publié le 06 décembre 2004
Extrait de l'arrêt n° 161/2004 du 20 octobre 2004 Numéros du rôle : 3070 et 3071 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 68bis à 68quinquies des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 m La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, A.(...)
Extrait de l'arrêt n° 161/2004 du 20 octobre 2004 Numéros du rôle : 3070 et 3071 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 68bis à 68quinquies des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968, posée par le Tribunal de police de Marche-en-Famenne.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, A. Alen, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par deux jugements du 28 juillet 2004 en cause du ministère public contre respectivement R. Belhomme et A. Choffray, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage le 5 août 2004, le Tribunal de police de Marche-en-Famenne a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 68bis à 68quinquies des lois coordonnées du 16 mars 1968 relatives à la police de la circulation routière, tels qu'insérés par l'article 32 de la loi du 7 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2003 pub. 25/02/2003 numac 2003014044 source service public federal mobilite et transports Loi portant diverses dispositions en matière de sécurité routière fermer portant diverses dispositions en matière de sécurité routière publiée au Moniteur belge du 25 février 2003, lus en combinaison avec l'article 62 desdites lois coordonnées qui confèrent aux procès-verbaux dressés en exécution des lois et règlements en matière de roulage une force probante particulière, en ce qu'ils prévoient une affectation des recettes des amendes pénales, ordres de paiement, transactions et autres perceptions immédiates, dès lors que la marge existant entre le produit des recettes des exercices postérieurs à 2002 et celui des recettes indexées récolté en 2002 est attribuée aux zones de police qui auront conclu une convention sur la sécurité routière sur la base de critères arrêtés par le Roi, eu égard au fait qu'ils pourraient porter atteinte à l'article 6 de la Convention européenne relative à la sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en instaurant une différence de traitement discriminatoire entre les personnes poursuivies du chef d'infractions aux lois et règlements en matière de roulage et celles poursuivies du chef d'autres infractions ? » Le 12 août 2004, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, les juges-rapporteurs P. Martens et A. Alen ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de rendre un arrêt de réponse immédiate. (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée au sujet des articles 68bis à 68quinquies, introduits dans les lois coordonnées le 16 mars 1968, relatives à la police de la circulation routière, par l'article 32 de la loi du 7 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/02/2003 pub. 25/02/2003 numac 2003014044 source service public federal mobilite et transports Loi portant diverses dispositions en matière de sécurité routière fermer portant diverses dispositions en matière de sécurité routière. Ces articles disposent : «
Art. 68bis.§ 1er. Les recettes des amendes pénales en matière de circulation routière, des ordres de paiement et des sommes dont le paiement éteint l'action publique, comme prévu dans les présentes lois coordonnées, sont, conformément aux dispositions des présentes lois, en partie attribuées aux zones de police telles que définies à l'article 9 de la loi du 7 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/12/1998 pub. 05/01/1999 numac 1998021488 source services du premier ministre Loi organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux fermer organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux qui ont conclu une convention de sécurité routière avec le Ministre de l'intérieur et le Ministre de la Mobilité et des Transports. § 2. L'Etat est chargé de la perception des recettes visées au paragraphe 1er pour compte des zones de police en tenant compte des règles déterminées par la présente loi.
Art. 68ter.La part attribuée aux zones de police est le total des recettes visées à l'article 68bis, § 1er, diminuée du montant de ces recettes en 2002.
Le montant de ces recettes en 2002 est lié à l'indice des prix à la consommation, qui a été atteint le 31 décembre 2002. Ces montants sont adaptés le 1er janvier de chaque année à la grandeur de l'indice des prix à la consommation atteint le 31 décembre de l'année précédente.
A partir de 2003, la part à partager parmi les zones de police qui ont conclu une convention sur la sécurité routière avec le Ministre de l'Intérieur et le Ministre de la Mobilité et des Transports, est fixée selon les modalités déterminées par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.
Art. 68quater.Le Roi détermine également, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, les critères et le mécanisme selon lesquels cette répartition est effectuée entre les différentes zones de police ayant conclu une convention visée à l'article 68bis, § 1er.
Art. 68quinquies.Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, les conditions et les modalités auxquelles la convention visée à l'article 68bis, § 1er doit satisfaire.
La convention prévoit la réalisation d'une analyse des problèmes de sécurité routière dans la zone de police concernée, ainsi que d'un inventaire des activités existantes de maintien de la sécurité routière dans la zone de police concernée.
La convention prévoit également un plan d'action définissant des priorités et comportant, en fonction de ces priorités, les points suivants : la mise en oeuvre d'actions d'information du public par rapport aux problèmes de sécurité routière dans la zone de police concernée, en ce y compris sur l'organisation de contrôles et leurs résultats; la mise en oeuvre d'actions de prévention par rapport aux problèmes de sécurité routière relevés dans la zone de police concernée; l'organisation d'actions de contrôle, en précisant les objectifs de ceux-ci.
La convention doit s'inscrire dans le cadre du plan zonal de sécurité.
Dans la convention, la zone de police s'engage également à désigner un coordinateur qui veillera à la réalisation effective de ses objectifs en matière de sécurité routière.
Elle s'engage également à adresser aux Ministres précités un rapport d'évaluation sur l'exécution de la convention, comportant notamment la répartition des effectifs affectés aux différentes actions mises en oeuvre dans le cadre de la convention. » B.2. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux prévenus devant le juge a quo, qui sont poursuivis pour avoir conduit un véhicule en état d'imprégnation alcoolique ou d'ivresse. Ils sont passibles des peines prévues par la loi, quelle que soit l'affectation du produit des amendes auxquelles ils pourraient être condamnés. Une éventuelle déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions en cause n'aurait aucune incidence sur l'action pénale dirigée contre eux.
