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Arrêt
publié le 20 avril 2020

Extrait de l'arrêt n° 39/2020 du 12 mars 2020 Numéro du rôle : 6919 En cause : le recours en annulation totale ou partielle de la loi du 18 octobre 2017 « relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autru La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 39/2020 du 12 mars 2020 Numéro du rôle : 6919 En cause : le recours en annulation totale ou partielle de la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer « relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui », introduit par l'ASBL « Woningen 123 Logements » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 3 mai 2018 et parvenue au greffe le 4 mai 2018, un recours en annulation totale ou partielle (les articles 3, 7, partim, 9, partim, et 12) de la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer « relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui » (publiée au Moniteur belge du 6 novembre 2017) a été introduit par l'ASBL « Woningen 123 Logements », l'ASBL « Toestand », l'ASBL « Communa », l'ASBL « Collectif auQuai », l'ASBL « La Clef », l'ASBL « La Maison à Bruxelles », l'ASBL « Vlaams Huurdersplatform », l'ASBL « Fédération Bruxelloise de l'Union pour le Logement », l'ASBL « Rassemblement bruxellois pour le Droit à l'Habitat / Brusselse Bond voor het Recht op Wonen », l'ASBL « Solidarités Nouvelles », l'ASBL « Habiter Bruxelles », l'ASBL « Front commun SDF / Gemeenschappelijk Daklozenfront », l'ASBL « L'association de Défense des Allocataires Sociaux », l'ASBL « Brussels Platform Armoede », l'ASBL « Vlaams Netwerk van verenigingen waar armen het woord nemen », l'ASBL « Samenlevingsopbouw Brussel », l'ASBL « Réseau wallon de lutte contre la pauvreté », l'ASBL « Ligue des Droits de l'Homme », l'ASBL « Liga voor Mensenrechten », l'ASBL « Chez Nous - Bij Ons », l'ASBL « Réseau Belge de lutte contre la pauvreté », la « Fédération générale du travail de Belgique », Victor Brevière, Léone Dethier, Cornelia Guerrero Vargas, Joseph Jelle, Rémy Meister, Lisa Smessaert, Hannes Van Huyck, Ben Van der Bauwhede, Seppe Vleminckx, Lisa Deceuninck, Wiepke Boogaerts, Dylan Lebacq, Yves Wathelet, Grégory Robert, Eric Collard et Loïc Decamp, assistés et représentés par Me V. Letellier, avocat au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) Quant à l'objet du recours B.1.1. Le recours vise la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer « relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui » (ci-après : la loi attaquée). Par le premier moyen, pris de la violation des règles répartitrices de compétences, les parties requérantes demandent l'annulation de cette loi dans son ensemble. Les autres moyens concernent les articles 3, 7, 9 et 12 de la loi.

B.1.2. Les développements de la proposition de loi à l'origine de la loi attaquée indiquent : « L'occupation d'immeubles vides par des squatteurs, qui violent ainsi le droit de propriété et minent de la sorte les fondements d'une cohabitation harmonieuse, est un problème récurrent dans notre société. Le squattage peut dès lors être défini comme l'occupation d'un immeuble non utilisé sans l'autorisation de l'ayant droit et sans avoir aucun droit à l'égard du bien.

Si les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer dans la lutte contre l'inoccupation, il n'est en aucun cas acceptable que des propriétés non utilisées de citoyens soient la proie de squatteurs qui foulent aux pieds le droit de propriété et peuvent ensuite, sur le plan juridique, invoquer l'inviolabilité du domicile. [...] L'objectif de la présente proposition de loi est de donner davantage de moyens aux ayants droit, aux pouvoirs locaux et à la police pour qu'ils puissent réellement agir contre ces atteintes flagrantes au droit de propriété » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/001, pp. 3-4).

B.1.3. La loi attaquée contient des dispositions pénales et des dispositions civiles.

Sur le plan pénal, elle modifie l'article 439 du Code pénal, qui ne visait que le fait de s'être introduit dans un logement habité, en étendant son champ d'application à l'occupation et au séjour dans un logement habité sans autorisation des habitants (article 2). Elle érige ensuite en infraction le fait d'avoir pénétré sans autorisation dans « la maison, l'appartement, la chambre ou le logement non habité d'autrui, ou leurs dépendances ou tout autre local ou le bien meuble non habité d'autrui pouvant ou non servir de logement » et d'occuper ce lieu ou d'y séjourner de quelque façon que ce soit (article 442/1, § 1er, du Code pénal, introduit par l'article 3 de la loi attaquée).

Dans les cas visés par cette dernière disposition, elle donne pouvoir au procureur du Roi d'ordonner, « à la demande du détenteur d'un droit ou d'un titre sur le bien concerné, l'évacuation » du bien (article 12 de la loi attaquée). Enfin, elle érige en infraction le fait de ne pas donner suite à l'ordonnance d'évacuation prise par le procureur du Roi ou au jugement du juge de paix ordonnant l'expulsion (article 442/1, § 2, du Code pénal, introduit par l'article 3 de la loi attaquée).

Sur le plan civil, la loi attaquée introduit dans le Code judiciaire de nouvelles dispositions concernant l'expulsion de lieux occupés sans droit ni titre (Quatrième partie, livre IV, chapitre XVter du Code judiciaire, introduit par les articles 6 à 11 de la loi attaquée).

