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Arrêt
publié le 30 janvier 2017

Extrait de l'arrêt n° 161/2016 du 14 décembre 2016 Numéro du rôle : 6335 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1 er , alinéa 4, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Liège, divis La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 161/2016 du 14 décembre 2016 Numéro du rôle : 6335 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Liège, division Verviers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 23 novembre 2015 en cause de J.D. contre P.D. et R.C., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 18 janvier 2016, le Tribunal de première instance de Liège, division Verviers, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil viole-t-il les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il prévoit que l'action en contestation d'une reconnaissance paternelle ne peut plus être intentée par l'enfant après l'âge de 22 ans ou après un an s'il a toujours su que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père et ceci dans l'hypothèse où la reconnaissance paternelle ne correspond pas à la vérité biologique, et repose sur une possession d'état qui n'est pas continue ? ». (...) III. En droit (...) Quant au « mémoire » du Conseil des ministres B.1.1. Le Conseil des ministres a fait parvenir à la Cour un « mémoire » dans lequel il se limite à renvoyer à la position qu'il a défendue, « notamment », dans cinq affaires, identifiées par leur numéro de rôle, affaires dans lesquelles la partie demanderesse devant la juridiction a quo n'était pas partie.

B.1.2. En application de l'article 89, § 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le greffier transmet une copie des mémoires déposés aux autres parties ayant déposé un mémoire, ces dernières disposant d'un délai de trente jours pour faire parvenir un mémoire en réponse.

B.1.3. Un « mémoire » qui ne contient aucune argumentation mais se limite à renvoyer à d'autres mémoires déposés dans une autre affaire impliquant d'autres parties ne permet pas au destinataire de la notification prévue par l'article 89, § 1er, précité, d'y répondre de manière utile, de sorte que les droits de la défense de cette partie et le principe de la contradiction des débats ne sont pas garantis.

B.1.4. Il résulte de ce qui précède que le « mémoire » déposé par le Conseil des ministres doit être écarté des débats.

Quant au fond B.2. L'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil dispose : « L'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la personne qui a reconnu l'enfant n'est pas le père ou la mère; celle de la personne qui revendique la paternité ou la maternité doit être intentée dans l'année de la découverte qu'elle est le père ou la mère de l'enfant; celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père ou sa mère.

L'action de la femme qui revendique la comaternité doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'elle a consenti à la conception, conformément à l'article 7 de la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et que la conception peut en être la conséquence ».

B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'elle ne permet pas à l'enfant âgé de plus de 22 ans d'agir en contestation de la reconnaissance de paternité au-delà du délai d'un an à compter de la découverte du fait que l'homme qui l'a reconnu n'est pas son père, dans l'hypothèse où la filiation établie par cette reconnaissance ne correspond pas à la vérité biologique et qu'elle ne repose pas sur une possession d'état continue.

B.4.1. L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

B.4.2. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne précitée (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).

La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un ensemble indissociable.

B.5. La question préjudicielle est similaire à celle qui était posée dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt n° 77/2016 du 25 mai 2016, par lequel la Cour a jugé : « B.4.1. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et leur vie familiale.

L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle poursuive un but légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 42).

B.4.2. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation de la paternité concernent la vie privée, parce que la matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier 2006, Mizzi c.

Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, §§ 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztissn Barnabsss Tóth c. Hongrie, § 28).

Le régime de contestation de la reconnaissance de paternité en cause relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.5. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, §§ 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c.

Roumanie, § 33).

Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble mais il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51).

Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.

La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, §§ 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, §§ 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119;6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63).

B.6. Le législateur a, lors de la réforme du droit de la filiation, et en particulier en ce qui concerne le droit en matière de reconnaissance, toujours voulu cerner le plus près possible la vérité (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305/1, p. 3) et a pour cette raison voulu permettre de contester la filiation légale (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305/1, p. 12).

Toutefois, le législateur a en même temps aussi tenté de respecter la ' paix des familles ', au besoin au détriment de la vérité (Doc. parl., Sénat, 1977-1978, n° 305/1, p. 15), et de créer la même stabilité en matière de reconnaissance que celle qui existe à l'égard d'un enfant né dans le mariage (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904/2, pp. 101 et 115). Pour cette raison, le législateur a considéré l'intérêt de l'enfant comme prioritaire (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904/2, p.115).

Le souci principal du législateur lorsqu'il a instauré l'article 330 du Code civil était par conséquent de garantir la sécurité juridique pour l'enfant (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 904/2, p. 102).

B.7.1. Le délai d'un an dans lequel doit être introduite l'action du père, de la mère ou de la personne qui a reconnu l'enfant et de la personne qui revendique la filiation a été instauré par la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci et a été justifié par le législateur par le fait qu'il serait indispensable de limiter dans le temps la possibilité de contester la paternité, en vue de sécuriser le lien de filiation. De cette manière, le législateur entendait éviter l'insécurité juridique et les troubles au sein du ménage (Doc. parl., Chambre, 2003-2004, DOC 51-0597/014, p. 5) et protéger autant que possible la cellule familiale de l'enfant (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/032, p. 14, et DOC 51-0597/026, p. 6). B.7.2. Le délai d'un an dans lequel doit être introduite l'action de l'enfant, après la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père ou sa mère, a été instauré par l'article 370 de la loi du 27 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021363 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses (1) type loi prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021365 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses (1) fermer portant des dispositions diverses (I).

B.8. En ce qui concerne en particulier les délais dans le droit de la filiation, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas estimé que l'instauration de délais était en soi contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme; seule la nature d'un tel délai peut être considérée comme contraire au droit au respect de la vie privée (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 45; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 45; 29 janvier 2013, Röman c.

Finlande, § 50; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 46).

La Cour européenne des droits de l'homme admet en outre que la marge d'appréciation du législateur national est plus grande lorsqu'il n'existe pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe concernant l'intérêt en cause ou la manière dont cet intérêt doit être protégé (CEDH, 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 68). De plus, la Cour européenne souligne qu'il ne lui incombe pas de prendre des décisions à la place des autorités nationales (CEDH, 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 41).

B.9.1. La Cour a déjà examiné à plusieurs reprises la constitutionnalité du délai d'un an prévu par l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil.

B.9.2. Par son arrêt n° 139/2013, du 17 octobre 2013, la Cour a dit pour droit que l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil ne violait pas les articles 22 et 22bis de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il prescrit que l'action en contestation d'une reconnaissance de paternité introduite par la personne qui revendique la filiation doit être intentée dans l'année de la découverte qu'elle est le père de l'enfant.

B.9.3. Par son arrêt n° 165/2013, du 5 décembre 2013, la Cour a dit pour droit que l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec la Convention relative aux droits de l'enfant, en ce qu'il dispose que l'action de celui qui revendique la filiation doit être intentée dans l'année qui suit la découverte du fait qu'il est le père de l'enfant.

B.9.4. Par son arrêt n° 139/2014, du 25 septembre 2014, la Cour a dit pour droit que l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil ne violait pas les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il dispose que l'action de celui qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année qui suit la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant.

B.9.5. Les arrêts précités portent sur le délai d'un an imposé lorsque l'action en contestation d'une reconnaissance paternelle est introduite par la personne qui revendique la filiation ou par la personne qui a reconnu l'enfant, mais ne porte pas sur le délai d'un an imposé lorsqu'une telle action est introduite par l'enfant.

B.10.1. Toutefois, la Cour s'est déjà prononcée sur le délai d'un an dont l'enfant dispose pour introduire une action en contestation de paternité, délai prévu par l'article 318, § 2, du Code civil.

B.10.2. Par son arrêt n° 96/2011, du 31 mai 2011, la Cour a jugé à propos d'une action en contestation de présomption de paternité introduite par un enfant majeur contre le mari de sa mère alors que cette présomption ne correspondait ni à la vérité biologique ni, en l'absence de possession d'état, à la vérité socio-affective : ' B.7. Il ressort des motifs du jugement rendu par le juge a quo que, d'après les éléments du dossier, la présomption de paternité du mari de la mère établie en l'espèce à l'égard du demandeur devant le juge a quo ne correspond ni à la vérité biologique, ni à la vérité socio-affective. La Cour limitera à cette hypothèse l'examen du délai relatif à l'action en contestation de paternité prescrit par l'article 318, § 2, du Code civil.

La Cour doit donc contrôler si l'article 318, § 2, précité, porte atteinte de manière discriminatoire au droit au respect de la vie privée, tel qu'il est consacré par l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'enfant qui, en l'absence de possession d'état, entend contester la présomption de paternité établie à l'égard du mari de sa mère, compte tenu des délais que cet article 318, § 2, prescrit pour ce faire. [...] B.13. La paix des familles et la sécurité juridique des liens familiaux, d'une part, et l'intérêt de l'enfant, d'autre part, constituent des buts légitimes dont le législateur peut tenir compte pour empêcher que la contestation de paternité puisse être exercée sans limitation.

B.14. Toutefois, en prévoyant qu'un enfant ne peut plus contester la présomption de paternité établie à l'égard du mari de sa mère au-delà de l'âge de vingt-deux ans ou de l'année à dater de la découverte du fait que celui qui était le mari de sa mère n'est pas son père, alors que cette présomption ne correspond à aucune réalité ni biologique, ni socio-affective, il est porté atteinte de manière discriminatoire au droit au respect de la vie privée de cet enfant. En raison du court délai de prescription, celui-ci pourrait ne plus disposer de la possibilité de saisir un juge susceptible de tenir compte des faits établis ainsi que de l'intérêt de toutes les parties concernées, sans que cela puisse se justifier par le souci de préserver la paix des familles alors que les liens familiaux sont en l'occurrence inexistants '.

Par conséquent, la Cour a dit pour droit : ' Dans l'hypothèse décrite en B.7, l'article 318, § 2, du Code civil viole les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme '.

B.10.3. Par son arrêt n° 18/2016, du 3 février 2016, la Cour a dit pour droit que l'article 318, § 2, du Code civil violait l'article 22 de la Constitution, combiné avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il impose à l'enfant âgé de plus de 22 ans un délai d'un an à compter de la découverte du fait que le mari de sa mère n'est pas son père pour intenter une action en contestation de paternité.

Par cet arrêt, la Cour a jugé : ' B.13. Lorsqu'un enfant découvre plusieurs années avant d'avoir atteint l'âge de 22 ans que le mari de sa mère n'est pas son père, l'article 318, § 2, du Code civil ne lui permet plus de contester la présomption de paternité dès qu'il a atteint l'âge de 22 ans. Empêché de contester cette présomption de paternité, cet enfant est également empêché d'encore intenter, passé cet âge, une action en recherche de paternité.

B.14.1. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation de paternité concernent la vie privée, parce que la matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité personnelle d'un individu, dont l'identité de ses géniteurs fait également partie (CEDH, 7 février 2002, Mikulic c. Croatie, §§ 53 et 54; 13 juillet 2006, Jäggi c. Suisse, § 25; 16 juin 2011, Pascaud c.

France, §§ 48-49).

B.14.2. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, lorsque le législateur fixe les règles en matière de filiation, il doit non seulement tenir compte des droits des intéressés, mais aussi de la nature de ces droits. Lorsqu'est en cause le droit à une identité, dont relève le droit de connaître son ascendance, un examen approfondi est nécessaire pour peser les intérêts en présence (CEDH, 13 juillet 2006, Jäggi c. Suisse, § 37; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 47). Même si une personne a pu développer sa personnalité sans avoir de certitude quant à l'identité de son père biologique, il faut admettre que l'intérêt qu'un individu peut avoir à connaître son ascendance ne décroît pas avec les années, bien au contraire (CEDH, 13 juillet 2006, Jäggi c. Suisse, § 40; 16 juin 2011, Pascaud c. France, § 65). La Cour européenne constate également qu'il ressort d'une étude comparée que dans un nombre important d'Etats, l'action de l'enfant en recherche de paternité n'est pas soumise à un délai, et que l'on constate une tendance à accorder à l'enfant une plus grande protection (CEDH, 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, § 58).

B.15. Dans une procédure judiciaire d'établissement de la filiation, le droit de chacun à l'établissement de sa filiation doit dès lors l'emporter, en principe, sur l'intérêt de la paix des familles et de la sécurité juridique des liens familiaux.

B.16. Même s'il existe ou s'il a existé des liens familiaux, concrétisés par la possession d'état, la disposition en cause porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'enfant, en raison du court délai de prescription qui pourrait le priver de la possibilité de saisir un juge susceptible de tenir compte des faits établis ainsi que de l'intérêt de toutes les parties concernées. [...] '.

B.11. Le fait que les articles 318, § 2, et 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil se rapportent à des matières différentes n'empêche pas qu'ils sont tous deux étroitement liés au droit à l'identité de l'enfant.

S'agissant de la reconnaissance, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé : ' la reconnaissance comme l'annulation d'un lien de filiation touche directement à l'identité de l'homme ou de la femme dont la parenté est en question (voir, par exemple, Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, § 33, série A n° 87, I.L.V. c. Roumanie (déc.), n° 4901/04, § 33, 24 août 2010, Kruskovic, précité, § 18, et Canonne c. France (déc.), n° 22037/13, § 25, 2 juin 2015) ' (CEDH, 14 janvier 2016, Mandet c. France, § 44).

En outre, comme la Cour l'a rappelé dans son arrêt n° 139/2013, précité, le législateur a voulu réaliser un parallélisme maximal entre la procédure de contestation de la présomption de paternité et la procédure de contestation de la reconnaissance de paternité. Les deux procédures sont ainsi formulées, dans les dispositions en question, dans des termes comparables et le législateur a prévu, dans les deux procédures, le même délai d'un an pour intenter l'action.

Pour des motifs similaires à ceux de l'arrêt n° 18/2016, précité, relatif à l'article 318, § 2, du Code civil, l'article 330, § 1er, alinéa 4, du même Code n'est pas compatible avec les normes de référence invoquées ».

B.6. Par l'arrêt n° 77/2016 précité, la Cour a dit pour droit que l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil violait les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il impose à l'enfant âgé de plus de 22 ans un délai d'un an à compter de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père pour intenter une action en contestation de la reconnaissance paternelle.

B.7. Pour les mêmes motifs, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil viole les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il impose à l'enfant âgé de plus de 22 ans un délai d'un an à compter de la découverte du fait que la personne qui l'a reconnu n'est pas son père pour intenter une action en contestation de la reconnaissance paternelle.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 décembre 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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