publié le 24 mai 2016
Extrait de l'arrêt n° 36/2016 du 3 mars 2016 Numéro du rôle : 6159 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 37, § 20, alinéa 3, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du juge A. Alen, faisant fonction(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 36/2016 du 3 mars 2016 Numéro du rôle : 6159 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 37, § 20, alinéa 3, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, inséré par l'article 140 de la
loi-programme du 22 décembre 2008Documents pertinents retrouvés
type
loi-programme
prom.
22/12/2008
pub.
29/12/2008
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2008021120
source
service public federal chancellerie du premier ministre
Loi-programme
fermer, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du juge A. Alen, faisant fonction de président, et des juges J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 30 janvier 2015 en cause de Patricia Leroy contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 février 2015, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 37, § 20, alinéa 3, de la loi coordonnée du 14 juillet 1994 relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, inséré par l'article 140 de la loi-programme du 22 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2008 pub. 29/12/2008 numac 2008021120 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, viole-t-il les articles 10, 11 et 23 de la Constitution lus séparément et combinés avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er de la Charte sociale européenne et le principe de sécurité juridique en ce qu'il crée, entre les tabacologues qui prodiguaient une assistance au sevrage tabagique avant son entrée en vigueur, deux catégories de tabacologues : ceux qui ont obtenu le droit d'être reconnus, à savoir les professionnels de la santé et les licenciés en psychologie, à l'unique condition d'avoir réussi les épreuves finales d'une formation spécifique - en sorte que leur intervention peut être remboursée par l'INAMI - et ceux qui n'ont pas obtenu ce droit, bien qu'ils justifiaient d'une expérience utile comme tabacologue et qu'ils avaient réussi les épreuves finales d'une formation spécifique en tabacologie ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 37, § 20, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994 (ci-après : la loi AMI), qui dispose : « § 20. Le Roi détermine, après avis du Comité de l'assurance, l'intervention de l'assurance soins de santé pour les prestations visées à l'article 34, 14°, 20°bis, 24° et 25°, ainsi que les conditions de remboursement. Il peut déterminer que ces interventions sont accordées sous la forme d'un montant forfaitaire ou d'un montant maximum pour une période qu'Il détermine.
Le Roi fixe les conditions de reconnaissance des tabacologues, qui, outre les docteurs en médecine, peuvent assurer l'assistance au sevrage tabagique.
Ces tabacologues doivent être soit des licenciés en psychologie, soit des professionnels de la santé au sens de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé et doivent également avoir satisfait aux épreuves finales d'une formation spécifique en tabacologie agréée par le Roi ».
En vertu de l'article 34, alinéa 1er, 24°, les soins au sens de la loi AMI comprennent « l'assistance au sevrage tabagique ».
B.2.1. La Cour est invitée à contrôler la compatibilité de l'alinéa 3 de l'article 37, § 20, précité, avec les articles 10, 11 et 23 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 1er de la Charte sociale européenne et avec le principe de la sécurité juridique. La question préjudicielle porte sur la différence de traitement, en ce qui concerne le remboursement des prestations d'aide au sevrage tabagique aux patients, entre les tabacologues qui prodiguaient une telle aide avant l'entrée en vigueur de la disposition en cause, selon qu'ils ont, en vertu de cette disposition, le droit d'être reconnus ou pas.
Seuls les professionnels de la santé au sens de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l'exercice des professions des soins de santé et les psychologues peuvent accéder à la reconnaissance en tant que tabacologue, moyennant la réussite d'épreuves finales d'une formation spécifique en tabacologie. Les personnes qui font appel à un tabacologue reconnu pour obtenir une aide au sevrage tabagique peuvent obtenir un remboursement des honoraires qu'elles leur versent pour ces prestations. En revanche, les tabacologues qui ne sont ni professionnels de la santé, ni psychologues ne peuvent être reconnus.
Il en découle que, bien qu'ils puissent valablement offrir une assistance au sevrage tabagique, les honoraires relatifs à leurs prestations ne peuvent faire l'objet d'un remboursement par l'assurance soins de santé.
B.2.2. Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la disposition en cause crée bien une différence de traitement désavantageant les tabacologues qui ne sont ni professionnels de la santé, ni psychologues et qui ne peuvent donc être reconnus. S'il est vrai que cette disposition ne leur interdit pas d'exercer la profession de tabacologue, la circonstance que leurs honoraires ne peuvent donner lieu à un remboursement à charge de l'assurance soins de santé, alors que les honoraires, dus pour les mêmes prestations, des tabacologues qui sont soit professionnels de la santé, soit psychologues, peuvent donner lieu à un remboursement, est de nature à dissuader les patients de faire appel à leur aide en matière de sevrage tabagique et, en conséquence, à gêner pour eux l'exercice de cette profession.
B.2.3. Par ailleurs, la question préjudicielle n'invite pas la Cour à comparer la situation de l'appelante devant le juge a quo à deux moments différents, soit avant et après l'entrée en vigueur de la disposition en cause, mais bien à comparer au regard de cette disposition, d'une part, la situation de l'appelante et des personnes qui, comme elle, ont réussi les épreuves finales d'une formation spécifique donnant accès à la profession de tabacologue mais ne sont ni professionnels de la santé, ni psychologues et, d'autre part, la situation des personnes qui ont réussi les mêmes épreuves et sont professionnels de la santé ou psychologues.
