publié le 27 octobre 2010
Conseil de la concurrence. - Décision n° 2010-P/K-37 du 22 septembre 2010 Affaire CONC-P/K-06/0009 Syndicat des Libraires francophones de Belgique/Interforum Recours contre la décision du 22 octobre 2009 I. La procédure 1. Une plainte a 2. Le 22 octobre 2009, l'Auditorat a pris une décision (2009-P/K-25-AUD) dans laquelle, d'une part,(...)
SERVICE PUBLIC FEDERAL ECONOMIE, P.M.E., CLASSES MOYENNES ET ENERGIE
Conseil de la concurrence. - Décision n° 2010-P/K-37 du 22 septembre 2010 Affaire CONC-P/K-06/0009 Syndicat des Libraires francophones de Belgique/Interforum Recours contre la décision du 22 octobre 2009 I. La procédure 1. Une plainte a été déposée le 24 février 2006 par le Syndicat des Libraires francophones de Belgique (ci-après : SLFB) contre la société Interforum, pour violation des articles 2 et 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique (ci-après : LPCE).Cette plainte a été enregistrée sous le numéro CONC-P/K-06/0009. 2. Le 22 octobre 2009, l'Auditorat a pris une décision (2009-P/K-25-AUD) dans laquelle, d'une part, elle a constaté que la plainte est recevable mais non fondée et, d'autre part, elle ordonne le classement de la plainte.3. Le Conseil a été saisi d'un recours contre cette décision sur la base de l'article 45, § 3, de la LPCE, intenté par le plaignant, SFLB. La requête d'appel a été déposée au greffe du Conseil le 23 novembre 2009. 4. L'affaire a été distribuée à la Dixième Chambre du Conseil.Le 28 janvier 2010, la chambre a décidé de communiquer une version non-confidentielle de la requête d'appel déposée par SLFB à l'entreprise visée par la plainte, Interforum, afin de lui permettre de réagir et de formuler des observations écrites. La chambre a également décidé qu'il conviendrait au président de la chambre d'établir un calendrier pour les observations écrites. 5. Le 28 janvier 2010, le président de la chambre a fixé un calendrier permettant d'abord à Interforum de déposer des observations écrites suite à la réception de la version non-confidentielle du rapport et, ensuite, à SLFB de déposer une réplique éventuelle.6. Dans une affaire parallèle, le SLFB a déposé plainte contre la société Dilibel.Cette deuxième plainte a été enregistrée sous le numéro CONC-P/K-06/0008. Elle a fait l'objet d'une décision distincte de la part de l'Auditorat. Cette décision a également fait l'objet d'un recours devant le Conseil. Cette affaire a été distribuée à la même chambre. Cependant, l'Auditorat n'ayant pas joint les deux affaires, le Conseil estime opportun, à son tour, de traiter les deux recours dans deux décisions distinctes.
II. La plainte et la décision faisant l'objet du recours 7. Le plaignant, le Syndicat des Libraires francophones de Belgique, est une association professionnelle qui a comme objectif de « veiller à la sauvegarde et au progrès des intérêts des libraires;de sauvegarder, favoriser et promouvoir par tout moyen la diffusion du livre, de veiller au maintien des liens de bonne et loyale confraternité entre ses membres (...) ». Selon la décision de l'Auditorat, le SLFB réunit près de 60 % des libraires francophones, soit environ 80 % du marché des libraires de premier niveau (voir ci-dessous pour les différents segments de marché). 8. La plainte vise certaines pratiques de la société Interforum SA, qui est un diffuseur-distributeur, soit un intermédiaire entre les éditeurs qu'il diffuse et distribue et les revendeurs qu'il visite et approvisionne.9. En résumé, la plainte met en question la politique de prix d'Interforum pour les livres vendus en Belgique et importés de la France.D'une part, SLFB prétend qu'il existerait un parallélisme de comportement entre Dilibel et Interforum visant à maintenir une majoration de prix et, d'autre part, le plaignant allègue qu' Interforum abuserait de sa position dominante sur le marché de la vente de livres importés de France aux libraires de premier niveau, livres dont elle a l'exclusivité de la diffusion et/ou de la distribution en imposant par le mécanisme du mark-up, des prix de vente excessifs. Il en résulterait un désavantage concurrentiel aux libraires établis en Belgique par rapport à leurs concurrents français. 10. Dans la décision du 22 octobre 2009, l'Auditorat constate d'abord que la plainte est recevable.Ensuite, la décision examine les marchés concernés. Selon le plaignant, il y a lieu de distinguer deux marchés : le marché de la vente de livres édités en France par les distributeurs aux libraires de premier niveau en Belgique, et le marché de la vente de livres édités en France par les revendeurs aux consommateurs belges. Il apparaît de la décision que pendant l'instruction différents acteurs ont été interrogés sur la définition de marché pertinent à retenir par l'Auditorat. Selon l'Auditorat, cette instruction a confirmé que les définitions de marché à retenir sont celles retenues par la Commission, dans sa décision dans l'affaire Lagardère/Natexis/VUP (Décision dans l'affaire M.2978 du 7 janvier 2004). Dans sa décision, l'Auditorat suit ces définitions.
