publié le 17 février 1998
Arrêt n° 4/98 du 21 janvier 1998 Numéros du rôle : 1015 et 1077 En cause : les recours en annulation des articles 61 à 78 et 82 du décret-programme de la Communauté française du 25 juillet 1996 portant diverses mesures concernant les fonds bu La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, (...)
COUR D'ARBITRAGE
Arrêt n° 4/98 du 21 janvier 1998 Numéros du rôle : 1015 et 1077 En cause : les recours en annulation des articles 61 à 78 et 82 du décret-programme de la Communauté française du 25 juillet 1996 portant diverses mesures concernant les fonds budgétaires, les bâtiments scolaires, l'enseignement et l'audiovisuel, introduits par la société anonyme de droit français Télévision française 1.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et L. De Grève, et des juges H. Boel, G. De Baets, E. Cerexhe, A. Arts et R. Henneuse, assistée du référendaire faisant fonction de greffier R. Moerenhout, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 novembre 1996 et parvenue au greffe le 2 décembre 1996, la société anonyme de droit français Télévision française 1, en abrégé T.F.1., dont le siège social est établi à F-75015 Paris, rue Vaugelas 33, a introduit un recours en annulation des articles 61 à 78 et 82 du décret-programme de la Communauté française du 25 juillet 1996 portant diverses mesures concernant les fonds budgétaires, les bâtiments scolaires, l'enseignement et l'audiovisuel (publié au Moniteur belge du 16 octobre 1996).
Cette affaire est inscrite sous le numéro 1015 du rôle de la Cour. b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 14 avril 1997 et parvenue au greffe le 15 avril 1997, la société anonyme de droit français Télévision française 1, en abrégé T.F.1., dont le siège social est établi à F-75015 Paris, rue Vaugelas 33, a introduit un recours en annulation des articles 61 à 78 et 82 du décret-programme de la Communauté française du 25 juillet 1996 portant diverses mesures concernant les fonds budgétaires, les bâtiments scolaires, l'enseignement et l'audiovisuel (publié au Moniteur belge du 16 octobre 1996).
Cette affaire est inscrite sous le numéro 1077 du rôle de la Cour.
II. La procédure a. L'affaire portant le numéro 1015 du rôle Par ordonnance du 2 décembre 1996, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 6 janvier 1997.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 10 janvier 1997.
Le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 20 février 1997.
Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettre recommandée à la poste le 26 février 1997.
La société anonyme de droit français Télévision française 1 a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 28 mars 1997. b. L'affaire portant le numéro 1077 du rôle Par ordonnance du 15 avril 1997, le président en exercice a désigné les juges du siège conformément aux articles 58 et 59 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Les juges-rapporteurs ont estimé n'y avoir lieu de faire application des articles 71 ou 72 de la loi organique.
Le recours a été notifié conformément à l'article 76 de la loi organique, par lettres recommandées à la poste le 7 mai 1997.
L'avis prescrit par l'article 74 de la loi organique a été publié au Moniteur belge du 13 mai 1997.
Le Gouvernement de la Communauté française, place Surlet de Chokier 15-17, 1000 Bruxelles, a introduit un mémoire par lettre recommandée à la poste le 23 juin 1997.
Ce mémoire a été notifié conformément à l'article 89 de la loi organique, par lettre recommandée à la poste le 14 août 1997.
La société anonyme de droit français Télévision française 1 a introduit un mémoire en réponse, par lettre recommandée à la poste le 15 septembre 1997. c. Les affaires jointes portant les numéros 1015 et 1077 du rôle Par ordonnance du 16 avril 1997, la Cour a joint les affaires. Par ordonnances des 29 mai 1997 et 25 novembre 1997, la Cour a prorogé respectivement jusqu'aux 29 novembre 1997 et 29 mai 1998 le délai dans lequel l'arrêt doit être rendu.
Par ordonnance du 15 octobre 1997, la Cour a déclaré les affaires en état et fixé l'audience au 12 novembre 1997.
Cette ordonnance a été notifiée aux parties ainsi qu'à leurs avocats, par lettres recommandées à la poste le 16 octobre 1997.
A l'audience publique du 12 novembre 1997 : - ont comparu : . Me J.-P. Hordies, Me A. Maqua et Me E. Gillet, avocats au barreau de Bruxelles, pour la partie requérante; . Me D. Garabedian, avocat au barreau de Bruxelles, pour le Gouvernement de la Communauté française; - les juges-rapporteurs E. Cerexhe et H. Boel ont fait rapport; - les avocats précités ont été entendus; - les affaires ont été mises en délibéré.
La procédure s'est déroulée conformément aux articles 62 et suivants de la loi organique, relatifs à l'emploi des langues devant la Cour.
III. Objet des dispositions attaquées L'article 61 du décret du 25 juillet 1996 porte un certain nombre de définitions.
L'article 62, § 1er, dispose comme suit : « Il est établi une taxe sur la publicité télévisée : a) diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle dont le taux d'audience annuel moyen en Région de langue française est supérieur à 10 p.c., et b) transmise par les réseaux de télédistribution ou par satellite et reçue en Région de langue française.» La taxe est fixée à 1.500 francs par minute de publicité télévisée émise pendant l'année civile précédant celle dont le millésime désigne l'exercice d'imposition.
L'article 62, § 2, dispose comme suit : « Le Gouvernement peut adapter le taux visé au § 1er, a), après avoir pris l'avis de la commission d'éthique de la publicité. » L'article 64 dispose comme suit : « La taxe est fixée à 1.500 francs par minute de publicité télévisée visée à l'article 62, § 1er, émise pendant l'année de référence. » L'article 65, § 1er, dispose comme suit : « La taxe est due par l'organisme de radiodiffusion télévisuelle qui diffuse la publicité télévisée. » L'article 65, § 2, institue un mécanisme de solidarité dans la débition de la taxe entre organismes de radiodiffusion télévisuelle appartenant à un même groupe, le groupe étant repris au rang des définitions figurant à l'article 61, et plus particulièrement au paragraphe 6.
Les articles suivants attaqués du décret établissent la procédure de détermination de la base imposable, d'enrôlement, de paiement et de recouvrement, en ce compris le contentieux.
L'article 71 du décret dispose que les redevables de la taxe qui n'ont pas d'établissement stable en Belgique sont tenus de faire agréer par les services du Gouvernement de la Communauté française un représentant responsable résidant en Belgique, lequel s'engage personnellement par écrit envers la Communauté française au paiement de la taxe et des intérêts de retard qui pourraient lui être dus.
L'article 78 du décret dispose que pour l'exercice d'imposition 1997, l'année de référence servant de base de calcul à l'établissement de la taxe est exceptionnellement l'année 1995.
L'article 82 du décret-programme dispose que les articles dont l'annulation est demandée aux termes du recours examiné par la Cour entrent en vigueur le 1er janvier 1997.
IV. En droit - A - Quant au fond Requête dans l'affaire portant le numéro 1015 du rôle A.1. Trois moyens sont invoqués à l'appui du premier recours introduit. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ainsi que des principes généraux de libre circulation des biens et des services et d'union économique et d'unité monétaire, seuls ou en combinaison avec les dispositions et principes précités des articles 30, 56, 59 et 60 du Traité C.E., ainsi que de la directive « Télévision sans frontières ». Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 ainsi que de l'article 170, § 2, de la Constitution.
En ce qui concerne le premier moyen A.2.1. Le premier moyen est divisé en quatre branches.
A.2.2. La première branche est prise de la discrimination créée, par les dispositions entreprises, entre les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui sont transmis et reçus par un réseau de câblodistribution et les organismes de radiodiffusion télévisuelle dont les émissions sont reçues par satellite, alors que la taxe est due - dans son principe - tant par les premières que par les secondes.
En visant les émissions de publicité télévisée transmises aussi bien par satellite que par câblodistribution, le Conseil de la Communauté française a établi une égalité purement formelle, qui ne repose dans les faits sur aucun fondement, et qui viole par conséquent le principe de non-discrimination.
Il apparaît en effet clairement que les organismes de radiodiffusion télévisuelle dont les émissions sont reçues essentiellement par satellite ne seront pas taxés en réalité, dès l'instant où les possibilités de recouvrement de la taxe à l'égard des chaînes satellitaires relèvent de la fiction.
En revanche, l'acte de câblodistribution donne lieu à la perception de droits d'auteur et de droits voisins dans le chef de l'organisme de radiodiffusion. C'est le cas, en Belgique, notamment de T.F.1. qui perçoit donc des revenus consécutifs à la retransmission de ses programmes sur le câble belge, indépendamment de la diffusion de messages publicitaires.
La recherche d'une « assiette » de recouvrement ne fait donc aucune difficulté puisqu'il suffira à la Communauté française de Belgique de saisir et d'exécuter la contrainte sur les revenus issus de la retransmission des programmes de la requérante sur le câble belge.
A l'inverse, les chaînes étrangères diffusées par voie satellitaire exclusivement n'ont, en Belgique, pas d'« assiette » de recouvrement.
L'éventuelle taxe sur la publicité ne pourra donc être recouvrée à l'encontre de ces chaînes, à défaut de disposer de revenus saisissables sur le territoire belge.
A.2.3. La deuxième branche du moyen renvoie aux travaux préparatoires du décret-programme qui se font l'écho de la discrimination que les dispositions entreprises créent entre les organismes de radiodiffusion télévisuelle et les autres organismes qui diffusent de la publicité, parmi lesquels : les organismes de radiodiffusion, la presse écrite, le cinéma et de manière générale tous les organismes et toutes les entreprises généralement quelconques qui diffusent des messages publicitaires.
Compte tenu des parts de marché des principaux supports média, pour l'ensemble du pays, c'est le média T.V. qui va nécessairement se révéler plus onéreux à terme. Le montant de la taxe fixée aujourd'hui à 1.500 francs belges par minute de publicité télévisée ne peut être retenu comme un élément pondérateur des conséquences de la discrimination décrite ci-avant. Il faut, en effet, être attentif au fait que pour T.F.1., l'enjeu économique de la taxe s'élève à près de 80.000.000 de francs belges par an. Par ailleurs, suivant l'article 62, § 2, du décret-programme, le Gouvernement peut adapter le taux de la taxe après avoir pris l'avis de la Commission d'éthique de la publicité.
La taxe litigieuse entraînera par conséquent nécessairement un transfert des investissements publicitaires soit d'une télévision dont les espaces publicitaires sont taxés vers une télévision dont les espaces publicitaires ne sont pas taxés, soit encore entraînera un transfert d'un support médiatique vers un autre, au détriment des organismes de radiodiffusion télévisuelle taxés.
La discrimination entre supports média ne peut être justifiée au regard de l'objectif poursuivi par le législateur communautaire, à savoir procurer des ressources au budget général de la Communauté.
Dans cette perspective, on peut se demander pourquoi seule la publicité télévisée est sollicitée pour alimenter ce budget. Ni la nature de cette publicité, ni celle des organismes qui la diffusent, ni aucune considération tirée du marché considéré ne permettent de vérifier l'adéquation de la mesure contestée avec le but que poursuit cette mesure.
En réalité, la taxe sur la publicité n'est qu'une nouvelle tentative de cloisonnement du marché publicitaire belge après le démantèlement de la s.a. T.V.B., régie publicitaire commune aux organismes de radiodiffusion télévisuelle de la Communauté française, et la condamnation du Royaume de Belgique par la Cour de justice des Communautés européennes par son arrêt du 10 septembre 1996 (Aff.
C-11/95 - Commission des Communautés européennes contre Royaume de Belgique, 10 septembre 1996).
La taxe sur la publicité ne vise donc pas à taxer les revenus tirés de l'exploitation du marché publicitaire belge puisqu'elle taxe le temps de diffusion du message de publicité quelle qu'en soit l'origine et indépendamment de l'exploitation ou non du marché publicitaire belge par le diffuseur. Le but poursuivi est bien de pénaliser les organismes de radiodiffusion étrangers drainant beaucoup d'audience et donc menaçants pour les opérateurs nationaux.
A.2.4. La troisième branche du moyen est prise de l'exclusion de leur champ d'application, par les dispositions entreprises du décret, de la région bilingue de Bruxelles-Capitale.
La Communauté française étant compétente non seulement en région de langue française, mais également, dans les matières qui la concernent, dans la région de Bruxelles-Capitale, la question se pose de savoir pour quelle raison elle a limité le champ d'application du décret. Il en résulte que des organismes de radiodiffusion télévisuelle dont les émissions ne seraient reçues que dans la Région bilingue de Bruxelles-Capitale, et en dépit du fait que leurs émissions seraient diffusées en langue française ou reçues par un public francophone, ne seraient pas débiteurs de la taxe, ce qui constitue absolument une anomalie lorsque l'on sait que la Communauté française est compétente à leur égard.
A.2.5. La quatrième branche du moyen est prise de ce que l'article 71 du décret attaqué posera des problèmes juridiques et pratiques aux organismes de radiodiffusion télévisuelle extérieurs. T.F.1., en particulier, ne voit pas comment répondre aux exigences de cette disposition, qui crée par conséquent une discrimination injustifiée et injustifiable, entre les organismes de radiodiffusion télévisuelle ayant un établissement stable en Belgique, et les organismes étrangers. Si, en vertu de l'article 191 de la Constitution, la loi peut créer des régimes distincts en faveur ou au détriment des étrangers, ce ne peut être que dans la mesure où la différence de traitement par rapport aux Belges soit susceptible de justification objective et raisonnable, cette justification devant s'apprécier par rapport aux buts et aux effets de la mesure considérée. La réglementation litigieuse viole directement les articles 52 et 59 du Traité C.E. en ce qu'elle contient une discrimination indirecte entre les chaînes de télévision de la Communauté française de Belgique et les chaînes de télévision étrangères ressortissantes de l'Union européenne.
Elle est donc contraire au principe constitutionnel de non-discrimination.
En ce qui concerne le deuxième moyen A.3.1. Le deuxième moyen est divisé en deux branches.
A.3.2. La première branche fait état de ce que le décret ne respecte pas l'interdiction de restriction à la libre circulation des services ni selon le droit européen ni selon le droit belge. Le décret porte également atteinte à la libre circulation des biens. En effet, les organismes de radiodiffusion télévisuelle, qui tirent une partie de leurs ressources de la commercialisation d'espaces publicitaires, transféreront dans leurs prix la taxe communautaire, celle-ci étant à son tour reportée, par les agences de publicité, sur les producteurs de biens ou prestataires de services qui utilisent ce média.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, l'article 59 du Traité C.E. exige non seulement l'élimination de toute restriction à l'encontre du prestataire, à raison de sa nationalité ou de sa résidence, lorsqu'elle est de nature à prohiber ou à gêner autrement les activités du prestataire de service, sur le territoire d'accueil de l'activité concernée. Les seules exceptions possibles sont celles visées à l'article 56 du Traité, qui sont d'interprétation restrictive et qui, selon la Cour de justice, ne peuvent relever « d'objectifs de nature économique, lesquels ne peuvent être considérés comme des raisons d'ordre public au sens de l'article 56 ».
