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Arrêt
publié le 09 septembre 2022

Extrait de l'arrêt n° 4/2022 du 13 janvier 2022 Numéro du rôle : 7529 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 4, § 2 et § 3, de la loi du 19 mars 2017 « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 4/2022 du 13 janvier 2022 Numéro du rôle : 7529 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 4, § 2 et § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne », posée par la Cour d'appel d'Anvers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents L. Lavrysen et P. Nihoul, et des juges J.-P. Moerman, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman, M. Pâques, Y. Kherbache, T. Detienne, D. Pieters, S. de Bethune et E. Bribosia, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président L. Lavrysen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 16 février 2021, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mars 2021, la Cour d'appel d'Anvers a posé la question préjudicielle suivante : « Est-il compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution que, pour les affaires qui sont traitées selon la procédure civile, une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne soit due pour chaque acte introductif d'instance qui est inscrit à l'un des rôles visés aux articles 711 et 712 du Code judiciaire, au moment de cette inscription, par chacune des parties demanderesses (art. 4, § 2, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer) et qu'en matière pénale, chaque suspect, inculpé, prévenu, accusé ou personne responsable civilement du délit qui est condamné par une juridiction pénale soit condamné au paiement d'une contribution au fonds budgétaire (art. 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer), alors que le prévenu (initial) qui est acquitté en première instance par une juridiction pénale, cet acquittement étant ensuite suivi d'un appel formé par la seule partie civile, avec réformation du jugement attaqué en degré d'appel du fait qu'une faute consistant en la perpétration du délit initialement poursuivi a été déclarée prouvée, et qui est considéré en appel comme une ' personne renvoyée ' (qu'il n'y a pas lieu de considérer comme un ' suspect, inculpé, prévenu, accusé ') ne peut être condamné au paiement d'une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne » (ci-après : la loi du 19 mars 2017) crée un « fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne » auprès du Service public fédéral Justice (article 2). Les recettes du fonds sont utilisées pour financer les indemnités des avocats chargés de l'aide juridique de deuxième ligne ainsi que les frais liés à l'organisation des bureaux d'aide juridique (article 3).

Le législateur a fixé le montant de la contribution au fonds à vingt euros. Ce montant est indexé conformément à l'article 5 de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer.

B.1.2. Le fonds budgétaire à l'aide juridique de deuxième ligne est alimenté par des contributions perçues dans le cadre de procédures juridictionnelles. L'article 4 de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer détermine dans quelles affaires la contribution est due, qui doit la payer et comment elle doit être perçue. Le législateur établit en outre une distinction entre les affaires qui sont traitées selon la procédure civile (article 4, § 2), les affaires portées devant une juridiction pénale (article 4, § 3) et les affaires portées devant le Conseil d'Etat et le Conseil du contentieux des étrangers (article 4, § 4).

B.2.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 4, § § 2 et 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer, qui dispose : « § 2. Pour les affaires qui sont traitées selon la procédure civile, une contribution au fonds est due pour chaque acte introductif d'instance qui est inscrit à l'un des rôles visés aux articles 711 et 712 du Code judiciaire, au moment de cette inscription. A défaut de paiement de cette contribution, l'affaire n'est pas inscrite.

Aucune contribution n'est toutefois perçue dans le chef de la partie demanderesse : 1° si elle bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne ou de l'assistance judiciaire;2° si elle introduit une demande visée à l'article 68 de la loi du 10 avril 1971Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/04/1971 pub. 23/03/2018 numac 2018030615 source service public federal interieur Loi sur les accidents du travail type loi prom. 10/04/1971 pub. 17/10/2014 numac 2014000710 source service public federal interieur Loi sur les accidents du travail type loi prom. 10/04/1971 pub. 11/06/1998 numac 1998000213 source ministere de l'interieur Loi sur les accidents du travail - Traduction allemande fermer sur les accidents du travail et visée à l'article 53, alinéa 2, des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970;3° si elle introduit une demande visée aux articles 579, 6°, 580, 581 et 582, 1° et 2°, du Code judiciaire concernant les demandes introduites par ou contre les assurés sociaux personnellement;4° si elle introduit une demande visée à l'article 1675/4 du Code judiciaire ou si elle introduit, en tant que débiteur dans le cadre du règlement collectif de dettes, une demande en appel;5° si elle introduit en qualité de ministère public une demande visée à l'article 138bis du Code judiciaire.6° si elle introduit une demande d'autorisation sur la base de l'article 784/1 du Code civil. Sauf si la partie succombante bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne ou de l'assistance judiciaire, ou si le juge estime qu'elle se trouve en ce qui concerne ses moyens de subsistance dans une situation où elle pourrait faire appel à l'aide juridique de deuxième ligne ou à l'assistance judiciaire, la juridiction liquide le montant de la contribution au fonds dans la décision définitive qui prononce la condamnation aux dépens.

Le Roi fixe les modalités de recouvrement de la contribution au fonds. § 3. Sauf s'il bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne, de l'assistance judiciaire, ou si le juge estime qu'il se trouve en ce qui concerne ses moyens de subsistance dans une situation où il pourrait faire appel à l'aide juridique de deuxième ligne ou à l'assistance judiciaire, chaque suspect, inculpé, prévenu, accusé ou personne responsable civilement du délit qui est condamné par une juridiction pénale est condamné au paiement d'une contribution au fonds.

Sauf si elle bénéficie de l'aide juridique de deuxième ligne, de l'assistance judiciaire, ou si le juge estime qu'elle se trouve en ce qui concerne ses moyens de subsistance dans une situation où elle pourrait faire appel à l'aide juridique de deuxième ligne ou à l'assistance judiciaire, la partie civile, lorsqu'elle a pris l'initiative de la citation directe ou lorsqu'une enquête a été ouverte à la suite de son action en tant que partie civile et qu'elle succombe, est condamnée au paiement d'une contribution au fonds.

La juridiction liquide le montant de la contribution au fonds dans la décision définitive qui prononce la condamnation aux dépens.

La contribution est recouvrée selon les règles qui s'appliquent en matière de recouvrement des amendes pénales ».

Par son arrêt n° 22/2020 du 13 février 2020, la Cour a annulé, dans l'article 4, § 2, alinéa 1er, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer, les mots « par partie requérante », de sorte que, désormais, lorsqu'une action est introduite selon la procédure civile par plusieurs parties, la contribution n'est plus due par chacune d'entre elles.

B.2.2. En vertu de l'article 202 du Code d'instruction criminelle, la faculté d'interjeter appel des jugements rendus par les tribunaux de police et par les tribunaux correctionnels appartient notamment à la partie civile, « quant à ses intérêts civils seulement ».

Il s'ensuit que, « en l'absence d'appel du ministère public, l'appel de la partie civile, fût-elle partie citant directement, contre une décision d'acquittement du prévenu, ne saisit pas le juge d'appel de l'action publique » (Cass., 11 février 2009, Pas., 2009, n° 113). « Lorsque seule la partie civile interjette appel contre la décision acquittant un prévenu et déclarant le juge incompétent pour connaître de l'action civile, les juges d'appel sont tenus de se prononcer sur cette dernière décision », ce qui implique que, « bien que la décision d'acquittement soit passée en force de chose jugée à défaut d'un appel par le ministère public, les juges d'appel sont tenus de vérifier si les faits qualifiés infraction qui servent de base à l'action civile sont établis et s'ils ont causé un dommage à la partie civile » (Cass., 11 décembre 2001, Pas., 2001, n° 691).

B.2.3. Il ressort de la formulation de la question préjudicielle et de la motivation de la décision de renvoi que la Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 4, § § 2 et 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'en vertu de cette disposition, en degré d'appel, une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne ne peut être imposée aux personnes qui ont bénéficié d'un acquittement en première instance par une juridiction pénale, lequel est suivi d'un appel formé par la seule partie civile, cet appel pouvant dès lors uniquement aboutir à une condamnation civile, mais pas à une condamnation pénale.

La juridiction a quo qualifie de telles personnes de « personnes renvoyées ».

La Cour limite son examen à cette situation.

B.2.4. Comme il est dit en B.1.2, le législateur a établi une distinction entre les affaires qui sont traitées selon la procédure civile (article 4, § 2), les affaires portées devant une juridiction pénale (article 4, § 3) et les affaires portées devant le Conseil d'Etat et le Conseil du contentieux des étrangers (article 4, § 4).

Les « personnes renvoyées » visées par la juridiction a quo sont par définition des parties dans une affaire portée devant une juridiction pénale, étant entendu que seule leur responsabilité civile est encore en cause. Ainsi, le fait que de telles personnes ne pourraient être condamnées au paiement de la contribution au fonds trouve son origine dans la délimitation du champ d'application de l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer. En ce qu'elle porte sur l'article 4, § 2, de cette même loi, la question préjudicielle n'appelle dès lors pas de réponse. La Cour peut cependant prendre en compte cette disposition lors de son examen.

B.3. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.1. Pour les affaires pénales, conformément à l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer, chaque suspect, inculpé, prévenu, accusé ou personne responsable civilement du délit qui est condamné par une juridiction pénale est condamné au paiement d'une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne. Lorsque la partie civile a pris l'initiative de la citation directe ou lorsqu'une enquête a été ouverte à la suite de son action en tant que partie civile et qu'elle succombe, elle est condamnée au paiement d'une contribution au fonds. Les personnes précitées ne sont toutefois pas condamnées au paiement de la contribution si elles bénéficient de l'aide juridique de deuxième ligne.

B.4.2. Selon la juridiction a quo, eu égard à leur acquittement au pénal, les « personnes renvoyées » définies en B.2.3, lorsqu'elles sont condamnées au civil, en degré d'appel, par une juridiction pénale, ne peuvent être considérées comme des suspects, inculpés, prévenus, accusés ou personnes responsables civilement du délit qui sont condamnés par une juridiction pénale au sens de l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer. Il en résulte qu'aucune contribution ne pourrait leur être imposée.

B.5.1. La proposition de loi qui se trouvait à l'origine de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer entendait imposer une contribution aux seules personnes qui sont condamnées à une sanction pénale ou qui concluent une transaction conformément à l'article 216bis du Code d'instruction criminelle (Doc. parl., Chambre 2015-2016, DOC 54-1851/001, pp. 6-8).

Dans les développements de la proposition de loi, il est dit : « L'augmentation régulière du nombre de dossiers dans le cadre de l'aide juridique de deuxième ligne nécessite des moyens supplémentaires.

La présente proposition vise donc à créer un fonds d'aide juridique de deuxième ligne en vue de permettre un financement supplémentaire du régime de l'aide juridique, et ce, afin de garantir une rémunération plus élevée aux avocats, tout en conservant avant tout le droit au libre accès à la justice consacré par la Constitution » (ibid. p. 3).

B.5.2. L'avis de la section de législation du Conseil d'Etat sur cette proposition de loi mentionne : « 5. La question se pose de savoir ce qui justifie le fait que la contribution visée dans la proposition de loi soit uniquement imposée dans le cadre de procédures pénales. [...] [...] On n'aperçoit pas pourquoi seules les personnes condamnées pénalement ou qui acceptent une transaction seraient tenues de payer la contribution, et non, par exemple, les personnes dont l'action dans une procédure civile est rejetée. L'auteur de la proposition de loi, désigné comme délégué, a fourni (indépendamment toutefois de la question de la qualification de la contribution proposée) l'explication suivante pour la limitation aux personnes condamnées pénalement et à celles avec lesquelles une transaction a été conclue : ' De keuze om enkel personen die een strafrechtelijke inbreuk hebben gepleegd te laten bijdragen aan het op te richten fonds voor de juridische tweedelijnsbijstand wordt verantwoord door de specifieke hogere maatschappelijke kost die sowieso al gepaard gaat met een strafzaak (die vereist bijvoorbeeld diverse onderzoekshandelingen zoals de verhoren waar steeds bijstand van een advocaat moet worden voorzien), dit terwijl bij niet-strafrechtelijke geschillen niet steeds een duidelijke toerekenbare fout/wetsovertreding wordt begaan door de in het ongelijk gestelde partij, deze geschillen niet automatisch voor een rechtbank moeten worden afgewikkeld, en indien dat toch zo is het voorleggen van dergelijke geschillen aan een rechtbank (en ook het beroep dat moet worden gedaan op een advocaat) niet steeds vooraf te vermijden was door de uiteindelijk in het ongelijk gestelde partij zelf.

Het gemaakte onderscheid steunt dus op het algemeen beginsel dat een strafrechtelijke veroordeling of minnelijke schikking per definitie de schending betekent van een regel die de openbare orde raakt. De strafrechtelijke veroordeling wordt uitgesproken door een magistraat, de minnelijke schikking wordt afgehandeld door het openbaar ministerie, en de inbreuk op zich werd vastgesteld met (dure) gerechtelijke maatregelen. Dit in tegenstelling tot bijvoorbeeld administratieve sancties en onmiddellijke inningen in het wegverkeersrecht die niet worden uitgesproken na een dure, gerechtelijke procedure '.

Cette justification soulève toutefois un certain nombre de questions.

Le fait que des magistrats doivent intervenir s'applique tout autant à des procédures autres que la procédure pénale. De surcroît, une partie des coûts du procès pénal est supportée par la personne condamnée en ce qu'elle est condamnée au paiement des frais de justice. Enfin, l'assistance judiciaire que la contribution prélevée sert à financer concerne également les procédures non pénales. Les éléments avancés peuvent dès lors difficilement justifier l'exclusion pure et simple de personnes impliquées dans des procédures autres que la procédure pénale » (Doc. parl., Chambre, 2015-2016, DOC 54-1851/005, pp. 6-7).

