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Arrêt
publié le 17 février 2011

Extrait de l'arrêt n° 157/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 4881 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 26 de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique, posée par le Tribunal de commerce de La Cour constitutionnelle, composée du président émérite M. Melchior, conformément à l'article 6(...)

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Extrait de l'arrêt n° 157/2010 du 22 décembre 2010 Numéro du rôle : 4881 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 26 de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique, posée par le Tribunal de commerce de Liège.

La Cour constitutionnelle, composée du président émérite M. Melchior, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, et du président M. Bossuyt, et des juges A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 19 février 2010 en cause de la SA « Straps » contre la SA « C.P.T.E. » et la SA « Elia Asset », et en cause de la SA « Elia Asset » contre la SA « Straps », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 février 2010, le Tribunal de commerce de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 26 de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique faisant bénéficier dans le cadre d'une action civile de la courte prescription d'un an les auteurs d'une ou plusieurs violations de la loi constatées par procès-verbal, constitutives d'infractions pénales alors que les auteurs d'une ou plusieurs violations de la même loi non constatées par procès-verbal, non constitutives d'infractions pénales sont soumis à une prescription plus longue, n'est-il pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution au sens où les auteurs d'une ou plusieurs violations de la loi du 10 mars 1925 considérée comme non contraire à l'ordre public se trouvent, vis-à-vis de leurs créanciers, dans une situation moins favorable sur le plan de la prescription que ceux qui commettent une infraction constatée par procès-verbal, sanctionnée pénalement ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 26 de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique dispose : « L'action publique et l'action civile résultant d'une infraction aux dispositions ci-dessus de la présente loi, ou aux règlements arrêtés en exécution de celle-ci, se prescrivent par une année révolue à partir de la date du procès-verbal constatant l'infraction ».

B.2.1. Le juge a quo interroge la Cour sur la différence de traitement qui découle de cet article entre le délai de prescription auquel est soumise l'action en réparation du préjudice causé par un manquement aux dispositions de la loi du 10 mars 1925 constitutif d'infraction, d'une part, et le délai de prescription auquel est soumise l'action en réparation du préjudice causé par un manquement aux dispositions de la même loi, mais qui n'est pas constitutif d'une infraction, d'autre part. Dans le dernier cas, le délai de prescription est, en principe, fixé, en vertu de l'article 2262bis, § 2, du Code civil, à cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l'identité de la personne responsable.

B.2.2. En l'espèce, il est reproché à la partie intimée à titre principal devant le juge a quo d'avoir refusé d'enlever un pylône électrique, qu'elle avait installé sur un terrain ne lui appartenant pas, sans l'autorisation du propriétaire du terrain, alors même que ce dernier avait décidé de bâtir à cet endroit. La partie appelante à titre principal estime qu'il s'agit d'une faute au sens de l'article 1382 du Code civil.

Les articles 15 et 16 de la loi du 10 mars 1925 précitée disposent : «

Art. 15.Le gouvernement, après enquête et par arrêté royal motivé, pourra déclarer qu'il y a utilité publique à établir les lignes électriques sur ou sous des terrains privés non bâtis qui ne sont pas fermés de murs ou autres clôtures équivalentes.

Cette déclaration confère à l'entreprise intéressée le droit d'installer ces lignes sur ou sous ces terrains, d'en assurer la surveillance et de procéder aux travaux d'entretien et de réfection, le tout aux conditions déterminées dans le dit arrêté.

Le gouvernement pourra, dans les mêmes conditions, autoriser le titulaire d'une permission de voirie à faire usage des droits spécifiés à l'article 14.

Art. 16.Avant d'user des droits conférés par les articles 14 et 15, l'entreprise intéressée devra soumettre à l'approbation de l'autorité dont relève la voie publique, le tracé de l'emplacement et des détails d'installation des conducteurs.

Cette autorité devra statuer dans les trois mois de la date d'envoi du tracé et donner notification de sa décision à cette entreprise. Passé ce délai, celle-ci sera admise à adresser sa demande au gouvernement, qui statuera.

Les travaux ne pourront être commencés qu'après une notification directe aux propriétaires et locataires intéressés.

L'exécution de ces travaux n'entraîne aucune dépossession. La pose d'appuis sur les murs ou façades ne peut faire obstacle au droit du propriétaire de démolir, réparer ou surélever. Les lignes souterraines et supports établis dans un terrain ouvert et non bâti devront être enlevés à la demande du propriétaire, si celui-ci use de son droit de se clore ou de bâtir; les frais de l'enlèvement de ces lignes et supports seront à charge de celui qui les aura établis. Mais le propriétaire devra, six mois au moins avant d'entreprendre les travaux de démolition, réparation, surélévation, clôture ou construction, prévenir par écrit l'administration, le concessionnaire ou le titulaire de permission de voirie intéressé ».

B.3.1. La Cour relève qu'en vertu de l'article 62 du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité, « la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique est abrogée pour ce qui concerne les compétences régionales ».

En règle, il n'appartient toutefois pas à la Cour de déterminer les normes applicables au litige devant le juge a quo. Ce n'est qu'en cas d'erreur manifeste à ce sujet que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.

En l'espèce, la Cour ne dispose pas des informations nécessaires pour établir que la loi en cause ne s'applique manifestement pas au litige pendant devant le juge a quo.

B.3.2. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle ne serait pas utile à la solution du litige pendant devant le juge a quo dès lors qu'aucune infraction pénale n'aurait été commise en l'espèce.

Il appartient en règle à la juridiction a quo d'apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige qu'elle doit trancher. Ce n'est que lorsque ce n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.

Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la réponse à la question préjudicielle peut présenter une utilité pour trancher le litige dont la juridiction a quo est saisie. Il suffit en effet de constater que celle-ci a précisé, dans la décision de renvoi, qu'elle ne se prononçait pas, pour l'heure, sur le caractère infractionnel des faits reprochés à la partie intimée à titre principal.

B.4.1. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, à savoir le caractère pénalement punissable ou non du comportement dommageable.

En fixant à un an le délai de prescription de l'action en réparation du dommage résultant d'une faute constitutive d'une infraction pénale et en le faisant débuter à dater de la rédaction du procès-verbal constatant l'infraction, le législateur ne rend pas impossible que l'action civile découlant de l'infraction soit prescrite à l'échéance d'un délai inférieur à celui dont bénéficie la victime d'une faute - résultant, notamment, de la violation d'une disposition de la loi en cause non constitutive d'une infraction - en vertu de l'article 2262bis, § 2, du Code civil.

B.4.2. Il s'ensuit que la disposition en cause peut avoir pour conséquence que la situation d'une personne ayant subi un dommage résultant d'une faute soit sensiblement plus défavorable lorsque cette faute constitue une infraction que lorsqu'elle n'en constitue pas une.

Il en résulte une grave limitation des droits de la victime, hors de proportion avec les intérêts que le législateur a pu vouloir protéger en fixant le délai de prescription de l'action publique et de l'action civile découlant de l'infraction à un an.

B.5. La question préjudicielle appelle une réponse positive.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 26 de la loi du 10 mars 1925 sur les distributions d'énergie électrique viole les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 22 décembre 2010.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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