Non seulement les échanges entre Etats membres de l'Union européenne seront inévitablement affectés par les dispositions litigieuses du décret, mais encore la libre prestation des services entre les diverses composantes de l'Etat belge. La Communauté française, en effet, n'a pas respecté les dispositions de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. En ne frappant d'une taxe que les seuls messages publicitaires diffusés en région de langue française, à l'exclusion des mêmes messages qui sont diffusés dans la Communauté flamande (qui représentent 59,4 % du marché des foyers câblés en Belgique), dans la Communauté germanophone (0,4 % du marché) et dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale (9,7 % du marché), les dispositions litigieuses ne respectent pas les principes généraux inscrits dans l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi susvisée, principes qui s'appliquent non seulement aux régions mais à l'ensemble des composantes de l'Etat belge.
A.3.3. La seconde branche du deuxième moyen soutient que les dispositions attaquées du décret ne respectent pas davantage le principe de l'union économique et de l'unité monétaire en tant que celui-ci vise aussi l'exercice des compétences fiscales. La Cour d'arbitrage a d'ailleurs eu, à plusieurs reprises, l'occasion de sanctionner les violations commises lors de cet exercice.
A.3.4. Sur les deux branches réunies du moyen, il faut constater que le législateur spécial belge a voulu qu'il y ait une parfaite continuité entre l'union économique et l'unité monétaire belge, d'une part, et les autres dispositifs internationaux de ces unions d'autre part (Traité de l'Union économique belgo-luxembourgeoise, du Benelux, de l'Union européenne et du Fonds monétaire européen). En tant que le Traité C.E. est concerné, il y a lieu, à titre subsidiaire, que la Cour d'arbitrage pose à la Cour de justice des Communautés européennes, en vertu de l'article 177 du Traité, une question qui pourrait être formulée comme suit : « Les articles 30, 56, 59 et 60 du Traité sur l'Union européenne doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils permettent à un Etat membre d'adopter des dispositions réglementaires telles que le décret-programme de la Communauté française du 25 juillet 1996 portant diverses mesures concernant les fonds budgétaires, les bâtiments scolaires, l'enseignement et l'audiovisuel qui établit une taxe sur la publicité télévisée : a) diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle dont le taux d'audience annuel moyen en région de langue française est supérieur à 10 p.c. et, b) transmise par les réseaux de télédistribution ou par satellite et reçue en région de langue française, et qui prévoit que les redevables de la taxe qui n'ont pas d'établissement stable en Belgique sont tenus de faire agréer par les services du Gouvernement de la Communauté française un représentant responsable résidant en Belgique, lequel s'engage personnellement par écrit envers la Communauté française au paiement de la taxe et des intérêts de retard qui pourraient lui être dus ? » En ce qui concerne le troisième moyen A.4.1. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 170, § 2, de la Constitution.
A.4.2. L'article 62 du décret attaqué établit une taxe sur la publicité télévisée diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle dont le taux d'audience annuel moyen en région de langue française est supérieur à dix pour cent. Le deuxième paragraphe de cette disposition permet d'adapter le taux de dix pour cent après avoir pris l'avis de la Commission d'éthique de la publicité.
La taxe portée par le décret est bien un impôt au sens de l'article 172 de la Constitution. L'habilitation qui est donnée au Gouvernement de la Communauté française de fixer le seuil d'application de la taxe a pour effet de permettre au Gouvernement d'atteindre les redevables qu'il souhaite atteindre, et ce en fonction de leur taux d'audience, tel qu'il évolue d'une année à l'autre. Il existe donc entre les destinataires du décret litigieux et les autres contribuables une différence de traitement en ce qui concerne l'autorité habilitée à déterminer l'applicabilité de l'impôt.
Une telle différence de traitement n'est pas susceptible de trouver une justification, compte tenu de l'article 170 de la Constitution, puisque cette disposition garantit, sans exception, à tout citoyen ou à toute personne dont l'activité pourrait être soumise à un impôt établi en Belgique, qu'ils ne seront pas soumis à un tel impôt sans que celui-ci ait été décidé par une assemblée délibérante démocratiquement élue.
Requête dans l'affaire portant le numéro 1077 du rôle A.5. Deux moyens complémentaires au premier recours font l'objet du « recours en annulation complémentaire » introduit par la même partie requérante contre les mêmes dispositions du décret attaqué. Les deux recours ayant été joints, les deux moyens complémentaires seront respectivement examinés en tant que quatrième et cinquième moyens. De même, les deux mémoires introduits respectivement par le Gouvernement de la Communauté française et par la partie requérante seront examinés avec les mémoires que les parties avaient introduits dans le cadre du premier recours.
En ce qui concerne le quatrième moyen A.6.1. Le quatrième moyen est pris de la violation de l'article 127 de la Constitution et particulièrement de son paragraphe 2.
A.6.2. En principe, les émissions de télévision sont des services fournis aux téléspectateurs. Toutefois, en ce qui concerne les émissions qui contiennent de la publicité pour des biens et des services, c'est à l'annonceur et non au public que l'organisme de publicité fournit un service. Ce service est traité comme tel par le droit positif, notamment par le droit fiscal. La T.V.A. est due par l'annonceur sur le montant qui lui est facturé par l'organisme de télévision, et l'annonceur récupérera la taxe payée lors de la vente aux consommateurs du produit ou du service pour lequel il a fait procéder à une annonce publicitaire. C'est ainsi que le service relatif à l'émission de messages publicitaires a été défini par la Cour de justice des Communautés européennes dans son arrêt « Bond van adverteerders » du 26 avril 1988.
La requérante n'exploite pas le marché publicitaire belge. Or, elle doit, en raison de la généralité de la réglementation établie par la Communauté française, payer la taxe qui y est prévue.
En taxant de manière générale toute publicité télévisée diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle transmise et reçue en région de langue française, la Communauté française a taxé une prestation de service faisant l'objet d'une relation juridique et économique intégralement située en dehors du territoire de la Communauté française tel qu'il est décrit par l'article 127 de la Constitution pour définir la compétence ratione loci de la Communauté française. En vertu de cette disposition, les décrets de la Communauté française « ont force de loi dans la région de langue française, ainsi qu'à l'égard des institutions établies dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale qui, en raison de leurs activités, doivent être considérées comme appartenant exclusivement à l'une ou à l'autre Communauté ». Or, si les Conseils des communautés peuvent déterminer le critère ou les critères en application desquels l'objet des normes qu'ils adoptent est localisé, selon eux, dans leur aire de compétence, les critères choisis sont toutefois soumis au contrôle de la Cour d'arbitrage, laquelle a pour mission de veiller à ce que les Conseils n'excèdent ni leurs compétences matérielles ni leurs compétences territoriales.
En matière fiscale, le « service » peut être le fait soumis à taxation. C'est ce qui fait l'objet de la norme qui établit la taxe.
Les décrets de la Communauté française n'ayant force de loi que dans l'aire définie par l'article 127, § 2, de la Constitution, ils ne peuvent prétendre taxer des faits qui ne sont pas situés intégralement dans cette aire, voire, comme en l'occurrence, qui n'y sont pas situés du tout. En effet, non seulement chacun des partenaires de la relation qui se noue pour permettre la prestation de services est situé en France, mais l'objet même de la prestation est étranger à la Belgique.
Cette prestation est, du reste, déjà taxée par le législateur français, ce qui soumet le même message publicitaire à deux impôts identiques, situation constitutive d'une violation de la règle non bis in idem. Cette violation est toutefois commise par le législateur de la Communauté française et non par le législateur de la République française, celui-ci taxant légitimement une relation nouée en France en vue d'une prestation à effectuer dans ce même pays.
