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Arrêt
publié le 25 septembre 2013

Extrait de l'arrêt n° 93/2013 du 19 juin 2013 Numéro du rôle : 5447 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 342, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Liège.

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 93/2013 du 19 juin 2013 Numéro du rôle : 5447 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 342, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, des juges A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke et P. Nihoul, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite R. Henneuse, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 25 juin 2012 en cause de Didier Petit contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 juillet 2012, le Tribunal de première instance de Liège a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 342, § 3, du C.I.R./92 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que les minima imposables établis par le Roi en exécution du § 2 de cette disposition sont applicables à toute entreprise et titulaire de profession libérale quelle que soit la durée de l'activité exercée au cours de l'exercice d'imposition en cause ? L'article 342, § 3, du C.I.R./92 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que cette disposition instaure un minimum imposable et ne laisse pas au contribuable la possibilité d'établir le chiffre exact de ses revenus imposables ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 342 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992) dispose : « § 1er. A défaut d'éléments probants fournis soit par les intéressés, soit par l'administration, les bénéfices ou profits visés à l'article 23, § 1er, 1° et 2°, sont déterminés, pour chaque contribuable, eu égard aux bénéfices ou profits normaux d'au moins trois contribuables similaires et en tenant compte, suivant le cas, du capital investi, du chiffre d'affaires, du nombre d'ouvriers, de la force motrice utilisée, de la valeur locative des terres exploitées, ainsi que de tous autres renseignements utiles.

L'administration peut, à cet effet, arrêter, d'accord avec les groupements professionnels intéressés, des bases forfaitaires de taxation.

Les bases forfaitaires de taxation visées à l'alinéa qui précède peuvent être arrêtées pour trois exercices d'imposition successifs.

L'administration peut également arrêter, d'accord avec les groupements professionnels intéressés, des forfaits pour l'évaluation des dépenses ou charges professionnelles qu'il n'est généralement pas possibles de justifier au moyen de documents probants. § 2. Le Roi détermine, eu égard aux éléments indiqués au § 1er, alinéa 1er, le minimum des bénéfices imposables dans le chef des firmes étrangères opérant en Belgique. § 3. En cas d'absence de déclaration ou de remise tardive de celle-ci, les minima imposables établis par le Roi en exécution du § 2 sont également applicables à toute entreprise et titulaire de profession libérale ».

B.2. Pris en application du paragraphe 2 de la disposition précitée, l'article 182 de l'arrêté royal d'exécution du CIR 1992 dispose : « § 1er. Le minimum des bénéfices imposables dans le chef des firmes étrangères opérant en Belgique qui sont taxables selon la procédure de comparaison prévue à l'article 342, § 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, ainsi que, en cas d'absence de déclaration ou de remise tardive de celle-ci, le minium des bénéfices imposables dans le chef des entreprises belges, sont fixés comme suit : 1° exploitations agricoles, exploitations horticoles ou pépinières : barème forfaitaire établi pour les contribuables belges exerçant une profession similaire dans la même région agricole; 2° entreprises appartenant à : a) l'industrie chimique : 22.000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée); b) l'industrie alimentaire : 12.000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée); c) l'industrie métallurgique, l'industrie de la mécanique de précision, les exploitations et les entreprises d'extraction et de transformation de minéraux non énergétiques, l'industrie de la construction et toutes autres industries, exploitations et entreprises, non visées sub a et b ci-avant : 7.000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée); 3° entreprises des secteurs du commerce et de la fourniture de services : a) commerce en gros, commerce de détail, transports, horeca, bureaux d'ingénieurs et d'études, informatique et électronique et autres services aux entreprises : 2,50 EUR par 25 EUR de chiffre d'affaires avec un minimum de 7.000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée); b) intermédiaires du commerce et des transports : 2,50 EUR par 25 EUR de chiffre d'affaires, avec un minimum de 14.500 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée); c) banques, établissements de crédit et de change : 24.000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée); d) assurances : 2,50 EUR par 25 EUR de primes encaissées; e) toutes autres exploitations et entreprises de commerce et de fourniture de services : 2,50 EUR par 25 EUR de chiffre d'affaires, avec un minimum de 7.000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée). § 2. En aucun cas, le montant des bénéfices imposables déterminé conformément au § 1er ne peut être inférieur à 19.000 EUR. En cas d'absence de déclaration ou de remise tardive de celle-ci, le montant minimum prévu à l'alinéa 1er est également applicable aux profits imposables des titulaires de profession libérale. § 3. Les revenus imposables fixés conformément au § 1er ne comprennent pas les plus-values visées à l'article 228, § 2, 9°, g et i, du même Code ».

B.3. Il ressort de la décision de renvoi que la Cour est invitée à comparer le traitement d'un menuisier qui travaille douze mois pendant la période d'imposition en cause à celui d'un menuisier qui travaille trois mois au cours de la même période, ces deux catégories faisant l'objet d'un traitement identique alors qu'elles seraient dans une situation différente, étant donné que les minima imposables qui leur sont applicables en vertu de l'article 342, § 3, du CIR 1992 seraient les mêmes indépendamment de la durée effective de leur temps de travail (première question préjudicielle). En outre, la loi ne permettrait pas à ces contribuables de faire la preuve du chiffre exact de leurs revenus (seconde question préjudicielle).