La décision distingue : - le marché de la diffusion - le marché de la distribution et - le marché de la vente de livres par les éditeurs aux revendeurs.
L'Auditorat retient comme marchés affectés : le marché de la diffusion, segmenté selon le niveau des revendeurs : librairies de niveau 1 et 2, hypermarchés et grossistes. Le deuxième marché qui est retenu comme marché affecté est le marché de la distribution. Ensuite, l'Auditorat retient comme marchés affectés les marchés de la vente de livres par les éditeurs aux revendeurs, segmentés d'une part selon le type de revendeurs, à savoir les librairies de niveau 1 et 2, les hypermarchés et les grossistes, et, d'autre part, selon les grandes catégories de livres. 11. Dans sa décision, l'Auditorat écarte le grief du plaignant qui consiste à qualifier certains comportements d'Interforum sur les marchés de la diffusion et de la distribution, comme étant des infractions à la LPCE.Selon l'auditorat il n'y a pas de marché distinct de la vente de livres par les diffuseurs distributeurs aux revendeurs et, en outre, Interforum n'est présent sur ce marché qu'indirectement par le biais de sa maison mère. 12. En ce qui concerne une éventuelle entente entre Dilibel et Interforum, la décision fait part des mesures d'instructions qui ont été prises.L'Auditorat conclut que l'instruction n'a pas permis d'établir qu'il existerait une entente entre Dilibel et Interforum visant à maintenir un « mark-up ». Selon la décision, chacune de ces entreprises appliquent d'ailleurs un mark-up différent. 13. Finalement, en ce qui concerne un éventuel abus de position dominante par Interforum, l'Auditorat considère que l'instruction n'a pas permis de démontrer qu'Interforum dispose d'une position dominante, ce qui est pourtant la condition préalable nécessaire pour établir un abus. L'Auditorat fait référence au critère de l'existence d'une part de marché importante. Il est expliqué dans la décision qu'au vu de la définition des marchés pertinents, et sous toutes les autres hypothèses, les parts de marchés d'Interforum sont inférieures à 30 %.
De plus, l'instruction aurait démontré que les éditeurs tiers pour lesquels Interforum assure la diffusion et /ou la distribution, n'hésitent pas à changer de diffuseurs/distributeurs. 14. Dans sa décision du 22 octobre 2009, l'Auditorat conclut son analyse en constatant que l'article 45, § 2 de la LPCE habilite l'Auditorat à classer une plainte dans la mesure où cette plainte est irrecevable ou non fondée, mais également eu égard à la politique des priorités et des moyens disponibles.Sur base de ces motifs, elle ordonne le classement de la plainte.