En ce qui concerne le cinquième moyen A.7.1. Le cinquième moyen est pris de la violation de l'article 170, § 2, de la Constitution, de l'article 11 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, ainsi que de la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la compétence fiscale visée à l'article 110, §§ 1er et 2, de la Constitution (article 170, §§ 1er et 2, de la Constitution coordonnée le 17 février 1994).
A.7.2. La Communauté française dispose d'une compétence fiscale générale, dans les limites établies par le législateur fédéral (articles 170, § 2, et 173 de la Constitution).
La loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, visée au moyen, qui exécute l'article 170, § 2, alinéa 2, de la Constitution, prévoit que les communautés et les régions ne peuvent lever des impôts dans les matières faisant l'objet d'une imposition par l'Etat. De même, l'article 11 de la loi du 16 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/01/1989 pub. 06/11/2008 numac 2008000907 source service public federal interieur Loi spéciale relative au financement des Communautés et des Régions. - Coordination officieuse en langue allemande fermer de financement des communautés et des régions prévoit dans son alinéa 3 que « sous les réserves des cas prévus par la présente loi, les communautés et les régions ne sont pas autorisées à lever des impôts dans les matières qui font l'objet d'une imposition visée par la présente loi ».
Le principe non bis in idem exclut la possibilité d'établir des impôts concurrents. La Cour d'arbitrage a confirmé que les communautés et les régions ne peuvent pas prélever des impôts sur des matières qui font l'objet d'un impôt national (arrêt n° 47 du 25 février 1988).
Or : 1°) les revenus de la publicité sont assujettis à l'impôt des sociétés dans le chef des organismes de radiodiffusion télévisuelle, belges ou étrangers; 2°) le service rendu par les organismes de radiodiffusion télévisuelle aux publicitaires est soumis à la T.V.A., en Belgique ou en France selon que le service est localisé en Belgique ou en France.
La « matière » visée par la taxe sur la publicité est donc taxée par l'Etat fédéral, qu'il s'agisse des revenus de la publicité (soumis à l'impôt des sociétés) ou de la prestation de services (assujettie à la T.V.A.).
Ainsi, que les organismes de télévision soient taxés en Belgique ou en France, selon les règles de rattachement territorial applicables, il reste que le décret attaqué a pour conséquence, ratione materiae, de soumettre le même fait à deux impôts concurrents, avec la circonstance que le premier impôt a été établi par l'Etat fédéral, qu'il faille considérer la taxation de la minute de publicité comme un impôt déguisé sur les revenus produits par cette publicité ou comme une taxe qui frappe le service rendu par l'organisme de télévision à l'annonceur.
Le cinquième moyen est évidemment formulé dans l'hypothèse où la Cour admettrait que la Communauté française était compétente ratione loci pour imposer la diffusion de messages publicitaires en Belgique par la requérante.
Mémoires du Gouvernement de la Communauté française A.8.1. Il n'appartient pas à la Cour d'arbitrage, conformément à sa propre jurisprudence, de décider si une mesure fiscale est opportune ou souhaitable, pas plus d'ailleurs que de contrôler si le but poursuivi par le législateur, par cette mesure, pourrait être atteint par d'autres mesures.
A.8.2. Le grief invoqué dans la première branche du premier moyen n'est pas fondé. En droit, le décret n'établit aucune différence de traitement entre les organismes de radiodiffusion télévisuelle suivant que leurs programmes sont transmis par câble ou par satellite. A supposer qu'il faille tenir compte de l'argument tiré d'une prétendue inégalité de fait liée au recouvrement effectif de la taxe, le moyen manque en fait puisqu'il repose sur une série de postulats dont aucun n'est démontré, notamment, par exemple, que les organismes dont les programmes sont transmis par satellite choisiront de violer le décret parce qu'ils ne disposeraient d'aucun bien sur lequel la Communauté française pourrait procéder à l'exécution forcée.
Le grief invoqué se heurte encore au fait qu'il n'existe aucun organisme atteignant ou même approchant les 10 p.c. de part de marché requis pour l'application de la taxe, dont les émissions ne soient pas transmises en région de langue française par le câble.
A.8.3. La deuxième branche du premier moyen n'est pas fondée en tant qu'elle invoque une violation des articles 10 et 11 de la Constitution résultant de ce que la taxe frappe la publicité télévisée et non la publicité diffusée par d'autres médias. Ce grief invoque une discrimination entre des catégories de personnes qui ne sont pas suffisamment comparables, la publicité télévisée se distinguant fondamentalement de celle diffusée par les autres médias, par ses modalités de diffusion, ses coûts de fabrication et de diffusion, son impact sur les consommateurs et sa situation au regard de la contribution aux charges publiques.
Même à supposer que les publicités télévisée et radiophonique soient suffisamment comparables, la différence de traitement consistant à taxer la première à 1.500 francs la minute et à ne pas taxer la seconde, est raisonnablement justifiée, un impôt de 1.500 francs belges la minute constituant un coût dérisoire par rapport à la recette produite par une minute de publicité télévisée comparativement à la recette produite par une minute de publicité radiophonique.
Même s'il fallait tenir pour exacte l'affirmation de la requérante selon laquelle les dispositions attaquées auront pour conséquence, pour les organismes redevables de la taxe litigieuse, une modification de leur comportement, cette dernière est un effet secondaire possible de toute taxe que la Cour d'arbitrage a constaté et admis.
Enfin, le décret n'introduit aucune différence de traitement suivant la nationalité de l'organisme de diffusion : plusieurs organismes belges seront du reste redevables de la taxe dès lors qu'ils dépassent le seuil de 10 p.c. de part de marché.
A.8.4. A supposer d'abord que la Communauté française fût compétente à l'égard du public francophone de la région de Bruxelles-Capitale, la troisième branche du premier moyen n'est pas fondée. En effet, le grief qui y est invoqué repose sur le postulat qu'il existe, ou pourrait exister, des organismes de diffusion dont la position par rapport au seuil de 10 p.c. de part de marché serait modifiée si l'on prenait en compte les parts de marché auprès du public de langue française de la région de Bruxelles-Capitale, ou qui seraient redevables d'un montant de taxe plus important si la taxe frappait également les émissions de publicité « reçues par un public francophone » de cette région. De telles situations n'existent pas en fait, et elles sont raisonnablement improbables eu égard aux chiffres de population à envisager et aux modes de diffusion des émissions de télévision. Dans ces conditions, le législateur décrétal a raisonnablement pu, pour des motifs d'efficacité, notamment de limitation des litiges, et eu égard spécialement au montant relativement modeste de la taxe, se référer au territoire de la région de langue française et s'abstenir de se référer également au « public francophone de la Région de Bruxelles-Capitale », notion beaucoup plus difficile à cerner et qui, de ce fait, aurait certainement été l'occasion de nombreux litiges.
Le grief invoqué dans la troisième branche manque cependant aussi en droit, en raison des règles qui déterminent la compétence de la Communauté française. La Communauté française n'a aucune compétence fiscale, ni constitutionnellement ni légalement, à l'égard du public de langue française de la région de Bruxelles-Capitale : elle est uniquement compétente à l'égard de certaines institutions de cette région.