B.3. Les prévenus font toutefois observer que l'article 62 des mêmes lois coordonnées dispose : « Les agents de l'autorité désignés par le Roi pour surveiller l'application de la présente loi et des arrêtés pris en exécution de celle-ci constatent les infractions par les procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire. » Ils estiment que, puisque les articles 68bis à 68quinquies conduisent à accorder un avantage financier à la zone de police dont relève l'agent auteur du procès-verbal, le mécanisme légal est de nature à influencer ses constatations. Il serait ainsi porté atteinte à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit à un procès équitable, et cette atteinte serait discriminatoire puisqu'elle ne concerne que les infractions en matière de roulage. Ils estiment que l'objectif du législateur pourrait être atteint par d'autres mesures qui ne lieraient pas le financement des zones de police aux suites réservées aux procès-verbaux rédigés par leurs agents et qu'« une politique de prévention routière doit conduire à une réduction des accidents mais aussi à une réduction des amendes et condamnations, le citoyen anticipant le danger qui découle d'une conduite irresponsable ».
B.4. En accordant une force probante aux procès-verbaux établis en matière de roulage, le législateur n'a pas attribué une quelconque compétence juridictionnelle à ceux qui les rédigent. Il a tenu compte de ce que les infractions qui entrent dans le champ d'application de l'article 62 précité ont un caractère fugace et éphémère et que leur constatation est rendue plus difficile par la mobilité des véhicules qui y sont impliqués. Il a voulu remédier à la difficulté d'administrer la preuve de ces infractions en attachant une foi particulière aux constatations des faits établis par des personnes disposant du pouvoir à cette fin. Il a pris une mesure identique en matière de douanes et accises.
Par ailleurs, les constatations consignées dans les procès-verbaux peuvent être utiles pour apprécier la responsabilité civile des personnes impliquées dans un accident, leurs déclarations étant souvent contradictoires. La règle contenue à l'article 62 précité est donc raisonnablement justifiée et elle n'établit aucune discrimination par rapport aux auteurs d'autres infractions.
B.5. Les personnes prévenues d'infractions constatées par de tels procès-verbaux ne sont privées d'aucune des garanties du procès équitable et elles peuvent exercer librement leurs droits de défense en administrant la preuve contraire des constatations qu'ils contiennent par toutes voies de droit.
En l'espèce, les prévenus devant le juge a quo, auxquels il est reproché d'avoir conduit alors qu'ils avaient bu des boissons alcoolisées, ont eu toute la faculté de solliciter une contre-expertise pour contredire le taux d'alcoolémie constaté par les analyses effectuées.
B.6. Quant à l'incitation à verbaliser qui est alléguée par les prévenus, elle est conforme à l'objectif du législateur qui entendait remédier à « la situation défavorable de la Belgique par rapport à plusieurs autres Etats-membres de l'Union européenne en matière de sécurité routière », le Gouvernement ayant proposé d'entreprendre « une action coordonnée par objectifs visant à réduire de 33 % le nombre de tués sur les routes à l'horizon 2006, et de 50 % à l'horizon 2010 comme le préconise la Commission européenne » (Doc. parl., Chambre, 2001-2002, DOC 50-1915/001, p. 6).
B.7. Il appartient au législateur, spécialement lorsqu'il entend lutter contre un fléau que d'autres mesures préventives n'ont pu jusqu'ici suffisamment endiguer, de décider s'il convient d'opter pour une répression aggravée à l'égard de certaines formes de délinquance.
Le nombre d'accidents de la route et les conséquences qui en découlent justifient que les auteurs d'atteintes à la sécurité routière fassent l'objet de procédures et de sanctions propres et que des méthodes de financement particulières soient utilisées pour améliorer la prévention et la répression des infractions dont ils se rendent coupables, notamment en mettant ce financement à charge de ceux-ci plutôt qu'à charge de la collectivité. Il a pu considérer qu'il convenait « d'accomplir des progrès importants en matière de maintien de la sécurité routière dans les zones de police nouvellement créées par la loi du 7 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 07/12/1998 pub. 05/01/1999 numac 1998021488 source services du premier ministre Loi organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux fermer créant un service de police intégré, structuré à deux niveaux » et d'« encourager les projets développés par des zones afin d'accroître leurs activités de maintien de la sécurité routière » (ibid., p. 20).
B.8. Le mode de financement critiqué n'est pas de nature à porter atteinte aux exigences du procès équitable : les infractions continueront d'être jugées par un tribunal indépendant et impartial.
La force probante ne s'attache aux procès-verbaux qu'en ce qui concerne les éléments matériels de l'infraction; elle ne vaut que pour les constatations faites personnellement par le verbalisant; elle ne s'étend pas aux déductions qu'il en aurait tirées et elle ne joue pas pour des constatations faites d'une manière qui n'est pas légale ou compatible avec les principes généraux du droit.
B.9. Même si la mesure critiquée devait avoir pour effet de multiplier les procès-verbaux relatifs aux infractions en matière de circulation routière, il s'agit d'une mesure conforme à l'objectif du législateur et qui a un effet préventif et répressif dans une matière où les campagnes d'information et de prévention se sont révélées impuissantes à réduire suffisamment le nombre des accidents. Elle portera atteinte aux intérêts économiques de ceux qui méconnaissent les règles de la circulation routière mais elle servira l'objectif, conforme à l'intérêt général, de réduire le nombre des accidents de la route.
B.10. Il s'ensuit qu'il peut manifestement être répondu par la négative aux questions préjudicielles.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 68bis à 68quinquies des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées le 16 mars 1968, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 20 octobre 2004.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Melchior.