III. Le recours 15. Le plaignant, le SLFB, a déposé une requête auprès du Conseil de la concurrence sur base de l'article 45, § 3 de la LPCE.Le SLFB (ci après : la requérante) demande au Conseil de renvoyer le dossier à l'Auditorat pour instruction et rapport au Conseil de la concurrence conformément à l'article 45, § 3 de la LPCE. 16. Dans la requête de recours, le SLFB expose plusieurs moyens.17. Tout d'abord, la requérante remet en question la définition des marchés pertinents retenus par l'Auditorat.Elle conteste aussi bien le marché de produits que la dimension géographique du marché pertinent, et le choix de l'Auditorat de se rallier à l'analyse de la Commission européenne dans l'affaire mentionnée ci-dessus (voir n° 12). La requérante conclut que le marché pertinent en cause doit être autre que celui retenu par l'Auditorat. 18. Ensuite, en ce qui concerne le grief relatif à l'entente entre Dilibel et Interforum, la requérante invoque une série d'éléments pour démontrer qu'une telle entente existe.Elle en déduit que c'est à tort que l'Auditorat a rejeté ce grief et a procédé au classement de la plainte. Sur ce point, le requérante considère également que la décision attaquée est insuffisamment motivée en ce qui concerne les justifications invoquées par Interforum pour la « tabelle ». 19. En ce qui concerne un éventuel abus de position dominante d'Interforum, la requérante conteste la position prise par l'Auditorat dans sa décision, qui consiste à dire que l'instruction n'a pas permis d'établir l'existence d'une position dominante.Selon la requérante, l'Auditorat n'a pas tenu compte des arguments développés à ce sujet par la requérante et notamment du fait qu'Interforum est économiquement un partenaire incontournable pour les revendeurs belges. La requérante en tire la conséquence que la décision ne répond pas à l'exigence de motivation imposée par l'article 45, § 2 de la LPCE. 20. Dans sa requête, SLFB explique que l'imposition de la tabelle est selon lui, constitutive d'un double abus de position dominante au sens de l'article 3 de la LPCE et/ou de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).Il est question, selon la requérante, d'imposer des prix de vente inéquitablement élevés. La requérante invoque également qu'il existe une discrimination entre les prix appliqués aux libraires français et aux libraires belges. Elle en tire la conséquence que la violation des articles 3 de la LPCE et 102 TFUE doit être constatée. 21. Dans ses observations écrites, Interforum demande au Conseil de déclarer la requête d'appel non fondée et de confirmer la décision de classement de l'Auditorat. Tout d'abord, Interforum considère que la requête d'appel fait défaut de démontrer que la décision de classement ne répond pas aux exigences de motivation applicables en la matière. Interforum fait référence au cadre de contrôle prévu par l'article 45 de la LPCE dans lequel le rôle du Conseil est défini. Interforum considère que la décision de l'Auditorat dans cette affaire satisfait aux obligations de diligence et de motivation valables pour une décision de classement d'une plainte. Selon Interforum, la procédure d'instruction a révélé que l'Auditorat a procédé à un examen consciencieux des éléments de fait et de droit, et que la décision de classement témoigne de ce que l'Auditorat considérait les éléments nécessaires insuffisants sur la base desquels ils pouvaient être valablement conclus au non fondement de la plainte. 22. Dans ses observations écrites Interforum soumet ensuite au Conseil, de façon subsidiaire, des arguments pour démontrer que le raisonnement et les conclusions de l'Auditorat dans la décision attaquée doivent être confirmés en ce qui concerne les marchés affectés, l'absence de preuve d'entente entre Dilibel et Interforum et l'absence de position dominante dans le chef d'Interforum. IV. Analyse par le Conseil 4.1 Le cadre légal : la procédure et l'étendue du contrôle exercé par le Conseil 23. Dans cette affaire, le Conseil est appelé à se prononcer dans le cadre d'un recours intenté par un plaignant qui a vu sa plainte classée par l'Auditorat.Cette procédure de recours est régie par l'article 45, § 2 et § 3, de la LPCE. 24. Le Conseil constate que le recours est interjeté dans le délai légal, et dès lors il est recevable et qu'aucune des causes de nullité mentionnées à l'article 45, § 3 de la LPCE n'est présente.Il peut donc procéder à l'examen des moyens contenus dans la requête.
Cependant, étant donné qu'il s'agit ici de la première fois que le Conseil exerce cette compétence d'appel, quelques considérations préalables sur le contexte procédural s'imposent d'abord. 25. La loi prévoit que l'Auditorat peut classer une plainte par décision motivée.Cette décision est notifiée au plaignant en lui indiquant qu'il peut consulter le dossier et qu'il peut intenter un recours contre la décision de classement auprès du Conseil. Ensuite, dans son § 3, l'article 45 de la LPCE prévoit que la chambre du Conseil se prononce sur pièces et que sa décision n'est pas susceptible de recours ou d'opposition. Si la chambre estime que le recours est fondé, le dossier est renvoyé à l'Auditorat pour instruction et rapport à la chambre. 26. Il s'agit d'une procédure particulière dans laquelle le Conseil est appelé à prendre une décision qui sera de nature différente de celles qui sont prises dans le cadre des pratiques restrictives, ou en matière de contrôle de concentrations.Dans le cadre de ces deux autres types de procédure, le Conseil se prononce soit sur l'existence d'une violation à la loi, soit sur l'incompatibilité d'une concentration avec la LPCE. Dans ces deux cas de figure, le Conseil prend une décision après une procédure contradictoire, c'est-à -dire un débat entre d'une part, les entreprises concernées, et, d'autre part, l'auditeur. Dans certains cas, des tiers sont appelés à jouer un rôle dans la procédure. 27. Dans la présente affaire, le Conseil ne doit pas prendre une décision sur le fond pour établir une infraction à l'article 2 ou 3 de la LPCE ou aux articles 101 et 102 TFUE.La chambre du Conseil doit au contraire examiner si les moyens qui sont soulevés par le plaignant dans son recours, justifie de renvoyer le dossier à l'Auditorat pour instruction et rapport à la chambre. 28. La nature spécifique de la décision que le Conseil doit prendre dans ce cas, a une influence aussi bien sur la procédure à suivre que sur l'étendue du contrôle exercé par le Conseil.29. En ce qui concerne la procédure, la loi prévoit uniquement que la chambre du Conseil se prononce sur pièces et que la décision n'est pas susceptible de recours.30. Cette procédure de recours a été introduite par la dernière grande réforme de la LPCE, entrée en vigueur en octobre 2006, et elle n'a pas encore été mise en pratique jusqu'à présent.En revanche, le Président du Conseil s'est déjà prononcé dans des affaires récentes UGC/Kinepolis et Bofar (Décision 2009-V/M-05 du 14 avril 2009 et Décision 2009-V/M-04 du 2 avril 2009) dans le cadre d'une procédure aux caractéristiques semblables. En effet, en cas de recours contre un refus d'une demande de mesures provisoires, le Président du Conseil est également appelé à se prononcer sur pièces. L'article 45, § 3 de la LPCE prévoit seulement que la requête doit être motivée. Le Président du Conseil a estimé que l'expression utilisée par la loi inclut le dossier d'instruction sur lequel l'Auditorat a fondé sa décision de classement ainsi que la requête d'appel (voir décisions du Président précitées). 31. Dans la présente affaire, le Conseil a estimé nécessaire de permettre à l'entreprise visée par la plainte initiale, de déposer des observations écrites.Cette possibilité d'observations écrites est justifiée par la nécessité pour la chambre du Conseil d'être informée par l'entreprise concernée des éléments de fait et de droit pertinents dans l'affaire. Il ne s'agit pas d'organiser un débat contradictoire puisque le Conseil est appelé à prendre position sur la requête en l'absence de l'Auditorat, et non pas à trancher un éventuel litige entre deux parties. Cependant, il est utile de prendre connaissance de la réaction de l'entreprise concernée par rapport à la requête, tout en s'assurant que le requérant puisse avoir le dernier mot dans la procédure en ayant la possibilité d'une réplique. Si le Conseil considère qu'il faut renvoyer l'affaire devant l'Auditorat, l'entreprise concernée garde la possibilité de se défendre au cours de l'instruction et, éventuellement par après devant le Conseil dans une procédure sur le fond. Si le Conseil confirme la décision de l'Auditorat, le plaignant n'a plus de recours, et l'instruction ne sera pas ré-ouverte. 32. En ce qui concerne l'étendue et la nature du contrôle à exercer par le Conseil dans ce type de procédure, il y a lieu de constater tout d'abord que la loi ne prévoit rien à cet égard.L'article 45, § 3 de la LPCE prévoit seulement que la requête doit être motivée. 33. Selon le Conseil, il lui incombe d'examiner les moyens spécifiques contenus dans la requête déposée au Conseil.Le Conseil doit examiner si ces moyens justifient de renvoyer l'affaire à l'Auditorat. Il apparaît clairement du contexte légal, ainsi que des procédures semblables au niveau européen (voir notamment la Communication de la Commission relative au traitement des plaintes par la Commission, JO 2004, C 101/65), que l'examen par le Conseil n'est pas un examen sur le fond. En d'autres termes, l'examen des moyens dans le cas d'espèce ne peut pas aboutir à une analyse en fait ou en droit qui serait en réalité semblable à l'analyse que le Conseil ferait dans le cadre d'une procédure en matière de pratiques restrictives (voir par analogie, la décision précitée du Président dans l'affaire UGC/Kinepolis, aux nos 98-99). Un tel contrôle limité se justifie également par l'absence de l'Auditorat dans le cadre de la présente procédure ainsi que par l'absence d'une audience et d'un débat contradictoire entre l'Auditorat et le plaignant.