B.4. La disposition en cause établit les bases des taxations forfaitaires applicables aux personnes physiques et morales définies à l'article 182 de l'arrêté royal d'exécution du CIR 1992 précité qui n'ont pas remis de déclaration de leurs revenus professionnels ou qui l'ont remise tardivement.

La procédure de taxation d'office a pour effet de renverser la charge de la preuve en ce qui concerne la détermination du montant imposable.

En effet, aux termes de la disposition en cause et conformément à l'article 352 du CIR 1992, le contribuable a toujours le droit de contester la taxation en apportant la preuve du montant exact de ses revenus.

B.5. Il appartient au législateur fiscal compétent de fixer le taux d'imposition et d'en établir les modalités. Lorsqu'il utilise à cet effet des critères de distinction, ceux-ci doivent être raisonnablement justifiés. Les taux et modalités doivent être appliqués de manière égale pour toutes les personnes qui se trouvent dans une situation équivalente au regard de la mesure considérée et du but poursuivi, sous la réserve que le législateur fiscal doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation.

B.6. Selon les travaux préparatoires de la disposition en cause : « L'extension de ces minima à toute entreprise ou tout titulaire de profession libérale permettrait dès lors d'éviter l'écueil que représente trop souvent pour le fisc l'obligation d'établir une taxation d'office suffisamment motivée en l'absence de déclaration fiscale. [...] [La] mesure proposée s'inscrit dans le cadre de la procédure de taxation d'office prévue aux articles 351 à 352bis, CIR 92 dont elle tend uniquement à accélérer la mise en oeuvre par une estimation forfaitaire de la base imposable. De la sorte, le contribuable taxé par application des minima de bénéfices ou de profits imposables du fait du non-respect de ses obligations fiscales en matière de déclaration, conserve l'ensemble des droits prévus par cette procédure, notamment le droit d'apporter la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables, conformément à l'article 352, alinéa 1er, CIR 92. [La] nouvelle mesure se rattache à la présomption légale de l'article 342, CIR 92, mais uniquement pour les contribuables qui n'ont pas introduit leur déclaration ou qui l'ont fait tardivement. Il convient à ce sujet d'attirer l'attention sur le fait que les minima fixés consistent en soi également en une présomption légale par comparaison non seulement avec trois contribuables similaires, mais avec tout un secteur ou un groupe de contribuables » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1820/001, pp. 30 et 31).

Enfin, la disposition en cause s'inscrit dans l'objectif de lutte contre la fraude fiscale, ce que le secrétaire d'Etat rappela en précisant que l'on avait à l'époque « comptabilisé 13 000 récidivistes en matière de remise tardive ou d'absence de déclaration. Lorsque les déclarations sont éminemment tardives et lorsqu'un laxisme s'installe en la matière, l'enrôlement lui-même est tardif et les récupérations sont de plus en plus difficiles à opérer » (Doc. parl., Sénat, 2004-2005, n° 3-1254/4, p. 19). Un parlementaire déclara qu'il « ne peut être nié qu'un certain nombre de contribuables remettent leurs déclarations bien après l'expiration des délais, et ce, pour des raisons tout à fait illégitimes, sachant qu'ils bloquent ainsi toute possibilité d'établir et de recouvrir l'impôt » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1820/012, p. 31).

B.7. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la procédure de taxation d'office s'applique sans distinction à tous les contribuables, entrepreneurs ou titulaires d'une profession libérale, visés à l'article 182 de l'arrêté royal d'exécution du CIR 1992 précité, qui sont restés en défaut de rentrer dans les délais une déclaration d'impôt.

B.8.1. Il est reproché à la disposition en cause de ne pas calculer le minimum imposable en référence à la durée de l'activité effectivement prestée par l'entreprise ou la personne physique concernée.

B.8.2. A la différence des salariés qui sont le plus souvent rémunérés à l'heure, les revenus générés par les professions telles que celles visées en l'espèce ne se mesurent pas tant à l'heure d'activité prestée qu'au regard de la prestation ou de la réalisation d'un contrat faisant appel à une qualité de services reposant sur un savoir dont le facteur temps n'est qu'un des paramètres pour définir le revenu. La diversité des activités considérées dans le chef d'entrepreneurs et de titulaires de professions libérales est telle qu'introduire un forfait tenant compte de la durée effective d'activité aurait pu être de nature à générer plus d'inégalités encore.

Ainsi, un même revenu imposable pourra être produit en un nombre différent d'heures selon la qualité du professionnel, les moyens investis, l'environnement de sa profession libérale et les modalités du contrat qui le lie au bénéficiaire de ses services.

B.9. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.10. Quant à la question de savoir si la disposition en cause ne laisse pas au contribuable la possibilité d'établir le chiffre exact de ses revenus imposables, il ressort des travaux préparatoires précités que la disposition en cause doit être lue en combinaison avec l'article 351 du CIR 1992 aux termes duquel le contribuable peut renverser la présomption légale qui résulte de l'article 342 du CIR 1992 en apportant la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables.

Ainsi, la disposition en cause est un moyen pertinent pour atteindre l'objectif rappelé en B.6 de combattre la fraude fiscale. Elle n'a pas non plus d'effets disproportionnés dans la mesure où la présomption légale qui en résulte dans le chef de l'administration fiscale peut être renversée par le contribuable défaillant en apportant la preuve du montant exact des revenus générés par l'exercice de sa profession.

B.11. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 342, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 19 juin 2013.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, R. Henneuse

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