publié le 03 mars 2017
Extrait de l'arrêt n|SD 20/2017 du 16 février 2017 Numéro du rôle : 6359 En cause : le recours en annulation des articles 82 et 83, alinéa 1 er , de la loi-programme du 10 août 2015, introduit par la SA « Mergaert Verzekeringen ».
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n|SD 20/2017 du 16 février 2017 Numéro du rôle : 6359 En cause : le recours en annulation des articles 82 et 83, alinéa 1er, de la
loi-programme du 10 août 2015Documents pertinents retrouvés
type
loi-programme
prom.
10/08/2015
pub.
18/08/2015
numac
2015203736
source
service public federal chancellerie du premier ministre
Loi-programme
fermer, introduit par la SA « Mergaert Verzekeringen ».
La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 16 février 2016 et parvenue au greffe le 18 février 2016, la SA « Mergaert Verzekeringen », assistée et représentée par Me J. Sandra et Me S. Vancolen, avocats au barreau de Courtrai, a introduit un recours en annulation des articles 82 et 83, alinéa 1er, de la loi-programme du 10 août 2015Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 10/08/2015 pub. 18/08/2015 numac 2015203736 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer (publiée au Moniteur belge du 18 août 2015, deuxième édition). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et quant à l'étendue du recours B.1. La partie requérante demande l'annulation de l'article 82 de la loi-programme du 10 août 2015Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 10/08/2015 pub. 18/08/2015 numac 2015203736 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, qui a inséré un article 541 dans le Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992). Cette nouvelle disposition concerne la taxation des « bonis de liquidation » (B.2) et vise à assurer une transition entre le régime de la « liquidation interne » (B.3) et le régime de la « réserve de liquidation » (B.4), en prévoyant une « réserve de liquidation spéciale » (B.5).
La partie requérante demande également l'annulation de l'article 83 de la même loi-programme, qui fixe l'entrée en vigueur de l'article 82 au 18 août 2015.
B.2. La loi du 24 décembre 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/12/2002 pub. 31/12/2002 numac 2002003520 source ministere des finances Loi modifiant le régime des sociétés en matière d'impôts sur les revenus et instituant un système de décision anticipée en matière fiscale fermer a instauré un impôt sur les revenus et un précompte mobilier de 10 p.c. sur les allocations versées en cas de liquidation totale ou partielle d'une société. De ce fait, il n'était plus possible de distribuer en exonération d'impôt les bénéfices réservés de sociétés. La loi du 28 juin 2013 a augmenté le taux d'imposition à 25 p.c., à partir du 1er octobre 2014. La loi du 26 décembre 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2015 pub. 30/12/2015 numac 2015206007 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi relative aux mesures concernant le renforcement de la création d'emplois et du pouvoir d'achat fermer a de nouveau augmenté le taux d'imposition, pour le porter à 27 p.c. à partir du 1er janvier 2016. Et la loi-programme du 25 décembre 2016Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 25/12/2016 pub. 29/12/2016 numac 2016021100 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer a porté le taux d'imposition à 30 p.c., à partir du 1er janvier 2017.
Le législateur a donc graduellement mis fin au régime fiscal de faveur dont bénéficiaient les « bonis de liquidation », contrairement aux dividendes (voy. l'arrêt n° 109/2004 du 23 juin 2004, B.4.6, et l'arrêt n° 162/2014 du 6 novembre 2014, B.7).
B.3. L'augmentation du taux à 25 p.c., opérée par la loi du 28 juin 2013, était assortie d'une mesure transitoire, la « liquidation interne ». Un nouvel article 537 du CIR 1992 prévoyait que les sociétés pouvaient distribuer au taux de 10 p.c., au cours de la dernière période imposable prenant fin avant le 1er octobre 2014, les réserves qui étaient inscrites dans les derniers comptes annuels qui avaient été approuvés au plus tard le 31 mars 2013 par l'assemblée générale. Pour pouvoir bénéficier de ce précompte réduit, il fallait notamment que le montant perçu entre immédiatement et pour une certaine période dans le capital de la société.
B.4. La loi du 19 décembre 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 19/12/2014 pub. 29/12/2014 numac 2014004028 source service public federal budget et controle de la gestion Loi contenant le budget des Voies et Moyens de l'année budgétaire 2015 type loi prom. 19/12/2014 pub. 19/01/2015 numac 2015007001 source ministere de la defense Loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 2015 type loi prom. 19/12/2014 pub. 15/01/2015 numac 2015003004 source service public federal budget et controle de la gestion Loi contenant le deuxième ajustement du budget général des dépenses pour l'année budgétaire 2014 fermer a instauré la « réserve de liquidation ». Un nouvel article 184quater du CIR 1992 prévoit une possibilité permanente de bénéficier du précompte réduit. A partir de l'exercice d'imposition 2015, les petites sociétés au sens de l'article 15 du Code des sociétés peuvent réserver pour une période déterminée la totalité ou une partie du « bénéfice comptable après impôt » sur un compte distinct du passif. Cette réserve de liquidation est soumise à une cotisation distincte de 10 p.c. En cas de liquidation ultérieure, cette réserve est distribuée en exonération d'impôt. En dehors du cadre d'une liquidation, un précompte mobilier reste cependant dû.
B.5. Il ressort de ce qui précède que le régime de la « liquidation interne » et le régime de la « réserve de liquidation » ne coïncident pas parfaitement. Le premier régime n'est applicable qu'aux réserves imposées, appartenant à la dernière période imposable clôturée avant le 1er octobre 2014, telles qu'elles ont été approuvées au plus tard le 31 mars 2013 par l'assemblée générale. Le deuxième régime n'est applicable qu'à partir de l'exercice d'imposition 2015. Les réserves réalisées dans l'intervalle n'entrent en ligne de compte pour aucun des deux régimes et sont donc en principe soumises au tarif standard du précompte mobilier.
Pour assurer une meilleure transition entre les deux régimes, la première disposition attaquée prévoit une « réserve de liquidation spéciale » : « Dès lors, pour les sociétés qui, sur la base de l'article 15 du Code des sociétés, sont considérées comme petites sociétés, le gouvernement a décidé d'instaurer en 2015 un ' prélèvement anticipatif ' de 10 p.c. sur le bénéfice comptable après impôt réalisé au cours de l'exercice comptable 2012, et en 2016 un prélèvement de 10 p.c. sur le bénéfice comptable après impôt réalisé au cours de l'exercice comptable 2013, dans la mesure où ce bénéfice est repris dans une réserve de liquidation spéciale » (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-1125/001, p. 92).
B.6. L'article 541 du CIR 1992, qui a été inséré par la première disposition attaquée, prévoit donc la possibilité pour les petites sociétés au sens de l'article 15 du Code des sociétés de bénéficier, moyennant le respect de certaines conditions, d'un précompte réduit sur le bénéfice de l'exercice comptable rattaché à l'exercice d'imposition 2013 ( § 1er) et sur le bénéfice de l'exercice comptable rattaché à l'exercice d'imposition 2014 ( § 2).
Le grief de la partie requérante porte sur la condition contenue dans le 9° des deux paragraphes : « 9° les comptes annuels relatifs [à l']exercice comptable se rattachant à l'exercice d'imposition 2013 soit ont été déposés à la date du 31 mars 2015 soit, en ce qui concerne les sociétés visées à l'article 97 du Code des sociétés, ont été approuvés par l'assemblée générale conformément à l'article 92 du même Code et introduits avec la déclaration à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition concerné ». « 9° les comptes annuels relatifs à l'exercice comptable se rattachant à l'exercice d'imposition 2014 soit ont été déposés à la date du 31 mars 2015 ou, en ce qui concerne les sociétés qui clôturent leurs comptes annuels à partir du 1er septembre 2014 jusqu'au 30 décembre 2014 inclus, au plus tard sept mois après la date de clôture de l'exercice comptable, soit, en ce qui concerne les sociétés visées à l'article 97 du Code des sociétés, ont été approuvés par l'assemblée générale conformément à l'article 92 du même Code et introduits avec la déclaration à l'impôt des sociétés pour l'exercice d'imposition concerné ».
B.7. La partie requérante est une petite société au sens de l'article 15 du Code des sociétés. Son exercice comptable commence au 1er décembre et se clôture le 30 novembre de chaque année. Les comptes annuels de l'exercice comptable qui a pris fin le 30 novembre 2012 et qui est rattaché à l'exercice d'imposition 2012 n'avaient, au 31 mars 2013, pas encore été approuvés par l'assemblée générale. Les réserves inscrites dans ces comptes annuels de la partie requérante n'entraient donc pas en considération pour la « liquidation interne ». Etant donné qu'elles portent sur l'exercice d'imposition 2012, ces réserves n'entrent pas davantage dans le champ d'application de la « réserve de liquidation spéciale ».
La partie requérante fait valoir que les dispositions attaquées violent les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elles traitent différemment les sociétés en question selon que leur exercice comptable coïncide ou non avec l'année civile. En effet, les réserves des sociétés qui tiennent leur comptabilité par année civile entrent, en règle générale, dans le champ d'application de la « liquidation interne » en ce qui concerne les comptes annuels liés à l'exercice d'imposition 2012 et dans le champ d'application de la « réserve de liquidation spéciale » en ce qui concerne les comptes annuels rattachés aux exercices d'imposition 2013 et 2014. Les réserves de la partie requérante en ce qui concerne les comptes annuels rattachés à l'exercice d'imposition 2012 n'entrent, ainsi qu'il a déjà été mentionné, dans aucun des deux systèmes.
B.8. Les dispositions attaquées, qui, du fait de l'instauration de la « réserve de liquidation spéciale », entendent harmoniser le champ d'application de la « liquidation interne » avec celui de la « réserve de liquidation », constituent en réalité une mesure transitoire entre les deux régimes précités.
Il appartient en principe au législateur de décider s'il doit ou non prévoir des mesures transitoires.
Toutefois, les mesures transitoires doivent être générales et être fondées sur des critères objectifs et pertinents.
B.9. L'article 541 du CIR 1992, qui a été inséré par la première disposition attaquée et mis en oeuvre par la deuxième disposition attaquée, limite la « réserve de liquidation spéciale » aux comptes annuels rattachés aux exercices d'imposition 2013 et 2014. Ce critère est certes objectif, mais il n'est pas pertinent au regard du but qui consiste à harmoniser le régime de la « liquidation interne » avec celui de la « réserve de liquidation ». Afin d'atteindre entièrement cet objectif, il faut également prendre en compte, pour certaines sociétés qui se trouvent dans la situation de la partie requérante, les comptes annuels rattachés à l'exercice d'imposition 2012.
Le Conseil des ministres fait valoir que le critère des exercices d'imposition 2013 et 2014 est lié au régime transitoire mentionné en B.3, la « liquidation interne », qui prévoit que la date ultime pour l'approbation des comptes annuels est le 31 mars 2013 « afin d'éviter toute forme de manipulation » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2853/014, p. 11).
Le motif invoqué peut certes justifier le champ d'application de la mesure transitoire temporaire (« liquidation interne »), mais il n'est pas pertinent pour justifier, lorsque le législateur a par la suite prévu un régime permanent (« réserve de liquidation ») et vise ensuite à harmoniser les deux systèmes en prévoyant un régime transitoire (« réserve de liquidation spéciale »), qu'une catégorie déterminée de sociétés soit, pour une période déterminée, exclue de chacun des régimes précités.
B.10. Le moyen est fondé.
L'article 541 du CIR 1992, tel qu'il a été inséré par l'article 82 attaqué, doit dès lors être annulé en ce qu'il ne porte pas sur les comptes annuels relatifs à l'exercice comptable rattaché à l'exercice d'imposition 2012, lorsque les réserves imposées de cet exercice d'imposition, eu égard à la date de l'assemblée générale, n'entraient pas en considération pour le régime de la « liquidation interne ».
La constitution d'une « réserve de liquidation spéciale » pour la totalité ou une partie du bénéfice comptable après impôt de l'exercice comptable rattaché à l'exercice d'imposition 2012 doit, dans cette hypothèse, être autorisée, dans le chef des sociétés lésées, par l'administration compétente ou, le cas échéant, par le juge.
Par ces motifs, la Cour annule l'article 82 de la loi-programme du 10 août 2015Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 10/08/2015 pub. 18/08/2015 numac 2015203736 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer en ce qu'il ne porte pas sur les comptes annuels relatifs à l'exercice comptable rattaché à l'exercice d'imposition 2012, lorsque les réserves imposées de cet exercice d'imposition, eu égard à la date de l'assemblée générale, n'entraient pas en considération pour le régime de la « liquidation interne ».
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 février 2017.
Le greffier, Le président, F. Meersschaut E. De Groot