Quant à la compétence du législateur fédéral (premier moyen) B.2. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation des articles 39 de la Constitution et 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles par la loi attaquée dans son ensemble. Elles font grief à la loi attaquée, d'une part, de régler des situations de logement particulières, à savoir celles qui ne sont pas couvertes par une autorisation préalable et, d'autre part, de porter des mesures relevant de la politique des logements inoccupés, en violation de la compétence régionale en matière de logement. Elles estiment encore que les dispositions de la loi attaquée ressortissent à la compétence régionale pour établir les règles concernant la location de biens destinés à l'habitation, matière qui inclurait la compétence de régir les conséquences de l'occupation d'un logement non couverte par les règles prises par la région.

B.3.1. L'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose : « § 1er. Les matières visées à l'article 39 de la Constitution sont : [...] IV. En ce qui concerne le logement : 1° le logement et la police des habitations qui constituent un danger pour la propreté et la salubrité publiques;2° les règles spécifiques concernant la location des biens ou de parties de biens destinés à l'habitation ». B.3.2. Il se déduit de cette disposition que les régions sont compétentes pour régler l'ensemble de la matière du logement, « notamment pour la promotion de la construction, l'occupation, l'assainissement, l'amélioration, l'adaptation et la démolition de logements » (Doc. parl., Sénat, 1979-1980, n° 434/1, p. 20), ainsi que pour les règles relatives à la location de logements.

B.4. La loi attaquée a pour objet de protéger le droit de propriété portant sur des biens immeubles ou sur des constructions mobiles en érigeant en infraction l'occupation sans titre ni droit de ces biens et en prévoyant des dispositions de procédure permettant aux victimes de ce comportement d'en obtenir la cessation.

B.5. Les dispositions de la loi attaquée ne relèvent pas de la compétence régionale en matière de « règles spécifiques concernant la location des biens ou de parties de biens destinés à l'habitation », puisqu'elles visent des situations qui se produisent en dehors de toute relation contractuelle et sans le consentement, voire à l'insu, du propriétaire ou du titulaire d'un titre ou d'un droit sur le bien concerné. Il ne saurait raisonnablement être soutenu, comme le font les parties requérantes, que la compétence régionale de prendre les « règles spécifiques concernant la location des biens ou de parties de biens destinés à l'habitation » exclut la compétence fédérale de prendre des mesures pénales et procédurales relatives aux conséquences de l'occupation de biens destinés ou non à l'habitation en dehors de toute relation contractuelle de location.

B.6. L'article 442/1, § 1er, introduit dans le Code pénal par l'article 3 de la loi attaquée, exclut expressément de l'incrimination qu'il porte les hypothèses dans lesquelles l'occupation du bien est autorisée par la loi ou par une personne possédant un titre ou un droit qui donne accès au bien concerné ou qui permet de l'utiliser ou d'y séjourner. Les législateurs régionaux compétents peuvent ainsi mener la politique de leur choix en vue de favoriser l'accès au logement, y compris en adoptant des dispositions ayant pour effet de restreindre ou de limiter le droit de propriété, par exemple en autorisant les pouvoirs publics à intervenir pour remettre des logements inoccupés sur le marché du logement. Cette disposition et les dispositions de procédure introduites par la loi attaquée n'empêchent pas non plus les législateurs régionaux de prévoir les normes de qualité et de sécurité auxquelles les logements doivent satisfaire et les règles relatives à la location ainsi que les sanctions attachées au non-respect de ces normes et règles. Les dispositions de la loi attaquée ne rendent donc pas l'exercice de la compétence en matière de politique du logement par les législateurs régionaux impossible ou exagérément difficile.

B.7. Le premier moyen n'est pas fondé.

Quant au respect des droits fondamentaux En ce qui concerne l'article 442/1, § 1er, inséré dans le Code pénal par l'article 3 de la loi attaquée B.8. L'article 3 de la loi attaquée insère dans le Code pénal un article 442/1, § 1er, qui dispose : « Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de vingt-six euros à cent euros ou d'une de ces peines seulement, celui qui, soit sans ordre de l'autorité, soit sans autorisation d'une personne possédant un titre ou un droit qui donne accès au bien concerné ou qui permet de l'utiliser ou de séjourner dans le bien et hors les cas où la loi l'autorise, aura pénétré dans la maison, l'appartement, la chambre ou le logement non habité d'autrui, ou leurs dépendances ou tout autre local ou le bien meuble non habité d'autrui pouvant ou non servir de logement, soit l'occupera, soit y séjournera de quelque façon que ce soit, sans être soi-même détenteur du droit ou du titre précité ».

En vertu du paragraphe 3 de l'article 442/1, le délit visé au paragraphe 1er ne peut être poursuivi que sur la plainte d'une personne possédant un titre ou un droit sur le bien concerné.

B.9. L'article 439 du Code pénal, tel qu'il est modifié par l'article 2 de la loi attaquée, concerne la pénétration, l'occupation et le séjour dans un bien ou logement habité par autrui. Cette disposition n'est pas visée par les moyens de la requête pris de la violation des droits fondamentaux. L'article 442/1, § 1er, du Code pénal, tel qu'il est inséré par l'article 3 de la loi attaquée, ne concerne que les logements, locaux et biens non habités.

Le droit à un logement décent (deuxième moyen) B.10. Le deuxième moyen est pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 30 de la Charte sociale européenne révisée.

B.11. L'article 23 de la Constitution dispose : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : [...] 3° le droit à un logement décent; [...] ».

L'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l'importance essentielle d'une coopération internationale librement consentie. [...] ».

