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Arrêt
publié le 31 janvier 2023

Extrait de l'arrêt n° 97/2022 du 14 juillet 2022 Numéro du rôle : 7587 En cause : le recours en annulation de l'article 22 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernemen La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 97/2022 du 14 juillet 2022 Numéro du rôle : 7587 En cause : le recours en annulation de l'article 22 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l' ordonnance du 19 mars 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040737 source region de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040738 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 fermer visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 » et de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 « interdisant temporairement les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020 inclus », confirmé par l'article 22 de l' ordonnance du 4 décembre 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 04/12/2020 pub. 11/12/2020 numac 2020044102 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l'ordonnance du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 fermer précitée, introduit par l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » et autres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents P. Nihoul et L. Lavrysen, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune, E. Bribosia et W. Verrijdt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président P. Nihoul, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 27 mai 2021 et parvenue au greffe le 28 mai 2021, un recours en annulation de l'article 22 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l' ordonnance du 19 mars 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040737 source region de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040738 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 fermer visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 » (publiée au Moniteur belge du 11 décembre 2020) et de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 « interdisant temporairement les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020 inclus », confirmé par l'article 22 de l' ordonnance du 4 décembre 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 04/12/2020 pub. 11/12/2020 numac 2020044102 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l'ordonnance du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 fermer précitée, a été introduit par l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires », Daniel Declercq et Pascale Demil, assistés et représentés par Me J.-M. Rigaux, avocat au barreau de Liège-Huy. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte B.1.1. Le recours en annulation concerne, d'une part, l'article 22 de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 4 décembre 2020 « portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l' ordonnance du 19 mars 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040737 source region de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040738 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 fermer visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 » (ci-après : l' ordonnance du 4 décembre 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 04/12/2020 pub. 11/12/2020 numac 2020044102 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l'ordonnance du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 fermer) et, d'autre part, l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 « interdisant temporairement les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020 inclus » (ci-après : l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020), confirmé par l'article 22 de l' ordonnance du 4 décembre 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 04/12/2020 pub. 11/12/2020 numac 2020044102 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l'ordonnance du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 fermer.

B.1.2. Le fondement juridique de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 est l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 mars 2020 « visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 », dont l'article 2 dispose : « § 1er. Afin de permettre à la Région de Bruxelles-Capitale de réagir à la pandémie de COVID-19, le Gouvernement peut prendre toutes les mesures utiles pour prévenir et traiter d'urgence, sous peine de péril grave, toute situation qui pose problème dans le cadre strict de la pandémie COVID-19 et de ses conséquences, notamment dans les domaines suivants : - l'adaptation des textes légaux relatifs aux délais fixés par la législation de la Région de Bruxelles-Capitale ou adoptés en vertu de celle-ci; - l'adaptation des textes légaux relatifs aux domaines impactés par la crise et relevant des matières régionales; - la prise en charge des effets socio-économiques de la pandémie; - les mesures liées à la prévention et la sécurité sur le territoire régional; - les mesures sanitaires urgentes en relation avec les matières régionales; - les mesures relatives à la fonction publique régionale. § 2. Les arrêtés prévus au § 1er peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions ordonnancielles en vigueur. [...] ».

B.1.3. L'article 2 de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 dispose : « Toute expulsion domiciliaire est interdite jusqu'au 31 août 2020 à l'exception des expulsions justifiées par un péril grave et imminent pour la sécurité publique incompatible avec la date du 31 août 2020 ».

L'article 3 de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 dispose : « Les forces de police sont chargées de veiller au respect du présent arrêté, au besoin par la contrainte et/ou la force ».

Le préambule de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 est libellé comme suit : « Vu la loi spéciale de réformes institutionnelles et notamment son article 6;

Vu la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises;

Vu le Code bruxellois du Logement;

Vu l' ordonnance du 19 mars 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040737 source region de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040738 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 fermer visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19;

Vu l'urgence visant à interdire temporairement les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020 afin d'éviter que des habitants de la Région ne se retrouvent sans logement ou sans solution pérenne de relogement dans le contexte de pandémie dû au coronavirus covid-19;

Vu l'avis 67.387/3 du Conseil d'Etat rendu le 14 mai 2020 en application de l'article 84, § 1er, alinéa 1er, 3°, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973;

Considérant la qualification de l'OMS du coronavirus COVID-19 comme une pandémie en date du 11 mars 2020;

Considérant qu'en date du 16 mars 2020, l'OMS a relevé à son degré maximum le niveau de la menace liée au COVID-19 qui déstabilise l'économie mondiale et se propage rapidement à travers le monde;

Vu le principe de précaution dans le cadre de la gestion d'une crise sanitaire internationale;

Vu l'urgence et le risque de précaution qui impliquent que lorsqu'un risque grave et potentiel ayant un certain degré de probabilité a été détecté, il revient aux autorités publiques d'adopter des mesures de protection urgentes et provisoires au niveau le plus approprié pour ce faire;

Considérant que les mesures actuelles et à venir prises pour limiter la propagation du virus dans la population en particulier les mesures dites ' de distanciation sociale ' recommandées par le Conseil National de Sécurité traduites par arrêtés du Ministre de de la Sécurité et de l'Intérieur des 23 mars, 3 avril et 17 avril 2020 et du 8 mai sont de nature à ralentir toute forme d'activité sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, à fragiliser l'activité socioéconomique de la Région et à placer les publics fragilisés dans une plus grande précarité;

Considérant l'arrêté du Ministre-Président de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 mars 2020 suspendant l'exécution des décisions d'expulsion domiciliaire jusqu'au 3 avril 2020 prolongé jusqu'au 3 mai 2020 inclus;

Considérant que l'urgence du fait de la rapidité de la propagation de la pandémie et de la nécessité de la contenir et de l'atténuer sur le territoire bruxellois afin de préserver la santé publique de même que la capacité d'accueil des infrastructures hospitalières bruxelloises perdure;

Considérant par conséquent que la prolongation des mesures d'interdiction temporaire des expulsions est indispensable; que celle-ci est en effet de nature à diminuer les contaminations et partant de permettre aux services de soins intensifs d'accueillir les patients gravement atteints dans les meilleures conditions possibles et, d'autre part, de donner aux chercheurs plus de temps pour trouver des traitements efficaces et mettre au point des vaccins;

Considérant que cette mesure est également de nature à protéger les personnes les plus vulnérables économiquement et les plus fragilisées par rapport à la propagation du virus; que les autorités publiques doivent être vigilantes et mettre en oeuvre tous les moyens pour préserver la santé publique avec une attention particulière pour les personnes les plus fragilisées et précarisées;

Considérant que le relogement des personnes expulsées est au surplus difficile sinon impossible du fait des mesures de distanciation sociale et du ralentissement de l'économie qui en découle; que le relogement des ménages ne sera bien souvent possible qu'après la levée des mesures de distanciation sociale et une nécessaire période de remise en route de l'activité économique;

Considérant qu'en vertu de l'article 2 de l' ordonnance du 19 mars 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040737 source region de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040738 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 fermer visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19, le Gouvernement peut prendre toutes les mesures utiles pour prévenir et traiter d'urgence, sous peine de péril grave, toute situation qui pose problème dans le cadre strict de la pandémie COVID-19 et de ses conséquences, notamment dans l'adaptation des textes légaux relatifs aux domaines impactés par la crise et relevant des matières régionales ou la prise en charge des effets socio-économiques de la pandémie;

Considérant que les régions sont compétentes pour régler l'ensemble de la matière du logement ainsi que pour les règles relatives à la location de logements;

Considérant l'absolue nécessité de garantir un logement pour tous en cette période de pandémie pour éviter que des personnes se retrouvent à la rue sans solution pérenne de relogement;

Considérant que pour les motifs qui précèdent il y a lieu d'interdire les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020; que sont dès lors visées par le présent arrêté toutes les expulsions de logement affecté au domicile ou à défaut à la résidence;

Considérant que le loyer ou une indemnité d'occupation forfaitaire ou correspondant à l'état du bien reste due pendant la période temporaire d'interdiction de l'expulsion;

Considérant que les expulsions motivées par un péril grave et imminent pour la sécurité publique et/ou pour ses habitants, non compatibles avec la date du 31 août 2020, restent possibles à condition que les personnes expulsées aient reçu une proposition de relogement; que cette exception est d'interprétation restrictive;

Considérant que la mesure d'interdiction ainsi encadrée est limitée et proportionnée;

Considérant qu'en vertu de l'article 4 § 1 et § 2 de l' Ordonnance du 19 mars 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040737 source region de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 type ordonnance prom. 19/03/2020 pub. 20/03/2020 numac 2020040738 source commission communautaire commune de bruxelles-capitale Ordonnance visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 fermer visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19, le présent arrêté devra être confirmé par le Parlement de la région de Bruxelles-Capitale; [...] ».

B.1.4. L'article 22 de l' ordonnance du 4 décembre 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 04/12/2020 pub. 11/12/2020 numac 2020044102 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l'ordonnance du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 fermer dispose : « L'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 interdisant temporairement les expulsions domiciliaires jusqu'au 31 août 2020 inclus est confirmé ».

Quant à la recevabilité B.2.1. Selon les parties requérantes elles-mêmes, la Cour ne serait pas compétente pour contrôler un arrêté de pouvoirs spéciaux confirmé par une ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale, puisqu'en vertu de l'article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux Institutions bruxelloises (ci-après : la loi spéciale du 12 janvier 1989), les ordonnances de la Région de Bruxelles-Capitale n'auraient pas valeur législative.

B.2.2. L'article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 dispose : « Les juridictions ne peuvent contrôler les ordonnances qu'en ce qui concerne leur conformité à la présente loi et à la Constitution, à l'exception des articles de la Constitution visés par l'article 142, alinéa 2, 2° et 3° de celle-ci et des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des Communautés et des Régions.

En cas de non-conformité, elles refusent l'application de l'ordonnance ».

B.3.1. L'article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 n'établit pas d'exception à la compétence de la Cour. Les normes législatives adoptées par l'Etat, les communautés et les régions, y compris les ordonnances adoptées par la Région de Bruxelles-Capitale, sont toutes soumises au contrôle de constitutionnalité confié à la Cour par l'article 142 de la Constitution. Les ordonnances adoptées par la Région de Bruxelles-Capitale sont, en outre, soumises au contrôle juridictionnel restreint prévu à l'article 9 de la loi spéciale du 12 janvier 1989.

B.3.2. Du fait de sa confirmation par le législateur ordonnanciel, l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 doit être considéré comme étant assimilé à une norme législative. Dans son examen du recours dirigé contre l'article 22 de l' ordonnance du 4 décembre 2020Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 04/12/2020 pub. 11/12/2020 numac 2020044102 source region de bruxelles-capitale Ordonnance portant confirmation des arrêtés du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pris en exécution de l'ordonnance du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19 fermer, la Cour implique le contenu de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020.

B.3.3. L'exception est rejetée.

B.4. Il ressort de l'exposé de la requête que les deuxième et troisième parties requérantes fondent exclusivement leur intérêt sur leur qualité de propriétaire de biens immeubles mis en location à des fins d'habitation, en ce que, par l'effet de la disposition attaquée, elles ont été empêchées de procéder à une expulsion domiciliaire ordonnée par le juge pour cause de loyers impayés. La première partie requérante, l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires », fait valoir à l'appui de son intérêt que la disposition attaquée porte atteinte à son but statutaire, en ce qu'elle empêche de telles expulsions. Les griefs développés dans la requête sont, eux aussi, limités à l'interdiction des expulsions de biens immeubles loués à des fins d'habitation.

Il apparaît dès lors que le recours en annulation est exclusivement dirigé contre la disposition attaquée en ce que celle-ci prévoit une interdiction des expulsions dans le cadre d'un contrat de bail d'habitation. Partant, il n'appartient pas à la Cour de contrôler la conformité de la disposition attaquée aux normes de références invoquées en ce que cette disposition porterait sur d'autres expulsions, par exemple de lieux occupés en dehors de toute relation contractuelle de location.

Quant au fond B.5. L'examen de la conformité d'une disposition législative aux règles répartitrices de compétences doit en règle précéder celui de sa compatibilité avec les dispositions du titre II et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution.

En ce qui concerne la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale (deuxième moyen) B.6. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation, par la disposition attaquée, d'une part, des articles 35 et 39 de la Constitution, et, d'autre part, des articles 6 et 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (ci-après : la loi spéciale du 8 août 1980), rendus applicables à la Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989. En substance, elles soutiennent que l'interdiction des expulsions prévue par la disposition attaquée ne relève pas de la compétence régionale en matière de logement, telle qu'elle est prévue à l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, et que les conditions d'application de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 ne sont pas respectées en l'espèce.

B.7.1. En vertu de l'article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'autorité fédérale, des communautés et des régions et pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.

B.7.2. L'article 35 de la Constitution dispose : « L'autorité fédérale n'a de compétences que dans les matières que lui attribuent formellement la Constitution et les lois portées en vertu de la Constitution même.

Les communautés ou les régions, chacune pour ce qui la concerne, sont compétentes pour les autres matières, dans les conditions et selon les modalités fixées par la loi. Cette loi doit être adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa.

Disposition transitoire La loi visée à l'alinéa 2 détermine la date à laquelle le présent article entre en vigueur. Cette date ne peut pas être antérieure à la date d'entrée en vigueur du nouvel article à insérer au titre III de la Constitution, déterminant les compétences exclusives de l'autorité fédérale ».

La loi visée à l'alinéa 2 de l'article 35 de la Constitution n'a pas encore été adoptée. Cette disposition constitutionnelle n'est donc jamais entrée en vigueur, de sorte que la Cour n'est pas compétente pour statuer sur le respect de celle-ci.

En ce qu'il est pris de la violation de l'article 35 de la Constitution, le moyen est irrecevable.

B.8. L'article 39 de la Constitution dispose : « La loi attribue aux organes régionaux qu'elle crée et qui sont composés de mandataires élus, la compétence de régler les matières qu'elle détermine, à l'exception de celles visées aux articles 30 et 127 à 129, dans le ressort et selon le mode qu'elle établit. Cette loi doit être adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa ».

L'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, tel qu'il a été modifié par la loi spéciale du 6 janvier 2014 relative à la Sixième Réforme de l'Etat (ci-après : la loi spéciale du 6 janvier 2014), dispose : « Les matières visées à l'article 39 de la Constitution sont : [...] IV. En ce qui concerne le logement : 1° le logement et la police des habitations qui constituent un danger pour la propreté et la salubrité publiques;2° les règles spécifiques concernant la location des biens ou de parties de biens destinés à l'habitation ». L'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989, tel qu'il a été modifié par la loi spéciale du 6 janvier 2014, dispose : « La Région de Bruxelles-Capitale a les mêmes compétences que la Région wallonne et la Région flamande. Les compétences attribuées aux Parlements régionaux sont, en ce qui concerne la Région de Bruxelles-Capitale, exercées par voie d'ordonnances.

Par dérogation à l'alinéa 1er et sans préjudice de l'application des articles 5bis et 5ter, les matières qui sont réglées par la Région de Bruxelles-Capitale en application des articles 118, § 2, et 123, § 2, de la Constitution sont désignées par la présente loi spéciale.

L'article 16 de la loi spéciale s'applique à la Région de Bruxelles-Capitale, moyennant les adaptations nécessaires.

L'article 4bis de la loi spéciale s'applique à la Région de Bruxelles-Capitale, moyennant les adaptations nécessaires.

Pour l'application de l'article 6, § 1er, IX, 11°, de la loi spéciale, la Région de Bruxelles-Capitale est redevable d'une contribution de responsabilisation conformément à l'article 35nonies, § 3, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions si le nombre moyen annuel de personnes mises au travail par le biais du système ALE est supérieur à 1 473 bénéficiaires ».

B.9. Aux termes des travaux préparatoires de la loi spéciale du 6 janvier 2014, les régions sont compétentes pour les « règles spécifiques concernant la location de biens ou des parties de ceux-ci, destinés à l'habitation », y compris les « règles spécifiques relatives aux contrats de bail qui pourront s'écarter du droit commun déterminé au niveau fédéral ». Le législateur spécial entendait transférer aux régions « [la] totalité des règles spécifiques concernant la location de biens ou de parties de biens destinés à l'habitation », s'agissant entre autres des règles concernant « les droits et les obligations du bailleur », « les droits et les obligations du preneur », « la fin du contrat de bail », « la résolution du contrat de bail », « la transmission du bien loué », « l'éviction » et « l'indemnité en cas d'éviction » (Doc. Parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-2232/1, pp. 82-83).

B.10. Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d'édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées.

B.11. L'article 1344quater du Code judiciaire prévoit un régime relatif à l'exécution des expulsions, ordonnées par une décision judiciaire, dans le cadre d'un contrat de bail d'habitation. Cette disposition est libellée comme suit : « L'expulsion, visée à l'article 1344ter, § 1er, ne peut être exécutée en tout état de cause qu'après un délai d'un mois suivant la signification du jugement, à moins que le bailleur ne prouve l'abandon du bien, que les parties n'aient convenu d'un autre délai, cet accord devant être constaté dans le jugement, ou que le juge prolonge ou réduise ce délai à la demande du preneur ou du bailleur qui justifie de circonstances d'une gravité particulière, notamment les possibilités de reloger le preneur dans des conditions suffisantes respectant l'unité, les ressources financières et les besoins de la famille, en particulier pendant l'hiver. Dans ce dernier cas, le juge fixe le délai dans lequel l'expulsion ne peut pas être exécutée, en tenant compte de l'intérêt des deux parties et dans les conditions qu'il détermine.

En tout état de cause, l'huissier doit aviser le preneur ou les occupants du bien de la date effective de l'expulsion en respectant un délai de cinq jours ouvrables ».

En vertu de cette disposition, une expulsion ne peut, dans des litiges locatifs, être exécutée qu'après un délai d'un mois suivant la signification du jugement, et le juge de paix dispose d'une marge d'appréciation lui permettant de prolonger ou d'écourter ce délai. La disposition attaquée aboutit, par dérogation au régime prévu à l'article 1344quater du Code judiciaire, à ce que les expulsions soient de toute façon interdites jusqu'au 31 août 2020 inclus.

B.12. Il ressort du préambule de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 que celui-ci a pour objet d'interdire, jusqu'au 31 août 2020 inclus, les expulsions du domicile ou, à défaut, de la résidence principale, sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale, pour éviter que les personnes les plus fragilisées se retrouvent sans logement ou sans solution stable de logement dans le contexte de la pandémie de COVID-19, alors que les mesures prises pour limiter la propagation du virus au sein de la population, en particulier les mesures de distanciation sociale, sont de nature à ralentir toute forme d'activité sur ce territoire, à fragiliser l'activité socioéconomique de la Région et à placer les personnes fragilisées dans une plus grande précarité. En vertu de l'article 2 de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020, une expulsion de domicile ou, à défaut, de résidence principale reste néanmoins possible lorsqu'elle est justifiée « par un péril grave et imminent pour la sécurité publique incompatible avec la date du 31 août 2020 ». Le préambule de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020 précise en outre que « le loyer ou une indemnité d'occupation forfaitaire ou correspondant à l'état du bien reste dû pendant la période temporaire d'interdiction de l'expulsion ».

B.13. Eu égard à l'objectif du législateur spécial, mentionné en B.9, de transférer aux régions « [la] totalité des règles spécifiques concernant la location de biens ou de parties de biens destinés à l'habitation », en particulier les règles concernant « l'éviction » et « l'indemnité en cas d'éviction », les régions sont compétentes, en vertu de l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, pour fixer les conditions auxquelles les expulsions dans le cadre d'un contrat de bail d'habitation peuvent être imposées et exécutées. Cette compétence ne va pas jusqu'à permettre d'entraver l'exécution en tant que telle de décisions judiciaires, ce qui serait contraire tout à la fois au principe fondamental de l'ordre juridique belge selon lequel les décisions judiciaires ne peuvent être modifiées que par la mise en oeuvre des voies de recours et aux règles répartitrices de compétence.

Toutefois, un report temporaire, dans des circonstances exceptionnelles, de l'exécution des décisions judiciaires d'expulsion, tel que le prévoit la disposition attaquée, ne porte pas fondamentalement atteinte à ce principe et à ces règles.

B.14. Le deuxième moyen n'est pas fondé.

En ce qui concerne le respect des droits fondamentaux (premier et troisième moyens) B.15. Les parties requérantes prennent un premier moyen de la violation de l'article 16 de la Constitution et de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. En substance, elles soutiennent que la disposition attaquée empêche l'exécution des décisions judiciaires d'expulsion et, ce faisant, prive les propriétaires d'un des éléments de leur droit de propriété, alors qu'il revient au seul juge judiciaire de décider si une expulsion doit être réalisée et moyennant quelles conditions. La disposition attaquée violerait de ce fait également le principe de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif, ainsi que les règles répartitrices de compétences entre l'Etat, les communautés et les régions, puisque la justice est une compétence de l'autorité fédérale et que les conditions d'application de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980 ne sont pas respectées.

B.16.1. Le Gouvernement wallon formule une exception d'irrecevabilité en vertu de l'exceptio obscuri libelli, en ce que les parties requérantes ne démontreraient pas avec précision quelles normes de contrôle seraient violées par la disposition attaquée.

B.16.2. Pour satisfaire aux exigences de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.

