Etaamb.openjustice.be
Vue multilingue de Arrêt du --
← Retour vers "Extrait de l'arrêt n° 96/2013 du 9 juillet 2013 Numéro du rôle : 5433 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330, § 1 er , du Code civil, posées par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle,"
Extrait de l'arrêt n° 96/2013 du 9 juillet 2013 Numéro du rôle : 5433 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330, § 1 er , du Code civil, posées par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle, Extrait de l'arrêt n° 96/2013 du 9 juillet 2013 Numéro du rôle : 5433 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330, § 1 er , du Code civil, posées par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle,
COUR CONSTITUTIONNELLE COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 96/2013 du 9 juillet 2013 Extrait de l'arrêt n° 96/2013 du 9 juillet 2013
Numéro du rôle : 5433 Numéro du rôle : 5433
En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330, § 1er, En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 330, § 1er,
du Code civil, posées par la Cour d'appel de Gand. du Code civil, posées par la Cour d'appel de Gand.
La Cour constitutionnelle, La Cour constitutionnelle,
composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, des juges E. De composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, des juges E. De
Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke,
T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, et, conformément à T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, et, conformément à
l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle, du président émérite R. Henneuse, assistée du constitutionnelle, du président émérite R. Henneuse, assistée du
greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt,
après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant :
I. Objet des questions préjudicielles et procédure I. Objet des questions préjudicielles et procédure
Par arrêt du 14 juin 2012 en cause de J.D. contre W. D.M., parties Par arrêt du 14 juin 2012 en cause de J.D. contre W. D.M., parties
intervenantes : K. V.C. et Me Eva Roos, en sa qualité de tuteur ad hoc intervenantes : K. V.C. et Me Eva Roos, en sa qualité de tuteur ad hoc
de C. D.M., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 21 de C. D.M., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 21
juin 2012, la Cour d'appel de Gand a posé les questions préjudicielles juin 2012, la Cour d'appel de Gand a posé les questions préjudicielles
suivantes : suivantes :
1. « L'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil viole-t-il 1. « L'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil viole-t-il
l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme, en ce que la demande en Convention européenne des droits de l'homme, en ce que la demande en
contestation de la reconnaissance par un homme qui prétend être le contestation de la reconnaissance par un homme qui prétend être le
père biologique de l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la père biologique de l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la
possession d'état à l'égard de l'homme qui l'a reconnu ? ». possession d'état à l'égard de l'homme qui l'a reconnu ? ».
2. « L'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil viole-t-il les 2. « L'article 330, § 1er, alinéa 1er, du Code civil viole-t-il les
articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la demande en articles 10 et 11 de la Constitution en ce que la demande en
contestation de la reconnaissance par un homme qui prétend être le contestation de la reconnaissance par un homme qui prétend être le
père biologique de l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la père biologique de l'enfant n'est pas recevable si l'enfant a la
possession d'état à l'égard de l'homme qui l'a reconnu, alors qu'en ce possession d'état à l'égard de l'homme qui l'a reconnu, alors qu'en ce
qui concerne l'article 318, § 1er, du Code civil, il est admis que qui concerne l'article 318, § 1er, du Code civil, il est admis que
cette disposition viole l'article 22 de la Constitution, combiné avec cette disposition viole l'article 22 de la Constitution, combiné avec
l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce
que la demande en contestation de paternité n'est pas recevable si que la demande en contestation de paternité n'est pas recevable si
l'enfant a la possession d'état à l'égard du mari de la mère ? ». l'enfant a la possession d'état à l'égard du mari de la mère ? ».
(...) (...)
III. En droit III. En droit
(...) (...)
Quant à la première question préjudicielle Quant à la première question préjudicielle
B.1. La question préjudicielle concerne l'article 330, § 1er, alinéa 1er, B.1. La question préjudicielle concerne l'article 330, § 1er, alinéa 1er,
du Code civil, qui dispose : du Code civil, qui dispose :
« A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui « A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celle qui
l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le l'a reconnu, la reconnaissance maternelle peut être contestée par le
père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui père, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et la femme qui
revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état revendique la maternité. A moins que l'enfant ait la possession d'état
à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance paternelle peut
être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et être contestée par la mère, l'enfant, l'auteur de la reconnaissance et
l'homme qui revendique la paternité ». l'homme qui revendique la paternité ».
Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil Concernant la possession d'état, l'article 331nonies du Code civil
dispose : dispose :
« La possession d'état doit être continue. « La possession d'état doit être continue.
Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le Elle s'établit par des faits qui, ensemble ou séparément, indiquent le
rapport de filiation. rapport de filiation.
Ces faits sont entre autres : Ces faits sont entre autres :
- que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu; - que l'enfant a toujours porté le nom de celui dont on le dit issu;
- que celui-ci l'a traité comme son enfant; - que celui-ci l'a traité comme son enfant;
- qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à - qu'il a, en qualité de père ou de mère, pourvu à son entretien et à
son éducation; son éducation;
- que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère; - que l'enfant l'a traité comme son père ou sa mère;
- qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la - qu'il est reconnu comme son enfant par la famille et dans la
société; société;
- que l'autorité publique le considère comme tel ». - que l'autorité publique le considère comme tel ».
B.2.1. La juridiction a quo demande si l'article 330, § 1er, alinéa 1er, B.2.1. La juridiction a quo demande si l'article 330, § 1er, alinéa 1er,
du Code civil est compatible avec l'article 22 de la Constitution, du Code civil est compatible avec l'article 22 de la Constitution,
combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme, en ce que l'action en contestation de la reconnaissance est l'homme, en ce que l'action en contestation de la reconnaissance est
irrecevable si l'enfant a la possession d'état à l'égard de l'auteur irrecevable si l'enfant a la possession d'état à l'égard de l'auteur
de la reconnaissance. de la reconnaissance.
B.2.2. Il apparaît des données de l'affaire et de la motivation de la B.2.2. Il apparaît des données de l'affaire et de la motivation de la
décision de renvoi que le litige au fond a pour objet une action décision de renvoi que le litige au fond a pour objet une action
introduite par un homme qui revendique la paternité d'un enfant, en introduite par un homme qui revendique la paternité d'un enfant, en
contestation de la reconnaissance de paternité d'un autre homme à contestation de la reconnaissance de paternité d'un autre homme à
l'égard duquel cet enfant a la possession d'état. l'égard duquel cet enfant a la possession d'état.
Dans le litige au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er, Dans le litige au fond, seule la deuxième phrase de l'article 330, § 1er,
alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans la mesure où la alinéa 1er, du Code civil est dès lors en cause, dans la mesure où la
reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui revendique reconnaissance de paternité est contestée par l'homme qui revendique
la paternité de l'enfant. La Cour limite son examen à cette hypothèse. la paternité de l'enfant. La Cour limite son examen à cette hypothèse.
B.3. L'article 330 du Code civil règle la possibilité de contester la B.3. L'article 330 du Code civil règle la possibilité de contester la
reconnaissance de paternité. Dans les délais fixés à l'article 330, § reconnaissance de paternité. Dans les délais fixés à l'article 330, §
1er, alinéa 4, du Code civil - qui diffèrent selon les titulaires de 1er, alinéa 4, du Code civil - qui diffèrent selon les titulaires de
l'action -, la reconnaissance de paternité ne peut être contestée que l'action -, la reconnaissance de paternité ne peut être contestée que
par la mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par par la mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par
l'homme qui revendique la paternité de l'enfant. l'homme qui revendique la paternité de l'enfant.
La possibilité de contester la reconnaissance de paternité est La possibilité de contester la reconnaissance de paternité est
toutefois soumise à une limitation : la demande est irrecevable - pour toutefois soumise à une limitation : la demande est irrecevable - pour
tous les titulaires de l'action - lorsque l'enfant a la possession tous les titulaires de l'action - lorsque l'enfant a la possession
d'état à l'égard de l'auteur de la reconnaissance. d'état à l'égard de l'auteur de la reconnaissance.
B.4.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de B.4.1. La possession d'état a été érigée en fin de non-recevoir de
l'action en contestation de paternité par la loi du 31 mars 1987 l'action en contestation de paternité par la loi du 31 mars 1987
modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation. modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation.
L'article 330, § 2, du Code civil disposait : L'article 330, § 2, du Code civil disposait :
« La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies « La reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé, par toutes voies
de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère. de droit, que son auteur n'est pas le père ou la mère.
Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession Toutefois, la demande doit être rejetée si l'enfant a la possession
d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ». d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu ».
A cet égard, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330 A cet égard, les travaux préparatoires relatifs à l'article 330
(ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit : (ancien) du Code civil mentionnent ce qui suit :
« Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage « Plusieurs membres critiquent sévèrement le fait qu'on envisage
d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de d'accorder le droit de contestation de manière absolue. Le principe de
la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour la vérité dite biologique peut en effet avoir un effet accablant pour
l'enfant et contraire à ses intérêts. l'enfant et contraire à ses intérêts.
Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la Ils estiment, dès lors, que le tribunal appelé à se prononcer sur la
contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir contestation de reconnaissance, doit, dans son appréciation, tenir
compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on compte de la possession d'état; certains plaident même pour qu'on
inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la inscrive explicitement dans le texte le principe de la référence à la
possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de possession d'état. En cas de possession d'état, la contestation de
reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant reconnaissance doit être exclue, sinon les intérêts de l'enfant
peuvent être gravement lésés. peuvent être gravement lésés.
D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder D'autres membres déclarent, toutefois, qu'il faut éviter d'accorder
une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en une trop grande importance à la possession d'état; sinon, on en
viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied viendrait, en effet, à traiter la simple cohabitation sur le même pied
que le mariage. que le mariage.
Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne Les mêmes intervenants estiment, dès lors, que la possession d'état ne
peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique. peut jouer un rôle que si elle correspond à la réalité biologique.
Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout Il leur est répliqué qu'à l'égard de l'enfant il faut accorder tout
autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de autant d'importance à la possession d'état, et ce abstraction faite de
la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc. la question de savoir s'il est né ou non dans le mariage » (Doc.
parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100). parl., Sénat, 1984-1985, 904, n° 2, p. 100).
B.4.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de B.4.2. L'article 330 du Code civil a été modifié par l'article 16 de
la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil la loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil
relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci. relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci.
La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la La reconnaissance de paternité ne peut plus être contestée que par la
mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme mère, par l'enfant, par l'homme qui a reconnu l'enfant et par l'homme
qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue qui revendique la paternité. La possession d'état a été maintenue
comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la comme fin de non-recevoir de l'action en contestation de la
reconnaissance de paternité. reconnaissance de paternité.
L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006 trouve son origine dans un L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006 trouve son origine dans un
amendement déposé à la Chambre. amendement déposé à la Chambre.
Cet amendement a été justifié comme suit : Cet amendement a été justifié comme suit :
« L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action « L'article 330 proposé organise une procédure similaire pour l'action
en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de en contestation de reconnaissance et pour l'action en contestation de
présomption de paternité. présomption de paternité.
Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires Tout d'abord, l'amendement proposé entend limiter les titulaires
d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la d'action aux personnes véritablement intéressées à savoir le mari, la
mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la mère, l'enfant et la personne qui revendique la paternité ou la
maternité de l'enfant. maternité de l'enfant.
Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la Ensuite, il nous parait nécessaire de protéger autant que possible la
cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession cellule familiale de l'enfant en maintenant, d'une part, la possession
d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous d'état qui correspond à la situation d'un enfant considéré par tous
comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne comme étant véritablement l'enfant de ses parents même si cela ne
correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant correspond pas à la filiation biologique, et d'autre part, en fixant
des délais d'action. des délais d'action.
Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation Enfin, dans un souci d'éviter un vide entre l'action en contestation
et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu et la reconnaissance, comme c'est le cas actuellement, il est prévu
que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite que la décision qui fait droit à une action en contestation introduite
par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de par une personne qui se prétend être le père ou la mère biologique de
l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du l'enfant entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du
demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6). demandeur » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6).
Au terme du débat en Commission de la Justice du Sénat, la ministre de Au terme du débat en Commission de la Justice du Sénat, la ministre de
la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état la Justice a confirmé l'importance de la notion de « possession d'état
» en déclarant : » en déclarant :
« Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si « Le projet modifie déjà un nombre important de règles et même si
l'application de la notion de possession d'état présente parfois l'application de la notion de possession d'état présente parfois
certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de certaines difficultés en jurisprudence, il n'est pas nécessaire de
modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait modifier cette institution séculaire. Le législateur de 1987 avait
choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas choisi de la maintenir afin que la vérité biologique ne l'emporte pas
toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et toujours sur la vérité socio-affective. Ce choix doit être préservé et
la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose la nécessité de modifier le concept de possession d'état ne s'impose
pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9). pas » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 9).