L'article 30 de la Charte sociale européenne révisée dispose : « En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale, les Parties s'engagent : a) à prendre des mesures dans le cadre d'une approche globale et coordonnée pour promouvoir l'accès effectif notamment à l'emploi, au logement, à la formation, à l'enseignement, à la culture, à l'assistance sociale et médicale des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d'exclusion sociale ou de pauvreté, et de leur famille; [...] ».

B.12.1. L'article 23, alinéas 2 et 3, 3°, de la Constitution exige que les législateurs compétents garantissent le droit à un logement décent et déterminent les conditions d'exercice de ce droit.

Il ressort des travaux préparatoires de cet article 23 que l'inscription, dans le texte constitutionnel, des droits économiques, sociaux et culturels visés à l'article 23 entraînerait l'obligation, sans pour autant conférer des droits subjectifs précis, de maintenir le bénéfice des normes en vigueur en interdisant d'aller à l'encontre des objectifs poursuivis (obligation dite de standstill) (Doc. parl., Sénat, S.E., 1991-1992, n° 100-2/4°, p. 85). Cette obligation de standstill est donc conçue comme un effet lié à l'inscription de ces droits dans la Constitution, alors même que le Constituant ne confère pas lui-même de droits subjectifs précis, dont le respect pourrait être invoqué directement devant un juge, mais énonce toutefois un objectif constitutionnel à atteindre progressivement.

B.12.2. L'article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice. L'article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu'impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l'alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.

Les parties requérantes n'invoquent pas de violation de l'obligation de standstill contenue dans l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution, de sorte que le deuxième moyen, en ce qu'il est pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, lu ou non en combinaison avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 30 de la Charte sociale européenne révisée, n'est pas fondé.

Le principe d'égalité et de non-discrimination (troisième moyen) B.13.1. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation des articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 30 de la Charte sociale européenne révisée.

B.13.2. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure critiquée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.14.1. Comme il est dit en B.1.2, la loi attaquée a pour objectif de procurer « davantage de moyens aux ayants droit, aux pouvoirs locaux et à la police pour qu'ils puissent réellement agir » contre l'occupation de biens habités ou non par des personnes sans titre ni droit (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1008/001, p. 4).

Le rapport de la première lecture en commission de la Justice mentionne : « [...] les auteurs de la présente proposition de loi entendent fournir aux forces de l'ordre, aux autorités judiciaires et aux propriétaires et locataires légitimes tant d'immeubles inoccupés que d'immeubles encore [occupés] illégitimement de quelque manière que ce soit, un instrument répressif leur permettant de s'armer contre les violations de leur droit de propriété. A cet effet, les dispositions du Code pénal qui garantissent l'inviolabilité du domicile sont étendues et une incrimination spécifique est instaurée pour sanctionner les squatteurs qui s'opposent aux exigences légitimes des propriétaires ou locataires d'immeubles inoccupés » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/007, pp. 6-7).

B.14.2. Un tel objectif est légitime. La Cour doit examiner si la mesure attaquée est pertinente et proportionnée à cet objectif.

B.14.3. Lorsque le législateur opte pour la voie pénale, il relève en principe de son pouvoir d'appréciation de déterminer quels sont les comportements qui méritent d'être pénalement sanctionnés. Encore faut-il que les choix qu'il fait soient raisonnablement justifiés.

B.15.1. Le législateur a pu considérer qu'il convenait d'ériger en infraction pénale le comportement qu'il entendait combattre, quelles que soient la situation ou les motivations de son auteur, en vue de dissuader une pratique portant atteinte au droit de propriété. Il a pu également considérer devoir offrir de la sorte aux titulaires d'un titre ou d'un droit sur un bien occupé à leur insu une possibilité supplémentaire de mettre fin à cette occupation en leur permettant d'obtenir à cet effet une intervention pénale.

B.15.2. La disposition attaquée prévoit une peine d'emprisonnement de huit jours à un mois et une amende de 26 euros à 100 euros, ou l'une de ces peines seulement. En présence de circonstances atténuantes, le juge peut prononcer une peine inférieure au minimum de la peine prévue. En fonction des circonstances de la cause et des antécédents du contrevenant, le juge peut également estimer qu'il convient de suspendre le prononcé de la condamnation.

B.15.3. Compte tenu de la légèreté de la peine prévue et des possibilités des juges du fond d'adapter la peine au regard des circonstances concrètes de chaque espèce, la disposition attaquée n'entraîne pas d'ingérence disproportionnée dans les droits fondamentaux invoqués par les parties requérantes.

B.16. Le troisième moyen n'est pas fondé.

Le droit de négociation collective (quatrième et cinquième moyens) B.17.1. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 23 et 27 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 11 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec les articles 5 et 6, paragraphe 4, de la Charte sociale européenne révisée, avec l'article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, avec l'article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 3 et 10 de la Convention n° 87 de l'Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Le cinquième moyen est pris de la violation de ces mêmes dispositions, lues en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour examine ces moyens conjointement.

B.17.2. Les parties requérantes font grief à la disposition attaquée de violer les normes de référence précitées en ce qu'elle s'appliquerait aux occupations d'entreprises menées dans le cadre de conflits sociaux et envisagées comme une modalité d'action utilisée dans une négociation collective syndicale.

B.18.1. Il ressort de l'ensemble des travaux préparatoires de la loi attaquée que le législateur avait l'intention de légiférer en matière de « squat ». C'est à la suite d'une observation du Conseil d'Etat que l'intitulé de la loi ne comprend pas ce mot : « L'amendement n° 1 tend à modifier l'intitulé de la proposition de loi à amender en ' proposition de loi relative au cadre légal du squat '. Toutefois, le mot ' squat ' (en néerlandais ' kraken ') n'étant pas une notion juridique, il vaudrait mieux le remplacer par un intitulé plus précis et formulé en des termes plus juridiques » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/004, p. 5).

Les auteurs des différentes propositions et amendements à l'origine de la disposition attaquée avaient en vue le « squattage », défini comme « l'occupation d'un immeuble non utilisé sans l'autorisation de l'ayant droit et sans avoir aucun droit à l'égard du bien » (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1008/001, p. 3, et 2016-2017, DOC 54-1008/007, p. 4) et « l'occupation d'immeubles vides par des squatteurs » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/003, p. 16, et DOC 54-1008/005, p. 15). Les termes « non habité » repris dans la disposition attaquée doivent dès lors, à l'évidence, être compris au sens de « inutilisé » ou « vide ».

B.18.2. Il est exact que le législateur a mentionné que « des bâtiments ou des locaux d'entreprise peuvent également relever du champ d'application de la loi » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/003, p. 17, et DOC 54-1008/005, p. 16), mais cette affirmation s'inscrit dans le cadre de l'énumération des types de locaux qui, une fois vides et inutilisés, sont susceptibles d'être « squattés » et, à ce titre, relèvent du champ d'application de la loi attaquée. En revanche, des bâtiments ou locaux d'une entreprise en activité qui font l'objet d'une occupation dans le cadre d'une action collective ne sont pas des bâtiments « vides » ou « inutilisés ».

B.19. Ainsi que le confirme le Conseil des ministres dans ses écrits de procédure, il peut être déduit de ce qui précède que la disposition attaquée n'est pas applicable aux occupations de locaux d'entreprise dans le cadre d'actions collectives, de conflits sociaux ou de négociations syndicales, qui ne correspondent pas au phénomène habituellement désigné par le terme « squat ». Les parties requérantes donnent dès lors à la disposition attaquée une portée qu'elle n'a pas.

B.20. Compte tenu de ce qui est dit en B.19, les quatrième et cinquième moyens, qui procèdent d'une lecture erronée de la disposition attaquée, ne sont pas fondés.

En ce qui concerne l'article 1344octies inséré dans le Code judiciaire par l'article 7 de la loi attaquée (sixième moyen) B.21.1. L'article 7 de la loi attaquée insère dans le Code judiciaire un article 1344octies, qui dispose : « Tout détenteur d'un droit ou d'un titre sur le bien occupé peut introduire, par requête contradictoire ou, en cas d'absolue nécessité, par requête unilatérale déposée au greffe de la justice de paix, une demande d'expulsion de lieux occupés sans droit ni titre.

La requête contient à peine de nullité : 1. l'indication des jour, mois et an;2. les nom, prénom, profession et domicile du requérant;3. sauf en cas d'introduction de la demande par une requête unilatérale, les nom, prénom et domicile ou, à défaut de domicile, la résidence de la personne contre laquelle la demande est introduite;4. l'objet et l'exposé sommaire des moyens de la demande;5. la signature du requérant ou de son avocat ou, en cas d'introduction de la demande par une requête unilatérale, la signature de l'avocat. En cas d'introduction de la demande par une requête contradictoire, un certificat de domicile de la personne visée à l'alinéa 2, sous le 3 est annexé à la requête. Ce certificat est délivré par l'administration communale.

En cas d'introduction de la demande par une requête contradictoire, les parties ou, en cas d'introduction de la demande par une requête unilatérale, la partie demanderesse sont convoquées par le greffier, sous pli judiciaire, à comparaître, respectivement dans les huit jours ou dans les deux jours de l'inscription de la requête au rôle général, à l'audience fixée par le juge, sans préjudice de sa possibilité de réduire les délais à la demande d'un avocat ou d'un huissier de justice. En cas d'introduction de la demande par une requête contradictoire, une copie de la requête est annexée à la convocation.

Lorsque les parties comparaissent, le juge tente de concilier les parties.

Le juge de paix peut retenir l'affaire à l'audience d'introduction ou la remettre pour qu'elle soit plaidée à une date rapprochée, en fixant la durée des débats. Le jugement indique que les parties n'ont pu être conciliées.

Par dérogation à l'article 747, en cas d'introduction de la demande d'expulsion par une requête contradictoire, les délais pour conclure sont fixés d'office et à une date rapprochée par le juge de paix à l'audience d'introduction. Les parties font valoir leurs observations au plus tard à l'audience d'introduction ».

B.21.2. Les parties requérantes prennent un sixième moyen de la violation, par cette disposition, des articles 10, 11, 13, 15 et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Elles font grief à la disposition attaquée de permettre au détenteur d'un titre ou d'un droit sur le bien occupé de saisir le juge de paix par le moyen d'une requête unilatérale, ce qui serait contraire au droit d'accès à un juge et au droit au procès équitable.

B.22. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 13 de la Constitution implique un droit d'accès au juge compétent. Ce droit est également garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. L'article 15 de la Constitution garantit l'inviolabilité du domicile. Le droit au respect du domicile est également garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. L'article 23 de la Constitution et l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, cités en B.11, concernent notamment le droit à un logement décent.

Comme il est dit en B.12.2, le moyen, en ce qu'il est pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ne doit pas être examiné.

B.23.1. L'introduction de la demande par requête unilatérale, qui est une procédure exceptionnelle, a pour effet que les occupants du bien visé peuvent se trouver confrontés à une décision judiciaire exécutoire ordonnant leur expulsion, sans qu'ils aient pu au préalable mener une défense contradictoire à ce sujet.

B.23.2. La Cour européenne des droits de l'homme considère que « la qualification de ' domicile ' donnée à un immeuble est une question de fait non subordonnée au respect par l'occupant des règles de droit interne », de sorte que l'expulsion d'un local, même occupé illégalement mais étant néanmoins le domicile de l'intéressé, constitue une ingérence dans son droit au respect de son domicile (CEDH, 13 mai 2008, McCann c. Royaume-Uni, § 46; 29 mai 2012, Bjedov c. Croatie, § 58;21 avril 2016, Ivanova et Cherkezov c. Bulgarie, § 49).

Lorsque les lieux occupés sans titre ni droit le sont en tant que domicile, l'exécution de cette décision peut donc constituer une ingérence dans leur droit à l'inviolabilité du domicile et au respect de la vie privée.

B.24.1. L'intervention préalable d'un juge indépendant et impartial, dans le respect des garanties juridictionnelles et, notamment, du droit d'accès à un juge et du droit de la défense de la partie contre qui est dirigée la demande d'expulsion des lieux occupés est dès lors une garantie essentielle pour assurer le respect des droits fondamentaux en cause.

B.24.2. Dérogeant au principe fondamental du contradictoire, la requête unilatérale ne peut être utilisée que dans les cas prévus par la loi et aux conditions que celle-ci détermine. La disposition attaquée limite expressément la possibilité d'introduire l'action par requête unilatérale aux cas « d'absolue nécessité ». L'absolue nécessité peut résulter, en l'espèce, de la circonstance qu'il est impossible d'identifier la partie adverse. Le législateur a précisé à cet égard : « Cela implique que tout doit être mis en oeuvre, dans la mesure du raisonnable, afin de découvrir l'identité des squatteurs » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/007, p. 18).

B.25.1. Compte tenu de l'importance des droits en cause, la possibilité d'introduire la demande d'expulsion par requête unilatérale offerte par la disposition attaquée doit être interprétée comme étant limitée aux cas où, malgré les tentatives du requérant en ce sens, il ne lui a pas été possible de déterminer l'identité d'aucun des occupants du bien. Dans cette situation, il n'est pas déraisonnable de permettre au détenteur d'un droit ou d'un titre sur le bien occupé de saisir le juge de paix par requête unilatérale, sous peine de lui dénier toute possibilité d'accès au juge.

B.25.2. Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.25.1, le sixième moyen n'est pas fondé.

En ce qui concerne l'article 1344decies inséré dans le Code judiciaire par l'article 9 de la loi attaquée (septième et huitième moyens) B.26.1. L'article 9 de la loi attaquée insère dans le Code judiciaire un article 1344decies, qui dispose : « En cas d'expulsion visée à l'article 1344novies, § 1er, le juge fixe l'exécution de l'expulsion à partir du huitième jour suivant la signification du jugement, sauf s'il précise par décision motivée que, en raison de circonstances exceptionnelles et graves, notamment les possibilités de reloger la personne qui occupe un lieu sans droit ni titre dans des conditions suffisantes respectant l'unité, les ressources financières et les besoins de la famille, en particulier pendant l'hiver, un délai plus long s'avère justifié. Dans ce dernier cas, le juge fixe le délai dans lequel l'expulsion ne peut pas être exécutée, en tenant compte de l'intérêt des parties et dans les conditions qu'il détermine. Lorsque le titre ou le droit appartient à une personne physique ou une personne morale de droit privé, ce délai ne peut pas être supérieur à un mois. Lorsque le titre ou le droit appartient à une personne morale de droit public, ce délai ne peut pas être supérieur à six mois. Si la demande est introduite par une requête unilatérale, la signification peut avoir lieu par affichage à la façade du lieu occupé sans droit ni titre.

En tout état de cause, l'huissier de justice avise la personne qui occupe le lieu sans droit ni titre de la date effective de l'expulsion en respectant un délai de cinq jours ouvrables ».

B.26.2. Le septième moyen est pris de la violation, par cette disposition, des articles 13, 22bis et 23 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Le huitième moyen est pris de la violation des mêmes dispositions, ainsi que des articles 10, 11 et 15 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Les parties requérantes font grief au législateur d'avoir limité le pouvoir d'appréciation du juge de paix, saisi d'une demande d'expulsion, en prévoyant les délais maximums dans lesquels l'expulsion ordonnée doit être exécutée et d'avoir ainsi porté atteinte au droit au logement, au droit à la protection et à l'inviolabilité du domicile et au droit d'accès à un juge des occupants du local concerné par la demande d'expulsion. Elles font également grief au législateur d'avoir retenu, pour distinguer les délais maximums à un et à six mois, le critère de la nature publique ou privée du titulaire du titre ou du droit sur le bien.

B.26.3. Comme il est dit en B.12.2, le moyen, en ce qu'il est pris de la violation de l'article 23 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ne doit pas être examiné.

B.27. Le législateur entendait veiller à un équilibre entre, d'une part, les intérêts des titulaires d'un titre ou d'un droit sur l'immeuble, en l'occurrence le rétablissement rapide de la jouissance de cet immeuble et, d'autre part, les intérêts des occupants sans titre ni droit, en l'occurrence l'existence ou non de circonstances graves et exceptionnelles dans lesquelles ils pourraient se trouver en cas d'exécution rapide d'une expulsion ou d'une évacuation de l'immeuble concerné (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/003, p. 20, et DOC 54-1008/006, p.20).