B.3.1. La disposition en cause a été insérée par l'article 140 de la loi-programme du 22 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2008 pub. 29/12/2008 numac 2008021120 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer. Avant l'entrée en vigueur de cette loi-programme, seules l'assistance et les prestations pharmaceutiques de sevrage tabagique chez les femmes enceintes et leur partenaire faisaient l'objet d'un remboursement, en vertu de l'article 34, alinéa 1er, 24°, de la loi AMI, tel qu'il avait été inséré par l'article 62 de la loi-programme du 27 décembre 2004Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2004 pub. 31/12/2004 numac 2004021170 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer.
B.3.2. Les travaux préparatoires de l'article 140 de la loi-programme du 22 décembre 2008Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 22/12/2008 pub. 29/12/2008 numac 2008021120 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer indiquent : « Cette section vise à étendre à tous les bénéficiaires de l'assurance soins de santé la possibilité de remboursement de l'aide au sevrage tabagique, jusqu'ici réservée aux femmes enceintes et à leur partenaire.
Cette extension est prévue par le Plan national cancer, qui met l'accent sur la lutte contre le tabagisme tant actif que passif et doit être rapidement mis en oeuvre.
On constate en effet qu'une hausse substantielle des moyens de prévention du tabagisme et d'accompagnement des fumeurs, combinée à des mesures fortes contre le tabagisme, [a] permis à certains pays dont la Belgique de faire reculer davantage le tabagisme.
Une des mesures de ce plan est d'étendre la possibilité de remboursement de l'aide au sevrage tabagique à l'ensemble des fumeurs et non plus seulement aux femmes enceintes et à leur partenaire comme c'est le cas actuellement.
L'assistance au sevrage tabagique pourra être prise en charge soit par un médecin (généraliste ou spécialiste), soit par un tabacologue, ce dernier étant un professionnel de la santé ou un psychologue qui a suivi et réussi une formation en tabacologie agréée par le Roi » (Doc. parl., Chambre, 2008-2009, DOC 52-1607/001, p. 82).
B.4.1. Afin de limiter et de conserver la possibilité de maîtriser les dépenses de l'assurance maladie-invalidité, il relève en principe du seul pouvoir du législateur de décider quelles sont les prestations de santé remboursables par l'assurance soins de santé et de modifier sa politique dans ce domaine, sans que la Cour puisse substituer son appréciation en la matière à celle du législateur.
B.4.2. Il relève également de la responsabilité du législateur, lorsqu'il prévoit le remboursement de prestations de santé, de s'assurer que celles-ci sont dispensées par des personnes compétentes et qualifiées pour ce faire. A cet égard, il n'est pas sans justification raisonnable d'avoir limité le remboursement des prestations d'assistance au sevrage tabagique à celles qui sont accomplies par, outre les docteurs en médecine, les personnes qui possèdent une formation de base soit en tant que professionnel de la santé au sens de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967, soit en tant que psychologue et qui ont suivi avec succès une formation spécifique. La problématique du sevrage tabagique a en effet des liens avec la santé ainsi que des aspects psychologiques, de sorte que le législateur a pu considérer que les professionnels de ces secteurs présentent les compétences les plus indiquées pour assurer une aide au sevrage de qualité.
B.5. Il résulte de ce qui précède qu'en ce qu'elle limite la possibilité d'être reconnu en tant que tabacologue aux licenciés en psychologie et aux professionnels de la santé au sens de l'arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 qui ont satisfait aux épreuves finales d'une formation spécifique en tabacologie agréée, la disposition en cause n'est pas dépourvue de justification raisonnable.
L'examen de la disposition en cause au regard de l'article 23 de la Constitution, de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et de l'article 1er de la Charte sociale européenne ne conduit pas à une autre conclusion. La Cour doit encore examiner la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec le principe de la sécurité juridique.
B.6. Si le législateur estime qu'un changement de politique s'impose, il peut décider de lui donner un effet immédiat et, en principe, il n'est pas tenu de prévoir un régime transitoire. Les articles 10 et 11 de la Constitution ne sont violés que si le régime transitoire ou l'absence d'un tel régime entraîne une différence de traitement non susceptible de justification raisonnable ou s'il est porté une atteinte excessive au principe de la confiance légitime.
B.7. En l'espèce, la disposition en cause n'a ni pour portée ni pour effet d'empêcher les tabacologues concernés dont les prestations ne pouvaient précédemment ni ne peuvent actuellement faire l'objet d'un remboursement par l'assurance soins de santé de continuer à exercer leur profession. Elle ne porte donc pas atteinte au principe de la confiance légitime.
B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 37, § 20, alinéa 3, de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 23 de la Constitution, avec l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 1er de la Charte sociale européenne et avec le principe de la sécurité juridique.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 3 mars 2016.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels