publié le 09 novembre 2012
Conseil de la Concurrence. - Décision n° 2012-P/K-25 du 2 octobre 2012. - Affaire CONC - P/K - 12/0001 : [...]/Ordre des barreaux francophones et germanophone, Ordre des avocats du barreau de Liège et les membres des conseils de l'Ordre des avocat I. Procédure 1. Le 21 décembre 2011, Monsieur [...] ainsi que la SPRLU [...] Avocats (ci-après :(...)
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Conseil de la Concurrence. - Décision n° 2012-P/K-25 du 2 octobre 2012. - Affaire CONC - P/K - 12/0001 : [...]/Ordre des barreaux francophones et germanophone, Ordre des avocats du barreau de Liège et les membres des conseils de l'Ordre des avocats du barreau de Liège. - Recours de Monsieur [...] et la SPRLU [...] Avocats contre la décision n° 2012-P/K-09-AUD du 17 avril 2012 I.Procédure 1. Le 21 décembre 2011, Monsieur [...] ainsi que la SPRLU [...] Avocats (ci-après : [...]) ont déposé plainte à l'encontre de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone (ci-après OBFG), l'Ordre des avocats du barreau de Liège, et les membres des Conseils de l'Ordre des avocats du barreau de Liège, pour violation des articles 2 et/ou 3 de la Loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006 (ci-après : LPCE). La plainte a été enregistrée sous le numéro CONC-P/K-12/0001. 2. Le 17 avril 2012, l'Auditorat a pris une décision (2012-P/K-09-AUD) dans laquelle il a déclaré que la plainte de [...] était classée eu égard à la politique de priorités et des moyens disponibles. Le 23 mai 2012, les plaignants ont introduit un recours contre cette décision sur la base de l'article 45, § 3 de la LPCE. Dans sa requête, [...] demande au Conseil de la concurrence d'annuler la décision de classement et, ensuite, conformément à l'article 45, § 3, de la LPCE, de renvoyer le dossier à l'Auditorat pour instruction et rapport à la chambre. 3. Le 23 avril 2012, le greffier a notifié la décision de classement au Président du Conseil conformément à l'article 9 de l'A.R. du 31 octobre 2006 concernant les procédures en matière de protection de la concurrence économique. L'affaire a été distribuée à la Seizième chambre du Conseil. 4. L'article 45, § 3, de la LPCE prévoit que la chambre se prononce sur pièces.Dans cette affaire, vu le contenu de la présente décision, la chambre n'a pas estimé nécessaire de se faire informer par écrit par les plaignants ou par les entreprises ou associations d'entreprises concernées.
II. La plainte et la décision de classement 2.1. La plainte 5. Dans la plainte qui est à l'origine de la décision de classement 2012-P/K-09-AUD, [...] développe pourquoi il considère que certaines infractions ont été commises aux règles de concurrence. Il s'agit notamment de limitations à l'exercice de son activité professionnelle, c'est-à -dire ses prestations d'avocat. Plus particulièrement, la plainte relève les difficultés pour [...] d'utiliser des moyens promotionnels (tenue d'un stand à un salon). [...] estime qu'il s'agit de limitations injustifiées de la possibilité d'avoir un cabinet secondaire et des modes d'exercice de la profession, par le biais d'une règle déontologique qui limite la concurrence entre les avocats.
Il relève également qu'il s'agit d'une limitation de l'exercice libre de la profession d'avocat dans le but d'accorder un monopole à , et de favoriser les salons de l'avocat comme ils sont organisés par les Ordres. En dernier lieu, la plainte soulève l'interdiction qui aurait été faite à [...] de défendre Monsieur [...] S. dans une procédure au Tribunal de commerce. 2.2. La décision de classement du 17 avril 2012 6. Par la décision faisant l'objet du recours, l'Auditorat a classé la plainte de [...]. Les motifs pour ce classement sont intégralement repris ci-dessous : « Conformément à l'article 45, § 2, de la LPCE, l'Auditorat est habilité à classer, par décision motivée, une plainte ou une demande eu égard à la politique de priorités et les moyens disponibles.
Pour la détermination de ces priorités l'Auditorat prend en considération divers critères parmi lesquels l'intérêt pour le consommateur, l'importance économique du dossier ou encore l'intérêt d'agir au regard des missions et des moyens de l'autorité belge de concurrence.
Dans le cas d'espèce, l'Auditorat estime que les faits de la cause ne rencontrent pas à suffisance les critères de priorités. En conséquence, il n'est pas opportun de consacrer des moyens à une instruction au fond. » 7. Sur la base de ces considérations, l'Auditorat invoque l'article 45, § 2, de la LPCE pour classer la plainte eu égard à la politique de priorités et des moyens disponibles. III. Les moyens 8. La requête motivée des plaignants reprend l'intégralité des éléments de faits et de droit contenus dans la plainte déposée le 21 décembre 2011 contre l'OBFG, l'Ordre du barreau de Liège et ses conseillers.La requête contient également les moyens qui devraient, selon les plaignants, mener le Conseil à déclarer le recours recevable et fondé. 9. En premier lieu, les plaignants estiment que la décision de l'autorité (Auditorat) ne précise pas en quoi les faits de la cause ne rencontreraient pas les critères de priorités.Ils considèrent que la décision attaquée ne contient pas une réelle motivation. 10. Vu le fait que les critères de priorités ne sont pas formulés du tout et qu'ils ne sont pas adoptés par le législateur ou par une assemblée démocratique ou sous le contrôle d'une telle assemblée, [...] considère que le fait de pouvoir classer certaines plaintes au motif de non-priorité, sans que les critères ne soient précisés, ouvre la porte à des traitements inégaux de situations qui pourraient être objectivement similaires. 11. Ensuite, la requête souligne l'importance de principe des faits vu l'intérêt économique délicat pour les consommateurs et pour le secteur d'activité.Les pratiques qui font l'objet de la plainte concernent l'entièreté de la profession d'avocat en Belgique et, par extension, d'autres professions libérales. Les plaignants ajoutent l'importance de la liberté économique de concurrence, qui s'applique également pour les professions libérales.
IV. Analyse par le Conseil 12. L'article 45, § 2 de la LPCE prévoit que l'Auditorat peut classer une plainte en cas d'irrecevabilité ou non-fondement de la plainte. Une plainte peut également être classée eu égard à la politique de priorités et des moyens disponibles. Cette dernière possibilité a été introduite par le législateur en 2009 ( Loi du 6 mai 2009Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/05/2009 pub. 19/05/2009 numac 2009202053 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses fermer portant des dispositions diverses, M.B. 19 mai 2009). Le texte pertinent de l'article 45, § 2, de la LPCE est comme suit : « S'il conclut à l'irrecevabilité ou au non-fondement de la plainte ou de la demande, l'Auditorat classe la plainte ou la demande par décision motivée.
