publié le 08 avril 2005
Extrait de l'arrêt n° 40/2005 du 16 février 2005 Numéros du rôle : 3116 à 3126, 3130 à 3133, 3167 à 3169 et 3181 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 261, 265, 281 à 283 et 311 de la loi générale sur les douanes et La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, E.(...)
Extrait de l'arrêt n° 40/2005 du 16 février 2005 Numéros du rôle : 3116 à 3126, 3130 à 3133, 3167 à 3169 et 3181 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 261, 265, 281 à 283 et 311 de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par arrêté royal du 18 juillet 1977, posées par le Tribunal correctionnel de Dinant.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen et J.-P. Moerman, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugements des 6 et 27 octobre et 10 novembre 2004 en cause du ministre des Finances et du ministère public contre M. Cornet et autres, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage les 8, 9 et 26 novembre et le 6 décembre 2004, le Tribunal correctionnel de Dinant a posé une question préjudicielle rédigée comme suit : « Les articles 261, 265, 281 à 283 et 311 de la loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977 ne violent-ils pas les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme par le fait qu'en confiant l'exercice de l'action publique au Ministère des Finances plutôt qu'au ministère public quant à l'infraction dont est saisi le tribunal ils font de celle-ci l'accessoire d'une politique de sanctions administratives menée par le pouvoir exécutif dans la réalisation de ses missions en privant par le fait même le justiciable de la garantie des exigences du procès équitable, notamment en termes de délai raisonnable, que le ministère public est, de par sa nature, tenu de respecter et de faire respecter ? » ou comme suit : « Les dispositions contenues dans les articles 261, 265, 281 à 283 et 311 de la loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977, qui confient au Ministère des Finances l'exercice de l'action publique quant aux infractions précitées, ne violent-elles pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles font de la sanction pénale un accessoire de la sanction administrative et privent le justiciable dans ces matières de la garantie d'un ministère public chargé non de défendre les intérêts financiers de la puissance publique mais en tout premier lieu de veiller à l'application de la loi pénale en faisant respecter les exigences du droit au procès équitable définies par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ? » Ces affaires, inscrites sous les numéros 3116 à 3126, 3130 à 3133, 3167 à 3169 et 3181 du rôle de la Cour, ont été jointes. a) Dans les affaires nos 3116 à 3126, 3130 à 3133 et 3167 à 3169 Le 1er décembre 2004, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et E. De Groot ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. b) Dans l'affaire n° 3181 Le 21 décembre 2004, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les juges-rapporteurs J.-P. Moerman et E. De Groot ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate.
Les dispositions de la loi spéciale précitée relatives à la procédure et à l'emploi des langues ont été appliquées. (...) III. En droit (...) B.1. Les questions préjudicielles portent sur les articles 261, 265, 281 à 283 et 311 de l'arrêté royal du 18 juillet 1977 portant coordination des dispositions générales relatives aux douanes et accises (ci-après : L.G.D.A.). Ces dispositions sont mises en cause en tant qu'elles confient l'exercice de l'action publique à l'Administration des finances plutôt qu'au ministère public, ce qui aurait pour conséquence, d'après le juge a quo, de priver les justiciables du respect des exigences du procès équitable, notamment en ce qui concerne le droit d'être jugé dans un délai raisonnable.
B.2. L'article 261 fixe l'amende encourue par les contrevenants aux réglementations en matière de douanes et accises et prévoit la saisie et la confiscation des marchandises faisant l'objet des infractions concernées. L'article 265 est relatif à la responsabilité du commettant pour les condamnations encourues par ses préposés.
L'article 311 fixe le taux de l'intérêt dû en cas de retard dans le paiement de certains droits.
Ces dispositions n'établissent pas la compétence de l'administration pour exercer l'action publique et ne concernent donc pas l'objet des questions préjudicielles. Il s'ensuit qu'en ce qu'elles visent les articles 261, 265 et 311 de la L.G.D.A., les questions n'appellent pas de réponse.
B.3. Les articles 281 à 283 de la L.G.D.A. disposent : «
Art. 281.§ 1er. Toutes actions du chef de contraventions, fraudes ou délits, contre lesquels les lois en matière de douanes et accises prononcent des peines seront portées en première instance devant les tribunaux correctionnels, et, en cas d'appel, devant la cour d'appel du ressort, pour y être instruites et jugées conformément au Code d'instruction criminelle. § 2. Toutes celles des actions susmentionnées qui tendent à l'application d'amendes, de confiscations, ou à la fermeture de fabriques ou usines, seront intentées et poursuivies par l'administration ou en son nom devant lesdits tribunaux, lesquels, en tout cas, ne prononceront sur ces affaires qu'après avoir entendu les conclusions du ministère public. Toutefois, sur la demande écrite qui lui en est faite par un fonctionnaire de l'administration des douanes et accises ayant au moins le grade de directeur, le ministère public peut requérir le juge d'instruction d'informer, l'exercice de l'action publique restant pour le surplus réservé à l'administration. § 3. Dans les cas [où] un même fait de transgression aux lois précitées donne lieu à deux actions différentes, dont l'une doit être intentée par le ministère public et l'autre par l'administration ou en son nom, ces actions seront instruites simultanément, et il y sera statué par un seul et même jugement; mais, dans ces cas, le ministère public n'agira pas avant que l'administration ait, de son côté, porté plainte ou intenté l'action.
Art. 282.Tous délits ou crimes, prévus et punis par le Code pénal, lesquels, quoique commis relativement aux douanes et accises, seront poursuivis et jugés de la manière ordinaire, conformément aux lois générales existantes en matière correctionnelle.
Art. 283.Lorsque les contraventions, fraudes, délits ou crimes dont il s'agit dans les articles 281 et 282 donnent lieu au paiement de droits ou accises, et par conséquent à une action civile, indépendamment de la poursuite d'une peine, le juge compétent soit criminel, soit correctionnel, connaîtra de l'affaire sous ce double rapport et jugera l'une et l'autre cause. » B.4. Le législateur entendait établir au moyen des dispositions litigieuses, qui constituent une partie de la réglementation relative à la perception des droits de douane et d'accise, un système spécifique de recherche et de poursuites pénales, en vue de combattre l'ampleur et la fréquence des fraudes dans cette matière particulièrement technique et transfrontalière, qui est désormais régie en grande partie par une abondante réglementation européenne.
B.5. Il ressort des dispositions en cause que l'Administration des douanes et accises a des pouvoirs étendus concernant, notamment, l'exercice de l'action publique. Elle a le droit d'initiative en la matière, étant entendu que, le cas échéant, le ministère public doit être associé à l'exercice de l'action publique, soit par la remise d'un avis, soit pour requérir l'emprisonnement principal.
B.6. Pour apprécier si un tel régime est discriminatoire pour les inculpés d'un délit de douanes par rapport au régime applicable dans le droit pénal commun, il convient d'examiner comment les garanties d'indépendance sont assurées en ce qui concerne les magistrats des parquets, d'une part, et les agents de l'administration, d'autre part.
B.7. A la différence des magistrats du siège, ceux du ministère public ne sont pas titulaires d'un pouvoir juridictionnel : ils remplissent les devoirs de leur office auprès des cours et tribunaux pour requérir une exacte application de la loi ainsi que pour défendre les exigences de l'ordre public et d'une bonne administration de la justice. La Constitution elle-même, en ses articles 40 et 153, contient les bases d'un statut et d'une organisation du ministère public. Ce statut et cette organisation sont notamment caractérisés par des relations de nature hiérarchique entre les magistrats du parquet.
B.8.1. En ce qui concerne les agents fédéraux, dont font partie les agents de l'Administration des douanes et accises, l'article 107, alinéa 2, de la Constitution dispose : « [Le Roi] nomme aux emplois d'administration générale et de relation extérieure, sauf les exceptions établies par les lois. » B.8.2. L'arrêté royal du 2 octobre 1937 portant le statut des agents de l'Etat traite dans sa partie II « des droits et des devoirs ».
Toute contravention à certaines de ces dispositions est punie d'une peine disciplinaire, sans préjudice de l'application des lois pénales.
B.8.3. L'article 151, § 1er, deuxième phrase, de la Constitution dispose : « Le ministère public est indépendant dans l'exercice des recherches et poursuites individuelles, sans préjudice du droit du ministre compétent d'ordonner des poursuites et d'arrêter des directives contraignantes de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite. » En vertu de cette disposition, le ministère public bénéficie, en matière de poursuites individuelles, d'une indépendance qu'aucune disposition comparable ne garantit aux agents de l'administration. Il existe donc une différence entre les deux catégories d'agents chargés de poursuites pénales.
B.9. Cette différence de statut entre les parties poursuivantes n'établit cependant pas, entre les personnes poursuivies, une différence de traitement injustifiée. Compte tenu de ce que les litiges sont tranchés par le juge pénal, qui offre toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité, il n'est pas manifestement disproportionné aux objectifs poursuivis, en raison de la spécificité de la matière, mentionnée en B.4, de confier les poursuites à une administration spécialisée, même si celle-ci n'a pas la même indépendance que le ministère public.
B.10. La Cour doit cependant encore examiner si, par les dispositions en cause, le législateur n'a pas porté une atteinte discriminatoire aux garanties juridictionnelles accordées par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme à tout justiciable, et, singulièrement, au droit des personnes poursuivies pour infraction à la L.G.D.A. d'être jugées dans un délai raisonnable.
B.11.1. Lorsqu'ils statuent en matière d'infractions à la L.G.D.A., les tribunaux correctionnels sont tenus de respecter les garanties juridictionnelles découlant de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et ce, quelle que soit la qualité de la partie poursuivante. En outre, le ministère public devant, en vertu de l'article 281, § 2, précité, obligatoirement présenter ses conclusions avant que la juridiction ne se prononce, il lui appartient de soulever à cette occasion toute violation de l'article 6 précité.
B.11.2. Parmi les garanties juridictionnelles prévues par l'article 6 figure le droit d'être jugé dans un délai raisonnable. L'article 21ter, alinéa 1er, du titre préliminaire du Code de procédure pénale prescrit à cet égard que « si la durée des poursuites pénales dépasse le délai raisonnable, le juge peut prononcer la condamnation par simple déclaration de culpabilité ou prononcer une peine inférieure à la peine minimale prévue par la loi ».
B.11.3. Cette disposition s'impose au tribunal correctionnel en toute matière et est applicable en ce qui concerne les douanes et accises, ce qui est d'ailleurs confirmé par l'article 281, § 1er, in fine, et par l'article 282 de la L.G.D.A., in fine, précités.
B.12. Il s'ensuit que les personnes poursuivies du chef d'infraction à la L.G.D.A. bénéficient devant le tribunal correctionnel de la même protection de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que les personnes poursuivies pour d'autres infractions, notamment en matière de délai raisonnable.
B.13. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - En tant qu'elles visent les articles 261, 265 et 311 de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977, les questions préjudicielles n'appellent pas de réponse. - Les articles 281 à 283 de la même loi ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en tant qu'ils confient l'exercice de l'action publique, dans les cas qu'ils déterminent, à l'Administration des douanes et accises.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 16 février 2005, par le juge P. Martens, en remplacement du président M. Melchior, légitimement empêché d'assister au prononcé du présent arrêt.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président f.f., P. Martens.