publié le 12 août 2016
Extrait de l'arrêt n° 96/2016 du 16 juin 2016 Numéro du rôle : 6268 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1211, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle, co après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 96/2016 du 16 juin 2016 Numéro du rôle : 6268 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1211, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire, posée par la Cour d'appel de Gand.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 1er octobre 2015 en cause de Joost Berckx contre Veerle Van Raemdonck, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 octobre 2015, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1211, § 2, alinéa 6, du Code judiciaire (tel qu'il a été modifié par l'article 5 de la loi du 13 août 2011Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/08/2011 pub. 14/09/2011 numac 2011009623 source service public federal justice Loi réformant la procédure de liquidation-partage judiciaire fermer réformant la procédure de liquidation-partage judiciaire) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition légale en matière de liquidation-partage judiciaire exclut tout recours contre une décision judiciaire relative au remplacement du notaire-liquidateur, alors que des voies de recours ne sont pas exclues contre une décision judiciaire de désignation d'un notaire-liquidateur en application de l'article 1210, § 1er, du Code judiciaire ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La Cour est interrogée au sujet de la compatibilité de l'article 1211, § 2, dernier alinéa, du Code judiciaire avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que dans le cadre d'un partage judiciaire, la décision relative au remplacement du notaire-liquidateur n'est susceptible d'aucun recours, alors que la décision relative à la désignation du notaire-liquidateur sur la base de l'article 1210 du Code judiciaire, peut faire l'objet d'un recours.
Il ressort de la décision de renvoi que la demande de remplacement a été faite par les parties au partage judiciaire. La Cour limite son examen à cette hypothèse.
B.1.2. L'article 1210 du Code judiciaire dispose : « § 1er. S'il ordonne le partage, le tribunal renvoie les parties devant le notaire-liquidateur sur la personne duquel elles s'accordent ou, sur demande motivée des parties, devant les deux notaires-liquidateurs dont elles sollicitent conjointement la désignation.
A défaut d'accord des parties ou s'il estime que la désignation de deux notaires-liquidateurs ne se justifie pas, le tribunal renvoie les parties devant un autre notaire-liquidateur qu'il désigne. § 2. Si le tribunal désigne deux notaires-liquidateurs, ceux-ci agissent conjointement, conformément aux dispositions de la présente section.
Par dérogation aux articles 5 et 6, 1°, de la loi du 16 mars 1803Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/03/1803 pub. 28/10/2009 numac 2009000678 source service public federal interieur Loi contenant organisation du notariat Coordination officieuse en langue allemande fermer contenant organisation du notariat, les deux notaires-liquidateurs instrumentent conjointement dans les ressorts territoriaux de chacun d'eux. § 3. Sans préjudice de l'application du § 4, lorsque deux notaires-liquidateurs ont été désignés, celui des deux dont le nom figure en premier ordre dans la décision est chargé de la garde des minutes. § 4. Si, dans le cadre du partage ordonné, le notaire-liquidateur est appelé à agir en dehors de son ressort territorial, celui-ci désigne pour ces opérations un notaire territorialement compétent. § 5. Sans préjudice des dispositions du livre premier de la quatrième partie et sauf décision contraire du tribunal, les parties provisionnent le notaire-liquidateur par parts égales ».
B.1.3. L'article 1211 du Code judiciaire dispose : « § 1er. En cas de refus, d'empêchement du notaire-liquidateur ou s'il existe des circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou son indépendance, le tribunal pourvoit à son remplacement.
Le notaire-liquidateur dont les parties ont sollicité conjointement la désignation ne peut être remplacé à la demande de l'une d'elles que pour des causes survenues ou connues depuis sa désignation.
Sans préjudice de l'article 1220, §§ 2 et 3, aucun remplacement ne peut être demandé par l'une des parties après l'ouverture des opérations, à moins que le motif invoqué n'ait été révélé ultérieurement à la partie qui le sollicite.
En cas d'appel de la décision visée aux articles 1209, § 1er, et 1210, la demande de remplacement est formée devant le juge d'appel. Le remplacement ne peut alors être ultérieurement demandé sur la base des moyens soumis au juge d'appel. § 2. La partie ou le notaire-liquidateur qui propose des moyens de remplacement les présente par simple demande écrite déposée ou adressée au tribunal ayant désigné le notaire-liquidateur.
Le greffe notifie cette demande, par pli judiciaire, aux parties et au notaire-liquidateur.
Dans les quinze jours de cette notification, le notaire-liquidateur adresse, le cas échéant, ses observations au tribunal et aux parties.
Passé ce délai, le greffe convoque les parties et le notaire-liquidateur par pli judiciaire, pour une audience en chambre du conseil.
S'il accueille la demande, le tribunal nomme d'office, en lieu et place du notaire-liquidateur remplacé, un nouveau notaire-liquidateur qu'il désigne ou sur le choix duquel les parties se sont accordées.
