publié le 30 mai 2002
Extrait de l'arrêt n° 54/2002 du 13 mars 2002 Numéro du rôle : 2310 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1 er , des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat. La Cour d'arb composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, R. Henneuse, L. Lavrysen,(...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 54/2002 du 13 mars 2002 Numéro du rôle : 2310 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, R. Henneuse, L. Lavrysen, J.-P. Snappe et E. Derycke, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle Par arrêt n° 101.509 du 5 décembre 2001 en cause de A. Brouillard contre la Chambre des représentants, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 28 décembre 2001, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que le Conseil d'Etat ne serait pas compétent pour connaître du recours en annulation introduit par un candidat à un emploi dans les services d'une assemblée législative, qui n'est pas membre du personnel de cette assemblée, contre le refus de l'autoriser à participer à un examen de recrutement, alors que ce recours est ouvert aux candidats qui ne sont pas membres du personnel d'une autorité administrative et qui briguent un emploi dans les services de cette autorité ? » (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle vise l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, telle que cette disposition a été modifiée par l'article 2 de la loi du 25 mai 1999Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/05/1999 pub. 22/06/1999 numac 1999000448 source ministere de l'interieur et ministere de la justice Loi modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire fermer « modifiant les lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la loi du 5 avril 1955 relative aux traitements des titulaires d'une fonction au Conseil d'Etat, ainsi que le Code judiciaire »; suite à cette modification, l'article 14, § 1er, dispose désormais : « La section statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements des diverses autorités administratives, ainsi que contre les actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour d'arbitrage, ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel. » B.2. Comme le relève le juge a quo, cette modification législative a répondu à un arrêt de la Cour n° 31/96 du 15 mai 1996, en particulier aux motifs suivants : « B.2.1. Le Conseil d'Etat a été institué en tant que juridiction spécifique en vue d'offrir une protection juridictionnelle supplémentaire à celle des cours et tribunaux, contre les actes administratifs entachés d'illégalité.
L'article 14, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat offre à tous les intéressés la possibilité d'introduire un recours en annulation contre les actes et règlements des diverses autorités administratives '.
B.2.2. Les fonctionnaires qui sont au service d'une autorité administrative peuvent dès lors, pour autant qu'ils justifient de l'intérêt requis, introduire un recours en annulation auprès du Conseil d'Etat contre les actes administratifs de cette autorité.
Par contre, les fonctionnaires qui sont au service d'une assemblée législative jouissent de la protection de leurs droits subjectifs par le juge ordinaire, mais ne disposent d'aucune possibilité de demander l'annulation d'un acte administratif de cette assemblée.
Les fonctionnaires au service d'une autorité administrative et les fonctionnaires au service d'une assemblée législative - ou, comme en l'espèce, les candidats à un emploi auprès d'une telle assemblée - sont donc traités différemment en ce qui concerne les garanties juridictionnelles.
B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.4. Le caractère propre des assemblées législatives, qui sont élues et détentrices du résidu de la souveraineté, exige que leur indépendance soit totalement garantie.
Toutefois, la nécessité de sauvegarder cette indépendance ne justifie pas que les fonctionnaires des assemblées législatives soient privés d'un recours en annulation contre les actes administratifs de ces assemblées.
L'absence de cette garantie juridictionnelle, laquelle est par contre reconnue aux fonctionnaires relevant des autorités administratives, est contraire au principe constitutionnel d'égalité et de non-discrimination : cette absence est disproportionnée au souci légitime de sauvegarder la liberté d'action des élus car l'intérêt protégé par l'institution d'un recours en annulation est aussi réel et aussi légitime chez les fonctionnaires des assemblées législatives que chez ceux des autorités administratives.
B.5. Il ne peut être remédié à cette situation que par une intervention du législateur, lors de laquelle il puisse envisager, par égard à l'indépendance qui doit être assurée aux assemblées législatives, de prévoir des garanties spécifiques auxquelles il n'a pas dû veiller lors de l'élaboration des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.
B.6. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce qu'affirme l'arrêt de renvoi, la discrimination ne trouve pas son origine dans l'article 14, mais dans une lacune de la législation, à savoir le défaut d'organisation d'un recours en annulation des actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes. » B.3.1. L'article 14, § 1er, nouveau permet à la section d'administration du Conseil d'Etat de connaître désormais des recours en annulation introduits contre « les actes administratifs des assemblées législatives ou de leurs organes » relatifs aux membres de leur personnel.
B.3.2. Comme le relève le juge a quo, par cette modification législative, « [...] le législateur a voulu [...] rétablir l'égalité entre les fonctionnaires des autorités administratives et ceux des assemblées législatives ou de leurs organes; [...] un recours au Conseil d'Etat est ouvert à ceux qui, n'ayant pas la qualité d'agent d'une autorité administrative sont évincés d'un recrutement qui leur permettrait de l'acquérir; [...] rien ne paraît justifier qu'un sort moins favorable soit réservé aux candidats qui ne sont pas membres du personnel d'une assemblée législative mais qui, ayant régulièrement manifesté le souhait de le devenir, sont écartés de la procédure de recrutement ou qui se voient préférer d'autres candidats; [...] l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, paraît devoir être interprété en ce sens que, pour l'exercice du recours au Conseil d'Etat, les candidats à une fonction dans les services des autorités visées par cette disposition doivent être assimilés aux membres du personnel de ces autorités et que le Conseil d'Etat est donc compétent pour connaître de la demande ».
B.3.3. Cette interprétation de l'article 14, § 1er, contrairement à ce que soutient le mémoire justificatif, est conforme à l'arrêt de la Cour n° 31/96, en ses motifs précités. La Cour observe notamment que le litige soumis à l'époque au Conseil d'Etat et qui a donné lieu à la question préjudicielle tranchée par l'arrêt n° 31/96 concernait déjà la situation d'un candidat malheureux à un emploi dans les services d'une assemblée parlementaire, hypothèse que la Cour (B.2.2, alinéa 3, dudit arrêt) a expressément assimilée à celle des fonctionnaires déjà en fonction auprès d'une telle assemblée. De surcroît, le contentieux de la fonction publique concerne tant les candidats à l'obtention d'une fonction auprès d'une autorité publique que les titulaires d'une telle fonction, ce que confirme le droit reconnu - comme le relève le juge a quo - aux premiers, de contester devant le Conseil d'Etat l'échec de leur candidature à une fonction auprès d'une autorité administrative.
Dans cette interprétation, le candidat à un emploi dans les services d'une assemblée législative peut, comme le candidat à un emploi dans les services d'une autorité administrative, contester devant le Conseil d'Etat le refus de l'autoriser à participer à un examen de recrutement; aucune différence de traitement n'étant opérée, sur ce plan, entre ces candidats, l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, dans cette interprétation, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.4.1. Bien qu'il ait retenu provisoirement l'interprétation de l'article 14, § 1er, examinée ci-dessus, le juge a quo soumet toutefois à la Cour la question de la constitutionnalité d'une autre interprétation de cette disposition, en ce qu'elle serait interprétée comme ne permettant pas à un candidat à un emploi dans les services d'une assemblée, qui n'est pas membre du personnel de cette assemblée, de demander l'annulation d'un refus qui lui aurait été opposé de participer à un examen de recrutement.
Dans cette interprétation, ce candidat est traité différemment de celui qui est candidat à un emploi dans les services d'une autorité administrative - ni l'un ni l'autre n'étant déjà membre du personnel - puisque, dans ce second cas, le candidat peut, comme déjà relevé, contester devant le Conseil d'Etat le refus qui lui serait opposé de participer à un examen de recrutement.
B.4.2. Pour les raisons exposées dans l'arrêt n° 31/96, en ses motifs rappelés ci-dessus - en particulier en B.4 - cette différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée. Dès lors en effet que le législateur a décidé de soumettre le droit de contester les actes administratifs des assemblées en matière de fonction publique au même régime que celui applicable aux actes des autorités administratives, il n'est pas justifié que le refus, opposé à un candidat, de participer à un examen de recrutement puisse être contesté devant le Conseil d'Etat lorsqu'il s'agit d'un emploi dans les services d'une autorité administrative mais ne puisse l'être s'il s'agit d'un emploi auprès d'une assemblée parlementaire; l'intérêt protégé par l'institution d'un recours en annulation est en effet aussi réel et aussi légitime dans le second cas que dans le premier. Ni les travaux préparatoires, ni le mémoire ne justifient d'ailleurs une telle différence de traitement.
B.4.3. Il résulte de ce qui précède que, dans l'interprétation soumise par le juge a quo (B.4.1), l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat viole manifestement les articles 10 et 11 de la Constitution.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété en ce sens que le Conseil d'Etat ne serait pas compétent pour connaître du recours en annulation introduit par un candidat à un emploi dans les services d'une assemblée législative, qui n'est pas membre du personnel de cette assemblée, contre le refus de l'autoriser à participer à un examen de recrutement.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 13 mars 2002.
Le greffier, Le président, L. Potoms M. Melchior