivants du Code judiciaire, interprétés à la lumière de l'article 2 du Code judiciaire comme ne dispensant pas l'expert désigné par un juge pénal agissant en qualité de juge du fond de respecter, dans la mesure, indiquée au B.8, où leur application est compatible avec les principes du droit répressif, les règles de la contradiction contenues dans les articles précités du Code judiciaire, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 30 avril 1997, par le siège précité, complété par le juge R. ****, le président ***** étant légitimement empêché d'assister au prononcée du présent arrêt.
Le greffier, L. ****.
Le président f.f., L. ****.