La décision relative au remplacement n'est susceptible d'aucun recours ».
B.2.1. L'article 5 de la loi du 13 août 2011Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/08/2011 pub. 14/09/2011 numac 2011009623 source service public federal justice Loi réformant la procédure de liquidation-partage judiciaire fermer a remplacé les dispositions relatives au partage judiciaire prévues par les articles 1207 et suivants du Code judiciaire. La réforme globale de la procédure avait été dictée par le souci du législateur de rendre le partage judiciaire plus efficace et plus transparent et de répondre à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a jugé que la procédure de liquidation-partage devant un notaire doit garantir les droits reconnus par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, et doit être réglée en manière telle qu'elle puisse se dérouler dans un délai raisonnable (CEDH, 28 novembre 2000, Siegel c. France, paragraphes 38 et 44; 23 septembre 2003, Dumas c. France, paragraphes 36 et 41).
B.2.2. La réforme avait donc pour but d'« accélérer la procédure, en ce compris la phase notariale de celle-ci, en mettant notamment en place des solutions permettant d'éviter les situations de blocage, en évitant les recours inutiles au tribunal pendant la phase notariale de la procédure et en instaurant des délais contraignants pour les parties et le notaire-liquidateur » (Doc. parl., Sénat, 2010-2011, n° 5-405/1, pp. 2-3). Le législateur a indiqué que « dans la perspective d'une procédure plus efficace et d'une lutte accrue contre l'arriéré judiciaire, le rôle du juge mérite une attention particulière. Les péripéties procédurales inutiles et les interventions judiciaires superflues, parce qu'essentiellement formelles, doivent dès lors être évitées. La lutte contre l'arriéré judiciaire se traduit également à ce niveau » (Doc. parl., Sénat, 2010-2011, n° 5-405/1, p. 2).
B.2.3. Dans la procédure de partage judiciaire, le notaire-liquidateur joue un rôle central que le législateur a voulu renforcer « en insistant davantage sur sa mission d'auxiliaire de justice, sur sa nécessaire impartialité, en lui reconnaissant certaines prérogatives nouvelles et en lui conférant les moyens de mener les opérations sans désemparer, nonobstant l'inaction des parties » (Doc. parl., Sénat, 2010-2011, n° 5-405/1, p. 3).
B.3. L'article 1210, § 1er, du Code judiciaire prévoit que si le tribunal ordonne le partage, il désigne un seul notaire-liquidateur ou, sur demande motivée des parties, deux notaires-liquidateurs sur lesquels les parties s'accordent. A défaut d'accord entre les parties ou si le tribunal estime que la désignation de deux notaires-liquidateurs ne se justifie pas, le tribunal désigne lui-même un autre notaire-liquidateur.
La décision par laquelle le tribunal ordonne le partage judiciaire et désigne un notaire-liquidateur est un jugement définitif contre lequel un appel peut être formé sur la base des articles 616 et 1050 du Code judiciaire. Conformément à l'article 1224/2 du Code judiciaire, cet appel n'opère pas d'effet dévolutif. Une fois l'appel tranché, la cause est renvoyée au premier juge.
B.4.1. Conformément à l'article 1211, § 1er, du Code judiciaire, une partie ou le notaire-liquidateur désigné peut introduire une demande de remplacement auprès du tribunal qui a désigné le notaire-liquidateur en cas de refus ou d'empêchement du notaire-liquidateur ou s'il existe des circonstances de nature à soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou son indépendance (alinéa 1er).
Dans le but d'éviter des demandes intempestives, le notaire-liquidateur dont les parties ont sollicité conjointement la désignation ne peut être remplacé que pour des causes survenues ou connues depuis sa désignation (alinéa 2) (Doc. parl., Sénat, 2010-2011, n° 5-405/1, p. 25).
En outre, sans préjudice de l'article 1220, §§ 2 et 3, aucun remplacement ne peut être demandé après l'ouverture des opérations, à moins que la partie requérante n'ait pris connaissance de son motif qu'ultérieurement (alinéa 3). S'il accueille la demande, le tribunal nomme d'office un nouveau notaire-liquidateur qu'il désigne ou sur le choix duquel les parties se sont accordées (alinéa 4).
B.4.2. L'article 1211, § 2, du Code judiciaire règle la procédure de remplacement du notaire-liquidateur. Lors des travaux préparatoires, il a été souligné que la procédure se poursuit selon des délais volontairement brefs, afin d'éviter tout retard (Doc. parl., Sénat, 2010-2011, n° 5-405/1, pp. 14 et 25). La décision par laquelle le tribunal accueille ou rejette la demande de remplacement n'est susceptible d'aucun recours, conformément à l'article 1211, § 2, dernier alinéa, du Code judiciaire.
