publié le 27 janvier 1999
Arrêt n° 117/98 du 18 novembre 1998 Numéro du rôle : 1274 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 479 du Code d'instruction criminelle et à l'article 2 de la loi du 15 mai 1981 portant approbation du Pacte international La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L(...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 117/98 du 18 novembre 1998 Numéro du rôle : 1274 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 479 du Code d'instruction criminelle et à l'article 2 de la loi du 15 mai 1981 portant approbation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, posées par la Cour de cassation.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents L. De Grève et M. Melchior, et des juges H. Boel, L. François, G. De Baets, E. Cerexhe et R. Henneuse, assistée du greffier L. Potoms, présidée par le président L. De Grève, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles Par arrêt du 23 décembre 1997 en cause de J. Stevens, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 14 janvier 1998, la Cour de cassation a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 479 du Code d'instruction criminelle viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution a) en ce qu'il prive une catégorie limitée de personnes du double degré de juridiction ? b) en ce qu'il s'applique aux membres de l'auditorat près le Conseil d'Etat ? c) en ce qu'il s'applique aux infractions de roulage qui, par les peines prévues par l'article 29 des lois relatives à la police de la circulation routière coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1968, sont des délits, alors que ces infractions de roulage peuvent aussi emporter des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles et que l'article 479 du Code d'instruction criminelle s'applique aux infractions ' emportant ' et non ' pouvant emporter ' une peine correctionnelle ? 2.L'article 2 de la loi du 15 mai 1981 portant approbation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'en disposant que ce Pacte sortira son plein et entier effet, ce qui comprend les déclarations et réserves faites par la Belgique lors de la signature, il ratifie un régime de privilège de juridiction qui est lui-même contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution ? » II. Les faits et la procédure antérieure 1. Par arrêt du 21 décembre 1994, J.Stevens, auditeur au Conseil d'Etat, a été condamné par la Cour d'appel de Bruxelles à une amende de 4.500 francs pour une infraction à la législation sur la circulation routière, au paiement d'une somme de 1.500 francs comme contribution au Fonds d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence, à un dédommagement de 1.000 francs et aux frais de l'action publique.
La Cour d'appel a considéré qu'il n'y avait pas lieu de poser à la Cour d'arbitrage les questions préjudicielles soulevées par le prévenu, étant donné que l'article 479 du Code d'instruction criminelle ne viole manifestement pas les articles 10 et 11 de la Constitution, ni en tant que tel ni en tant qu'il s'applique aux membres de l'auditorat du Conseil d'Etat, ni en tant que les infractions aux lois coordonnées relatives à la police de la circulation routière sont assimilés aux mots « avoir commis, hors de ses fonctions, un délit emportant un peine correctionnelle ». 2. Le 3 janvier 1995, J.Stevens s'est pourvu en cassation contre toutes les dispositions de l'arrêt précité. 3. Dans son arrêt du 23 décembre 1997, la Cour de cassation considère que des questions visées à l'article 26, § 1er, de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage sont posées et a décidé de soumettre les questions préjudicielles précitées à la Cour. III. La procédure devant la Cour Par ordonnance du 14 janvier 1998, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage.
Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
La décision de renvoi a été notifiée conformément à l'article 77 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 25 mars 1998.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 31 mars 1998.
Des mémoires ont été introduits par : - J. Stevens, Kleine Steenweg 75, 2221 Heist-op-den-Berg, par lettre recommandée à la poste le 4 mai 1998; - le Conseil des ministres, rue de la Loi 16, 1000 Bruxelles, par lettre recommandée à la poste le 11 mai 1998.
Ces mémoires ont été notifiés conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 19 mai 1998.
Des mémoires en réponse ont été introduits par : - J. Stevens, par lettre recommandée à la poste le 2 juin 1998; - le Conseil des ministres, par lettre recommandée à la poste le 12 juin 1998.
Par ordonnance du 30 juin 1998, la Cour a prorogé jusqu'au 14 janvier 1999 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 23 septembre 1998, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 21 octobre 1998.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 24 septembre 1998.
A l'audience publique du 21 octobre 1998 : - ont comparu : . J. Stevens, en personne; . Me F. Van Nuffel loco Me P. Traest, avocats au barreau de Bruxelles, pour le Conseil des ministres; - les juges-rapporteurs H. Boel et E. Cerexhe ont fait rapport; - les parties précitées ont été entendues; - l'affaire a été mise en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
IV. En droit - A - Mémoire de J. Stevens A.1.1. La Cour de cassation a formulé la partie a) de la première question autrement que ne l'avait fait le demandeur en cassation dans son mémoire. Le demandeur en cassation avait explicitement déclaré qu'il contestait la constitutionnalité du régime particulier du privilège de juridiction en tant que tel et que sa question préjudicielle portait sur le privilège de juridiction en tant que tel.
En la reformulant, la Cour de cassation a restreint la question préjudicielle posée par le demandeur. Le demandeur en cassation demande à la Cour d'arbitrage de répondre à la question préjudicielle telle qu'il l'avait formulée dans son mémoire en cassation. En effet, ce mémoire fait partie de l'arrêt. Ne pas accéder à cette demande aurait pour conséquence que la question explicitement formulée ne serait pas soumise à la Cour d'arbitrage et que celle-ci n'y répondra pas, de sorte que la question se poserait de savoir ce que le demandeur en cassation devrait faire pour soumettre sa question à la Cour d'arbitrage.