B.5.3. Par suite de cet avis, la proposition de loi a été amendée afin d'étendre l'obligation de paiement de la contribution au fonds et de l'imposer dans les procédures pénales, dans les procédures civiles et dans les procédures portées devant le Conseil d'Etat et le Conseil du contentieux des étrangers.

Cet amendement a été justifié comme suit : « Dans son avis du 24 juin 2016 (59 626/3 et 59 627/3) sur la proposition de loi instituant un fonds d'aide juridique de deuxième ligne (Doc. parl. Chambre, 2015-2016, DOC 54-1851), le Conseil d'Etat formule quelques remarques fondamentales sur le texte de cette proposition de loi. D'une part, le Conseil d'Etat relève le caractère potentiellement discriminatoire d'une limitation du paiement d'une contribution aux procédures pénales et, d'autre part, il estime qu'il manque dans la proposition une exonération de la contribution pour les bénéficiaires d'une aide juridique de deuxième ligne entièrement ou partiellement gratuite. Enfin, la qualification de la contribution n'est pas claire pour le Conseil d'Etat.

Les auteurs de l'amendement partent du principe que s'attacher à l'approche initiale de la proposition de loi, à savoir une obligation de contribution uniquement pour les condamnés pénaux, ne peut pas résister au test de la discrimination et ignore l'ampleur de l'aide juridique qui va bien au-delà du droit pénal sensu lato.

La proposition de loi a pour objectif de contribuer au financement de l'aide juridique de deuxième ligne. L'aide juridique de deuxième ligne gratuite couvre de nombreux domaines du droit et ne se limite pas à une aide dans des procédures pénales. Le financement complémentaire de l'aide juridique de deuxième ligne ne peut dès lors pas se limiter à l'introduction d'une contribution dans les procédures pénales, qui ne représentent d'ailleurs qu'une part relative des affaires dans lesquelles une aide est accordée. A titre d'illustration : en 2014, 718 818 affaires non pénales ont été traitées contre 324 807 affaires pénales, soit un rapport d'environ 70 % contre 30 % (source : Chiffres-clés de l'activité judiciaire - Données 2014, Collège des cours et tribunaux). Une limitation de l'obligation de contribution aux affaires pénales n'est donc pas proportionnelle.

L'amendement prévoit par conséquent une obligation de payer une contribution dans les procédures pénales, les procédures civiles et les procédures administratives pour autant qu'il s'agisse de procédures devant une juridiction fédérale.

Le choix de limiter l'obligation de contribution aux procédures menées devant une juridiction organisée sur le plan fédéral résulte de la position selon laquelle chaque utilisateur du service public de la justice tire profit d'une aide juridique de deuxième ligne correcte.

Soit il est lui-même utilisateur de l'aide juridique de deuxième ligne et il paye sa contribution personnelle pour le service dont il bénéficie en personne, soit il n'est pas un utilisateur direct de l'aide juridique de deuxième ligne, mais il tire profit d'une aide juridique de deuxième ligne qui fonctionne bien. Ce sera le cas si la partie adverse bénéficie du service d'aide juridique de deuxième ligne et a donc intérêt, dans un rapport de 1 à 1, à un règlement rapide de la procédure à laquelle l'aide de deuxième ligne contribue. Dans le cas également où aucune partie à un procès ne bénéficie de l'aide de deuxième ligne, toutes les parties trouvent également leur compte dans une aide de deuxième ligne correcte. Le fonctionnement d'un tribunal tirera profit d'une aide de deuxième ligne de qualité en général. Si le règlement d'un nombre croissant d'affaires se complique à cause de la performance insuffisante de l'aide de deuxième ligne dans ces affaires, cette perturbation influera par la force des choses sur le règlement rapide d'autres affaires traitées dans ce tribunal (la chaîne est aussi solide que son maillon le plus faible). En résumé, même la personne qui ne fait pas appel à l'aide juridique de deuxième ligne profite, dans l'utilisation du service public de la justice, de l'existence d'une aide de deuxième ligne performante. Cette philosophie est donc l'expression de l'approche de la rétribution au sens large, ce qui permet d'affecter la contribution au fonds et d'enraciner la destination des montants » (Doc. parl., Chambre, 2016-2017, DOC 54-1851/006, pp. 8-9).