Il convient d'ailleurs de constater qu'en l'occurrence et de manière plus générale, la taxe critiquée respecte l'ensemble des dispositions constitutionnelles qui régissent le pouvoir fiscal de la Communauté française, dont l'article 170, § 2, alinéa 1er, ainsi que les articles 127, § 2, 128, § 2, et 129, § 2, de la Constitution. Le législateur décrétal a pu faire usage de cette compétence pour taxer la publicité télévisée reçue dans la région de langue française et pour limiter cette taxation aux organismes de radiodiffusion télévisuelle détenant une part significative du marché de la publicité télévisée dans cette région. Et, en ce qui concerne la région de Bruxelles-Capitale, la Communauté française n'a aucune compétence territoriale et elle n'a pas davantage de compétence à l'égard des individus qui y résident ou y possèdent des intérêts. La compétence de la Communauté se limite à certaines institutions, et la taxe ne concerne pas les institutions de l'espèce mais les émissions de publicité reçues par des individus, qui ont seuls la faculté de regarder la télévision. A supposer que le décret critiqué ait établi une différence de traitement entre certains organismes de télévision en n'ayant pas égard aux émissions de publicité télévisée reçue par le public francophone de la région de Bruxelles-Capitale, cette différence de traitement serait justifiée au regard des règles constitutionnelles réglant la compétence des communautés.
A.8.5. Le grief invoqué dans la quatrième branche du premier moyen n'est pas fondé. Il n'y a pas de discrimination injustifiée entre les organismes de radiodiffusion télévisuelle ayant un établissement en Belgique et ceux qui n'en ont pas. Les deux catégories d'organismes ne sont pas dans une situation comparable; la mesure est raisonnablement justifiée à l'égard des organismes qui exercent leurs activités exclusivement à partir de l'étranger par le souci de faciliter le recouvrement de la taxe due par ceux-ci, dans l'hypothèse où ils ne s'en acquitteraient pas volontairement. L'article 71 du décret ne contraint d'ailleurs nullement la requérante à détenir un établissement stable en Belgique, mais uniquement à faire agréer un représentant fiscal, à l'instar de ce qui est prévu en matière de taxe sur la valeur ajoutée, notamment.
Enfin, il n'est pas exact que les chaînes de la Communauté française de Belgique bénéficieraient, contrairement à la requérante, d'une différence de situation tirée notamment de ce que ces chaînes « belges » bénéficient de la règle dite du « Must Carry » (les câblodistributeurs sont soumis à l'obligation de retransmettre ces chaînes sur leurs réseaux), des revenus de la publicité, des revenus de la transmission par câble et d'un environnement réglementaire favorable. Aucun des éléments invoqués ici n'a d'incidence en effet en ce qui concerne le paiement de la taxe dont il est question.
A.9.1. Le deuxième moyen, qui invoque la violation du droit européen, n'indique pas en quoi sa méconnaissance constitue une violation des articles 10 et 11 de la Constitution. La Cour ne pouvant dès lors connaître de ce moyen, c'est sous réserve de cette observation fondamentale qu'il sera démontré que le droit européen n'a pas été violé en l'occurrence.
A.9.2. Le principe de la libre circulation des marchandises invoqué à l'article 30 du Traité C.E. n'est pas violé : cette disposition n'a pas vocation à s'appliquer aux mesures nationales établissant des taxes, seul l'article 95 du Traité, qui n'est pas invoqué, étant susceptible de s'y appliquer.
A.9.3. L'article 59 du Traité n'est pas non plus violé. Cette disposition n'interdit pas de façon absolue toute taxe frappant un service. La Cour de justice n'a d'ailleurs jamais condamné un régime fiscal en ce qu'il constituerait une entrave à la libre circulation des services.
La taxe litigieuse ne heurte pas davantage l'article 59 du Traité en ce qu'elle impose la désignation d'un représentant fiscal aux redevables de la taxe qui n'ont pas d'établissement stable en Belgique : la mesure en cause n'implique nullement l'obligation pour la requérante de s'établir en Belgique, puisqu'elle ne requiert de celle-ci que la simple désignation d'un représentant fiscal. En toute hypothèse, on s'étonnera que la requérante, qui a fondé la première branche de son premier moyen sur les risques de fraude fiscale que la réglementation litigieuse entraînait, puisse simultanément faire grief au législateur décrétal des mesures qu'il a prises pour se prémunir contre un tel risque.
A.9.4. La directive « Télévision sans frontières » dont la violation est invoquée également n'est pas applicable en l'espèce puisque, selon son treizième considérant, elle n'affecte pas les compétences que possèdent les Etats membres et leurs autorités en ce qui concerne l'organisation des systèmes de taxation.
A.9.5. En tant que le deuxième moyen apparaît dans son ensemble comme manifestement non fondé, il n'est pas nécessaire de faire droit à la demande de la requérante de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel.
A.9.6. Le deuxième moyen n'est pas fondé non plus en ce qu'il invoque la violation de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980. Le législateur décrétal s'est borné à faire usage, sous la forme d'une taxe d'un montant très modéré, du pouvoir fiscal que lui reconnaît la Constitution, dans le respect des articles 10 et 11 de celle-ci et des règles de répartition des compétences, à l'égard des organismes de télévision qui exploitent la publicité commerciale et exercent, que ce soit à partir de la Belgique ou de l'étranger, cette activité sur le territoire de la région de langue française.
A.10. Pour ce qui concerne le troisième moyen d'annulation tiré de la violation des articles 10, 11 et 170, § 2, de la Constitution, le Gouvernement de la Communauté française s'en remet à la sagesse de la Cour.
A.11.1. Le quatrième moyen d'annulation est irrecevable en ce qu'il n'invoque aucun conflit de compétence, fût-il potentiel, avec une autre norme législative. Plus précisément, il ne soutient pas que le législateur de la Communauté française aurait porté atteinte à la compétence territoriale exclusive de la Communauté flamande prévue par l'article 127, § 2. On peut dès lors se demander si la Cour est compétente pour connaître de ce moyen.
A.11.2. A le supposer recevable, le quatrième moyen n'est pas fondé.
D'une part, l'article 127, § 2, de la Constitution, dont la violation est invoquée, concerne uniquement la compétence territoriale ou ratione personae des décrets réglant les matières énumérées à l'article 127, § 1er. Les dispositions attaquées ne règlent aucune de ces matières mais établissent un impôt. Elles n'ont donc pu méconnaître l'article 127, § 2.
D'autre part, le moyen repose tout entier sur le postulat que le fait donnant lieu à la taxation litigieuse est la prestation de service conclue entre les organismes de radiodiffusion télévisuelle et les annonceurs, qui chargent, moyennant rémunération, ces organismes de diffuser de la publicité.
Or, le fait imposable est la réception en région de langue française de la publicité télévisée répondant aux critères définis par l'article 62, § 1er, du décret.
Le décret ne s'intéresse pas à la relation entre l'organisme de diffusion et les annonceurs. La taxe est calculée sur la base de la durée de la publicité et aucunement en fonction des revenus que l'organisme de radiodiffusion télévisuelle tire de la vente d'espaces publicitaires ni en fonction du prix d'achat de l'espace publicitaire payé par les annonceurs à l'organisme de radiodiffusion télévisuelle.
Reposant sur une analyse erronée des dispositions entreprises, le moyen n'est pas fondé.
En diffusant ses programmes de publicité commerciale en région de langue française, la requérante exerce son activité en Communauté française puisque cette activité consiste précisément à toucher des téléspectateurs-consommateurs potentiels.
A.12.1. Le cinquième moyen n'est pas fondé. S'il est exact que l'article 11 de la loi du 16 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/01/1989 pub. 06/11/2008 numac 2008000907 source service public federal interieur Loi spéciale relative au financement des Communautés et des Régions. - Coordination officieuse en langue allemande fermer et la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer interdisent aux communautés et aux régions d'établir des impositions sur les revenus ou la valeur ajoutée, le moyen n'est pas fondé car la taxe litigieuse n'est ni un impôt sur le revenu ni une taxe sur le service rendu assimilable à la T.V.A. A.12.2. La taxe litigieuse d'abord ne répond à aucun des trois critères dégagés par le Conseil d'Etat pour distinguer un impôt sur le revenu. Elle isole une base taxable et ne frappe pas indistinctement l'ensemble des contribuables. Elle ne prend en considération ni les revenus du contribuable, ni des éléments représentatifs de ces revenus ou proportionnés à ceux-ci.