A.1.2. L'article 479 du Code d'instruction criminelle instaure le régime du privilège de juridiction. Il s'agit d'un régime particulier et exceptionnel. Au cours de l'Ancien Régime, les magistrats bénéficiaient, en tant que « noblesse de robe », d'un certain nombre de privilèges, notamment en ce qui concerne la justice, autrement dit d'une « justice de classes ». La Révolution française mit fin à ces privilèges. Les magistrats furent placés sur un pied d'égalité avec le citoyen ordinaire. En 1808, on retourna à la situation antérieure. Le privilège de juridiction fut restauré. Les personnes qui bénéficient du privilège de juridiction ou y sont soumises sont traitées différemment des autres justiciables auxquels s'appliquent les règles ordinaires.
Concrètement, cette inégalité se manifeste de la façon suivante : a) les citoyens, dans leur grande majorité, sont cités différemment et comparaissent devant leur juge naturel;les personnes qui bénéficient du privilège de juridiction ou y sont soumises sont citées par le procureur général près la cour d'appel et comparaissent devant cette cour; b) les citoyens, dans leur grande majorité, peuvent interjeter appel du jugement du juge de première instance;ils ont droit à un second degré de juridiction; les personnes qui bénéficient du privilège de juridiction ou y sont soumises sont privées de ce second degré de juridiction; c) pour la grande majorité des citoyens, la partie civile a la possibilité d'enclencher l'action publique;cette possibilité n'existe pas à l'égard des personnes qui bénéficient du privilège de juridiction ou y sont soumises; d) en cas de condamnation, le jugement de la cour d'appel est mentionné dans le certificat de bonnes vie et moeurs et dans le registre pénal pour les personnes qui bénéficient du privilège de juridiction ou y sont soumises, ce qui donne l'impression d'une faute plus grave que la mention, pour la grande majorité des citoyens, du jugement d'un tribunal de police ou d'un tribunal correctionnel. Le demandeur en cassation, soumis à ce privilège, souhaite être traité de la même manière que tous les autres citoyens.
La Cour a reconnu, dans ses arrêts nos 66/94 et 60/96, que les personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction sont traitées différemment des justiciables auxquels s'appliquent les règles ordinaires de l'instruction criminelle. Dans les arrêtés précités, la Cour a affirmé que le privilège de juridiction a été instauré en vue de garantir une administration impartiale et sereine de la justice à l'égard des personnes visées. Les règles spécifiques en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le privilège de juridiction entendent éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.
Il ne peut donc être tenu compte de l'objectif que mentionne quelquefois la doctrine, à savoir d'éviter que les titulaires de fonctions publiques aient à se justifier devant des magistrats qui, dans la hiérarchie judiciaire, seraient leurs subordonnés ou égaux.
Pareil but est du reste exagéré et en outre injuste.
A.1.3. Dans l'arrêt n° 66/94, la Cour considère que l'ensemble de ces motifs justifie raisonnablement la différence de traitement. Dans l'arrêt n° 60/96, la Cour considère que ces objectifs légitimes que poursuit le législateur justifient la différence de traitement.
Le demandeur en cassation demande que cette jurisprudence soit reconsidérée à la lumière des considérations suivantes : a) L'objectif prédécrit implique que le législateur de 1808 considérait que le juge compétent en vertu des règles ordinaires n'assurerait pas une administration impartiale et sereine de la justice et traiterait les titulaires de fonctions publiques soit trop sévèrement soit avec trop de clémence;en d'autres mots, cet objectif se résume à une présomption de partialité du juge normalement compétent. Le législateur a donc créé, dans ses objectifs, une inégalité entre les juges qui sont capables de rendre la justice sereinement et de façon impartiale et ceux qui ne le pourraient pas, en d'autres mots, une inégalité entre les juges « supérieurs » et « inférieurs », les premiers étant réputés capables de rendre la justice de façon impartiale et sereine et les seconds étant réputés incapables de rendre la justice de façon impartiale et sereine à l'égard des personnes qui bénéficient du privilège de juridiction ou y sont soumises. Un tel principe pouvait peut-être encore être raisonnable en 1808, mais est manifestement déraisonnable à la fin du vingtième siècle et à l'avant-veille du vingt et unième siècle, étant donné que dans notre droit national, l'impartialité du juge est considérée comme un principe général du droit. L'impartialité du juge - de tout juge - implique pour les justiciables, y compris pour ceux auxquels s'applique encore aujourd'hui le privilège de juridiction, la garantie que le juge - tout juge - applique la loi de la même manière, également pour chacun, et qu'il est donc impossible qu'il soit « trop sévère » ou « trop clément » pour « ces titulaires de fonctions publiques ». En outre, l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme postule l'impartialité du juge. L'objectif précité que poursuivait le législateur en 1808 lorsqu'il rétablit le privilège de juridiction, c'est-à -dire un retour à l'Ancien Régime, ne peut plus être considéré comme légitime aujourd'hui. b) L'autre objectif mentionné implique que celui qui prétend être préjudicié par une infraction, emportant une sanction pénale, commise par une des personnes qui bénéficient du privilège de juridiction n'a pas la possibilité de déclencher l'action pénale en se constituant partie civile devant le juge d'instruction et que la citation directe par une victime devant le tribunal correctionnel ou devant la cour d'appel est rendue impossible.Cet objectif implique que le législateur considérait qu'il n'y avait aucun problème pour la grande majorité des citoyens. Apparemment, il estimait que ceux-ci pouvaient faire sans problème l'objet de poursuites inconsidérées, injustifiées ou vexatoires; l'objectif précité ne fait pas apparaître pour quelle raison il convenait d'éviter de telles poursuites aux titulaires de fonctions publiques et non à la grande majorité des citoyens. Il s'y ajoute que des poursuites inconsidérées, injustifiées ou vexatoires ne peuvent en soi, compte tenu de leur nature, causer aucun problème, ni à la grande majorité des citoyens ni aux personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction. Si ces poursuites sont inconsidérées, injustifiées ou vexatoires, cela apparaîtra immédiatement à chacun. De surcroît, le moyen utilisé n'est pas proportionné à l'objectif poursuivi. Comme cela se fait pour certaines autres catégories de personnes (les délinquants mineurs, les personnes qui ressortissent effectivement à la compétence des juridictions militaires), on pourrait rendre impossible l'initiative ayant des effets pénaux. Il est également parfaitement possible de ne permettre pour certaines personnes qu'une citation devant le procureur du Roi avec ensuite un jugement par le tribunal de police ou le tribunal correctionnel. De cette manière, le but serait atteint et un tel moyen ne serait pas manifestement disproportionné et aurait pour conséquence que ces personnes seraient traitées sur un pied d'égalité, comme toute personne, à savoir par un juge naturel en première instance. c) A cela s'ajoute que l'esprit des temps actuels n'est plus le même que celui de l'Ancien Régime et de 1808, année de la réintroduction du privilège de juridiction.La société évolue et a très récemment, postérieurement aux arrêts de la Cour mentionnés plus haut, subi un effet de choc. La justice est en pleine évolution. La population demande des réformes dans la justice. Des réformes sont en cours et sont envisagées en ce moment. Compte tenu de cette évolution de la société, le privilège de juridiction, accordé principalement à la magistrature, n'est raisonnablement plus justifié et ne constitue plus un objectif légitime, certainement pas en ce qui concerne le champ d'application de l'article 479, c'est-à -dire pour les délits commis hors des fonctions.
A.1.4. En ce qui concerne la partie b) de la première question préjudicielle, le demandeur en cassation, membre de l'auditorat près le Conseil d'Etat, conteste, pour les raisons exposées au A.1.3., le régime particulier du privilège de juridiction qui lui est applicable en tant que tel. Accessoirement, il convient d'observer que la loi du 15 avril 1958Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/04/1958 pub. 28/09/2011 numac 2011000596 source service public federal interieur Loi relative à la publicité en matière de soins dentaires. - Traduction allemande fermer a ajouté dans l'article 479 du Code d'instruction criminelle les membres de l'auditorat. Dans les travaux préparatoires de cette loi, il n'est indiqué nulle part pour quel motif le privilège de juridiction est attribué aux membres de l'auditorat. Il n'existe donc pas de justification objective et raisonnable pour cette distinction. A supposer que les objectifs mentionnés plus haut vaudraient ici, il convient d'observer que cette justification n'est pas objective. Le Conseil d'Etat relève du pouvoir exécutif et non du pouvoir judiciaire. Les membres de l'auditorat ne font pas partie du pouvoir judiciaire, ce ne sont pas des juges. Ils rédigent des rapports et donnent des avis lors des audiences publiques concernant des affaires pendantes devant le Conseil d'Etat. Ces avis ne sont pas obligatoires. Beaucoup de personnes, tant dans les services publics que dans le privé, rédigent des rapports et remettent des avis, même à des juridictions administratives. Elles ne disent pas le droit. Elles ne peuvent pas engager des poursuites, elles ne peuvent pas être assimilées aux membres du ministère public. Il s'ensuit que la ratio legis pour « l'attribution du même privilège de juridiction » n'est pas applicable aux membres de l'auditorat. Le demandeur en cassation a en outre la plus grande confiance dans l'impartialité du juge de police et du juge correctionnel. Par ailleurs, selon le compte rendu analytique du Sénat du 12 juillet 1990, les auditeurs ne semblent pas être des magistrats.
A.1.5. Concernant la partie c) de la première question préjudicielle, il y a lieu d'observer que les considérations émises dans l'arrêt n° 66/94, dans lequel il est dit que « étant donné [...] que les infractions dont il est prévenu constituent des délits », il a été cité à comparaître devant la cour d'appel et que « la classification légale des infractions qui résulte de l'importance des peines applicables à celles-ci constitue un critère », ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 479 du Code d'instruction criminelle, où il est question d' » un délit emportant une peine correctionnelle ».
Interpretatio cessat in claris. La disposition précitée doit être interprétée de manière restrictive. L'article 1er du Code pénal dispose que l'infraction que les lois punissent d'une peine correctionnelle est un délit, mais à l'article 479 du Code d'instruction criminelle, il n'est pas écrit « punissent d'une peine correctionnelle » mais « un délit emportant une peine correctionnelle ». Or, l'article 29, alinéa 2, des lois sur la circulation routière prévoit des peines allant de peines de police à des peines correctionnelles. L'interprétation selon laquelle la nature de l'infraction est déterminée par le maximum de la peine principale ne peut être retenue dans le cas de l'article 479, étant donné que celui-ci doit être interprété de façon restrictive, tel qu'il est libellé, sans ajouts.
Pour le reste, la Cour déclare, dans l'arrêt précité, que le législateur peut réserver l'application du privilège de juridiction pour les poursuites relatives à des infractions qu'il considère comme étant suffisamment graves. Il ressort de l'historique et de la ratio legis du privilège de juridiction que cela ne vise pas les contraventions. A l'article 29, alinéa 2, de la loi sur la circulation routière, il s'agit de contraventions de faible gravité; en effet, toute contravention, sauf les contraventions graves, tombent sous l'application de cet alinéa.
Le demandeur en cassation, soumis au privilège de juridiction, a été cité à comparaître devant la cour d'appel suite à une inculpation pour une contravention à laquelle s'applique l'article 29, alinéa 2. La cour d'appel est obligée de prononcer une peine correctionnelle. En effet, si cette cour prononçait une peine de police, elle excéderait sa compétence. La thèse selon laquelle la cour d'appel ne serait pas incompétente lorsqu'elle déciderait de ne prononcer qu'une peine de police ne peut être suivie. Il en résulte que le demandeur en cassation est traité de façon inégale par rapport à d'autres justiciables inculpés pour la même contravention. Il n'existe aucune justification objective et raisonnable pour cette différence de traitement.
A.1.6. En ce qui concerne la seconde question préjudicielle, il convient d'observer que le fait d'interpréter de façon restrictive l'article 2 de la loi du 15 mai 1981 - en ce sens que la « réserve » exprimée par la Belgique à propos de l'article 14.5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques « confirme » le privilège de juridiction - crée une différence de traitement comme il a été développé au A.1.3.
La question préjudicielle part de l'interprétation selon laquelle la réserve formulée à propos de l'article 14.5 est valide.
Il existe en l'espèce une autre interprétation qui amène à conclure que cette réserve n'est pas valable, au motif que : a) le Pacte a, en grande partie, effet direct, ce qui vaut aussi pour son article 14.5; b) l'article 2 de la loi du 15 mai 1981 dispose que le Pacte sortira son plein et entier effet, avec pour conséquence que le législateur n'a pas approuvé la réserve, même pas implicitement, étant donné qu'une telle interprétation serait contraire à l'article 2 de la loi et étant donné que la publication au Moniteur belge du 6 juillet 1983 d'une note de bas de page concernant cette réserve ne saurait avoir force de loi, puisque le législateur n'a pas adopté cette note; l'article 2 de la loi est clair et selon un principe général du droit, un texte législatif clair ne peut pas être interprété; l'article 14.5 du Pacte a donc plein effet; c) même si l'on soutenait que cette réserve est conforme à l'article 2 de la loi précitée et à la Constitution, il ressort des travaux préparatoires que le Gouvernement a eu en vue une seule réserve au sens strict du terme, à savoir celle relative à l'exercice du pouvoir royal par les seuls descendants masculins, les autres réserves, parmi lesquelles celle relative à l'article 14.5, n'étant que des déclarations interprétatives en vue d'assurer la légalité, par rapport au Pacte, de dispositions de droit interne dont le Gouvernement considère qu'elles sont parfaitement conciliables avec l'esprit du Pacte et ne nécessitent pas de modifications suite à la ratification de ce dernier; seul le législateur est constitutionnellement compétent pour interpréter la loi, et non pas le Gouvernement, ni un acte de ratification; en outre, cette interprétation n'est pas conforme à l'esprit de l'article 14.5 du Pacte et l'article 479 du Code d'instruction criminelle appelle bien une modification, suite à la ratification; il n'est pas du tout conforme à la disposition précitée du Pacte. L'article 14.5 a dès lors effet direct.
Mémoire du Conseil des ministres A.2.1. S'agissant de la première partie de la première question préjudicielle, il convient de renvoyer à l'arrêt n° 60/96 de la Cour et en particulier aux considérants B.3 et B.5. Par conséquent, l'article 479 du Code d'instruction criminelle ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il prive une catégorie limitée de personnes de l'avantage d'un double degré de juridiction.
A.2.2. En ce qui concerne la seconde partie de la première question préjudicielle, il apparaît que l'article 479 du Code d'instruction criminelle traite l'auditorat du Conseil d'Etat de la même manière que les autres catégories de personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction et, notamment, les conseillers d'Etat. Cet article traite toutefois différemment les membres de l'auditorat et les personnes auxquelles le privilège de juridiction ne trouve pas à s'appliquer.
Les membres de l'auditorat sont dès le départ traités de la même manière que les membres du Conseil d'Etat, en ce qui concerne le privilège de juridiction. Les deux catégories de personnes ont en effet été soumises au même moment au privilège de juridiction, à savoir par l'article 156, § 3, de la loi du 10 octobre 1967Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/10/1967 pub. 10/09/1997 numac 1997000085 source ministere de l'interieur Loi contenant le Code judiciaire - Traduction allemande des articles 728 et 1017 fermer contenant le Code judiciaire. C'est du reste le Conseil d'Etat lui-même qui a observé que l'article 479 devait être modifié, suite à l'introduction du Code judiciaire, afin qu'il mentionne toutes les personnes bénéficiant du privilège de juridiction. Ce traitement égal est raisonnablement justifié à la lumière de l'objectif visé par le législateur, à savoir d'assurer une administration impartiale et sereine de la justice à l'égard de ces personnes. Les membres de l'auditorat du Conseil d'Etat doivent en effet exercer leurs fonctions avec l'indépendance et l'impartialité requises. Ceci résulte, d'une part, de leur mission de rédiger le rapport, dans le cadre des procédures devant la section d'administration, et des effets juridiques liés à celui-ci et, d'autre part, d'un certain nombre d'autres dispositions légales.
Lorsqu'un recours ou une demande est pendant devant la section d'administration du Conseil d'Etat, un membre de l'auditorat rédige un rapport sur l'affaire. Les membres de l'auditorat agissent à cette occasion dans leur fonction en tant qu'amici curiae. La conclusion figurant dans le rapport de l'auditeur a une incidence sur la situation juridique des parties. Ainsi, lorsque le rapport suggère le rejet ou l'irrecevabilité du recours, la partie requérante devra introduire, dans un délai déterminé, une demande de poursuite de la procédure, faute de quoi il y aura désistement d'instance dans le chef de cette partie. Par ailleurs, lorsque le rapport conclut que le Conseil d'Etat est manifestement incompétent ou que la demande est manifestement irrecevable ou non fondée, une procédure accélérée sera appliquée, dans laquelle les parties seront appelées à comparaître dans les dix jours, sans que des mémoires soient échangés. Une procédure semblable est appliquée lorsqu'il est dit dans le rapport que la demande est manifestement fondée.
Il peut aussi se déduire d'un certain nombre d'autres dispositions législatives que les membres de l'auditorat doivent disposer de l'indépendance et de l'impartialité nécessaires. Ainsi, le premier président du Conseil d'Etat doit ordonner le renvoi d'une affaire devant l'assemblée générale du Conseil d'Etat lorsque l'auditeur général considère que cette affaire doit être traitée par cette assemblée, en vue de garantir l'unité de la jurisprudence. En outre, l'auditeur général est appelé pour toutes les assemblées générales et il est entendu chaque fois qu'il le demande. Enfin, les mêmes règles en matière d'incompatibilité valent pour les membres de l'auditorat et pour les membres du Conseil d'Etat.
L'article 479 traite différemment les membres de l'auditorat du Conseil d'Etat et les personnes auxquelles le privilège de juridiction n'est pas applicable. Pour les raisons mentionnées au A.2.1, ceci ne constitue pas une discrimination.
A.2.3. S'agissant de la troisième partie de la première question préjudicielle, il convient d'observer que la procédure du privilège de juridiction est exclusivement applicable lorsque sont commises des infractions qui entraînent une peine correctionnelle. Les infractions qui entraînent une peine correctionnelle ou, en d'autres termes, les infractions qui, selon la loi, sont punissables d'une peine correctionnelle, sont des délits. Dès lors, la procédure particulière du privilège de juridiction n'est pas applicable aux contraventions, qui sont des infractions qui ne sont punissables que de peines de police. Une telle distinction est conciliable avec le principe d'égalité (considérant B.4 de l'arrêt n° 66/94).
En règle générale, la nature de l'infraction est provisoirement déterminée par la nature (et la hauteur) de la peine maximale fixée par le législateur pour cette infraction. Par conséquent, les infractions visées à l'article 29, alinéas 1er et 2, de la loi relative à la circulation routière doivent être qualifiées de délits.
La procédure du privilège de juridiction s'applique donc à ces infractions.
La qualification de ces infractions en tant que délits vaut tout autant pour les personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction que pour les personnes auxquelles celui-ci ne trouve pas à s'appliquer.
En outre, le fait que la cour d'appel puisse prononcer malgré tout une peine de police en cas de poursuite pour une infraction visée à l'article 29, alinéa 2, de la loi relative à la circulation routière, en application du privilège de juridiction, ne permet pas non plus de conclure à une violation du principe d'égalité. En effet, cette situation est comparable à celle d'une personne pour laquelle le privilège de juridiction ne trouve pas à s'appliquer et que le tribunal correctionnel condamne à une peine de police, suite, par exemple, à l'existence de circonstances atténuantes. Il n'est dès lors aucunement question d'un traitement différent des personnes auxquelles le privilège de juridiction est applicable et des personnes auxquelles il ne s'applique pas.
A.2.4. Il ressort de la réponse à la première partie de la première question préjudicielle que le régime du privilège de juridiction n'est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. La deuxième question préjudicielle appelle par conséquent une réponse négative.
Mémoire en réponse de J. Stevens A.3. Le Conseil des ministres se trompe lorsqu'il déclare que les membres de l'auditorat du Conseil d'Etat sont traités dès le départ de la même manière que les conseillers d'Etat en ce qui concerne le privilège de juridiction. Pour les conseillers d'Etat, le privilège de juridiction a été instauré par la loi du 23 décembre 1946 portant création d'un Conseil d'Etat (article 57), c'est-à -dire depuis la création du Conseil d'Etat. Les membres de l'auditorat ont été soumis au privilège de juridiction par la loi du 15 avril 1958Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/04/1958 pub. 28/09/2011 numac 2011000596 source service public federal interieur Loi relative à la publicité en matière de soins dentaires. - Traduction allemande fermer.
Si l'indépendance et l'impartialité dans l'exercice d'une charge constituent, comme le soutient le Conseil des ministres, le critère ratione personae pour l'application du privilège de juridiction, toute une série de personnes doivent alors aussi être soumises à ce privilège par le législateur (médiateurs, auditorat de la Cour des comptes, receveurs des communes, centres publics d'aide sociale, etc.).
L'indépendance d'un membre de l'auditorat est relative. Un membre de l'auditorat ne dispose en tout cas pas de la même indépendance qu'un conseiller d'Etat.
Le Conseil des ministres perd également de vue qu'il existe des membres de l'auditorat qui sont attachés à la section de législation et que ceux-ci n'interviennent pas dans la section d'administration.
Il est des plus étrange, du point de vue juridique, que le Conseil des ministres tente de démontrer le caractère raisonnablement justifié de l'application du privilège de juridiction aux membres de l'auditorat depuis la loi du 15 avril 1958Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/04/1958 pub. 28/09/2011 numac 2011000596 source service public federal interieur Loi relative à la publicité en matière de soins dentaires. - Traduction allemande fermer en mentionnant des dispositions qui ont été insérées récemment seulement dans les lois coordonnées et/ou le règlement de procédure. Les dispositions invoquées par le Conseil des ministres concernent exclusivement des questions de procédure ou l'auditeur général.
Chercher une justification pour l'application du privilège de juridiction à l'auditorat depuis 1958 semble vain.
Mémoire en réponse du Conseil des ministres A.4.1. S'agissant de la première partie de la première question préjudicielle, le Conseil des ministres peut rejoindre J. Stevens lorsqu'il déclare que l'impartialité du juge est un principe général du droit. Par contre, ses réflexions concernant un éventuel traitement inégal de deux catégories de juges sont totalement étrangères à la question préjudicielle posée, étant donné que celle-ci a trait à deux catégories de prévenus, et en particulier en tant que le privilège de juridiction prive une catégorie limitée de personnes de l'avantage du double degré de juridiction. Le traitement différent de tiers que critique J. Stevens est également étranger à la question préjudicielle.
Le privilège de juridiction ne vise pas seulement à éviter que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient engagées contre des personnes auxquelles le privilège de juridiction est applicable, mais entend également garantir que ces personnes bénéficient d'une administration impartiale et sereine de la justice et éviter qu'elles soient traitées soit trop sévèrement soit avec trop de clémence. La solution suggérée par J. Stevens ne tient pas compte de tous les objectifs du privilège de juridiction, de sorte que son appréciation concernant la non-proportionnalité du moyen utilisé ne peut être admise.
La question de l'opportunité du privilège de juridiction, à la lumière de l'évolution de la société, doit être distinguée de la question de savoir si ce privilège constitue une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'une catégorie limitée de personnes est privée de l'avantage du double degré de juridiction. La Cour est exclusivement compétente pour se prononcer sur cette dernière question.
Pour le surplus, il est renvoyé au mémoire du Conseil des ministres et à l'arrêt n° 13/98.
A.4.2. La Cour n'est pas compétente pour constater qu'une disposition législative viole une disposition conventionnelle ayant effet direct.
La Cour se considère par contre compétente pour constater la violation des droits et libertés garantis par les dispositions conventionnelles ayant effet direct combinées avec le principe d'égalité des articles 10 et 11 de la Constitution.
Il ressort de la réponse du Conseil des ministres à la première branche de la première question préjudicielle que le régime du privilège de juridiction, en tant qu'il prive une catégorie limitée de personnes de l'avantage du double degré de juridiction, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Il est dès lors établi que le privilège de juridiction ne constitue pas une violation du droit d'appel en matière répressive, tel que celui-ci est garanti par l'article 14.5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, lu conjointement avec le principe constitutionnel d'égalité.
Par ailleurs, l'article 2 de la loi d'assentiment du 15 mai 1981, qui dispose que le Pacte sortira son plein et entier effet, doit être interprété en ce sens que le Pacte, y compris les déclarations et réserves faites par le Gouvernement belge, sortira son plein et entier effet. - B - Quant à la première question préjudicielle B.1. La première question préjudicielle concerne l'article 479 du Code d'instruction criminelle. Il est demandé à la Cour de dire si cette disposition viole ou non les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle prive une catégorie limitée de personnes du bénéfice du double degré de juridiction, en ce qu'elle s'applique aux membres de l'auditorat du Conseil d'Etat et en ce qu'elle s'applique aussi aux cas d'infraction de roulage pouvant donner lieu à des peines de police.
B.2. Ainsi que le relève le demandeur en cassation dans son mémoire, ces questions en font tout d'abord surgir une autre, plus générale, à savoir si le régime dit de « privilège de juridiction » instauré par l'article 479 du Code d'instruction criminelle est compatible comme tel avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.3. A cet égard, il convient d'observer tout d'abord que la Cour ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation et de décision comparable à celui des assemblées législatives démocratiquement élues.
Il n'appartient pas à la Cour d'apprécier si une mesure établie par la loi est opportune ou souhaitable. C'est au législateur qu'il revient de déterminer les mesures à prendre pour atteindre le but qu'il s'est fixé. Le contrôle exercé par la Cour sur la conformité des lois, décrets et ordonnances aux articles 10 et 11 de la Constitution porte sur le caractère objectif de la distinction, l'adéquation des mesures au but recherché et l'existence d'un rapport raisonnable entre les moyens employés et l'objectif visé.
B.4. Le privilège de juridiction, applicable aux magistrats, y compris les magistrats suppléants, et à certains autres titulaires de fonctions publiques, a été instauré en vue de garantir à l'égard de ces personnes une administration de la justice impartiale et sereine.
Les règles spécifiques en matière d'instruction, de poursuite et de jugement qu'implique le privilège de juridiction entendent éviter, d'une part, que des poursuites téméraires, injustifiées ou vexatoires soient intentées contre les personnes auxquelles ce régime est applicable et, d'autre part, que ces mêmes personnes soient traitées avec trop de sévérité ou trop de clémence.
L'ensemble de ces objectifs - qui, contrairement à ce que soutient le demandeur en cassation, ne sauraient être considérés comme illégitimes - peut raisonnablement justifier que les personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction soient, en matière d'instruction, de poursuite et de jugement, traitées différemment des justiciables auxquels s'appliquent les règles ordinaires de l'instruction criminelle.
B.5. Les objections de principe que le demandeur en cassation déduit des articles 10 et 11 de la Constitution à l'encontre du régime du privilège de juridiction en tant que tel ne sauraient être admises.
La Cour doit toutefois encore examiner les griefs spécifiques que contient la première question préjudicielle à l'encontre de l'article 479 du Code d'instruction criminelle.
Quant à la première partie de la question B.6. La première partie de la question préjudicielle porte sur la privation du double degré de juridiction qui résulte, dans l'état actuel de la législation, du privilège de juridiction. Il est ainsi instauré, au sein de la catégorie des personnes prévenues d'avoir commis une infraction emportant une peine correctionnelle, une différence de traitement entre celles qui subissent les effets de l'article 479 et la généralité des citoyens, les premières ne disposant pas, à l'inverse des seconds, de la possibilité de faire appel de la décision prononcée à leur encontre.