Il est clair que le Conseil doit également définir son rôle en fonction de la nature du pouvoir qui est exercé par l'Auditorat. A cet égard, il est important de constater que le législateur a reconnu de façon explicite, la possibilité pour l'Auditorat de définir des ordres de priorité dans le traitement des plaintes (article 45, § 2, introduit par la Loi du 6 mai 2009Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/05/2009 pub. 19/05/2009 numac 2009202053 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses fermer portant des dispositions diverses, Moniteur belge 19 mai 2009). Cette possibilité se place dans la logique de la pratique européenne, selon laquelle la Commission européenne n'est pas tenue d'instruire chaque plainte qu'elle reçoit.
Il en suit qu'un plaignant n'a pas le droit d'obtenir une décision sur le fond (voir la Communication citée ci-dessus au n° 33). 34. Il incombe donc aux auditeurs de mettre en balance plusieurs éléments pour décider si oui ou non une plainte est poursuivie jusqu'à déposer un rapport devant le Conseil.Les éléments à mettre en balance semblent être l'atteinte que le comportement incriminé est susceptible de porter au fonctionnement du marché, la probabilité de pouvoir établir l'existence d'une infraction et l'étendue des mesures d'instructions nécessaires (voir notamment par analogie Tribunal 25 mai 2000, affaire T-77/95, Ufex et autres contre la Commission). Une analyse approfondie des éléments de faits et de droit amenés par la requête aboutirait à mettre en péril cette possibilité de l'Auditorat de définir des priorités. 35. Moyennant le respect de l'obligation d'une motivation adéquate pour une décision de classement, l'Auditorat dispose d'un certain pouvoir discrétionnaire.Cette motivation doit être suffisamment précise pour permettre au Conseil d'exercer un contrôle effectif sur l'exercice par l'Auditorat de son pouvoir discrétionnaire. En plus, l'Auditorat n'est pas tenu de prendre position sur tous les arguments que le plaignant invoque à l'appui de sa demande (voir par analogie, la Communication précitée au n° 33, au paragraphe 75). 36. Le contrôle que le Conseil est appelé à faire dans le cas d'une procédure sur base de l'article 45, § 3 de la LPCE ne peut donc être qu'un contrôle de la motivation de la décision de classement et du respect des règles de procédure.En outre, en tant que juridiction de recours, le Conseil ne peut vérifier que l'exactitude matérielle des faits et l'absence d'erreurs manifestes d'appréciation ou de détournement de pouvoir, tout en respectant les compétences de l'Auditorat. Le Conseil pourrait, le cas échéant, confirmer une décision de l'Auditorat en suppléant les motifs. 4.2. Discussion des moyens 4.2.1 Le marché pertinent 37. Dans sa requête de recours le SLFB conteste tout d'abord l'analyse des marchés concernés qui est contenu dans la décision contestée du 22 octobre 2009.38. Dans la décision l'Auditorat a retenu trois marchés de services pertinents, à savoir : - le marché de la diffusion, qui consiste principalement à commercialiser les ouvrages des éditeurs auprès des différentes catégories de revendeurs de livres; - le marché de la distribution qui regroupe toutes les activités logistiques relatives à la fourniture des livres à la clientèle depuis la commande jusqu'à l'encaissement de la facture en passant par la gestion des retours; - le marché de la vente de livres par les éditeurs aux revendeurs 39. Il faut ajouter que la décision explique également que certains de ces marchés peuvent être segmentés en faisant des distinctions plus poussées sur base du type de revendeur ainsi que du type de livre.40. La requérante estime qu'il existe pourtant un marché distinct de la vente des diffuseurs- distributeurs aux revendeurs.L'argument est basé essentiellement sur le fait que certains éditeurs refuseraient directement de vendre aux libraires depuis la France en leur imposant d'utiliser leurs structures locales, c'est-à -dire les diffuseurs-distributeurs. 41. Pour ce qui est de la dimension géographique du marché, contrairement à l'Auditorat et à la Commission européenne, la requérante estime qu'il y a bien lieu de considérer que le marché belge est un marché distinct.Dans sa décision, l'Auditorat avait laissé ouvert la délimitation territoriale du marché. 42. Tout d'abord, le Conseil constate que, dans sa requête, SLFB n'indique pas précisément en quoi une autre définition du marché pertinent telle qu'elle le propose, pourrait modifier l'analyse juridique concernant les comportements présumés contraires à la loi. En outre, la requérante n'indique pas ou n'explique pas, pourquoi l'analyse du marché retenu par l'Auditorat est motivé de façon insuffisante. 43. Force est de constater que la décision du 22 octobre 2009 contient une discussion relativement détaillée des marchés concernés à retenir. En définissant le marché, l'Auditorat a choisi de s'aligner sur la pratique européenne et en particulier sur une décision de la Commission dans le même secteur.
Le grief de la requérante ne consiste pas à mettre en question la motivation de la décision mais exprime en réalité un désaccord avec la définition finalement retenue par l'Auditorat. Le Conseil estime cependant que la requête d'appel ne contient pas d'indications sérieuses qui démontrent une erreur manifeste dans l'analyse du marché établi par l'Auditorat ou une insuffisance de motivation. Le choix de s'aligner sur une analyse effectuée dans une affaire dans le même secteur traitée par la Commission européenne, paraît correspondre à la jurisprudence du Conseil (voir notamment la Décision n° 2008-I/O-04 du 25 janvier 2008 dans l'affaire VEBIC, la Décision n° 2009-P/K-10 du 26 mai 2009 dans l'affaire Base/BMB, la Décision n° 2010- I/O-30 du 26 août 2010 dans l'affaire BIV). 44. Ce moyen qui concerne uniquement la définition du marché ne peut pas amener le Conseil à déclarer le recours recevable.Au niveau du marché des produits, l'analyse de l'Auditorat semble également justifiée au vue du dossier dont le Conseil a pris connaissance. En plus, l'Auditorat indique que l'examen que contient la décision concernant les comportements visés serait le même si d'autres marchés concernés étaient retenus. En tout état de cause, la requérante n'a pas démontré en quoi l'analyse juridique aurait dû être substantiellement différente en cas d'une définition de marché différente. 45. Ce moyen est donc rejeté. 4.2.2 L'entente entre Dilibel et Interforum 46. Selon la requérante, il existe un parallélisme de comportement entre Dilibel et Interforum.Ce parallélisme est mis en rapport avec l'application par ces deux entreprises d'une « tabelle ». 47. Il ressort de la décision de l'Auditorat, qu'à l'origine, la tabelle était une majoration de prix appliquée par les distributeurs afin de faire face aux fluctuations du franc français, aux différences de taux de T.V.A. entre les deux pays, aux frais d'exportation et aux frais de douane. Le système a fait l'objet d'un arrêt ministériel, abrogé en 1984. 48. Actuellement, le prix du livre (importé de France) facturé par Dilibel et Interforum aux libraires belges, est basé sur le prix public français (prix fixé sur base de la Loi Lang) auquel est appliqué, une majoration appelée mark-up dans le secteur.Cette majoration n'a plus de base réglementaire (voir n° précédent). Il ressort du dossier que l'expression « tabelle » est encore utilisée pour la pratique du mark-up. 49. Il s'agit donc d'une majoration appliquée par certains vendeurs de livres en Belgique sur le prix français.Selon la requérante, Interforum continue à prendre en compte le prix français pour déterminer le prix de vente en Belgique. Aussi bien Dilibel qu'Interforum prévoient selon elle, l'application quasi automatique de la tabelle. La requérante estime qu'il y a des éléments qui indiquent des échanges d'information entre Dilibel et Interforum, notamment dans le cadre de l'association ADEB. SLFB estime qu'un échange d'informations entre les deux distributeurs concurrents au sujet des leurs pratiques de « tabelle », constitue une pratique concertée dans le sens de l'article 2 de la LPCE et de l'article 101 du Traité TFUE. La requérante indique dans sa requête qu'il résulterait de l'instruction qu'un tel échange d'informations a eu lieu. 50. Bien qu'elle soit motivée de façon succincte sur ce point, il ressort clairement de la décision du 22 octobre 2009 que l'instruction n'a pas permis, selon l'Auditorat, d'établir une entente entre Dilibel et Interforum.Cela veut dire que l'Auditorat considère que l'instruction n'a pas permis de rassembler des éléments de faits qui, malgré les informations apportées également par le plaignant, pouvaient indiquer une pratique restrictive éventuellement interdite par les règles de concurrence. 51. En effet, toute concertation entre les concurrents et tout échange d'informations ayant trait au prix ou une composante du prix (voir la décision VEBIC citée au n° 43, et la Décision n° 2010-I/O-11 du 20 mai 2010 dans l'affaire des radiateurs) peuvent constituer une infraction grave aux règles de concurrence pour autant que les contacts entre concurrents et leur sujet soient établis.A défaut de preuves sur le sujet des contacts entre les concurrents, la jurisprudence a également consacré le principe selon lequel l'on peut présumer que des comportements parallèles dans le marché résultent de contacts entre les concurrents pour autant que ces contacts soient bien établis (voir CJUE 4 juin 2009, affaire C-08/08 T-Mobile). 52. Dans ce cas, l'Auditorat a estimé qu'il y avait ni une entente, ni même un parallélisme dans le marché, notamment parce que les deux entreprises appliquent un mark-up différent, établi selon des critères différents.Ces informations sont confirmées par Interforum dans ses observations écrites. 53. Les éléments fournis dans la requête, qui sont largement ceux déjà connus par l'Auditorat puisqu'ils figuraient dans la plainte, ne permettent pas au Conseil de penser que la conclusion établie par l'Auditorat soit manifestement incorrecte.54. A titre d'exemple, le seul fait qu'il existe un procès-verbal d'une réunion d'association qui mentionne la « tabelle » comme sujet, est insuffisant pour constituer une indication qu'il existe une pratique concertée (pratique bilatérale et non pas une décision d'association d'entreprise) entre deux concurrents, Dilibel et Interforum, par le simple fait qu'elles étaient toutes les deux présentes à cette réunion. Dans l'hypothèse de la requérante, il faudrait pouvoir établir, par exemple, que cette tabelle est en elle-même le résultat d'un échange d'informations interdit, et soit qu'elle sert à coordonner les prix, soit que les discussions sur cette tabelle donnent lieu à des échanges d'informations concernant les prix individuels, soit encore que ces discussions sont suivies de comportements parallèles dans le marché qui ont un lien causal avec les contacts entre concurrents (voir la Décision du 20 mai 2010, citée au n° 51). De tels éléments n'ont pas été suffisamment établis selon l'Auditorat. 55. L'Auditorat est arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas de lien entre la tabelle de Dilibel et des concertations avec son concurrent Interforum.La décision fait apparaître également qu'il serait peu probable qu'une instruction plus approfondie mènerait à un autre résultat. Il faut souligner à cet égard que l'on ne peut pas exiger que l'Auditorat fasse une instruction complète pour déterminer si le cas amené par le plaignant sera poursuivie. Une telle exigence mettrait en péril la capacité décisionnelle de l'Auditorat. Ce qui importe est que le dossier et la requête ne fassent pas apparaître des éléments qui devaient nécessairement amener l'Auditorat à une autre analyse. 56. Finalement, la requérante conteste la décision sur le point de ce qu'elle appelle la justification de la tabelle que l'Auditorat aurait accepté.Le Conseil estime que ce moyen est basé sur une lecture incorrecte de la décision du 22 octobre 2009. 57. Sous le point 4.3.2, la décision de l'Auditorat cite un grossiste qui a été interrogé pendant l'instruction et qui fait part de son impression que les deux entreprises mises en cause sont très concurrentielles et que les coûts de distribution sont plus élevés en Belgique qu'en France en raison de la taille du marché et de la coexistence de plusieurs langues nationales. Cependant, ce passage dans la décision ne contient pas une analyse concurrentielle de la tabelle par l'Auditorat. Il reflète une appréciation par un tiers qui constitue un élément de fait à prendre en compte par l'Auditorat. 58. Sur base de ces considérations, le Conseil rejette le moyen concernant l'entente entre Dilibel et Interforum. 4.2.3 L'abus de position dominante 59. En ce qui concerne l'éventuel abus de position dominante, la décision de l'Auditorat consiste principalement à dire que l'instruction n'a pas permis de démontrer qu'Interforum dispose d'une position dominante.L'Auditorat précise que cette conclusion est basée sur son analyse des marchés concernés et qu'elle vaut quelle que soit la taille du marché géographique retenu. 60. Il apparaît de ce qui précède, en particulier des n° 37 à n° 44, que le Conseil considère qu'il n'y a pas d'éléments suffisamment convaincants pour remettre en question le choix que l'Auditorat a fait au niveau du marché concerné.Il s'en suit que l'existence éventuelle d'une position dominante doit donc être établie sur le(s) marché(s) défini(s) par l'Auditorat. Il y a un lien étroit entre l'analyse du marché et l'analyse de la position dominante. 