La taxe, ensuite, n'est pas une taxe équivalente à la T.V.A. : elle ne s'applique pas de manière générale aux transactions ayant pour objet des biens ou des services; elle n'est pas proportionnelle à un quelconque prix; elle est perçue en dehors de tout processus de production ou de distribution; elle ne s'applique pas sur la valeur ajoutée de biens ou de services.
A.12.3. En ce qui concerne, enfin, la violation de l'adage non bis in idem, ni la Constitution, ni aucun texte légal ne consacrent celui-ci de manière générale. Tout au plus certaines dispositions légales en constituent-elles des applications ponctuelles. Il en est ainsi, sur le plan national, de l'article 11 de la loi du 16 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/01/1989 pub. 06/11/2008 numac 2008000907 source service public federal interieur Loi spéciale relative au financement des Communautés et des Régions. - Coordination officieuse en langue allemande fermer et de la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer. Sur le plan international, rien n'empêche en règle un Etat de taxer un fait ou une matière qui est également imposée par un ou plusieurs Etats étrangers. Les dispositions internes visant à alléger la double imposition et les conventions bilatérales préventives de la double imposition en constituent la preuve a contrario.
Mémoires en réponse de T.F.1.
A.13.1. Le Gouvernement de la Communauté française ne rencontre pas en droit la première branche du premier moyen. Quant aux « postulats », ils ne peuvent que se vérifier dans les faits. Sans même vouloir violer la loi, les organismes qui diffusent leurs programmes par satellite ne payeront aucune taxe et on ne voit pas comment la Communauté française pourrait justifier sa compétence à leur égard.
Ainsi, le décret litigieux n'a que les apparences de conformité à l'égard du principe de non-discrimination. Il fait d'emblée et d'office l'impasse sur les programmes reçus autrement que par le câble. Outre qu'il n'est juridiquement pas correct de prétendre que le principe de non-discrimination est respecté sous prétexte que certaines situations ont peu de chances de se réaliser en fait, le raisonnement de la Communauté française est manifestement en porte-à -faux par rapport à la réalité.
A.13.2. En ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen, le Gouvernement de la Communauté française fait manifestement un amalgame entre les coûts de fonctionnement des supports média et le marché publicitaire faisant l'objet de la taxe litigieuse. Or, quel que soit le média visé, le marché publicitaire concerné est identique. Il s'agit, en effet, des mêmes annonceurs qui utilisent indifféremment les cinq médias mis à leur disposition, dans le cadre d'un même raisonnement marketing qui vise à toucher une même cible de la population sélectionnée non pas en fonction du support mais sur la base des spécificités du produit. S'il faut, comme le fait la Communauté française, comparer les supports média entre eux, encore faut-il connaître la structure du marché et comparer ce qui est comparable : le marché publicitaire de la radio ou de l'affichage n'est pas aussi fragmenté que la défenderesse le soutient mais serait plutôt concentré entre quelques grands opérateurs nationaux. Enfin, le coût de la taxe pour T.F.1., soit 80 millions de francs belges, n'est nullement dérisoire, et cela d'autant moins que T.F.1. n'exploite pas le marché publicitaire belge.
A.13.3. Sur la troisième branche du premier moyen, il faut constater que, pour justifier sa compétence fiscale et ne pas empiéter sur les compétences des autres communautés et régions, il a fallu au Gouvernement de la Communauté française recourir à un critère aussi fictif que celui du « taux d'audience annuel moyen en région de langue française ». Il s'agit là d'une mesure d'audience inhabituelle, à laquelle ni les agences ni les annonceurs, pas plus du reste que les médias et les régies, n'ont recours généralement.
A.14.1. En guise de préambule à la réplique sur le deuxième moyen, il faut soutenir que l'ordre juridique belge et l'ordre européen constituent pour la Belgique, comme pour chacun des Etats membres de l'Union européenne, un ordre juridique unique, qui doit être cohérent.
Il ne peut être admis que, pour le motif que la Cour d'arbitrage a une compétence spécialisée, limitée à la censure au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, il y ait plusieurs acceptions différentes, dans les mêmes matières, des principes d'égalité et de non-discrimination. Il en va d'autant plus ainsi que la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, telle qu'elle a été modifiée ultérieurement, utilise, dans la matière dont il s'agit, un concept repris du droit communautaire, à savoir l'union économique et monétaire.
A.14.2. L'article 30 du Traité C.E. a été violé par les dispositions attaquées du décret. Contrairement à ce que le Gouvernement de la Communauté française affirme, la Cour de justice a considéré que des taxes et autres mesures d'accompagnement fiscal peuvent constituer des mesures d'effet équivalent à des restrictions quantitatives.
La réglementation litigieuse est une restriction à la libre circulation de services prohibée par l'article 59 du Traité. Elle est en effet constitutive d'une entrave qui, contrairement à ce qui est soutenu, n'entre pas dans le champ des exceptions visées à l'article 56 du Traité. La circonstance que les radiodiffuseurs nationaux sont également soumis à cette taxe n'exclut pas que celle-ci puisse constituer une restriction prohibée par l'article 59 du Traité.
La requérante n'invoque pas la nécessité de disposer d'un « établissement stable » comme étant une entrave à la libre prestation de service. Elle soutient que la Communauté française, en exigeant par décret la désignation d'un représentant fiscal dans le chef des radiodiffuseurs étrangers, ressortissants de l'Union européenne non établis sur le territoire belge et donc sans lien économique durable, au sens de l'article 52 du Traité, avec la Communauté française, autre qu'une présence sur le câble depuis de nombreuses années, a introduit une entrave violant les articles 59 et 52 du Traité. Le recouvrement de la taxe litigieuse, qui nécessite l'envoi d'un avertissement-extrait de rôle, peut s'opérer à charge des opérateurs concernés par pli recommandé ou par simple notification au siège de ces opérateurs, sans que la désignation d'un représentant fiscal apparaisse comme d'une nécessité absolue.
La directive « Télévision sans frontières » réglemente notamment la publicité télévisée et vise à assurer la libre circulation des émissions de télévision en Europe. Ce texte interdit également aux Etats membres, sur les territoires desquels les émissions télévisées sont reçues, d'ajouter des conditions spécifiques à la réception de ces émissions lorsque les radiodiffuseurs concernés satisfont déjà aux conditions du pays d'origine des émissions. Le treizième considérant invoqué par le Gouvernement de la Communauté française doit être lu dans ce contexte et ne peut porter atteinte à l'effet utile des principes évoqués ci-dessus.
Il faut relever que le Gouvernement de la Communauté française ne s'oppose pas à la demande de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.
A.15. Le Gouvernement de la Communauté française ne se défend pas sur le troisième moyen et s'en remet à la sagesse de la Cour : il doit par conséquent être considéré comme fondé.
A.16.1. L'exception d'incompétence de la Cour formulée par le Gouvernement de la Communauté française à l'égard du quatrième moyen manque en fait et en droit.
En effet, l'article 127, § 2, de la Constitution est incontestablement une disposition qui définit les compétences des conseils de communauté, en l'occurrence la compétence territoriale. La Cour d'arbitrage est compétente pour censurer les excès de compétence commis par les conseils de communauté en violation de l'article 127, § 2, et en particulier pour censurer un décret par lequel un conseil de communauté prétendrait explicitement régir une situation localisée à la fois à l'extérieur du territoire de la Communauté française et à l'extérieur du territoire belge. Il en va évidemment de même lorsque le même effet est produit implicitement par un décret. Cette situation est incontestablement celle qui est créée par le décret attaqué. En effet, ce décret ne constitue pas seulement un excès de compétence au sens pur du terme, mais il porte en lui un conflit virtuel ratione loci avec la Communauté flamande. La même disposition du décret attaqué atteint des situations localisées à l'extérieur du territoire de la Belgique et des situations localisées à l'intérieur, mais en dehors du champ de la compétence territoriale du Conseil de la Communauté française, de sorte qu'il y a à tout le moins un conflit virtuel.
A.16.2. C'est l'article 127, § 2, de la Constitution qui est applicable en l'espèce : l'établissement de la taxe litigieuse est intimement lié à l'exercice, par le Conseil de la Communauté française, d'une compétence culturelle au sens de l'article 127, § 1er, de la Constitution. On peut ainsi considérer que les articles 62 et suivants du décret-programme constituent l'exercice combiné d'une compétence prévue à l'article 127, § 1er, de la Constitution et d'une compétence fiscale.
S'il fallait considérer, quod non, que la disposition attaquée ne constitue pas l'exercice combiné d'une compétence prévue à l'article 127, § 1er, de la Constitution et d'une compétence fiscale mais qu'il s'agit d'un impôt à part entière, les articles 61 et suivants du décret-programme n'en violeraient pas moins la Constitution.
Dans son mémoire, le Gouvernement de la Communauté française est d'avis que le moyen n'est pas fondé, en ce que l'article 127, § 2, de la Constitution n'est pas applicable alors que les dispositions attaquées établissent un impôt. Un tel argument revient à dire qu'il n'existe pas de limites territoriales à la compétence fiscale autonome des communautés ou qu'à tout le moins, cette limite territoriale n'est pas établie par l'article 127, § 2, de la Constitution.
Ainsi, la question se pose pour la première fois devant la Cour d'arbitrage de savoir s'il existe une limite territoriale à la compétence fiscale propre des communautés.
Dans un avis émis le 16 juillet 1992, la section de législation du Conseil d'Etat a estimé que « pour donner une portée concrète (à l'article 170, § 2, de la Constitution), il faut nécessairement conclure qu'il autorise les communautés à prélever des impôts sur tout le territoire national ».
Cette opinion a été combattue par une doctrine unanime. D'abord, il est établi, ainsi que l'a jugé la Cour, que les communautés ont un territoire. Celui-ci est d'ailleurs fixé dans les articles 127, § 2, et 128, § 2, de la Constitution. Ce territoire est le même pour l'exercice des compétences fiscales : les communautés ne peuvent établir d'impôt que dans le respect de leur compétence territoriale.
Elles ne peuvent en aucun cas lever un impôt pour un service presté hors de leurs frontières.
L'article 170, § 2, de la Constitution prescrit que l'impôt communautaire doit être établi par un décret. Par ailleurs, le principe de souveraineté s'oppose au pouvoir d'imposition illimité ratione loci des communautés. Enfin, une compétence communautaire territorialement illimitée en matière fiscale contreviendrait au principe non bis in idem.
S'il est exact que la règle non bis in idem ne fait aujourd'hui l'objet que d'applications ponctuelles (ainsi la loi ordinaire du 23 janvier 1989 interdit-elle aux régions et aux communautés de percevoir des taxes dans des matières qui font déjà l'objet d'un impôt national), les doubles impositions sont en contradiction avec le principe de l'union économique et monétaire que la Cour a considéré comme devoir être respecté par les communautés et les régions dans l'exercice de leurs compétences. A titre subsidiaire, l'imposition d'un service rendu en dehors du territoire d'une communauté violerait le principe de la loyauté fédérale inscrit à l'article 143 de la Constitution, le principe de l'autonomie des entités fédérées ainsi que l'article 170, § 2, de la Constitution, qui contient implicitement la règle de la territorialité de l'impôt.
A.16.3. Il y a lieu encore d'émettre quelques considérations sur la définition du fait donnant lieu à taxation. En soutenant, en effet, dans son mémoire que « le fait imposable est la réception dans la région de langue française de la publicité télévisée, répondant aux critères définis par l'article 62, § 1er, du décret » et en ajoutant que le décret « ne s'intéresse pas à la relation entre l'organisme de diffusion et les annonceurs », le Gouvernement de la Communauté française opère un revirement complet qui ne s'accorde ni avec le texte du décret ni avec ses travaux préparatoires aux termes desquels c'est le service qui fait l'objet de la taxation et, « dès lors, ce n'est pas la transmission elle-même de la publicité qui est visée mais bien la diffusion de celle-ci ». Et de s'en référer pour le surplus aux développements de la requête.
A.17.1. Le cinquième moyen consiste à soutenir que la taxe litigieuse constituerait soit un impôt sur les revenus tirés de la publicité commerciale soit un impôt sur le service rendu par l'organisme de télévision à l'annonceur, analogue à la T.V.A. fédérale. En réalité, il reproche au décret-programme d'avoir instauré une taxe frappant une matière faisant l'objet d'une imposition fédérale.
A.17.2. La matière imposable est l'élément générateur de l'impôt, la situation ou le fait qui donne lieu à la débition de l'impôt. La base imposable est le montant sur lequel est calculé l'impôt. Le Gouvernement de la Communauté française confond ces deux notions.
En l'occurrence, c'est la diffusion de la publicité qui constitue la matière de la taxe litigieuse. La durée de diffusion en constitue la base imposable : la taxe litigieuse est fixée à 1.500 francs par minute.
A.17.3. La loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer et l'article 11 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 excluent l'imposition concurrente au profit de la fiscalité fédérale : les communautés et les régions ne sont pas autorisées à lever des impôts dans les matières qui font l'objet d'une imposition par l'Etat.
La matière de la taxe litigieuse, à savoir le service que constitue la diffusion de la publicité télévisuelle, fait l'objet d'un impôt fédéral : la T.V.A. Dans les deux cas, ce n'est pas directement le revenu qui est imposé mais la source du revenu, c'est-à -dire le service dont le revenu constitue la contrepartie. La base imposable est différente : dans le cas de la T.V.A., c'est la contrepartie du service que constitue la diffusion tandis que dans le cas de la taxe litigieuse il s'agit de la durée de la diffusion. Mais la matière, seule visée par la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer et par l'article 11 de la loi spéciale du 16 janvier 1989, est la même : dans les deux cas, il s'agit de la diffusion de la publicité. - B - Quant au fond B.1. Les trois premiers moyens sont pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution combinés, pour ce qui concerne le deuxième moyen, avec d'autres règles de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, notamment l'article 6, et avec la directive européenne « Télévision sans frontières » 89/552/CEE du 3 octobre 1989 modifiée par la directive 97/36/CE du 30 juin 1997 et, pour ce qui concerne le troisième moyen, avec l'article 170, § 2, de la Constitution.
Les quatrième et cinquième moyens sont pris de la violation de règles de compétences.
L'examen de la conformité des règles attaquées du décret aux règles de compétences doit précéder l'examen de la conformité aux articles 10 et 11 de la Constitution.
B.2. Le quatrième moyen est pris de la violation de l'article 127 de la Constitution et particulièrement de son paragraphe 2. Cette disposition constitutionnelle est une règle de compétence territoriale.
Le cinquième moyen est pris de la violation de l'article 170, § 2, de la Constitution, de l'article 11 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, ainsi que de la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer relative à la compétence fiscale visée à l'article 110, §§ 1er et 2, de la Constitution (article 170, §§ 1er et 2, nouveau).