B.7. Lorsqu'il prévoit une faculté d'appel, le législateur ne peut le faire de façon discriminatoire.
Il n'apparaît pas que la disposition en cause contienne une telle discrimination. Dès lors que les objectifs poursuivis par le législateur justifient qu'il ait confié aux cours d'appel le pouvoir de connaître des délits à charge des personnes auxquelles s'applique le privilège de juridiction, il n'est pas manifestement déraisonnable de ne pas avoir prévu d'appel à l'encontre des arrêts prononcés par ces juridictions.
Le législateur a pu estimer qu'être jugé par des cours qui se situent au sommet des juridictions de fond et, de surcroît, par un siège nécessairement composé de trois magistrats (articles 101, alinéa 3, et 109bis du Code judiciaire) constituait, pour les personnes exerçant les fonctions mentionnées à l'article 479, une garantie suffisante.
Quant à la seconde partie de la question B.8. La seconde partie de la question préjudicielle concerne l'application du régime prévu à l'article 479 du Code d'instruction criminelle aux membres de l'auditorat près le Conseil d'Etat.
B.9. Initialement, le régime visé à l'article 479 du Code d'instruction criminelle était applicable aux personnes mentionnées dans cette disposition, à savoir les juges de paix, les membres du tribunal correctionnel ou de première instance et les officiers chargés du ministère public près l'un de ces tribunaux, aux personnes mentionnées à l'article 10 de la loi du 20 avril 1810, notamment aux membres de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, des cours d'appel et aux membres du parquet près ces cours (article 481 du Code d'instruction criminelle). Le régime était également applicable au président de la Cour militaire, à l'auditeur général et à ses substituts, aux auditeurs militaires et à leurs substituts (articles 134 et 135 du Code de procédure pénale militaire).
Ce régime fut déclaré applicable aux membres du Conseil d'Etat par l'article 57 de la loi du 23 décembre 1946 portant création d'un Conseil d'Etat. L'article 14 de la loi du 15 avril 1958Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/04/1958 pub. 28/09/2011 numac 2011000596 source service public federal interieur Loi relative à la publicité en matière de soins dentaires. - Traduction allemande fermer modifiant la loi du 23 décembre 1946 portant création d'un Conseil d'Etat a déclaré ce régime applicable aux membres de l'auditorat. En vertu de l'article 3 de la loi du 10 octobre 1967Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/10/1967 pub. 10/09/1997 numac 1997000085 source ministere de l'interieur Loi contenant le Code judiciaire - Traduction allemande des articles 728 et 1017 fermer contenant le Code judiciaire, l'application du régime fut étendue notamment aux délits commis hors de leurs fonctions par les juges au tribunal de police, au tribunal du travail et au tribunal de commerce et par les conseillers à la cour du travail. L'article 42 de la loi du 3 juin 1971 portant modification des lois relatives au Conseil d'Etat a rendu le régime applicable aux membres du bureau de coordination près le Conseil d'Etat.
Ultérieurement, le régime a encore été étendu aux membres et aux référendaires de la Cour d'arbitrage (article 109 de la loi du 28 juin 1983), ainsi qu'aux référendaires près la Cour de cassation (article 27 de la loi du 6 mai 1997).
B.10. Les raisons qui justifient l'application de ce régime aux membres de l'ordre judiciaire justifient également qu'y soient soumis les membres du Conseil d'Etat, étant donné qu'en tant que membres de la plus haute juridiction administrative, ils sont appelés à trancher des litiges lorsqu'ils siègent à la section d'administration.
Le choix du législateur de 1958 de rendre le régime également applicable aux auditeurs près le Conseil d'Etat n'apparaît pas non plus injustifié, compte tenu de l'étroite implication des auditeurs dans l'administration de la justice. Bien qu'ils ne soient pas habilités à trancher des litiges, ils participent directement à l'instruction des affaires du Conseil d'Etat.
Le législateur a dès lors pu considérer que leur fonction présentait suffisamment de similitudes avec celles des membres de l'ordre judiciaire pour qu'ils soient soumis au même régime en matière de privilège de juridiction.
Quant à la troisième partie de la question B.11. La troisième partie de la première question préjudicielle concerne l'applicabilité de l'article 479 du Code d'instruction criminelle aux infractions de roulage visées à l'article 29 des lois coordonnées relatives à la police de la circulation routière. Selon le demandeur en cassation, l'application du régime du privilège de juridiction à ces infractions ne se justifie pas, étant donné que ces infractions peuvent emporter aussi des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles et que l'article 479 n'est applicable qu'aux délits qui « emportent » et non qui « peuvent emporter » une peine correctionnelle.
B.12. L'article 479 du Code d'instruction criminelle s'applique lorsque les personnes qu'il énumère sont prévenues d'avoir commis un délit emportant une peine correctionnelle. Pour savoir si l'article 479 du Code d'instruction criminelle s'applique ou non, il convient de vérifier quelle est la peine maximale dont la loi punit le délit et non, comme le soutient le demandeur en cassation, la peine que le juge inflige ou peut infliger en définitive. Ceci se justifie par le souci de déterminer d'emblée pour quelles infractions la procédure particulière doit être suivie.
B.13. L'article 479 du Code d'instruction criminelle est également applicable aux délits résultant de lois particulières, en ce compris ceux qui relèvent normalement de la compétence du tribunal de police.
Il n'est toutefois pas applicable aux contraventions dès lors que, en raison de la faible gravité des faits, une dérogation aux règles ordinaires de compétence n'a pas semblé justifiée. Les contraventions peuvent toutefois être poursuivies sous le régime particulier lorsqu'elles sont connexes à un délit.