B.6.1. Il ressort des travaux préparatoires précités que le législateur n'a pas voulu limiter l'obligation de contribution aux personnes condamnées pénalement, mais qu'il a voulu imposer cette obligation, de manière générale, dans les procédures portées devant une juridiction organisée au niveau fédéral, qu'il s'agisse d'une procédure civile, pénale ou administrative, considérant que chaque utilisateur du service public de la justice a intérêt à une bonne aide juridique de deuxième ligne.

Le législateur entend ainsi, en conformité avec l'article 23, alinéa 3, 2°, de la Constitution, garantir l'aide juridique à ceux qui en ont besoin pour assurer leur droit fondamental à l'accès à la justice. Cet objectif peut justifier que la contribution soit imposée aux justiciables qui sont présumés disposer de la capacité financière nécessaire.

B.6.2. A la lumière du but poursuivi, il n'est pas raisonnablement justifié que la contribution ne puisse être imposée aux personnes qui ont été acquittées en première instance par une juridiction pénale et qui, par la suite, sur le seul appel de la partie civile, sont condamnées civilement, sur le constat que les faits qualifiés infraction qui fondent l'action civile sont établis et ont causé un dommage à la partie civile. En effet, la circonstance que pareilles personnes n'ont pas été condamnées pénalement ne constitue pas, au regard de cet objectif, un critère de distinction pertinent. La Cour n'aperçoit pas pourquoi, en ce qui concerne la contribution au fonds, de telles personnes condamnées devraient être traitées autrement que les personnes qui sont condamnées, selon la procédure civile, à la réparation du dommage résultant d'un fait punissable ou que les personnes acquittées en première instance par une juridiction pénale qui, ensuite sont condamnées en degré d'appel, non seulement au civil mais également au pénal, parce que le ministère public a également interjeté appel.

B.6.3. Dans l'interprétation soumise à la Cour, selon laquelle une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne ne peut être imposée aux personnes qui ont été acquittées en première instance par une juridiction pénale et qui, ensuite, sur le seul appel de la partie civile, sont condamnées au civil, l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer n'est dès lors pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

B.7.1. L'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer est toutefois aussi susceptible d'une autre interprétation. En effet, la notion de « prévenu », visée dans cette disposition, qui n'est pas définie dans la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer, peut être interprétée en ce sens qu'elle porte également sur la personne qui a bénéficié d'un acquittement en première instance par une juridiction pénale, lequel est suivi d'un appel formé par la seule partie civile, cet appel pouvant dès lors uniquement donner lieu à une condamnation civile, mais pas à une condamnation pénale. Pareille interprétation est conforme à l'objectif, mentionné en B.6.1, qui est poursuivi par le législateur.

Par ailleurs, l'interprétation précitée de la notion de « prévenu » à l'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer est conforme au contenu donné à cette même notion dans le Code d'instruction criminelle. Cette notion est notamment utilisée aux articles 202, 203, 203bis, 210 et 215bis, qui portent tous sur l'appel des jugements correctionnels. Ces dispositions ne distinguent pas selon que le prévenu a été acquitté en première instance et selon que l'appel peut ou non aboutir à une condamnation pénale. L'article 210 du Code d'instruction criminelle dispose en particulier que, dans le cadre d'un appel, « le prévenu, soit qu'il ait été acquitté, soit qu'il ait été condamné », est entendu avant que les juges émettent leur opinion. Il peut être déduit de ce qui précède qu'est considéré comme prévenu quiconque doit comparaître devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel en tant que juridiction de jugement, jusqu'au moment où, dans l'affaire en question, une décision définitive coulée en force de chose jugée a été prise à son égard, tant au pénal qu'au civil.

Enfin, ni la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer, ni le Code d'instruction criminelle ne connaissent la notion, mentionnée dans la question préjudicielle, de « personne renvoyée », comme le relève également le Conseil des ministres. Il ne peut se déduire de la circonstance que cette notion n'apparaît pas dans la disposition en cause, que le législateur aurait délibérément choisi d'exclure les personnes en question de l'obligation de payer une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne.

B.7.2. Dans l'interprétation mentionnée en B.7.1, la différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle n'existe pas et la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 4, § 3, de la loi du 19 mars 2017Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/03/2017 pub. 31/03/2017 numac 2017011424 source service public federal justice Loi instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne fermer « instituant un fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne », interprété en ce sens qu'une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne ne peut être imposée aux personnes qui ont été acquittées en première instance par une juridiction pénale et qui, sur le seul appel de la partie civile, sont ensuite condamnées au civil, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - La même disposition, interprétée en ce sens qu'une contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne peut être imposée aux personnes qui ont été acquittées en première instance par une juridiction pénale et qui, sur le seul appel de la partie civile, sont ensuite condamnées au civil, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 janvier 2022.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, L. Lavrysen

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