La Cour estime en l'espèce que l'examen de la conformité des règles attaquées du décret aux règles de compétences matérielles doit précéder l'examen de la conformité des dispositions litigieuses aux règles de compétence territoriale. Elle examine dès lors le cinquième moyen en premier lieu.
Quant au cinquième moyen B.3. L'article 62, § 1er, du décret du 25 juillet 1996 dispose : « Il est établi une taxe sur la publicité télévisée : a) diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle dont le taux d'audience annuel moyen en Région de langue française est supérieur à 10 p.c., et b) transmise par les réseaux de télédistribution ou par satellite et reçue en Région de langue française.» L'article 62, § 2, dispose : « Le Gouvernement peut adapter le taux visé au § 1er, a), après avoir pris l'avis de la commission d'éthique de la publicité. » L'article 64 dispose : « La taxe est fixée à 1.500 francs par minute de publicité télévisée visée à l'article 62, § 1er, émise pendant l'année de référence. » L'article 65, § 1er, dispose : « La taxe est due par l'organisme de radiodiffusion télévisuelle qui diffuse la publicité télévisée. » B.4. L'article 170, § 2, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de la communauté ou de la région ne peut être établi que par un décret ou une règle visée à l'article 134.
La loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée. » En vertu de cette disposition, les communautés et les régions disposent d'une compétence fiscale propre. L'article 170, § 2, alinéa 2, de la Constitution attribue toutefois au législateur fédéral le pouvoir de déterminer, en ce qui concerne la compétence fiscale des communautés et des régions, les exceptions « dont la nécessité est démontrée ». Le législateur fédéral peut dès lors déterminer quels impôts ne peuvent pas être levés par les communautés et les régions.
B.5.1. En application de l'article 1er, § 1er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, la Communauté flamande et la Communauté française disposent des moyens financiers suivants : a) les taxes instaurées sur la base de la fiscalité propre prévue par l'article 170, § 2, de la Constitution;b) les recettes non fiscales;c) les recettes fiscales visées par la loi spéciale précitée du 16 janvier 1989;d) les parties attribuées du produit d'impôts et de perceptions;e) les emprunts. B.5.2. Pour le règlement du recours en cause, la Cour examine seulement l'étendue de la compétence matérielle de la communauté (article 170, § 2, de la Constitution), sans préjudice de la portée de cette compétence du point de vue de son champ d'application territorial.
B.5.3. En application de l'article 170, § 2, alinéa 2, de la Constitution, l'article 1er de la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, visé au moyen, dispose : « Dans les cas non prévus par l'article 11 de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des Communautés et des Régions, les Conseils ne sont pas autorisés à lever des impôts dans les matières qui font l'objet d'une imposition par l'Etat, ni à percevoir des centimes additionnels aux impôts et perceptions au profit de l'Etat, ni à accorder des remises sur ceux-ci. » B.5.4. Il résulte de ce qui précède que : a) la Constitution elle-même attribue aux communautés et aux régions une compétence fiscale propre, sous réserve expresse que la loi n'ait pas déterminé ou ne détermine ultérieurement les exceptions dont la nécessité est démontrée;b) la loi spéciale du 16 janvier 1989 attribue en outre aux communautés et aux régions le produit de certains impôts fédéraux ainsi qu'une compétence fiscale complémentaire et limitée;c) les communautés et les régions ne sont cependant pas autorisées à percevoir des impôts à l'égard de matières qui font l'objet d'un impôt fédéral.Elles « peuvent lever des impôts dans des matières vierges » Doc. parl., Sénat, 1988-1989, n° 562-2, p. 160).
B.6.1. Dans son mémoire, le Gouvernement de la Communauté française soutient que le fait imposé par la taxe litigieuse, c'est-à -dire la matière imposable, est « la réception dans la région de langue française de la publicité télévisée répondant aux critères définis par l'article 62, § 1er, du décret ».
B.6.2. Il ressort du texte même des articles 62, § 1er, et 65 du décret attaqué que la matière qui fait l'objet de la taxe litigieuse est la diffusion de la publicité par un organisme de radiodiffusion télévisuelle. Ceci est confirmé dans le commentaire de l'article 53 du projet devenu l'article 65 du décret-programme, qui traite du « service faisant l'objet de la taxation sur la publicité télévisuelle transmise par le câble ou par satellite et atteignant de la sorte le public de la Communauté française. Dès lors, ce n'est pas la transmission elle-même de la publicité qui est visée mais bien la diffusion de celle-ci » (Commentaire des articles, Doc., Conseil de la Communauté française, 96-1 (1995-1996), p. 11).
On ne voit d'ailleurs pas comment la réception du message par le téléspectateur de l'émission pourrait constituer en l'espèce la matière imposable dès lors que ce n'est pas le téléspectateur qui est le redevable de l'impôt et que le redevable de l'impôt, à savoir l'organisme de radiodiffusion télévisuelle, n'est pas celui qui reçoit le message publicitaire. En outre, même à supposer que le message publicitaire ne fasse l'objet d'aucune réception, la taxe sera due par l'organisme qui a diffusé le message, à la seule condition que le taux d'audience de cet organisme soit supérieur à 10 p.c. en région de langue française.
B.7.1. La matière imposable est l'élément générateur de l'impôt, la situation ou le fait qui donne lieu à la débition de l'impôt. La matière imposable se distingue de la base imposable, qui est le montant sur lequel est calculé l'impôt. C'est à l'égard de matières qui font déjà l'objet d'un impôt fédéral que les communautés et les régions ne sont pas autorisées à établir une imposition nouvelle.
B.7.2. La Cour constate que la diffusion de la publicité fait en réalité l'objet d'une double taxation : d'une part, un impôt fédéral, la T.V.A., en vertu de l'article 18, § 1er, 14°, du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, qui soumet à ladite taxe « les prestations des entreprises de radiodistribution, télédistribution et télécommunication »; d'autre part, une taxe communautaire, la taxe litigieuse, en vertu de l'article 62, § 1er, du décret du 25 juillet 1996, qui établit « une taxe sur la publicité télévisée diffusée par un organisme de radiodiffusion télévisuelle ». Dans les deux cas, c'est la même matière qui fait l'objet d'une taxation par l'Etat fédéral et par la Communauté française, à savoir la diffusion d'un message publicitaire par un organisme de radiodiffusion télévisuelle.
B.8. Il résulte de ce qui précède que l'article 62, § 1er, attaqué du décret de la Communauté française établit une taxe sur une matière qui fait déjà l'objet d'une imposition fédérale. Il viole ainsi l'article 170, § 2, de la Constitution et la loi du 23 janvier 1989Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/01/1989 pub. 22/04/2011 numac 2011000233 source service public federal interieur Loi sur la juridiction visée aux articles 92bis, § 5 et § 6, et 94, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, qui interdisent que les communautés perçoivent un impôt dans une matière qui fait déjà l'objet d'un impôt fédéral.
Le cinquième moyen est fondé.
B.9. Les autres dispositions attaquées du décret étant liées à l'article 62, § 1er, attaqué, il s'impose qu'elles soient annulées par voie de conséquence.
B.10. Les autres moyens ne doivent pas être examinés, faute qu'ils puissent donner lieu à une annulation plus étendue.
Par ces motifs, la Cour annule les articles 61 à 78 et 82 du décret-programme de la Communauté française du 25 juillet 1996 portant diverses mesures concernant les fonds budgétaires, les bâtiments scolaires, l'enseignement et l'audiovisuel.
Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 janvier 1998.
Le greffier f.f., R. Moerenhout.
Le président, M. Melchior.