B.14. L'article 479 du Code d'instruction criminelle s'applique donc à toutes les infractions visées à l'article 29 de l'arrêté royal du 16 mars 1968 portant coordination des lois relatives à la police de la circulation routière, étant donné que les différentes peines maximales que cet article prévoit sont des peines correctionnelles.
L'article 479 du Code d'instruction criminelle n'exclut cependant pas, contrairement à ce que soutient le demandeur en cassation, que la cour d'appel inflige en l'espèce, en application ou non de circonstances atténuantes, des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles.
Il convient du reste d'observer que l'article 216bis, § 3, du Code d'instruction criminelle prévoit expressément que le régime d'extinction de l'action publique moyennant paiement d'une somme d'argent organisé par cette disposition peut également être appliqué aux personnes visées à l'article 479 du même Code.
A cet égard, il n'y a pas de différence de traitement entre les personnes auxquelles le régime visé à l'article 479 du Code d'instruction criminelle trouve à s'appliquer et celles auxquelles ce régime ne s'applique pas.
B.15. Il convient par conséquent de répondre négativement à la première question préjudicielle, dans ses trois parties.
Quant à la deuxième question préjudicielle B.16. La deuxième question préjudicielle porte sur l'article 2 de la loi du 15 mai 1981 portant approbation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques fait à New York le 19 décembre 1966.
Il est demandé à la Cour de dire si cette disposition viole ou non les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'en prévoyant que ce Pacte sortira son plein et entier effet, ce qui inclut les déclarations et réserves faites par la Belgique lors de la signature, elle confirme un régime de privilège de juridiction qui serait en lui-même contraire aux dispositions constitutionnelles précitées.
L'article 2 de cette loi dispose que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques sortira son plein et entier effet.
B.17. Selon la liste des Etats liés publiée au Moniteur belge du 6 juillet 1983, ce Pacte a été ratifié par la Belgique le 21 avril 1983 et est entré en vigueur en Belgique le 21 juillet 1983.
L'article 14.5 de ce Pacte dispose : « Toute personne déclarée coupable d'une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. » Lors du dépôt de son instrument de ratification, la Belgique a fait la déclaration suivante : « Quant au paragraphe 5 de cet article, il ne s'appliquera pas aux personnes qui, en vertu de la loi belge, sont déclarées coupables et condamnées en seconde instance à la suite d'un recours contre leur acquittement en première instance, ou qui, en vertu de la loi belge, sont directement déférées à une juridiction supérieure telle que la Cour de cassation, la Cour d'appel, la Cour d'assises. » (Moniteur belge, 6 juillet 1983, p. 8831).
B.18. Selon les travaux préparatoires de la loi du 15 mai 1981, les implications de la disposition précitée, dont le correspondant n'existe pas dans la Convention européenne des droits de l'homme, pourraient aller très loin. Elles pourraient supposer l'exigence d'un troisième degré de juridiction, si une personne, acquittée en première instance, a été reconnue coupable par la juridiction supérieure. De plus, en raison des fonctions qu'elles exercent, certaines personnes, certains juges notamment, ne disposent pas de recours contre les jugements qui pourraient les frapper. Il en va de même des personnes qui, en cas de crime, sont jugées par la cour d'assises. Le Gouvernement belge, suivant en cela d'autres gouvernements, a estimé qu'une réserve était donc nécessaire (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 188/1, pp.15 et 27).
Il ressort encore des travaux préparatoires que, compte tenu de la déclaration interprétative suggérée - qui était d'ailleurs jointe au projet de loi d'assentiment (ibid., p. 28) et qui a été l'objet de discussions -, le législateur a jugé qu'il n'était pas nécessaire de modifier la législation existante, parallèlement à l'approbation du Pacte (Doc. parl., Chambre, 1979-1980, n° 535/2, p. 3; Doc. parl., Sénat, 1979-1980, n° 442/2, p. 6).
B.19. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient le demandeur en cassation, le législateur a donné son approbation au Pacte précité, interprété comme n'impliquant nullement l'obligation de revoir le régime du privilège de juridiction.
B.20. Etant donné que l'examen de la première question préjudicielle a fait apparaître que l'article 479 du Code d'instruction criminelle ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, il convient de répondre à la seconde question préjudicielle que l'article 2 de la loi du 15 mai 1981 portant approbation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne viole pas non plus les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'en disposant que ce Pacte sortira son plein et entier effet, ce qui comprend les déclarations et réserves faites par la Belgique lors de la signature, il maintient un régime de privilège de juridiction.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 479 du Code d'instruction criminelle ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution a) en ce qu'il prive une catégorie limitée de personnes du bénéfice du double degré de juridiction;b) en ce qu'il s'applique aux auditeurs au Conseil d'Etat;c) en ce qu'il s'applique aux infractions de roulage qui, par les peines prévues à l'article 29 des lois relatives à la police de la circulation routière coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1968, sont des délits, alors que ces infractions de roulage peuvent aussi emporter des peines qui ne sont pas des peines correctionnelles et que l'article 479 du Code d'instruction criminelle s'applique aux infractions « emportant » et non « pouvant emporter » une peine correctionnelle. - L'article 2 de la loi du 15 mai 1981 portant approbation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'en disposant que ce Pacte sortira son plein et entier effet, ce qui comprend les déclarations et réserves faites par la Belgique lors de la signature, il maintient un régime de privilège de juridiction.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 18 novembre 1998.
Le greffier, L. Potoms.
Le président, L. De Grève.