Concernant la différence sur le plan de la prolongation maximale du délai suivant que le bien concerné appartient à une personne physique ou morale de droit privé ou à une personne morale de droit public, la justification de l'amendement qui a introduit cette distinction mentionne : « Dans le cas d'un bien appartenant à un propriétaire privé, ce délai maximal [d'un mois] semble justifié afin de rendre au propriétaire la jouissance de son bien dans un délai raisonnable.

En revanche, dans le cas d'un bien appartenant à une autorité publique, les auteurs du présent amendement considèrent que le juge de paix doit pouvoir, dans des circonstances exceptionnelles et graves, prévoir un délai supérieur. En effet, il a été rappelé lors des auditions en Commission de la Justice que les autorités publiques devaient oeuvrer à permettre à tous les citoyens l'accès à un logement décent. Dans certaines circonstances, l'occupation de biens vient suppléer aux manquements des autorités publiques en la matière.

Celles-ci doivent donc être davantage tenues pour responsables de l'utilisation des biens dont elles disposent. Le juge de paix doit donc pouvoir, à la lumière des circonstances de la cause et par décision motivée, octroyer aux occupants d'un bien appartenant à une autorité publique un délai qu'il juge raisonnable, sans que ce délai ne puisse excéder six mois » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/006, pp. 20-21).

B.28. Comme il est dit en B.23.2, lorsque le bien occupé sans titre ni droit constitue le domicile de ses occupants, la mesure d'expulsion ordonnée par le juge de paix constitue une ingérence dans leur droit au respect de la vie privée et au respect de leur domicile.

L'importance de l'atteinte à ces droits et les principes du procès équitable commandent que le juge de paix soit en mesure de prendre, dans chaque cas d'espèce, une décision qui tienne compte de tous les droits et intérêts en présence et de toutes les circonstances de la cause.

B.29.1. La disposition attaquée permet au juge de paix de tenir compte des circonstances concrètes de la cause en l'autorisant, dans certaines limites, à fixer un délai dans lequel l'expulsion ne peut être exécutée, ce qui atténue l'incidence trop immédiate, sur les occupants concernés, d'une décision judiciaire défavorable. En fixant un délai d'attente de minimum 8 jours que le juge est tenu de respecter par rapport à l'exécution de l'expulsion ou de l'évacuation, ces occupants sans titre ni droit disposent, dans des circonstances normales, de suffisamment de temps pour quitter volontairement l'immeuble et, le cas échéant, rechercher un logement décent ou une place d'accueil par les procédures idoines auprès des instances publiques compétentes.

En outre, en cas de circonstances graves et exceptionnelles, le juge de paix peut prolonger ce délai d'attente dans certaines limites afin de répondre aux éventuels besoins ou problèmes d'exécution dans le chef des occupants sans titre ni droit. Lors de la détermination de l'équilibre mentionné en B.27, le législateur a pu estimer que l'exécution rapide, et donc le rétablissement de la jouissance du bien au profit d'une personne physique ou d'une personne morale de droit privé, l'emportent et peuvent être suspendus pendant un mois maximum.

En tenant compte des obligations qui incombent à l'autorité publique en matière de logement lors de la détermination des limites maximales en ce qui concerne la prolongation du délai d'attente par le juge, et donc lors du rétablissement de la jouissance du bien dans le chef du titulaire du titre ou du droit, le législateur, en portant le délai à six mois pour les personnes morales de droit public, a utilisé un critère objectif et pertinent.

Cette prolongation maximale de la suspension de l'exécution de la décision permet d'ailleurs, quelle que soit la nature du titulaire du titre ou des droits sur l'immeuble, de tenir compte des circonstances particulières dans le chef des occupants concernés.

B.29.2. A la lumière de l'objectif de veiller à un équilibre, mentionné en B.27, la disposition attaquée n'est dès lors pas dépourvue de justification raisonnable.

Les septième et huitième moyens ne sont pas fondés.

En ce qui concerne l'article 12 de la loi attaquée (neuvième et dixième moyens) B.30.1. L'article 12 de la loi attaquée dispose : « § 1er. Dans les cas visés à l'article 442/1, § 1er, du Code pénal, le procureur du Roi peut, en motivant sa décision sur ce point et dans le respect de la présomption d'innocence, ordonner à la demande du détenteur d'un droit ou d'un titre sur le bien concerné l'évacuation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance d'évacuation visée au paragraphe 2, alinéa 2, faite aux personnes qui se trouvent dans le bien. Le procureur du Roi prend une ordonnance après avoir entendu celles-ci sauf si l'audition ne peut être réalisée en raison des circonstances concrètes de la cause.

Le procureur du Roi ne peut prendre une ordonnance que lorsque, compte tenu des éléments disponibles, la demande visée à l'alinéa 1er semble manifestement fondée à première vue.

Il mentionne les circonstances propres à la demande justifiant la mesure d'évacuation dans l'ordonnance.