61. Selon l'Auditorat, Interforum n'est pas en position de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective dans la mesure où elle pourrait adopter des comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à -vis de ses concurrents, ses clients ou ses fournisseurs (voir également sur ce point, la Décision du 27 mai 2009, Base/BMB, citée ci-dessus au n° 43).Ensuite, l'Auditorat examine le facteur généralement considéré comme très important dans cette analyse, c'est-à -dire la part de marché. Selon la décision, les parts de marché d'Interforum restent en tout cas inférieures à 30 %, quelle que soit la dimension géographique du marché. 62. Sur ce point, la décision ajoute que l'instruction a démontré que les éditeurs-tiers pour lesquels Interforum assure la diffusion et/ou la distribution, n'hésitent pas à changer de diffuseur/distributeur. En d'autres termes, Interforum ne se trouve pas dans une position qui lui permet de se comporter de façon indépendante par rapport à ces partenaires commerciaux, ce qui est l'essentiel de la définition de la position dominante telle que citée ci-dessus (no 61). 63. L'existence d'une position dominante est une condition préalable nécessaire et indispensable pour l'éventuelle application de l'article 3 de la LPCE et/ou l'article 102 du traité TFUE. Sans même devoir se prononcer sur le fait de savoir si oui ou non ces dispositions peuvent sanctionner des comportements qualifiés par la requérante comme abus de dépendance économique, il faut en tout état de cause toujours d'abord établir la position dominante dans le sens du droit de la concurrence. La LPCE ne sanctionne pas en tant que telles les pratiques de commerce abusives mais ne peut s'appliquer à des comportements émanant d'entreprises en position dominante.
Le Conseil constate que l'Auditorat est arrivé à la conclusion que ni la plainte, ni son instruction ne permettent d'établir une telle position dominante. Ni la requête, ni le dossier ne mettent en doute cette conclusion. La décision de l'Auditorat à cet égard est aussi la conséquence logique de la définition des marchés.
Le Conseil réitère que l'on ne peut attendre de l'Auditorat de faire une étude aussi approfondie du marché avant de classer une plainte que dans le cadre de la préparation d'un rapport déposé auprès du Conseil afin de voir sanctionner une entreprise pour une violation de la loi.
Mise à part les considérations contenues dans les n° 23 à n° 36 ci-dessus, il faut souligner qu'une entreprise qui estime être la victime d'un présumé abus de position dominante, peut s'adresser au juge ordinaire pour faire valoir ses droits. L'autorité de concurrence agit dans l'intérêt général et la possibilité de classer les plaintes, notamment pour permettre d'en poursuivre d'autres ayant une plus grande priorité, est fondamentalement liée à cette mission d'intérêt général qui distingue l'autorité de concurrence du juge (la possibilité pour un plaignant de s'adresser au juge est même reconnue comme un élément que l'on peut prendre en considération pour rejeter une plainte, voir par analogie la Communication de la Commission précitée au n° 33, voir au paragraphe 17). 64. Le Conseil rejette le moyen concernant l'abus de position dominante dans le chef d Interforum. 4.2.4. Conclusion 65. Dans sa décision du 22 octobre 2009, l'Auditorat a décidé de classer la plainte du Syndicat des Libraires francophones de Belgique contre la société Interforum.Le Conseil estime que le recours interjeté par le SLFB contre cette décision doit être rejeté.
Par ces motifs, Le Conseil de la concurrence, - Reçoit le recours introduit par le Syndicat des Libraires francophones; - Rejette le recours et confirme la décision 2009-P/K-25-AUD du 22 octobre 2009.
Ainsi décidé le 22 septembre 2010 par la Dixième Chambre du Conseil de la concurrence composée de Mme Laura Parret, conseiller et président de chambre, M. Pierre Battard et M. David Szafran, conseillers.
Conformément à l'article 67 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006, la notification de la présente décision sera effectuée au Syndicat des Libraires Francophones de Belgique, à Interforum et au Ministre qui a l'Economie dans ses attributions.