L'Auditorat peut aussi classer une plainte ou une demande par décision motivée eu égard à la politique de priorités et des moyens disponibles... » Il suit de cet article que la loi prévoit une décision motivée pour chacune des hypothèses visées à l'article 45, § 2. 13. En tenant compte de tous les éléments disponibles ainsi que de la requête des plaignants, il appartient au Conseil d'examiner dans la présente procédure si l'Auditorat pouvait arriver à sa décision et si la décision était motivée de façon adéquate.La chambre du Conseil doit examiner si les moyens invoqués par les plaignants dans ce recours, doivent mener au renvoi à l'Auditorat conformément à l'article 45, § 3 de la LPCE. 14. Le premier moyen contenu dans la requête des plaignants concerne un défaut de motivation de la décision faisant l'objet du recours.15. Dans le cadre de l'exercice de sa compétence sur base de l'article 45, § 2 de la LPCE, le Conseil a déjà eu l'occasion d'insister sur l'importance de l'obligation de motivation. L'obligation de motiver les décisions suit non seulement des principes généraux de droit et des principes de bonne administration, mais cette obligation est également prévue de façon explicite dans le texte même de l'article 45, § 3, comme cité ci-dessus au numéro 12. Il faut donc supposer que le législateur a voulu, en introduisant les décisions de classement et la procédure de recours devant le Conseil, que chaque décision soit toujours motivée de façon adéquate afin de permettre au Conseil d'évaluer les motifs de la décision dans le cadre de l'appel. 16. Le cadre législatif prévoit trois hypothèses clairement distinctes.17. Il y a d'abord le classement pour cause d'irrecevabilité, il s'agit d'un rejet motivé de la plainte pour des raisons purement formelles.18. Il y a ensuite le classement de la plainte pour non-fondement. Dans un tel cas, l'autorité de concurrence (en l'occurrence l'Auditorat) peut effectuer des actes d'instruction qu'elle estime nécessaires afin d'évaluer s'il est probable qu'une infraction a eu lieu et si elle peut considérer qu'il est probable de trouver des preuves suffisantes. L'Auditorat peut attendre d'un plaignant qu'il amène un début de preuve, même si la charge de preuve incombe évidemment à l'Auditorat s'il décide de porter l'affaire devant le Conseil.
Le Conseil a déjà constaté que l'on ne peut attendre de l'Auditorat de faire une étude aussi approfondie du marché avant de classer une plainte que dans le cadre de la préparation d'un rapport déposé auprès du Conseil afin de voir sanctionner une entreprise pour une violation de la loi (voir par exemple Décision 2011-P/K-15 du 29 avril 2011, Freedom / Inbev, numéros 38 et 46 et également Décision 2010-P/K-36 du 22 septembre 2010, Librairies francophones, numéro 65). Cependant, il doit être possible pour les plaignants de déduire de la décision quelles ont été les raisons pour lesquelles l'Auditorat estime qu'il n'y a pas d'infraction prima facie. 19. Il y a, troisièmement, l'hypothèse du classement eu égard à la politique de priorités et des moyens disponibles.20. Il s'agit clairement d'un autre type de décision que les deux hypothèses précédentes.Le législateur a voulu donner une certaine marge d'appréciation à l'Auditorat, qui est justifiable de par la mission d'intérêt général confiée à l'autorité de concurrence et qui la différencie des tribunaux qui doivent, en premier lieu, protéger les droits des entreprises subissant des dommages liés aux infractions des règles de concurrence (voir également la Décision 2010-P/K-36 du 22 septembre 2010, Librairies francophones, numéro 65, sur la complémentarité des rôles des autorités publiques et des particuliers, chapitre B et § 44 de la Communication de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes déposées au titre des articles 81 et 82 du Traité CE, J.O. (2004), C101, p. 5).
Il appartient à l'Auditorat de décider de l'utilisation des moyens disponibles et réduits de l'autorité de concurrence et le législateur a associé cette décision d'opportunité à la politique de priorités (voir le texte de l'article 45, § 2, de la LPC modifiée cité ci-dessus au numéro 12. 21. Il apparaît déjà de ce qui précède que les plaignants doivent pouvoir déduire de la décision de classement laquelle des trois hypothèses spécifiques (irrecevabilité, non-fondement, décision d'opportunité) est retenue par l'Auditorat.En particulier, il est important de faire la distinction entre les affaires classées, soit pour des raisons qui concernent le fond (non-fondement), soit pour des raisons d'opportunité (politique de priorités et moyens disponibles). 22. Le choix d'un classement pour des raisons d'opportunité implique également un minimum d'analyse par l'Auditorat des faits amenés par le plaignant, qui doivent être évalués au regard des critères appliqués par l'Auditorat, tout comme dans le cas d'une décision de classement sur le fond qui nécessite également une motivation minimale (voir par analogie Tribunal 23 novembre 2011, affaire T-320/07, Daphne Jones, numéros 98 et 115-117).23. La décision faisant l'objet du recours évoque les critères que l'Auditorat applique afin de déterminer les priorités et donc de mobiliser les moyens disponibles.Il s'agit de « l'intérêt pour le consommateur, l'importance économique du dossier, ou encore l'intérêt d'agir au regard des missions et des moyens de l'autorité belge de concurrence ». 24. Le Conseil comprend que cette liste de critères doit être entendue de telle façon qu'il s'agit de plusieurs raisons qui chacune individuellement peut mener au classement d'une plainte.25. La décision faisant l'objet du recours fait uniquement apparaître que l'Auditorat estime que les faits de la cause ne rencontrent pas suffisamment les critères de priorités et, qu'en conséquence, il n'est pas opportun de consacrer des moyens à une instruction au fond.Le Conseil considère que cette motivation est défaillante eu égard à l'obligation de motivation à laquelle l'Auditorat est tenu. 26. Les motifs d'une décision de classement doivent au moins faire apparaître quels sont les éléments factuels ou juridiques qui ont joué un rôle dans le cadre de la décision de l'Auditorat de poursuivre une affaire ou pas (par analogie Tribunal, 23 novembre 2011, affaire T-320/02-07, Daphne Jones, numéro 117, et § 134 de la Communication de la Commission concernant les bonnes pratiques relatives aux procédures d'application des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui consolide la jurisprudence sur ce point, J.O. (2011), C 308, p. 6).
L'exercice de la compétence décrite dans l'article 45, § 2 de la LPCE n'enlève pas à l'Auditorat son obligation de motivation, même si cela ne signifie pas qu'il faut répondre à tous les arguments invoqués par les plaignants (voir par analogie, Tribunal, 15 décembre 2010, affaire T-427/08, CEAHR, numéros 27 et 28). 27. Le Conseil estime que l'Auditorat peut mettre en oeuvre son obligation de motivation de plusieurs façons : la motivation peut être entièrement contenue dans la décision même, mais elle peut également ressortir, par exemple, de la combinaison avec des actes d'instructions qui apparaissent du dossier d'instruction et que l'Auditorat a effectués afin de déterminer si l'affaire rencontrait les critères de priorités.28. L'absence totale d'indications, dans la décision et dans le dossier, des raisons qui ont mené à la décision de l'Auditorat dans cette affaire, ne permet ni au Conseil, ni aux plaignants, de comprendre les motifs de l'Auditorat.29. Le non-respect de l'obligation de motivation découle également de l'absence d'indications sur le critère ou les critères qui ont été décisifs : l'intérêt pour le consommateur, l'importance économique du dossier ou encore l'intérêt d'agir au regard des missions et des moyens de l'autorité belge de concurrence.Pour autant que l'Auditorat mentionne lui-même cette liste spécifique de critères dans sa décision, les plaignants et le Conseil doivent pouvoir établir quelle évaluation a eu lieu, et lequel ou lesquels des critères ont été déterminants. 30. Vu que le Conseil arrive à la conclusion que le moyen d'un défaut de motivation des plaignants doit être retenu, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens soulevés dans la requête d'appel. L'existence d'un défaut de motivation comme décrit ci-dessus doit mener à l'annulation de la décision faisant l'objet du recours.
Pour ces raisons, Le Conseil de la concurrence, Statuant sur la base de l'article 45, § 3 de la Loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, - Reçoit le recours introduit par Monsieur [...] et la SPRLU [...] Avocats, - Annule la Décision n° 2012-P/K-09-AUD du 27 avril 2012 de l'Auditorat, - Renvoie le dossier à l'Auditorat pour instruction et rapport à la chambre.
Ainsi décidé le 2 octobre 2012 par la Seizième chambre du Conseil de la concurrence composée de Laura Parret, présidente de chambre, Christian Huveneers, vice-président du Conseil et David Szafran, conseiller.
Conformément à l'article 67 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, la notification de la présente décision sera effectuée à Monsieur [...] et la SPRLU [...] Avocats, à l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, l'Ordre des avocats du barreau de Liège, et les membres des Conseils de l'Ordre des avocats du barreau de Liège, à l'Auditorat et au Ministre qui a l'Economie dans ses attributions.