Un procès-verbal de notification, constitué d'une copie de l'ordonnance et de la date et de l'heure de la notification, est dressé et joint au dossier. § 2. L'ordonnance du procureur du Roi est consignée par écrit et contient entre autres : 1° une description du lieu concerné par la mesure et l'indication de l'adresse du bien qui fait l'objet de l'ordonnance;2° les faits et circonstances qui ont donné lieu à l'ordonnance;3° les nom, prénoms et domicile du requérant et une indication du droit ou du titre dont celui-ci se prévaut à l'égard du bien concerné;4° le délai visé au paragraphe 1er, alinéa 1er;5° les sanctions qui pourront être imposées en cas de non-respect de cette ordonnance d'évacuation, notamment celles visées à l'article 442/1, § 2, du Code pénal;6° la possibilité de recours et le délai dans lequel ledit recours doit être introduit. Cette ordonnance est affichée à un endroit visible du bien concerné.

Une copie de l'ordonnance est transmise par le moyen de communication le plus approprié au chef de corps de la police locale de la zone de police au sein de laquelle se situe le bien concerné par l'ordonnance, ainsi qu'au détenteur du droit ou du titre sur le bien concerné et au Centre public d'action sociale compétent.

Le procureur du Roi se charge de l'exécution de l'ordonnance d'évacuation. § 3. Toute personne qui estime que ses droits sont lésés par l'ordonnance du procureur du Roi peut former un recours contre cette ordonnance par requête contradictoire motivée déposée au greffe de la justice de paix du canton où le bien concerné est situé dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance par affichage visible sur le bien à évacuer, et ce, à peine de déchéance.

Le recours est suspensif. L'ordonnance du procureur du Roi ne peut pas être exécutée tant que le délai pour introduire ce recours court toujours.

Ce recours n'est pas suspendu pendant une action publique fondée en tout ou en partie sur les mêmes faits. § 4. Dans les vingt-quatre heures du dépôt de la requête, le juge de paix fixe les date et heure de l'audience au cours de laquelle la cause peut être instruite. L'audience a lieu au plus tard dans les dix jours qui suivent le dépôt de la requête. Par dérogation à l'article 1344octies du Code judiciaire, un certificat de résidence n'est pas requis pour le dépôt de la requête.

Par pli judiciaire, le greffier notifie sans délai le lieu, les date et heure de l'audience à la personne qui forme un recours contre l'ordonnance ainsi qu'au détenteur d'un droit ou d'un titre sur le bien. Il communique également les jours et heures de l'audience au procureur du Roi qui a pris l'ordonnance d'évacuation. Une copie de la requête est jointe au pli judiciaire.

Le juge de paix statue après avoir convoqué les parties présentes afin de les entendre et après avoir tenté une conciliation entre elles.

Sauf disposition contraire, la procédure se déroule comme déterminé à l'article 1344octies du Code judiciaire.

Le juge de paix statue sur le bien-fondé de l'évacuation et sur le droit ou le titre invoqué. En cas de circonstances exceptionnelles et graves visées notamment à l'article 1344decies, alinéa 1er du Code judiciaire, le juge de paix peut, par décision motivée, fixer un délai plus long que le délai prévu dans l'ordonnance du procureur du Roi.

Lorsque le titre ou le droit appartient à une personne physique ou une personne morale de droit privé, ce délai ne peut pas être supérieur à un mois. Lorsque le titre ou le droit appartient à une personne morale de droit public, ce délai ne peut pas être supérieur à six mois.

Le juge de paix se prononce au plus tard dans les dix jours qui suivent l'audience.

La décision du juge de paix n'est pas susceptible d'appel ».

B.30.2. Le neuvième moyen est pris de la violation, par cette disposition, des articles 10, 11, 13, 40, 144, alinéa 1er, 151, § 1er, et 153 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le dixième moyen est pris à titre subsidiaire de la violation des articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, par la première phrase du deuxième alinéa du deuxième paragraphe de cette disposition relative à la notification de l'ordonnance du procureur du Roi par affichage.

B.31.1. La disposition attaquée permet, dans les cas visés à l'article 442/1, § 1er, du Code pénal, soit en cas de pénétration, d'occupation ou de séjour sans titre ni droit dans un lieu non habité, au procureur du Roi d'ordonner l'évacuation des lieux concernés, à la demande du détenteur d'un droit ou d'un titre sur le bien, « lorsque la demande semble manifestement fondée à première vue ». Le Conseil des ministres souligne à cet égard que l'occupation du bien d'autrui sans titre ni droit étant une infraction pénale, le procureur du Roi agit effectivement dans la recherche et la poursuite d'infractions pénales lorsqu'il adopte une ordonnance visant à l'évacuation du bien. La justification de l'amendement à l'origine de la disposition attaquée indique qu'elle fait partie des « nouvelles dispositions pénales [...] proposées » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/003, p. 18, et DOC 54-1008/005, p. 18). Le rapport indique sur ce point que « [les auteurs] introduisent un volet pénal. Le titulaire (propriétaire, locataire...) peut également choisir d'immédiatement porter plainte au pénal et il peut, dans le même temps, demander en attendant au procureur du Roi de délivrer une ordonnance d'expulsion. M. [...] souligne qu'il ne peut être question d'infraction de squattage que si une plainte a été déposée au pénal et qu'elle est suivie d'une condamnation » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1008/007, p. 11).

B.31.2. Cette disposition confère au procureur du Roi, dans le cadre d'une procédure pénale mue à la suite d'une plainte déposée sur la base de l'article 442/1, § 1er, du Code pénal, le pouvoir d'apprécier prima facie le caractère manifestement fondé d'une demande en justice, demande qui tend à faire cesser les conséquences d'une infraction pénale. Même si la disposition attaquée précise que ce pouvoir s'exerce « dans le respect de la présomption d'innocence », le constat par le procureur du Roi que la demande d'évacuation des lieux non habités occupés « semble manifestement fondée à première vue » implique que les occupants du bien d'autrui sont, à première vue, manifestement coupables d'avoir commis l'infraction visée par l'article 442/1, § 1er, du Code pénal.

B.32.1. Lorsque le bien non habité et occupé sans titre ni droit constitue le domicile des personnes concernées, l'ordonnance d'évacuation du procureur du Roi constitue une ingérence, comme il est dit en B.23, dans leur droit au respect de la vie privée et dans leur droit à l'inviolabilité du domicile. Comme il est dit en B.24.1, l'intervention préalable d'un juge indépendant et impartial, dans le respect des garanties juridictionnelles et, notamment, du droit d'accès à un juge et des droits de la défense de la partie contre qui est dirigée la demande d'évacuation, est dès lors une garantie essentielle pour assurer le respect des droits fondamentaux en cause.

Sa mise en oeuvre doit faire l'objet d'un contrôle par un juge indépendant et impartial.

B.32.2. En principe, il ne revient pas au ministère public d'ordonner des mesures portant atteinte aux droits et libertés individuels. Comme la Cour l'a déjà jugé précédemment, des dispositions qui supposent une mesure contraignante ou une violation de droits individuels et de libertés ne peuvent être exécutées qu'avec l'autorisation et sous le contrôle d'un juge (voir l'arrêt n° 174/2018 du 6 décembre 2018, B.14.4).

B.32.3. Les occupants du bien non habité sont entendus par le procureur du Roi, « sauf si l'audition ne peut être réalisée en raison des circonstances concrètes de la cause ». Confrontés à une ordonnance d'évacuation prise par le procureur du Roi, ils ont la possibilité d'introduire un recours suspensif contre celle-ci auprès du juge de paix, dans un délai de huit jours. Toutefois, la saisine du juge de paix nécessite l'exercice de cette voie de recours. Elle suppose aussi qu'ils aient pris connaissance de l'ordonnance, laquelle ne leur est notifiée que par affichage sur le bien à évacuer, et qu'ils y réagissent dans un délai relativement court. Il en résulte que la mise en oeuvre de l'ordonnance d'évacuation prise par le procureur du Roi ne fait pas nécessairement l'objet d'un contrôle par un juge indépendant et impartial.

B.33. Les neuvième et dixième moyens sont fondés dans cette mesure. Il convient d'annuler l'article 12 de la loi attaquée. Il convient d'annuler également, dans l'article 442/1, § 2, du Code pénal, introduit par l'article 3 de la loi attaquée, les mots « à l'ordonnance d'évacuation visée à l'article 12, § 1er, de la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui ou », qui sont indissociablement liés à la disposition annulée.

En ce qui concerne l'article 442/1, § 2, inséré dans le Code pénal par l'article 3 de la loi attaquée (onzième moyen) B.34.1. L'article 3 de la loi attaquée insère dans le Code pénal un article 442/1, § 2, qui dispose : « Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de vingt-six euros à deux cents euros ou d'une de ces peines seulement, celui qui, dans le délai fixé, ne donnera pas suite à l'ordonnance d'évacuation visée à l'article 12, § 1er, de la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui ou à l'expulsion visée à l'article 1344decies du Code judiciaire ».

B.34.2. Le onzième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par cette disposition. Les parties requérantes font grief au législateur de créer une discrimination entre les justiciables qui n'exécutent pas spontanément le jugement d'expulsion, qui s'exposent à des poursuites pénales, et les justiciables qui restent en défaut d'exécuter toute autre décision de justice qui ne s'exposent pas à de telles poursuites.

B.34.3. Il résulte de l'annulation partielle de la disposition attaquée, en ce qu'elle est indissociablement liée à l'article 12 de la loi attaquée, que le onzième moyen ne doit être examiné qu'en ce qui concerne l'incrimination du fait de ne pas donner suite à l'expulsion visée à l'article 1344decies du Code judiciaire.

B.35.1. Le législateur a pu considérer, eu égard au phénomène de l'occupation sans titre ni droit de biens appartenant à autrui, qu'il convenait d'inciter particulièrement les occupants à exécuter spontanément le jugement d'expulsion rendu par le juge de paix à l'issue du délai accordé par celui-ci. Il a pu estimer, à cet égard, que la menace d'une sanction pénale en cas de non-exécution serait adéquate pour atteindre cet objectif.

B.35.2. Dès lors que les occupants visés par le jugement d'expulsion ont eu, en principe, l'occasion de faire valoir leurs arguments lors de la procédure devant le juge de paix ou lors du recours contre la décision prise par celui-ci, l'incrimination du fait de ne pas donner suite au jugement d'expulsion visé à l'article 1344decies du Code judiciaire n'emporte pas d'effets disproportionnés à leur égard.

B.36. Le onzième moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour 1. annule : l'article 12 de la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer « relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui »; dans l'article 442/1, § 2, du Code pénal, inséré par l'article 3 de la même loi, les mots « à l'ordonnance d'évacuation visée à l'article 12, § 1er, de la loi du 18 octobre 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/10/2017 pub. 06/11/2017 numac 2017013896 source service public federal justice Loi relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui fermer relative à la pénétration, à l'occupation ou au séjour illégitimes dans le bien d'autrui ou »; 2. compte tenu de ce qui est dit en B.19 et sous réserve de l'interprétation de l'article 1344octies du Code judiciaire mentionnée en B.25.1, rejette le recours pour le surplus.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 12 mars 2020.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux F. Daoût

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