B.5. La Cour doit contrôler l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième B.5. La Cour doit contrôler l'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième
phrase, du Code civil au regard de l'article 22 de la Constitution, phrase, du Code civil au regard de l'article 22 de la Constitution,
combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de
l'homme. l'homme.
L'article 22 de la Constitution dispose : L'article 22 de la Constitution dispose :
« Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans
les cas et conditions fixés par la loi. les cas et conditions fixés par la loi.
La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la
protection de ce droit ». protection de ce droit ».
L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose
: :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale,
de son domicile et de sa correspondance. de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans
l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue
par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société
démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté
publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et
à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé
ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la Il ressort des travaux préparatoires de l'article 22 de la
Constitution que le Constituant a entendu rechercher la plus grande « Constitution que le Constituant a entendu rechercher la plus grande «
concordance [possible] avec l'article 8 de la Convention européenne de concordance [possible] avec l'article 8 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH),
afin d'éviter toute contestation sur le contenu respectif de l'article afin d'éviter toute contestation sur le contenu respectif de l'article
de la Constitution et de l'article 8 de la CEDH » (Doc. parl., de la Constitution et de l'article 8 de la CEDH » (Doc. parl.,
Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2). Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).
B.6. Le régime de contestation de la reconnaissance de paternité en B.6. Le régime de contestation de la reconnaissance de paternité en
cause relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution cause relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution
et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
B.7. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est B.7. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est
garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de
protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée et protéger les personnes contre les ingérences dans leur vie privée et
leur vie familiale. leur vie familiale.
L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution, pas plus que l'article 8 L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution, pas plus que l'article 8
de la Convention européenne des droits de l'homme, n'exclut une de la Convention européenne des droits de l'homme, n'exclut une
ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie ingérence de l'autorité publique dans le droit au respect de la vie
privée, mais il exige que cette ingérence soit prévue dans une privée, mais il exige que cette ingérence soit prévue dans une
disposition législative suffisamment précise, qu'elle réponde à un disposition législative suffisamment précise, qu'elle réponde à un
besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif besoin social impérieux et qu'elle soit proportionnée à l'objectif
légitime poursuivi. Ces dispositions engendrent en outre l'obligation légitime poursuivi. Ces dispositions engendrent en outre l'obligation
positive pour l'autorité publique de prendre des mesures visant à positive pour l'autorité publique de prendre des mesures visant à
garantir un respect effectif de la vie familiale, même dans le cadre garantir un respect effectif de la vie familiale, même dans le cadre
des relations entre individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres des relations entre individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres
c. Pays-Bas, § 31). c. Pays-Bas, § 31).
B.8. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime légal qui entraîne B.8. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime légal qui entraîne
une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une
marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager
entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son
ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994,
Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie,
§ 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34). § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34).
Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas
illimitée : pour apprécier si une règle légale est compatible avec le illimitée : pour apprécier si une règle légale est compatible avec le
droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le
législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et
intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur
ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de
la société dans son ensemble, mais il doit également ménager un la société dans son ensemble, mais il doit également ménager un
équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées
(CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46), sous peine de (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46), sous peine de
prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs
légitimes poursuivis. légitimes poursuivis.
B.9. La paix des familles et la sécurité juridique des liens B.9. La paix des familles et la sécurité juridique des liens
familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part,
constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte
pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité pour empêcher que la contestation de la reconnaissance de paternité
puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de puisse être exercée sans limitation. A cet égard, il est pertinent de
ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité ne pas laisser prévaloir a priori la réalité biologique sur la réalité
socio-affective de la paternité. socio-affective de la paternité.
B.10. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir B.10. En érigeant la « possession d'état » en fin de non-recevoir
absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité, absolue de l'action en contestation de la reconnaissance de paternité,
le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité le législateur a cependant fait prévaloir dans tous les cas la réalité
socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de socio-affective de la paternité sur la réalité biologique. Du fait de
cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui revendique la paternité cette fin de non-recevoir absolue, l'homme qui revendique la paternité
est totalement privé de la possibilité de contester la reconnaissance est totalement privé de la possibilité de contester la reconnaissance
de paternité par un autre homme, à l'égard duquel l'enfant a la de paternité par un autre homme, à l'égard duquel l'enfant a la
possession d'état. possession d'état.
Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte
des intérêts de toutes les parties concernées. des intérêts de toutes les parties concernées.
Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis Une telle mesure n'est pas proportionnée aux buts légitimes poursuivis
par le législateur et n'est dès lors pas compatible avec l'article 22 par le législateur et n'est dès lors pas compatible avec l'article 22
de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention
européenne des droits de l'homme. européenne des droits de l'homme.
B.11. Le fait que la Cour européenne des droits de l'homme ait jugé B.11. Le fait que la Cour européenne des droits de l'homme ait jugé
qu'une décision de justice appliquant un régime comparable à la mesure qu'une décision de justice appliquant un régime comparable à la mesure
en cause ne violait pas l'article 8 de la Convention européenne des en cause ne violait pas l'article 8 de la Convention européenne des
droits de l'homme (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne; 22 mars droits de l'homme (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne; 22 mars
2012, Kautzor c. Allemagne) ne change rien à ce qui précède. La Cour 2012, Kautzor c. Allemagne) ne change rien à ce qui précède. La Cour
européenne a souligné que la matière en cause ne fait pas l'unanimité européenne a souligné que la matière en cause ne fait pas l'unanimité
au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, de sorte que ces au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe, de sorte que ces
derniers jouissent d'une grande marge d'appréciation en ce qui derniers jouissent d'une grande marge d'appréciation en ce qui
concerne la réglementation visant à fixer le statut juridique de concerne la réglementation visant à fixer le statut juridique de
l'enfant (Ahrens, précité, §§ 69-70 et 89; Kautzor, précité, §§ 70-71 l'enfant (Ahrens, précité, §§ 69-70 et 89; Kautzor, précité, §§ 70-71
et 91). Par ailleurs, la Cour européenne a également examiné si et 91). Par ailleurs, la Cour européenne a également examiné si
l'application concrète de la réglementation en question, compte tenu l'application concrète de la réglementation en question, compte tenu
de tous les éléments concrets de la cause, satisfaisait aux exigences de tous les éléments concrets de la cause, satisfaisait aux exigences
de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme
(Ahrens, précité, §§ 75-77; Kautzor, précité, §§ 62, 78 et 80). (Ahrens, précité, §§ 75-77; Kautzor, précité, §§ 62, 78 et 80).
B.12. La première question préjudicielle appelle une réponse B.12. La première question préjudicielle appelle une réponse
affirmative. affirmative.
Quant à la seconde question préjudicielle Quant à la seconde question préjudicielle
B.13. Il résulte de la réponse donnée à la première question B.13. Il résulte de la réponse donnée à la première question
préjudicielle que la différence de traitement évoquée dans la seconde préjudicielle que la différence de traitement évoquée dans la seconde
question préjudicielle est inexistante. question préjudicielle est inexistante.
B.14. La seconde question préjudicielle n'appelle donc pas de réponse. B.14. La seconde question préjudicielle n'appelle donc pas de réponse.
Par ces motifs, Par ces motifs,
la Cour la Cour
dit pour droit : dit pour droit :
L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole L'article 330, § 1er, alinéa 1er, deuxième phrase, du Code civil viole
l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la
Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'action en
contestation de la reconnaissance de paternité, intentée par l'homme contestation de la reconnaissance de paternité, intentée par l'homme
qui revendique la paternité de l'enfant, est irrecevable si l'enfant a qui revendique la paternité de l'enfant, est irrecevable si l'enfant a
la possession d'état à l'égard de l'auteur de la reconnaissance. la possession d'état à l'égard de l'auteur de la reconnaissance.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française,
conformément à l'article 65 de la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour conformément à l'article 65 de la loi du 6 janvier 1989 sur la Cour
constitutionnelle, à l'audience publique du 9 juillet 2013. constitutionnelle, à l'audience publique du 9 juillet 2013.
Le greffier, Le greffier,
P.-Y. Dutilleux P.-Y. Dutilleux
Le président, Le président,
M. Bossuyt M. Bossuyt
^