B.5.1. Selon le Conseil des ministres, les catégories de personnes visées par la question préjudicielle se trouvent dans des situations qui ne sont pas comparables.
B.5.2. Puisque dans les deux cas, les parties peuvent être confrontées à un jugement relatif au choix du notaire-liquidateur sur lequel elles ne s'accordent pas, les deux catégories de personnes sont comparables.
B.6.1. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ne garantit pas le droit à un double degré de juridiction. Sauf en matière pénale, il n'existe en outre aucun principe général énonçant une telle garantie.
B.6.2. Toutefois, lorsque le législateur prévoit une faculté d'appel vis-à -vis de certaines décisions judiciaires, il ne peut priver de cette possibilité des justiciables qui se trouvent dans une situation comparable sans justification raisonnable.
B.7.1. Comme il est dit en B.2, en adoptant la loi du 13 août 2011Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/08/2011 pub. 14/09/2011 numac 2011009623 source service public federal justice Loi réformant la procédure de liquidation-partage judiciaire fermer, le législateur avait pour objectif de mettre en place une procédure de partage judiciaire efficace et plus transparente, susceptible de s'achever dans un délai raisonnable, conformément à l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, ce qui constitue un objectif légitime.
B.7.2. La différence de traitement entre les parties impliquées dans la désignation initiale du notaire-liquidateur et celles impliquées dans son remplacement repose sur un critère objectif, à savoir l'état de la procédure dans laquelle cette décision est prise : dans le premier cas, la décision relative au choix du notaire-liquidateur précède la procédure de liquidation et partage, alors que dans le second cas, il s'agit d'un incident au cours du déroulement de la procédure. La mesure qui consiste à ne pas prévoir la possibilité d'appel d'une décision relative à une demande de remplacement est également pertinente à la lumière de l'objectif poursuivi par le législateur, qui est de ne pas ralentir inutilement la procédure de partage et de respecter l'exigence d'un délai raisonnable.
B.8.1. Les parties impliquées dans le partage judiciaire sont associées à la désignation du notaire-liquidateur sur la base de l'article 1210 du Code judiciaire, dans la mesure où le choix leur revient en premier lieu. Si le tribunal désigne un notaire sur le choix duquel elles ne s'accordent pas, elles peuvent faire appel de cette décision.
B.8.2. Si la procédure de partage fait apparaître des motifs de nature à soulever des doutes légitimes sur l'indépendance et l'impartialité du notaire-liquidateur, elles peuvent encore en demander le remplacement au juge dans les conditions prévues à l'article 1211, § 1er, du même Code.
B.8.3. Si le remplacement est refusé, chaque partie a toujours la possibilité d'introduire devant le juge une nouvelle demande de remplacement du notaire-liquidateur sur la base d'autres faits et d'autres moyens pouvant justifier le remplacement. Si le tribunal accueille la demande de remplacement, chaque partie qui ne peut se rallier à cette décision peut introduire une demande de remplacement du nouveau notaire-liquidateur, dans les cas et aux conditions énoncés par l'article 1211, § 1er, du Code judiciaire.
Conformément à l'article 1220, §§ 2 et 3, du Code judiciaire, chaque partie peut également saisir le tribunal si le notaire-liquidateur n'agit pas dans les délais convenus ou fixés par la loi, le tribunal ne pouvant pourvoir à son remplacement si toutes les parties s'y opposent.
B.8.4. Enfin, chaque partie peut formuler des contredits contre la mise en oeuvre concrète du partage judiciaire par le notaire-liquidateur. A la fin des opérations, le notaire-liquidateur établit un état liquidatif contenant le projet de partage. Lorsqu'au moins une des parties émet des contredits contre cet état, le notaire-liquidateur est tenu de dresser un procès-verbal des litiges ou difficultés, qu'il doit communiquer avec son avis écrit au tribunal, lequel doit prendre une décision après avoir entendu les parties. Le tribunal peut renvoyer l'état liquidatif au notaire-liquidateur pour qu'il établisse un état liquidatif complémentaire conforme à ses directives (article 1223 du Code judiciaire). S'il y a à nouveau des contredits qui ne peuvent porter que sur l'adaptation de l'état liquidatif contenant le projet de partage, sur des litiges ou difficultés liés à cette adaptation ou sur de nouvelles pièces ou de nouveaux faits déterminants, la procédure se poursuit de la même manière que pour l'instruction des contredits à l'égard de l'état liquidatif initial. La décision du tribunal est susceptible d'appel.
B.9. Compte tenu du déroulement de la procédure de partage judiciaire dans son ensemble, l'impossibilité de former appel de la décision du juge concernant la demande de remplacement du notaire-liquidateur ne constitue pas une limitation disproportionnée des droits des parties impliquées dans le partage judiciaire.
B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1211, § 2, dernier alinéa, du Code judiciaire ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 juin 2016.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot