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Arrêt
publié le 20 octobre 2003

Extrait de l'arrêt n° 66/2003 du 14 mai 2003 Numéro du rôle : 2433 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 319, § 3, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Liège. La Cour d'arbitrage, comp après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

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20/10/2003
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 66/2003 du 14 mai 2003 Numéro du rôle : 2433 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 319, § 3, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Liège.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges L. François, P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et E. Derycke, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 26 avril 2002 en cause de F. Techy contre S. Metselaar, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 3 mai 2002, le Tribunal de première instance de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 319, § 3, du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en autorisant le Tribunal à tenir compte de l'intérêt de l'enfant à reconnaître lorsque celui-ci a plus de 15 ans (arrêt [de la Cour d'arbitrage] du 6 juin 1996), tandis que cette possibilité lui est refusée lorsque l'enfant a moins de 15 ans (arrêt [de la Cour d'arbitrage] du 8 octobre 1992) ? » (...) III. En droit (...) B.1. La partie défenderesse devant le juge a quo demande à la Cour de reformuler la question, dans des termes qui, en réalité, en modifient le contenu.

Les parties devant la Cour ne peuvent pas modifier ou faire modifier le contenu des questions préjudicielles. La Cour envisage la différence de traitement telle qu'elle est présentée par le juge a quo .

B.2.1. La question préjudicielle porte sur l'article 319, § 3, du Code civil, qui dispose : « Si l'enfant est mineur non émancipé, la reconnaissance n'est recevable que moyennant le consentement préalable de la mère.

Est en outre requis le consentement préalable de l'enfant s'il a quinze ans accomplis.

A défaut de ces consentements, l'homme qui veut reconnaître l'enfant saisit par simple requête le juge de paix du domicile de l'enfant. Le requérant et les personnes dont le consentement est requis sont convoqués en chambre du conseil. S'il concilie les parties, le juge de paix reçoit les consentements nécessaires. Sinon, il renvoie la cause au tribunal de première instance.

Le tribunal entend les parties et le ministère public. Il rejette la demande s'il est prouvé que le requérant n'est pas le père. A défaut de cette preuve, il décide, en tenant compte de l'intérêt de l'enfant, si la reconnaissance peut avoir lieu. » B.2.2. Le juge a quo envisage cette disposition dans l'application qui lui a été donnée à la suite des arrêts de la Cour nos 39/90, 63/92 et 36/96, et s'interroge sur l'existence d'une éventuelle discrimination entre les enfants qui font l'objet d'une demande de reconnaissance par un homme dont la paternité biologique n'est pas contestée, selon qu'ils sont âgés de plus ou de moins de quinze ans.

B.2.3. L'application qui a été donnée aux arrêts nos 39/90 et 63/92 précités a pour conséquence que, lorsque la paternité biologique n'est pas contestée, en cas de refus de consentement de la mère à la reconnaissance par le père d'un enfant de moins de quinze ans, le tribunal de première instance saisi par le père autorise la reconnaissance dans tous les cas, sans qu'il puisse apprécier si cette reconnaissance est conforme à l'intérêt de l'enfant.

B.2.4. L'application qui a été donnée à l'arrêt no 36/96 précité a pour effet que, lorsque la paternité biologique n'est pas contestée, l'enfant âgé de plus de quinze ans peut refuser de consentir à l'établissement de sa filiation paternelle par reconnaissance. Dans cette hypothèse, le tribunal de première instance saisi par le père apprécie s'il est de l'intérêt de l'enfant de voir établie sa filiation paternelle. Le tribunal peut autoriser la reconnaissance malgré l'opposition de l'enfant, ou la refuser lorsqu'il estime que cette reconnaissance lui porterait préjudice.

B.2.5. L'application donnée aux arrêts de la Cour a pour conséquence, ainsi que le relève le juge a quo , qu'il existe une différence de traitement selon l'âge des enfants : seuls ceux qui sont âgés de plus de quinze ans bénéficient d'un contrôle judiciaire sur leur intérêt à voir établie leur filiation paternelle par reconnaissance.

B.3. Les règles constitutionnelles de l'égalité et de la non-discrimination n'excluent pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.1. L'article 3.1 de la Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée à New York le 20 novembre 1989, dispose : « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

L'article 12 de la même Convention prévoit, pour l'enfant capable de discernement, le droit d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant.

B.4.2. Cette dernière disposition a été traduite par la loi du 30 juin 1994Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/06/1994 pub. 23/04/2013 numac 2013000250 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 30/06/1994 pub. 29/01/2013 numac 2013000051 source service public federal interieur Loi transposant en droit belge la directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 30/06/1994 pub. 14/01/2009 numac 2008001061 source service public federal interieur Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins. - Traduction allemande de dispositions modificatives et d'exécution fermer, qui ajoute à l'article 931 du Code judiciaire un alinéa 3 ainsi rédigé : « Néanmoins, dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, à sa demande ou sur décision du juge, sans préjudice des dispositions légales prévoyant son intervention volontaire et son consentement, être entendu, hors la présence des parties, par le juge ou la personne désignée par ce dernier à cet effet, aux frais partagés des parties s'il y a lieu. La décision du juge n'est pas susceptible d'appel. » B.4.3. L'approbation, par la loi du 25 novembre 1991Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/11/1991 pub. 29/11/2018 numac 2018014673 source service public federal interieur Loi portant approbation de la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989. - Coordination officieuse en langue allemande fermer, de la Convention relative aux droits de l'enfant précitée ainsi que l'adoption de la loi du 30 juin 1994Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/06/1994 pub. 23/04/2013 numac 2013000250 source service public federal interieur Loi relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 30/06/1994 pub. 29/01/2013 numac 2013000051 source service public federal interieur Loi transposant en droit belge la directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur. - Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 30/06/1994 pub. 14/01/2009 numac 2008001061 source service public federal interieur Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins. - Traduction allemande de dispositions modificatives et d'exécution fermer montrent que le législateur entend imposer la prise en compte de l'intérêt de l'enfant dans les procédures judiciaires le concernant, le cas échéant en recueillant son avis propre lorsqu'il est capable de l'exprimer avec discernement, et en tout état de cause en invitant le juge à y être spécialement attentif.

B.5. Il peut exister des cas dans lesquels l'établissement juridique de la filiation paternelle d'un enfant cause à celui-ci un préjudice.

Si, en règle générale, on peut estimer qu'il est de l'intérêt de l'enfant de voir établie sa double filiation, on ne peut présumer de manière irréfragable que tel soit toujours le cas.

B.6. Si l'âge de quinze ans constitue un critère objectif, il ne saurait être considéré comme pertinent au regard de la mesure en cause. Rien ne peut justifier que le juge saisi d'une demande de reconnaissance de paternité prenne en considération l'intérêt de l'enfant lorsqu'il est âgé de plus de quinze ans et qu'il ne puisse en tenir compte lorsque l'enfant a moins de quinze ans.

En effet, en ce qu'elle a pour conséquence que l'intérêt d'un enfant âgé de moins de quinze ans n'est jamais pris en compte lors de l'établissement de sa filiation paternelle par reconnaissance, cette mesure porte une atteinte disproportionnée aux droits des enfants concernés.

B.7.1. La discrimination en cause provient en réalité de l'absence de prise en compte, par l'article 319, § 3, du Code civil, du consentement du mineur de moins de quinze ans. En effet, le consentement de la mère, tel qu'il est exigé par cette disposition, est censé traduire la prise en compte de l'intérêt de l'enfant.

Toutefois, en prévoyant que seule la mère doit consentir à la reconnaissance par le père d'un enfant de moins de quinze ans, le législateur a présumé que seul le refus du consentement de la mère indiquerait au juge éventuellement saisi l'existence d'un risque de préjudice pour l'intérêt de l'enfant. Il a ainsi exclu que le mineur lui-même, lorsqu'il est capable de discernement, ou d'autres personnes qui assument des obligations à son égard, lorsqu'il est incapable de discernement, puissent amener le juge à tenir compte de son intérêt.

B.7.2. Un tel pouvoir donné exclusivement à la mère est, pour les raisons exposées dans les arrêts nos 39/90 et 63/92, contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Toutefois, la discrimination réside non pas dans le fait qu'à défaut de consentement de la mère, le juge puisse exercer un contrôle sur l'éventuel risque de préjudice pour l'enfant de moins de quinze ans en cas d'établissement de la filiation paternelle, mais dans l'absence d'une procédure permettant la prise en compte par le juge du consentement du mineur de moins de quinze ans, soit en personne s'il est capable de discernement, soit par voie de représentation du mineur par les personnes qui en assument la charge.

B.8. Il n'appartient pas à la Cour de décider de la forme que devrait prendre la possibilité de contrôle, par l'autorité judiciaire, de l'intérêt de l'enfant de moins de quinze ans ou de l'enfant non doué de discernement à l'occasion de sa reconnaissance par son père. Il lui revient, en revanche, de constater que l'absence de toute possibilité, pour le juge, d'exercer un contrôle de l'intérêt de l'enfant âgé de moins de quinze ans en cas d'établissement de la filiation paternelle par reconnaissance, est contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 319, § 3, alinéa 1er, du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il réserve à la seule mère d'un enfant âgé de moins de quinze ans la possibilité de refuser de consentir à la reconnaissance de celui-ci par un homme dont la paternité n'est pas contestée. - La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle permet au juge, saisi d'une demande de reconnaissance d'un enfant âgé de moins de quinze ans par un homme dont la paternité n'est pas contestée, d'exercer un contrôle portant sur l'intérêt de l'enfant à voir établie cette filiation.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 14 mai 2003.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, M. Melchior

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