B.16.3. Il ressort des mémoires du Gouvernement wallon qu'il a pu, comme, du reste, le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, répondre adéquatement aux griefs formulés par les parties requérantes dans leur premier moyen.

B.16.4. L'exception est rejetée.

B.17.1. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980, qui dispose : « Les décrets peuvent porter des dispositions de droit relatives à des matières pour lesquelles les Parlements ne sont pas compétents, dans la mesure où ces dispositions sont nécessaires à l'exercice de leur compétence ».

B.17.2. Comme il est dit en B.11 à B.14, la disposition attaquée relève de la compétence de la Région de Bruxelles-Capitale en vertu de l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale du 8 août 1980, qui lui est rendu applicable par l'article 4 de la loi spéciale du 12 janvier 1989.

B.18.1. Le premier moyen est encore pris de la violation du principe de la séparation des pouvoirs, tel qu'il serait notamment exprimé à l'article 144 de la Constitution et aux articles 1344 bis, 1344quater, 1344sexies, 1344octies et 1344novies du Code judiciaire.

B.18.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler des normes législatives directement au regard de principes généraux, tel le principe de la séparation des pouvoirs. Les parties requérantes n'invoquent pas le principe de la séparation des pouvoirs en combinaison avec une disposition, visée au moyen, qui relève des normes de référence auxquelles la Cour peut avoir égard.

B.19. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, qui garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. Les parties requérantes allèguent en substance que la disposition attaquée ne permet pas d'opérer une mise en balance entre les intérêts des propriétaires-bailleurs et ceux des locataires, et que cette disposition produit des effets disproportionnés en ne prévoyant pas la moindre indemnisation pour les propriétaires-bailleurs qui se trouvent temporairement empêchés de procéder à une expulsion.

B.20. Lorsqu'est invoquée une violation du principe d'égalité et de non-discrimination, il faut en règle générale préciser quelles sont les catégories de personnes qui sont comparées et en quoi la disposition en cause entraîne une différence de traitement qui serait discriminatoire.

Toutefois, lorsqu'une violation du principe d'égalité et de non-discrimination est alléguée en combinaison avec un autre droit fondamental, il suffit de préciser en quoi ce droit fondamental est violé. La catégorie de personnes pour lesquelles ce droit fondamental est violé doit être comparée à la catégorie de personnes envers lesquelles ce droit fondamental est garanti.

B.21. La Cour examine les premier et troisième moyens conjointement, en ce qu'ils portent tous deux sur le caractère disproportionné de l'ingérence dans le droit au respect des biens des propriétaires qui mettent en location un bien immeuble destiné à l'habitation et qui se trouvent temporairement empêchés par la disposition attaquée de procéder à une expulsion.

B.22. L'article 16 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».

B.23.1. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ayant une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'il contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition en cause.

L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.

Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux de droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement d'impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».

B.23.2. L'article 1er du Protocole précité offre une protection non seulement contre une expropriation ou une privation de propriété (premier alinéa, seconde phrase), mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (premier alinéa, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (second alinéa).

B.24.1. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé, au sujet d'une interdiction légale de procéder à une expulsion d'un locataire ayant cessé de payer son loyer, « qu'il n'y a eu en l'espèce ni expropriation de fait ni transfert de propriété, car la société requérante n'a pas été dépouillée du droit de louer ou de vendre son bien [...]. L'application des mesures litigieuses ayant entraîné le maintien du locataire dans l'appartement, elle s'analyse, à n'en pas douter, en une réglementation de l'usage des biens. Le second alinéa de l'article 1 du Protocole n° 1 joue donc en l'occurrence » (CEDH, 28 juillet 1999, Immobiliare Saffi c. Italie, § 46).

B.24.2. En ce qu'elle interdit de procéder à des expulsions, la disposition attaquée peut relever de l'« usage des biens conformément à l'intérêt général » au sens de l'article 1er, second alinéa, du Premier Protocole additionnel, et donc du champ d'application de cette disposition conventionnelle, combinée avec l'article 16 de la Constitution.

B.24.3. Pour satisfaire aux conditions du second alinéa de l'article 1er du Protocole précité, une mesure réglant l'« usage des biens conformément à l'intérêt général » doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime conforme à l'intérêt général (CEDH, 28 juillet 1999, Immobiliare Saffi c. Italie, § 44; 28 septembre 1995, Spadea et Scalabrino c. Italie, § § 31 et 32) et « ménager un ' juste équilibre ' entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. La recherche de pareil équilibre se reflète dans la structure de l'article 1 tout entier, donc aussi dans le second alinéa : il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (CEDH, 28 juillet 1999, Immobiliare Saffi c. Italie, § 49).

B.24.4. Enfin, l'article 1er du Protocole précité vise à sauvegarder des droits concrets et effectifs, de sorte qu'il convient d'aller au-delà des apparences et d'examiner la réalité de la situation des personnes visées par la mesure d'ingérence (CEDH, 7 juillet 2009, Plechanow c. Pologne, § 101).

B.25. Comme il est dit en B.12, la disposition attaquée tend à éviter que, par l'effet d'une expulsion, les personnes les plus fragilisées se retrouvent sans logement eu égard au contexte exceptionnel engendré par la pandémie de COVID-19. Il s'agit d'un objectif légitime d'intérêt général.

B.26. Il appartient cependant à la Cour de vérifier si, par l'adoption de la disposition attaquée, la Région de Bruxelles-Capitale a effectivement ménagé un juste équilibre entre, d'une part, les intérêts du locataire d'un bien immeuble dont l'expulsion est interdite et, d'autre part, les intérêts du propriétaire-bailleur, afin que les mesures ne causent pas une restriction excessive au droit au respect des biens du second.

B.27. Dans un avis sur une proposition de loi « modifiant les articles 1344ter et 1344quater du Code judiciaire », qui introduisait notamment un sursis à toute mesure d'expulsion d'un locataire non exécutée entre le 1er décembre de chaque année jusqu'au 28 février de l'année suivante, à moins que le relogement de l'intéressé soit assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité, les ressources financières et les besoins de la famille, la section de législation du Conseil d'Etat a observé qu'un mécanisme d'indemnisation approprié était nécessaire au regard de la restriction au droit de propriété du propriétaire-bailleur. En effet : « Le bailleur-propriétaire (ci-après dénommé le bailleur) sera donc privé de la jouissance de sa propriété pendant trois mois : il ne pourra ni l'occuper lui-même, ni la louer à un autre locataire, ni en percevoir les revenus, cette perte de revenus s'ajoutant à l'arriéré de loyers déjà existant ou à l'inexécution d'autres obligations contractuelles ou bien encore aux autres dommages éventuellement subis qui ont justifié la résolution judiciaire du bail et l'expulsion du locataire.

A la différence de l'article 1344quater, alinéa 1er, du Code judiciaire qui laisse au juge le soin de déterminer les conditions dans lesquelles il y a lieu de surseoir à l'expulsion ' en tenant compte de l'intérêt des deux parties ', le mécanisme ici proposé - dès lors qu'il revêt un caractère impératif - ne lui laisse en revanche aucune marge de manoeuvre.

Dans cette mesure la question se pose de savoir s'il est concevable que la proposition de loi ne prévoie aucune indemnisation du bailleur. [...] Certes, durant la période pendant laquelle il est imposé au juge de surseoir à toute mesure d'expulsion, les loyers, dus en exécution du contrat de bail, continueront à être à charge du locataire. Il est toutefois douteux que, dans les situations que vise la proposition de loi, le fait que le bailleur puisse recouvrer sa créance par toutes voies de droit suffise à considérer qu'il existe, dans son chef, une indemnisation appropriée compensant la restriction qui est imposée à son droit de propriété.

Compte tenu de ceci, si le législateur estime devoir organiser un mécanisme d'indemnisation appropriée, la question se pose de savoir s'il n'y a pas lieu de l'étendre au cas du sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion déjà actuellement réglé par l'article 1344quater du Code judiciaire sous peine de créer une discrimination entre des bailleurs placés dans une situation identique, à savoir l'obligation qui leur est faite - que cette obligation relève de la décision du juge ou du fait de la loi - de maintenir le locataire dans le bien loué pendant une durée déterminée. Si par ailleurs ce mécanisme ne recourait pas à l'intervention du CPAS, il conviendrait de prévoir une règle de subrogation de manière telle qu'en cas de recouvrement des loyers, le montant de l'indemnité perçue par le bailleur puisse être récupéré » (Doc. parl., Sénat, 2005-2006, n° 3-28/3, pp. 3 et 4).

B.28.1. Par la disposition attaquée, la Région de Bruxelles-Capitale agit sur certains effets d'une situation imprévue et très urgente, à savoir une pandémie causée par un virus aéroporté très contagieux qui, dans la pratique, se transmet essentiellement par la respiration, de sorte que les contacts physiques rapprochés entre les personnes constituent le facteur de risque le plus élevé.

La Région de Bruxelles-Capitale a donc pu considérer qu'il était nécessaire d'éviter que, par l'effet d'une décision d'expulsion, certaines personnes se retrouvent à la rue ou dans l'obligation de se reloger chez des proches qui, au moment de l'adoption de l'arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2020/023 du 20 mai 2020, ne faisaient pas nécessairement partie de leur bulle sociale, en raison de la difficulté, voire de l'impossibilité, de retrouver un logement sur le marché locatif.

B.28.2. Dans ce contexte exceptionnel, la Région de Bruxelles-Capitale a pris une mesure de nature temporaire. Après que, par l'arrêté du 17 mars 2020, le ministre-président du Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale avait déjà suspendu, jusqu'au 3 avril 2020 et ensuite jusqu'au 3 mai 2020, l'exécution des décisions judiciaires d'expulsion, la disposition attaquée a prolongé cette suspension jusqu'au 31 août 2020. Cette mesure est pertinente pour atteindre l'objectif visé en B.28.1.

La durée totale de la suspension s'est élevée à un peu plus de cinq mois. Cette période correspond au début de la pandémie, lorsque les connaissances scientifiques relatives au virus Sars-CoV-2 et à la maladie COVID-19 étaient encore limitées et que les vaccins n'étaient pas encore disponibles. Au cours de cette période, les différentes autorités se sont retrouvées confrontées à l'absence d'un cadre réglementaire et logistique adapté pour affronter cette crise. Elles ont dès lors dû prendre diverses mesures préventives et d'autres mesures de crise simultanément dans un grand nombre de domaines, tant pour endiguer le plus possible la propagation du virus que pour amortir le mieux possible les effets socio-économiques engendrés par celle-ci. Au cours de cette première phase, compte tenu du caractère exceptionnel de la pandémie, elles ne disposaient par ailleurs pas encore de l'expérience requise pour estimer avec justesse les effets précis de leurs mesures.

Dans ce contexte, il convient d'admettre que le législateur ordonnanciel disposait pour la période concernée d'une marge d'appréciation étendue pour prendre les mesures adéquates afin de protéger la santé et le logement d'une catégorie de personnes qui, même dans des circonstances normales, se trouvent dans une situation de précarité.

B.28.3. Par ailleurs, la disposition attaquée n'a pas empêché que « le loyer ou une indemnité d'occupation forfaitaire ou correspondant à l'état du bien reste dû pendant la période temporaire d'interdiction d'expulsion » ni que l'intéressé doive également continuer à respecter toutes les autres obligations lui incombant.

S'il est vrai que, dans les circonstances où le bailleur demande la rupture du contrat de bail et obtient l'expulsion, la probabilité est forte que l'intéressé soit insuffisamment solvable pour payer ce loyer ou cette indemnité à court terme, il n'en demeure pas moins que celui-ci ou celle-ci reste dû, exigible et recouvrable.

B.28.4. Enfin, conformément à l'article 144 de la Constitution, il appartient au juge ordinaire d'apprécier si une indemnisation sur la base du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques est justifiée, et il lui appartient également d'en fixer le montant.

En vertu de ce principe, l'autorité ne peut, sans compensation, imposer des charges qui excèdent celles qui doivent être supportées par un particulier dans l'intérêt général. Il découle de ce principe que les effets préjudiciables disproportionnés - c'est-à-dire le risque social ou entrepreneurial extraordinaire s'imposant à un groupe limité de citoyens ou d'institutions - d'une mesure de coercition qui est en soi régulière ne doivent pas être mis à charge des personnes lésées, mais doivent être répartis de manière égale sur la collectivité.

Une compensation en vertu de ce principe n'est requise que lorsque et dans la mesure où les effets de la mesure excèdent la charge qui peut être imposée à un particulier dans l'intérêt général. Il appartient au juge ordinaire d'apprécier in concreto, en tenant compte de tous les aspects particuliers et publics de chaque cas, si la charge qui résulte de la disposition attaquée pour le bailleur peut faire l'objet d'une compensation.

B.29. Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.28.4, les premier et troisième moyens ne sont pas fondés.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours, sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.28.4.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 juillet 2022.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux P. Nihoul

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